Le barrage d’Arzal, situé en aval de la Roche-Bernard sur la Vilaine, réalisé en 1970 par l’Institution interdépartementale pour l’aménagement du bassin de la Vilaine, sert de retenue d’eau douce pour l’alimentation de l’usine de Férel qui alimente en eau trois départements : Morbihan, Ille-et-Vilaine et Loire-Atlantique.
En période d’étiage, on constate une augmentation relativement importante de la teneur en chlorures des eaux de la retenue : au droit de la prise d'eau de l'usine de potabilisation, alors qu’elle se situe en dehors des périodes d’étiage à des valeurs de l’ordre de 50 mg/litre, elle passe à des valeurs moyennes de 100 à 200 mg/litre en été (avec un maximum de 710 mg/litre enregistré en 1976). Rappelons que le niveau-guide (normes CEE) est fixé à 25 mg/l.
La présence de chlorures à de telles concentrations dans une eau potable (le traitement de l’usine de Férel est sans effet sur la teneur en chlorure) induit des risques principalement pour les usagers industriels (phénomènes de corrosion) et dans une moindre mesure pour les usagers domestiques (en raison de la présence d’ions sodium associés prioritairement aux ions chlorures).
Nous décrirons dans cet article :
— les caractéristiques du barrage,
— le mécanisme d’introduction des eaux salées,
— les solutions envisagées,
— les études effectuées et la solution retenue.
Caractéristiques du barrage
Le barrage d’Arzal est situé sur la Vilaine, à environ 5 km en amont de son débouché en mer. Cet ouvrage comprend :
— une écluse pour la navigation, largeur 13 m / longueur 85 m (avec une porte intermédiaire délimitant un petit sas de 20 m) ; cote du radier : 5,00 m NGF,
— le barrage proprement dit, constitué de cinq pertuis de 18 m chacun, équipés de vannes levantes de 18,00 × 11,75 m avec volets déversants, cote du radier : 8,00 m NGF,
— une digue insubmersible arasée à la cote de 6,00 m NGF supportant une voie de communication.
Mécanisme d’introduction des eaux salées
L'eau salée est introduite par l’écluse du barrage lors du passage des bateaux.
Depuis l'édification du barrage, le nombre de passages de bateaux a considérablement augmenté et, en 1985, on a dénombré le passage de 15 504 bateaux de plaisance et de 468 bateaux de pêche et de commerce.
La densité du trafic est au plus fort en été, avec un maximum de 16 éclusées par jour (8 en petit sas et 8 en grand sas en moyenne, avec un total de 16 en grand sas en pointe). Les volumes d'eau salée à 15 g/l introduits dans la retenue sont donc très différents suivant le trafic : on peut les évaluer à 60 000 m³ en journée moyenne et à 95 000 m³ en pointe.
Le mécanisme des échanges eau douce / eau salée de l’écluse s’effectue suivant les schémas des figures 1 et 2.
* Société des eaux de la presqu’île guérandaise.
Tableau II : Volumes d’eau salée introduits dans la retenue en fonction de l’intensité de la marée et du trafic (en m³).
Coefficient de marée | 45 | 70 | 90 | 110 |
---|---|---|---|---|
jour de pointe | 91 000 | 93 000 | 97 200 | 93 400 |
jour moyen de pointe | 5 700 | 5 800 | 6 100 | 6 700 |
jour normal | 57 400 | 57 500 | 60 100 | 57 700 |
jour moyen normal | 3 400 | 3 600 | 3 800 | 4 100 |
Nbre d’éclusées | 16 | 16 | 16 | 14 |
De chaque côté de la porte aval de l’écluse, le niveau des eaux est le même, mais leur mélange se traduit par des énergies potentielles qui varient en fonction de leur densité.
Dès l’ouverture de la porte, l’énergie potentielle se transforme en énergie cinétique créant ainsi un débit d’échange entre les masses d’eau.
La vitesse d’échange Ve est donnée par :
Ve = 0,5 √Δ g h avec Δ = (qs − gd) / gd
qs et gd étant respectivement les densités de l’eau salée et de l’eau douce et h, la hauteur d’eau dans le sas.
Compte tenu des hauteurs d’eau dans l’écluse, la vitesse d’échange est comprise entre 0,4 m/s (h : 3 m) et 0,6 m/s (h : 7,30 m).
Le temps Te, au bout duquel l’échange eau douce/eau salée est complet, est donné par la formule :
Te = 2 L / Ve
L étant la longueur de l’écluse.
Pour une vitesse d’échange de 0,5 m/s avec une éclusée en grand sas (L = 85 m), le temps d’échange est de 5 à 6 mn ; dans la pratique, le temps d’ouverture des portes étant de 10 à 15 mn, on peut donc considérer qu’il se produit un échange complet eau douce/eau salée.
À chaque éclusée, les volumes d’eau salée introduits se diffusent dans la retenue ; la plus grande part vient s’accumuler dans le fond de la rivière et préférentiellement dans une fosse située à 250 m à l’amont du barrage.
Les solutions envisagées
Plusieurs solutions ont été envisagées pour réduire la teneur en chlorure dans la retenue :
- Réduction du nombre d’éclusées. Elle ne peut être retenue compte tenu de l’activité touristique sur la Vilaine.
- Rideau de bulles d’air. En principe, un rideau de bulles d’air crée un mouvement circulatoire local autour d’un axe transversal et diminue le passage de l’eau salée et de l’eau douce, mais, dans le cas présent, le passage des bateaux annulerait le fonctionnement du rideau et l’établissement du mouvement circulatoire dont dépend son fonctionnement.
- Modification de la prise d’aspiration de l’usine. Les eaux salées se déposant préférentiellement dans le fond, il a été envisagé de modifier la prise d’eau de manière à ne prélever que l’eau de la couche supérieure, mais la salinité de cette couche au droit de l’aspiration est supérieure à celle requise.
- Évacuation sélective de l’eau salée. Il pouvait être envisagé d’évacuer l’eau salée de différentes façons :
- soit en aval du seuil,
- soit immédiatement avant qu’elle ne…
Tableau III : Évaluation des volumes évacués en 24 heures par chaque conduite pendant une double marée de coefficient 90.
Niveau amont (NGF) | Niveau aval (NGF) | Dénivelée (m) | Perte de charge de la conduite (m) | Perte de charges singulières (m) | Débit moyen (m³/s) | Vitesse d’évacuation (m/s) | Durée (h) | Volume évacué (m³) |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
1,80 | 0,60 | 1,20 | 1,20 | 0,67 | 2,10 | 1,86 | 4 | 30 240 |
1,80 | −0,60 | 2,40 | 2,14 | 1,18 | 2,83 | 2,50 | 4 | 40 752 |
1,80 | −1,60 | 3,40 | 2,14 | 1,18 | 2,83 | 2,50 | 4 | 40 752 |
1,80 | −2,20 | 4,00 | 2,14 | 1,18 | 2,83 | 2,50 | 4 | 40 752 |
se répande dans la retenue ; cet enlève ment périodique (6 000 m³) serait effec tué à la cadence de 20 m³/s avec une prise d'eau située très près des bateaux,
- — soit à l'intérieur de l'écluse, ce qui conduirait à soustraire et à introduire eau salée sans provoquer de mélan ges : les ouvrages existants ne permet tent pas cette possibilité,
- — soit au droit de l'usine, ce qui poserait un problème délicat et coûteux.
C'est finalement la solution d’enlève ment d’eau salée par siphonnage dans la retenue qui a été choisie, et le paragra phe suivant précise la technique mise en place à cet effet.
Siphonnage de l’eau salée
Cette idée a été suggérée par l’exis tence, dans la retenue, d'une fosse dans laquelle les eaux salées viennent s’accu muler, ce qui permet de les évacuer par siphonnage, méthode plus économique qu'un système de pompage qui con sommerait une quantité importante d’énergie. Suivant les niveaux de part et d’autre du barrage, le siphon pourra fonctionner entre 12 h et 24 h par jour.
En période de pointe (16 éclusées par jour, coefficient 110), le volume d’eau salée introduit est de 95 000 m³ ; avec un coefficient de dilution de 3, c’est donc 285 000 m³/jour qu'il est nécessaire d’évacuer.
Une maquette au 1/100 a été réalisée par le Laboratoire national d’hydraulique d'Électricité de France (direction des études et recherches).
Les échelles adoptées sont les suivan tes pour ce qui concerne l'hydraulique : débits : L² = 10⁵ ; temps : T¹/² = 10 ; salinité : S = 1.
Le modèle est équipé de pointes limni métriques, salinomètres, thermomètres et de pompes associées à des débitmé tres.
Les essais ont permis d'une part, de valider les hypothèses qui ont servi au dimensionnement du siphon (facteur de dilution et écoulement de sel dans la fosse) et, d’autre part, de définir une géométrie optimale de l'ouvrage pour soutirer le plus efficacement possible l'eau salée de la retenue.
Le tableau III donne les résultats des calculs effectués dans le cas d'une marée de coefficient 90 avec une con duite de 1 200 mm de diamètre, ce qui conduit à un volume de 152 500 m³, soit avec deux conduites, un volume éva cuable de 305 000 m³ d'eau salée nette ment supérieur aux 285 000 m³ définis ci-dessus.
Ce volume varie en fonction des diffé rents coefficients de marée (tableau IV).
Tableau IV : Volumes d’eau salée évacuables en fonction du coefficient de marée.
Coefficient | Volume évacuable |
---|---|
45 | 420 000 |
70 | 310 000 |
90 | 305 000 |
110 | 302 000 |
Quel que soit le coefficient, on voit que le volume évacuable est toujours supé rieur au volume à évacuer.
Le dispositif de siphonnage, dont les travaux réalisés par l’entreprise Cise sont actuellement en cours, comprend :
- — deux conduites en PEHD de 1 200 mm, avec amarrage par plots de béton. Le débouché du siphon, côté mer, peut être submergé ou non suivant la hauteur de la marée ; il est protégé con tre les courants et l’érosion par un enrobage en béton, constitué à l'inté rieur d'un rideau de palplanches,
- — une pompe à vide pour l’amorçage de chaque conduite, avec clapets d'entrée d’air permettant d’arrêter le siphon nage ; le niveau de rejet du siphon est situé à la cote 0,30 NGF ; le profil en tra vers montre que, théoriquement, le siphon peut fonctionner dans les deux sens ; pour éviter la remontée par siphonnage de l'eau de mer dans la rete nue, le sens d’écoulement de l’eau est contrôlé en permanence : en cas de fonctionnement « à l'envers », il y a dés amorçage automatique par mise à l'air,
- — un ensemble de mesures servant au pilotage et au contrôle (capteurs de sali nité, de niveau, de débit) ; la mise en ser vice du siphon est commandée par les mesures de niveau et de salinité, de même que l'arrêt,
- — un automate de gestion envoyant ses informations au PC de la tour de contrôle du barrage.
Les travaux de mise en place des deux conduites de siphonnage ont débuté au début de février 1989, et leur mise en service est prévue avant la saison esti vale.
Le montant total de l’opération, sous la maîtrise d'ouvrage de l'Institution inter départementale, s'élève à 7 MF, dépense subventionnée au taux de 16 % par l'Agence de bassin Loire-Atlantique.
Ainsi, l'un des problèmes majeurs de la qualité de l'eau produite par l'usine de Ferel, la présence de chlorures, sera réglé ; les travaux projetés d’extension et d’aménagement de l'usine proprement dite, permettront d’améliorer les autres paramètres de qualité, ainsi que le volume d’eau nécessaire pour faire face à la demande de pointe.