Les opérations de dépôts électrolytiques sont à l'origine de pertes de quantités appréciables de métaux et engendrent corrélativement des pollutions importantes. L'utilisation d'un électrodialyseur AQUALYZER permet de concentrer les sels entraînés dans le bain mort de rinçage et de les recycler immédiatement dans le bain de traitement. La première installation industrielle réalisée par S.R.T.L. pour les Etablissements LEGRAND récupère les cyanures de cuivre perdus lors de cuivrage alcalin. Les résultats ainsi obtenus sont donnés. On décrit enfin les perspectives de développement concernant divers autres métaux ou alliages : nickel, argent, laiton, zinc, cadmium, et les essais pilotes correspondants, effectués notamment au Centre de Recherches des Renardières.
PRINCIPE DE LA SOLUTION
1 — Les pertes associées aux dépôts électrolytiques et les problèmes qu’elles posent.
Une chaîne de dépôt de métal met en jeu successivement et alternativement des opérations de dépôt et des opérations de rinçage, schématisées sur la figure 1. Après chaque dépôt, il est en effet nécessaire de rincer soigneusement les pièces traitées avant de les soumettre au traitement suivant. Le bain de dépôt entraîné par les pièces se retrouve dans les rinçages. Cette perte est importante et coûte souvent très cher.
Son coût comprend d'abord la valeur des produits entraînés, valeur généralement très supérieure à celle du seul métal perdu. Les sels du métal mis en œuvre sont plus coûteux que le métal sous forme d'anode métallique. Il faut y ajouter les sels de fond, agents complexants, et tous autres constituants du bain.
Au coût direct de la perte de matières premières s'ajoute celui de la lutte contre la pollution des rejets : détoxication des eaux de rinçage, traitement des boues obtenues, transport et mise en décharge de ces boues.
Au total, l'on peut considérer le trajet complet des produits à déposer, représenté sur la figure 2. Il y apparaît nettement que la diminution du flux de perte (P) conduit à diminuer également l'ensemble des coûts variables, donc le prix de revient du produit fini.
2 — Place de l'électrodialyse dans une chaîne de traitement.
Pour définir cette place, il faut examiner plus en détail une partie d'une chaîne classique de dépôt de métal, telle que la montre la figure 3. Elle comporte un bain de dépôt, un bain de rinçage statique, puis plusieurs bains de rinçage courant. Un premier entraînement se produit du bain de dépôt vers le rinçage statique, un second entraînement du rinçage statique vers les rinçages courants. L'électrodialyse (ED) se place entre le bain de rinçage statique et le bain de dépôt. Elle extrait les électrolytes,
Sels, acides ou bases, présents dans le rinçage, les concentre, et les réintroduit dans le bain de dépôt, comme l'indique la figure 4. Elle permet de maintenir le bain de rinçage à une faible concentration en métal, et diminue ainsi très sensiblement l'entraînement 2 qui constitue la perte.
Comment ce résultat est-il obtenu ? Le principe du procédé, procédé électrochimique qui permet d'extraire les ions contenus dans une solution par migration à travers les membranes sélectives, sous l'influence d'un champ électrique, est illustré par la figure 5, qui montre le fonctionnement d'une cellule d’électrodialyse : des compartiments (1) et (2) sont séparés par des membranes alternativement anioniques et cationiques. Les membranes anioniques ne se laissent traverser que par les anions. Les membranes cationiques ne se laissent traverser que par les cations. Les unes et les autres sont imperméables aux liquides.
Les cations migrent dans le sens du courant électrique, de l’anode vers la cathode. Ils peuvent de ce fait sortir du compartiment (1) en traversant une membrane cationique, mais sont retenus dans le compartiment (2), car ils trouvent sur leur chemin une membrane anionique qui les arrête.
De même les anions, qui migrent en sens inverse, peuvent, eux aussi, sortir du compartiment (1) en traversant une membrane anionique, et sont retenus dans le compartiment (2), car ils trouvent sur leur chemin une membrane cationique.
Par conséquent, le compartiment (1) s'appauvrit en électrolytes dissous. On le nomme compartiment de dessalement, ou de dilution. Le compartiment (2) s'enrichit en électrolytes dissous, on le nomme compartiment de concentration. L’ensemble de ces deux compartiments constitue une cellule d'électrodialyse. Un électrodialyseur comporte l'empilement d'un grand nombre de cellules, généralement plusieurs centaines, dont la figure 6 montre la disposition simplifiée. Les compartiments sont alimentés en série par le courant électrique, en parallèle par deux circuits hydrauliques, circuit dilué pour les compartiments (1), circuit concentré pour les compartiments (2). Aux deux extrémités du dispositif se trou-
vent des électrodes d’alimentation en courant électrique continu. L'électrolyte des compartiments d'électrode circule dans un troisième circuit hydraulique.
L’application principale de l'électrodialyse est le dessalement des eaux saumâtres. Cette application s'est répandue dans le monde entier, et de très nombreuses installations, d'une capacité variant de quelques dizaines à plus de dix mille mètres cubes/jour sont aujourd’hui en fonctionnement. À une échelle moindre, l'électrodialyse est également largement utilisée dans les industries agro-alimentaires.
3. — Conditions d'emploi et performances.
Il est maintenant possible de préciser comment l'électrodialyse permet de récupérer les sels entraînés dans le rinçage statique et de les recycler dans le bain de dépôt (figure 4). Il suffit de faire circuler en circuit fermé la solution de rinçage dans le circuit de dilué, et le bain de dépôt dans le circuit de concentré de l'électrodialyseur. Les ions entraînés dans le rinçage migrent à travers les membranes et sont réintroduits directement dans le bain de dépôt.
La valeur de la concentration maximale à ne pas dépasser dans le rinçage statique dépend de considérations techniques et économiques. On peut remarquer d'abord que lors de l'application classique de l'électrodialyse au dessalement des eaux saumâtres, les exigences de potabilité de l'eau produite fixent sa teneur en sel au-dessous de 500 milligrammes par litre (cette concentration, courante, ne représente aucunement une limite technique). Un autre élément à prendre en considération est le rapport des concentrations entre les circuits concentrés et dilués : des rapports voisins de 100 sont normalement obtenus. Dans ces conditions, et très généralement parlant, un objectif raisonnable est de maintenir la concentration du rinçage statique au-dessous de 1 gramme par litre du métal déposé, ce qui correspond à un abaissement de plus de 90 % de l'entraînement. Des performances plus poussées sont parfaitement possibles, au prix d'un dimensionnement plus large de l'appareil.
Les avantages du procédé sont alors :
- — économie sur les matières premières, c’est-à-dire non seulement le métal, mais l'ensemble des sels présents dans le bain,
- — recyclage immédiat des matières récupérées,
- — amélioration de la qualité des traitements, la concentration du bain de dépôt étant maintenue dans une fourchette plus étroite du fait du recyclage instantané des entraînements, surtout pour les traitements en tonneaux à cadence élevée,
- — diminution du débit d’eau de rinçage,
- — économie sur le traitement anti-pollution des rinçages.
Le bénéfice de la récupération par électrodialyse n'exclut pas, bien au contraire, les avantages qu’apporte une excellente organisation des chaînes de traitement, notamment sur deux points :
- — minimisation des entraînements à la sortie du bain de dépôt,
- — disposition en cascade des rinçages en aval du rinçage mort, pour pousser au maximum la diminution du débit d'eau rendue possible par l'abaissement des entraînements.
REALISATION INDUSTRIELLE
La récupération des entraînements consécutifs au dépôt de cuivre dans une chaîne d’argenture des Établissements LEGRAND, à l'aide d'un électrodialyseur « AQUALYZER » de la S.R.T.I., est le meilleur exemple concret des possibilités du procédé décrit ci-dessus.
Dans la configuration actuelle, l'installation du cuivrage, élément de la chaîne d’argenture, comporte trois rinçages, un rinçage statique et deux rinçages en cascade. Le bain de dépôt, bain cyanuré alcalin, contient 57 g/l de cuivre et 14,7 g/l de cyanure libre. L'entraînement est de 3 litres de bain par tonneau, la cadence de 8,5 tonneaux à l'heure, soit un entraînement de 1,5 kg de cuivre à l’heure. Compte tenu des perspectives d'évolution de l'installation (dépôt de cuivre avant argenture, nickelage et étamage), l’AQUALYZER a été dimensionné pour une cadence de 15 tonneaux à l'heure, soit un transfert de 2,5 kg de cuivre à l'heure, en maintenant la teneur en cuivre du rinçage statique autour d'un gramme/litre ou au-dessous et en assurant la récupération de 90 % des entraînements.
timents, de 50 x 50 cm. La figure 8 présente le schéma de fonctionnement. Un résistivimètre permet d’arrêter le courant d’électrodialyse lorsque la teneur en sels dans le circuit dilué s’abaisse jusqu’à une valeur limite inférieure, par suite d’une discontinuité dans l’arrivée des tonneaux au rinçage, par exemple. Le maintien du courant entraînerait dans ce cas des phénomènes de polarisation dans les cellules. Le courant est automatiquement rétabli lorsque la teneur en sels remonte après l’arrivée d’un nouveau tonneau.
Le circuit concentré comporte une cuve tampon de 300 litres, refroidie en circuit fermé sur la tour de refroidissement de l’atelier. Le bain de dépôt, chauffé à 60°, est muni d’une surverse sur cette cuve. Ainsi, l’empilement n’est pas soumis à cette température trop élevée. Une partie du débit de retour de l’AQUALYZER s’effectue directement sur le bain de dépôt, le reste sur la cuve tampon. Pratiquement, 200 l/h sont renvoyés dans le bain de cuivre, 8 000 l/h dans la cuve tampon, le débit de recirculation dans chacun des circuits de l’AQUALYZER étant voisin de 8 000 l/h.
Le tableau I présente des conditions typiques de fonctionnement industriel et les résultats d’analyse correspondants. Ces valeurs peuvent évidemment varier suivant l’importance exacte des entraînements : cadence d’arrivée des tonneaux, nature des pièces traitées. Depuis la mise en service de l’appareil, la récupération a pu être évaluée à 98 % des entraînements, au lieu des 90 % prévus. Seules des anodes de cuivre ont été consommées, la consommation de sel étant négligeable.
L’électrodialyseur fonctionnera prochainement dans une nouvelle chaîne, plus élaborée, assurant le cuivrage pour argenture, nickelage et étamage. La cadence y sera de 15 tonneaux à l’heure. Le système comportera :
— élimination partielle de l’électrolyte entraîné, par aspiration : on escompte une réduction de l’entraînement de 3 litres à 1,5 litre par tonneau ;
— rinçage par aspersion sur cuve de 300 litres ;
— rinçage suivant sur une autre cuve de 300 litres avec ajout automatique d’eau compensant l’évaporation et l’entraînement.
Sur le plan économique, les évaluations prévisionnelles conduisaient à une économie annuelle nette, après amortissement, comprise entre 120 et 150 kF. On estime aujourd’hui que ce chiffre sera au moins tenu.
Tension appliquée à l’empilement : 195 V
Tension par cellule : 0,75 V
Intensité : 45 A
Teneur en Cuivre (g/l) | Teneur en Cyanure (g/l) |
---|---|
Bain de dépôt : 57,2 | 14,7 |
Cuve tampon : 37,2 | 12,6 |
Circuit concentré : 60,3 | — |
Rinçage statique : 0,9 | 0,34 |
Circuit dilué : — | — |
TABLEAU I.
Signalons enfin que les Établissements LEGRAND ont reçu pour cette réalisation le prix des Technologies Propres, prix attribué pour la première fois en 1980 par le Ministre de l’Environnement et du Cadre de Vie. Le projet avait reçu dès son origine l’appui des autorités locales, et tout particulièrement de la très active Direction Interdépartementale de l’Industrie de Limoges, ainsi que le soutien de l’Agence Financière de Bassin Loire-Bretagne.
TABLEAU II
QUANTITÉS DE MÉTAUX PERDUES EN FRANCE PAR AN
Cuivre – Décapage cuivre : 160 000 t/an perdues, 200 t/an récupérées, taux : en développement |
Nickel – Électrodéposition : 3 000 t/an perdues, 150 t/an récupérées, taux : en développement |
Étain – Électrodétourage : 4 500 t/an perdues (à préciser), 30 t/an récupérées, taux : très faible, en développement |
Cadmium – Électrodéposition : 200 t/an perdues, 20 t/an récupérées, taux : peu développé |
Argent |
A) Traitements de surface |
• Orfèvrerie-bijouterie : 40 t/an perdues, 5 t/an récupérées, taux : très faible, en développement |
• Industries électriques : 930 t/an perdues, 25 t/an récupérées, taux : en développement |
B) Industries photographiques et graphiques |
• Radiologie : 40 t/an perdues (à préciser), taux : en développement |
• Photographie-cinéma : 30 t/an perdues, taux : en développement |
• Imprimerie : 80 t/an perdues, 15 t/an récupérées, taux : en développement |
PERSPECTIVES D’AVENIR
La récupération des entraînements par électrodialyse est possible pour de nombreux bains de galvanoplastie. Outre les bains de cuivre alcalins cyanurés qui ont fait l’objet de la première réalisation industrielle, les bains d’argent, de cadmium, de nickel ont déjà fait l’objet d’essais pilotes satisfaisants et le procédé est disponible pour ces dépôts. Les essais sont en cours pour les bains de cuivre acides, de zinc acides et alcalins, de chromates. Le Centre de Recherches des Renardières d’E.D.F. participe de façon très active à ce programme d’essais.
Les Établissements LEGRAND définissent actuellement avec S.R.T.I. la mise en place de quatre AQUA-LYZERS supplémentaires pour la récupération des entraînements consécutifs aux dépôts d’argent, de nickel, de zinc et de laiton. La récupération d’argent par électrodialyse remplacera la récupération plus coûteuse faite actuellement par électrolyse, en raison des avantages qu’elle présente : recyclage direct de l’ensemble des sels, au lieu de la récupération d’un métal pulvérulent, moindre consommation d’énergie électrique.
Le tableau II indique les quantités annuelles utilisées et perdues des principaux métaux intervenant en France dans les dépôts de surface. Ces chiffres permettent d’apprécier l’intérêt de la suppression de la quasi-totalité des pertes à l’échelle nationale, sous le double aspect de la protection de l’environnement et des économies de matières premières. L’électrodialyse paraît appelée à y prendre une place importante. L’exportation de matériels à l’étranger semble également devoir se développer.
CONCLUSION
L’électrodialyse apporte une solution élégante aux problèmes de pertes de métaux par entraînement que rencontrent les traiteurs de surface. Cette solution présente deux avantages principaux : facilité de mise en œuvre, car elle s’adapte aux chaînes existantes sans modifier le traitement, et simplicité de fonctionnement, car le seul réactif utilisé est l’électricité. Elle utilise des matériels éprouvés dans d’autres secteurs industriels depuis de nombreuses années. Elle a reçu sa première confirmation industrielle en France pour le cuivre, elle est disponible à l’échelle pilote et en cours d’implantation industrielle pour nombre d’autres métaux.