Il y aura bientôt cent ans qu'apparurent les premiers procédés biologiques de traitement des eaux usées. Dès leur introduction, deux familles de réacteurs bien distinctes furent mises en œuvre :
- – d'une part, les réacteurs à bactéries libres / type lagunes ou boues activées,
- – d'autre part, les réacteurs à bactéries fixées / type lit à ruissellement ou biofiltre.
Chaque famille se développa séparément et donna prospérité à de nombreuses technologies innovantes augmentant à chaque occasion les qualités originelles de chaque type de réacteur.
Les boues activées sont aujourd'hui bien connues, et leur adaptation à chaque besoin spécifique (carbone - azote - phosphore) a été largement développée. Elles sont caractérisées par une simplicité du processus épuratoire qui est continu et relativement stable. Cependant, ces procédés sont peu actifs et nécessitent un volume réactionnel important. Ce sont les « moteurs Diesel » du traitement des eaux usées, qui apportent la sécurité sans permettre la performance.
Les biomasses fixées sont également bien connues et leur développement récent, sous la forme de filtres immergés, a favorisé l'apparition de réacteurs très actifs, de forte compacité, tels que Biocarbone et Biostyr [1, 2]. Ce sont les « moteurs formule 1 » du traitement des eaux usées qui apportent la sécurité et la performance (rapidité), mais qui nécessitent des arrêts périodiques pour effectuer un cycle de lavage salvateur.
À l'instar de Roméo et Juliette, nous aurions pu croire à l'éternelle opposi-
[Photo : Principe du procédé Biolift.]
[Photo : Filière « Biolift intégrée aux boues activées moyenne charge ».]
tion des Montaigus et des Capulets et ne jamais baptiser une progéniture issue d'un mariage entre ces deux familles de réacteurs si différentes. Mais l'histoire ne se renouvelle pas toujours et nous présentons aujourd'hui une nouvelle technologie dont les caractéristiques principales sont l'addition des qualités de sécurité et de continuité des boues activées ainsi que les qualités d'efficacité et de compacité des biomasses fixées : le Biolift © [3-4].
Ce réacteur biologique met en œuvre un lit fluidisé de particules sur lequel une biomasse épuratoire se développe. Le processus est continu car la biomasse en excès est arrachée en permanence des particules qu'elle colonise et ses performances épuratoires sont très fortement augmentées par les grandes capacités de transfert (gaz, liquide, solide) du réacteur.
Dans une de ses applications spécifiques, la filière Biolift intégrée aux boues activées moyenne charge est un procédé nouveau dont la simplicité, la sécurité et la stabilité de fonctionnement rivalisent avec des performances épuratoires très fortes permettant une compacité maximale. C'est le « moteur Turbo-Diesel » du traitement des eaux usées et, à l’égal de son équivalent chez les motoristes, son avenir est assuré.
L'une des étapes essentielles du développement de ce procédé fut la réalisation (avec la collaboration de la Communauté Urbaine du Grand Nancy et de l'Agence de l'Eau Rhin-Meuse) et le suivi d'un réacteur industriel (6500 eqhab ‑ 113 m3 ‑ 125 m3/h) situé à Maxéville (France), dont la mise en route eut lieu au début de l'année 1993.
Matériels et méthodes
Principe du réacteur à lit fluidisé
Le matériau support (figure 1) est maintenu en suspension dans le réacteur par une vitesse ascendante constante du fluide interstitiel. Cette fluidisation est assurée par un dispositif de type « air lift » [5], extérieur au réacteur proprement dit.
L'air lift crée une recirculation interne qui, augmentée du débit de l'influent, représente le flux ascendant nécessaire à la fluidisation. L'air ainsi injecté, appelé « air moteur », a, en fait, plusieurs rôles complémentaires à sa fonction de base :
- • il participe à l'oxygénation du milieu (⇒ influent saturé à l'entrée du réacteur ; entraînement direct de bulles d'air dans la boucle de recirculation interne),
- • il assure la maîtrise du développement du biofilm et de la biomasse fixée en général, par une action de nettoyage en continu des grains.
En effet, l'équilibre biologique du réacteur repose sur une auto-régulation par recirculation dans l'air lift des particules les plus légères, celles dont le film biologique s'est développé de façon trop conséquente. Ces particules sont débarrassées de l'excès de biomasse grâce à la turbulence et au brassage intense régnant dans l'air lift puis recyclées gravitairement dans le réacteur.
Selon les charges à éliminer et leur fluctuation durant la journée, le complément d'oxygène nécessaire à une bonne élimination de la pollution est fourni par un réseau d'air complémentaire dit « réseau d'air procédé » disposé à la base du réacteur.
Un dispositif de séparation du matériau support et du fluide interstitiel permet de retenir les grains qui sont entraînés en surface par le flux d'eau et d'air au sein du réacteur.
Principe de la filière de traitement
La particularité de la filière de traitement que nous allons décrire (figure 2) tient au fait que le réacteur à lit fluidisé est intercalé entre la cuve de boues activées transformée (en totalité ou partie seulement) en zone anoxie et le(s) clarificateur(s) existant(s). À ce stade, la liqueur mixte qui transite par le Biolift contient de la biomasse hétérotrophe en suspension et de l'ammoniaque dissous. Celui-ci est nitrifié au contact des bactéries autotrophes fixées sur les grains en suspension dans la liqueur mixte.
La biomasse, qui a servi à éliminer la pollution carbonée dans la cuve de boues activées, traverse alors le lit fluidisé sans modification et peut être séparée dans le clarificateur existant qui n'a nul besoin d'être agrandi car, dans ce cas, la boue ne subit pas de modification de sa nature (« moyenne charge ») et reste facilement décantable.
Pour assurer la dénitrification, la liqueur mixte nitrifiée subit une recirculation qui ramène les nitrates ainsi formés en tête de la cuve de boues activées en anoxie où ils sont transformés en azote gazeux, fournissant ainsi leur oxygène aux bactéries hétérotrophes dégradant la pollution carbonée.
Méthodologie du suivi des essais
L'étude des performances de cette filière a été effectuée sur la période de juillet à octobre 1995 avec, en ce qui concerne la nitrification, une analyse de l'effet de l'abaissement de la température observée en janvier 1996.
Il est bon de noter ici que l'Institut de Recherches Hydrologiques (I.R.H.) a été chargé du 1er au 13 octobre 1995 du suivi de l'unité de Maxéville et que le résultat de leur expertise valide, pour la période considérée, les performances annoncées dans ce rapport.
Durant cette phase, le fonctionnement
[Photo : Évolution des performances d’élimination de l’ammoniaque.]
[Photo : Evolution du [NNH4] sortie en fonction de la Cv NNH4 appliquée.]
n’a été perturbé qu’une seule fois (du 01/09/95-22h00 au 07/09/95-23h00) par un arrêt volontaire (réparation du variateur de fréquence de la pompe d’eau décantée et entretien général des organes mécaniques du matériel en place) de six jours qui a été total (circuit Eau + Air) ; cela s’est traduit par un dépôt du matériau support au fond du réacteur sans oxygénation ni alimentation en effluent. Cet épisode nous a notamment permis d’apprécier le comportement hydraulique du lit fluidisé (remise en suspension de ce dépôt durant les minutes suivant le redémarrage de l’air lift) ainsi que l’évolution de ses performances durant, et surtout après, de telles phases transitoires.
De plus, les mois de juillet à octobre 1995 et janvier 1996 correspondent à un fonctionnement de la filière caractérisé par une alimentation en eau décantée provenant directement des ouvrages de la station d’épuration de Maxéville, à débit variable et proportionnel à celui accepté par la station.
Analyse des performances
Élimination de la pollution carbonée
De juillet à octobre 1995, l’analyse des résultats obtenus avec l’unité de Maxéville nous a permis d’apprécier, pour des variations significatives de la qualité en concentration et en flux de l’effluent d’entrée (Eau Décantée), les performances de la filière en ce qui concerne :
DCOt : Rendement d’élimination = 70 à 80 % (Eau Décantée / Eau Traitée)
Qualité du rejet : (pour une DCOt moyenne de l’eau décantée = 215 mg/l)
DCOt en sortie de filière
= 50 mg/l pour 68 % des valeurs
≤ 70 mg/l pour 95 % des valeurs
≤ 90 mg/l pour 100 % des valeurs
MESt : Rendement d’élimination = 60 à 75 % (Eau Décantée / Eau Traitée)
Qualité du rejet : (pour une MESt moyenne de l’eau décantée = 61 mg/l)
MESt en sortie de filière
≤ 15 mg/l pour 48 % des valeurs
≤ 20 mg/l pour 76 % des valeurs
≤ 30 mg/l pour 98 % des valeurs
Enfin, au cours d’une période d’essais précédente (1994), de nombreux tests effectués par l’I.R.H. pour quantifier l’aptitude à l’épaississement et la déshydratation des boues produites ont montré un comportement identique entre les boues issues de la filière « Biolift intégré aux boues activées moyenne charge » et celles provenant de la station d’épuration de Maxéville.
Élimination de l’ammoniaque – nitrification
Cette étude nous permet de disposer d’une période tout à fait représentative (cinq mois) pour l’analyse des performances de nitrification d’un procédé biologique à culture fixée tel que le Biolift. En effet, la température de l’effluent, qui est l’un des facteurs d’influence les plus importants, se situe entre 18 et 22 °C en moyenne durant la première période de juillet à octobre 1995 pour décroître progressivement jusqu’à 12,5 à 11,5 °C durant le mois de janvier 1996.
Parmi les autres paramètres à prendre en considération, le pH dans le réacteur est resté stable à une valeur moyenne de 7,4 et l’oxygène dissous en surface du lit fluidisé s’est maintenu (sauf les premiers jours de janvier 1996) autour de 5 mg/l.
En observant la figure 3, on constate que la quantité d’azote ammoniacal présente dans l’effluent de sortie est très faible, ce qui se traduit par des rendements d’élimination en permanence supérieurs à 95 % et ceci quelle que soit la variabilité de la qualité en concentration comme en flux de l’effluent d’entrée (= eau décantée primaire de la station d’épuration de Maxéville).
La légère dégradation constatée fin août 1995 est due à un dysfonctionnement de la régulation de la pompe d’eau décantée entraînant des à-coups hydrauliques très « violents » :
⇒ passage du Qmini = 45 m³/h au Qmaxi = 150 m³/h instantanément et plusieurs fois par jour.
L’arrêt de six jours, subi par le prototype début septembre 1995, semble montrer que le procédé est très « résistant », puisque les performances en nitrification observées cinq jours après le redémarrage sont quasiment parfaites :
rendement d’élimination de l’ammoniac = 93 % (NNH4 sortie = 3,9 mg/l),
charge volumique éliminée = 0,94 kg NNH4/(m³ réacteur·j).
L’établissement de la courbe « [NNH4] = (Charge volumique appliquée en NNH4) » obtenue à partir de l’ensemble des valeurs de la période considérée (figure 4) nous permet, à partir d’une analyse plus détaillée et selon l’objectif recherché, d’évaluer quelles sont les performances envisageables avec une telle filière de traitement.
L’analyse de l’ensemble de ces graphiques permet alors de caractériser (tableau 1) les performances de la filière mise en œuvre à l’échelle industrielle sur le site de Maxéville de juillet à octobre 1995 et janvier 1996 (hors incident).
Dénitrification et azote global (NGL) en sortie
La figure 5 fait apparaître deux phases :
Juillet à août 1995 → Maintien d’une qualité en sortie de niveau de l’azote global (NGL) < 20 mg/l : pour cela, il a fallu maintenir un rendement d’élimination du NGL entre 60 et 70 % avec, lors de l’augmentation du NGL en entrée, la mise en œuvre d’un appoint de source carbonée ;
Fin sept. à octobre 1995 → Maintien d’une qualité en sortie voisine d’un
Tableau I
Récapitulatif des résultats en nitrification.
% de valeurs répondant à la condition pour Cv app. en Kg NNH₄/(m³ réacteur·j)
|
≤ 0,5 Kg NNH₄/(m³·j) |
≤ 0,75 Kg NNH₄/(m³·j) |
≤ 1,02 Kg NNH₄/(m³·j) |
[N.NH₄]sortie < 2 mg/l |
100 % |
100 % |
100 % |
[N.NH₄]sortie < 1 mg/l |
100 % |
91 % |
88 % |
[NTK]sortie < 10 mg/l |
100 % |
100 % |
100 % |
[NTK]sortie < 6 mg/l |
100 % |
97 % |
91 % |
NGL < 10 mg/l : afin d'optimiser la dénitrification et obtenir un rendement d'élimination du NGL ≃ 80 %, il a été nécessaire d'améliorer le rapport DCOs/NNO₃ à l'entrée du bassin anoxie. Durant cette période, les cinétiques de dénitrification dans la cuve de boues activées en anoxie se situent à un niveau supérieur au double de celui constaté habituellement sur des filières dénitrifiantes à faible charge massique.
Suite à l'arrêt de six jours début septembre 1995, on peut constater que la dénitrification par les boues activées semble ne pas avoir été sensiblement perturbée puisque la qualité en NNO₃ du rejet en sortie cinq jours après le redémarrage est de 5 mg/l, voire inférieure par la suite.
Conclusion
D'autres réalisations industrielles de lits fluidisés sont dotées de dispositifs air lift interne au réacteur [6-7] qui effectuent simultanément les deux fonctions de fluidisation et d'oxygénation, au détriment du rendement énergétique, le transfert en oxygène étant faible dans l'air lift (grosses bulles).
Le réacteur Biolift dispose, lui, de deux dispositifs : l'air lift pour la fluidisation et le réseau d'air procédé pour l'oxygénation.
Le premier est conçu et dimensionné dans l'unique but d'améliorer les caractéristiques de pompage. On ne fait donc que « récupérer » l'oxygénation qui résulte de ce système.
Un système d'injection d'air procédé avec un rendement énergétique optimum (fines bulles) complète l'oxygénation résultant de l'air lift, pour porter la teneur en oxygène dissous au niveau requis par la nitrification.
La distinction de ces deux fonctions est essentielle et permet d'optimiser à chaque instant le bilan énergétique.
Dans ce procédé, l'équilibre entre maîtrise de l'expansion et développement du film biologique est assuré par la recirculation interne. En effet, si le matériau s'ensemence, il va avoir tendance à se fluidiser davantage et va atteindre le niveau où se situe la liaison « réacteur → air lift ». Il sera alors brassé énergétiquement dans l'air lift avant d'être recyclé dans le réacteur avec un film biologique plus mince.
Il est important de se rappeler que ce procédé permet de faire cohabiter une biomasse hétérotrophe libre transitant dans le réacteur et formant la liqueur mixte en suspension (→ élimination du carbone et des nitrates) avec une biomasse autotrophe fixée sur le matériau fluidisé dans le réacteur (→ élimination de l'ammoniaque).
Les fortes capacités de nitrification, couplées à un réacteur profond, permettent des solutions compactes, seul recours parfois pour réhabiliter des stations en milieu urbain. En effet, la réutilisation des ouvrages en place est totale (si leur état le permet), les seuls aménagements consistant à transformer la cuve en zone anoxie (agitateurs) et à réaliser le circuit de recirculation de liqueur mixte et le tracé des conduites de liaison vers le Biolift.
Enfin, en ce qui concerne la fiabilité des équipements, nous avons pu vérifier les points suivants :
- maîtrise du fonctionnement et des performances d'un air lift de grande taille,
- facilité de la remise en suspension du matériau support après arrêt de quelques minutes à 14 jours, et cela sur plus de trois années de fonctionnement et pour 10 à 20 % en volume de matériau support,
- expertise de l'intérieur du réacteur après deux années et demie de fonctionnement ayant permis d'apprécier le très bon état du réseau de diffusion d'air du procédé et de constater que le biofilm déposé sur le matériau annule tout effet d'abrasion.
[Photo : Biolift - prototype industriel de Maxéville (Nancy - France).]
[Photo : Evolution de l’azote global en entrée et sortie de filière.]
On pourra aussi retenir les trois points suivants :
• la filière de traitement des boues n'est pas affectée par la modification de la file eau (à l'exception, bien entendu, du flux de boues de la nitrification qui reste toutefois marginal),
• l'exploitation est souple : les réacteurs nitrifiants constituent un système continu,
• l'automatisme est simple : il se limite à la gestion des pompes, à la production et distribution d’air comme c'est le cas pour un traitement « classique ».
Bibliographie
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[2] Rogalla, F., Badard, M., Hansen, F., Dansholm, P. (1993) - Up-scaling a compact nitrogen removal process - Wat. Sci. Tech., vol. 26, n°5/6 - (pp 1067/1076).
[3] Badot, R., Coulom, T., De Longeaux, N., Badard, M., Sibony, J. (1993) - A fluidised-bed reactor, the Biolift process - IAWQ and CFRP and AGHTM 2nd international specialised conference on biofilm reactors - (pp 433/444).
[4] Fargeas, P., Badard, M., Sibony, J. (1995) - Upgrading of existing activated sludge bassins with fluidized beds - WEF Specialty Conference Series Proceedings : New and emerging environmental technologies and products for wastewater treatment and stormwater collection - (pp 6-13/6-24).
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[7] Heijnen, J. J., Van Loosdrecht, M. C. M., Mulder, R., Welture, R. et Mulder, A. (1993) - Development and scale up of an aerobic biofilm air lift suspension reactor - Wat. Sci. Tech., vol. 27, n°5/6 - (pp 253/261).
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