Le Syndicat des Eaux d'Île-de-France (dont la Compagnie Générale des Eaux est le régisseur) regroupe 144 communes de la banlieue parisienne et dessert près de 4 000 000 d’habitants. C'est le troisième service de distribution d'eau européen après ceux de Londres et de Moscou. Son usine de Choisy-le-Roi, dont la capacité peut atteindre 800 000 m³/j, alimente en eau le secteur sud du syndicat, soit 57 communes et environ 2 000 000 d’habitants. L'eau brute, puisée dans la Seine, est traitée par une filière biologique particulièrement performante qui maîtrise efficacement les pollutions chroniques ou accidentelles (figure 1). En fin de traitement, l'eau est refoulée dans le réseau dit de première élévation sous une pression d’environ 9 bars ; ce réseau est doté de réserves hautes importantes, notamment à Châtillon-sous-Bagneux (120 000 m³) (figure 2) et à Villejuif (66 000 m³).
Un nouveau groupe électropompe (S.E. 9) dont la taille et les caractéristiques sont exceptionnelles vient d’être mis en service à l'usine élévatoire de Choisy-le-Roi. Nous le décrivons ci-après.
Pourquoi un groupe élévatoire de grande capacité ?
Ce nouveau groupe vient renforcer les neuf groupes électropompes de l'usine élévatoire de Choisy-le-Roi qui sont tous à vitesse fixe et qui assurent des débits nominaux de 460 000 m³/j (un) – 340 000 m³/j (un) – 125 000 m³/j (cinq) et 45 000 m³/j (deux). Ceux-ci correspondent à la hauteur manométrique habituelle (87 m), obtenue pour la consommation moyenne du réseau lorsque l'ensemble des feeders de distribution est en service. Quand la demande augmente, les pertes de charge s’accroissent, la hauteur de refoulement s’élève et, corrélativement, le débit de chaque pompe diminue. Par ailleurs, l'arrêt d'un feeder augmente la « résistance » du réseau et par conséquent la pression au refoulement. En outre, il faut procéder périodiquement à l’entretien de chacun des groupes : pour des machines aussi importantes, le délai de réalisation des opérations de maintenance n’est pas négligeable. De plus, le degré de fiabilité que l'on est en droit d’attendre de toute usine de production d'eau, et, a fortiori, lorsqu’il s’agit de la plus grande de France, oblige à prendre en compte la possibilité d'une panne accidentelle sur l'un des groupes.
L'installation à Choisy-le-Roi d’un groupe élévatoire de grande capacité était donc devenue nécessaire, et cela d’autant plus que le Syndicat des Eaux d'Île-de-France, qui a le souci d’assurer en permanence la sécurité de l'alimentation en eau, a récemment décidé la réalisation d'une nouvelle liaison Choisy-Neuilly de
1 250 mm de diamètre permettant à l'usine de Choisy-le-Roi de secourir celle de Neuilly-sur-Marne (et réciproquement).
À cet impératif de sécurité du pompage s'ajoutent d'autres considérations très importantes. C'est ainsi que la consommation d'eau variant de façon sensible au cours d'une même journée, la pression au refoulement subit des variations de l'ordre d'un bar. De ce fait, les pompes à vitesse fixe utilisées jusqu'à présent à l'usine de Choisy-le-Roi ne peuvent pas fonctionner en permanence dans la zone optimale de leurs caractéristiques. Il en résulte un rendement électromécanique souvent inférieur à son niveau maximum et, par là même, une surconsommation d'énergie électrique non négligeable. D'autre part, on a de plus en plus intérêt, sur le plan économique, à diminuer la puissance souscrite auprès d'E.D.F. pendant les heures de pointe d'hiver. Il faut, pour cela, pouvoir gérer avec souplesse le fonctionnement des différents groupes élévatoires. Or, du fait de leur conception mécanique, les deux groupes les plus importants, qui datent de 1967, ne peuvent pas être mis en marche plusieurs fois par jour.
Ces multiples raisons ont conduit le Syndicat à lancer, en 1982, un appel d’offres auprès des principaux fabricants de pompes pour la fourniture et l'installation d'un nouveau groupe de pompage élévatoire, capable de refouler 5 m³/s sous une H.M.T. de 105 m, lequel devait être équipé d'un dispositif de variation de vitesse et pouvoir subir des arrêts et des démarrages fréquents. Après un examen approfondi des différentes propositions reçues, un marché a été signé avec le groupement Bergeron-Jeumont-Schneider pour la mise en œuvre d’un groupe dont les caractéristiques essentielles sont les suivantes :
- - pompe centrifuge à double entrée et plan de joint, vitesse de rotation maximale 740 tr/min, aspiration ⌀ 1 700 mm, refoulement ⌀ 900 mm ;
- - moteur asynchrone à bagues, d'une puissance nominale de 6 800 kW, alimenté en 15 000 V, et dont la vitesse de rotation sera comprise entre 600 tr/min et 740 tr/min ;
- - dispositif de variation de vitesse par cascade hyposynchrone à récupération d'énergie du type Jisflow.
Le rendement garanti par le constructeur s’établissait à 90,5 % pour la pompe et à 95 % pour l'ensemble moteur-variateur.
LA POMPE
Toute la conception de la pompe (type Bergeron SDBX 284) est fondée sur les trois impératifs fondamentaux suivants : fiabilité, rendement, maintenance.
Ces trois critères étant parfois contradictoires, les études hydrauliques, la conception mécanique et les moyens de fabrication ont nécessité une coordination particulièrement délicate afin de retenir les solutions optimales parmi les nombreux choix techniques toujours possibles pour chaque critère pris séparément.
Choix du type de pompe
En fonction de la place disponible dans le bâtiment existant, la pompe retenue est du type à axe vertical, à double entrée, compte tenu du NPSH disponible et de la vitesse de rotation maximale souhaitée, et à plan de joint pour faciliter les opérations de maintenance (voir ses caractéristiques sur le tableau).
Tableau : Caractéristiques de la pompe Bergeron SDBX 284 de Choisy-le-Roi
~ Débit ......................... 5,4 m³/s |
~ Hauteur totale d’élévation ..... 90 m |
— Puissance maxi ................ 6 200 kW |
~ Masse totale .................. 23 t |
Matériaux
- ~ Culotte d’aspiration et corps : fonte à graphite sphéroïdale
- ~ Roue : cupro-aluminium
- ~ Arbre : acier inox à 13 % Cr
Culotte d’aspiration
La très grande capacité d’aspiration souhaitée dans une large zone de débit a nécessité un tracé hydraulique très spécial de la culotte pour assurer une excellente alimentation de la roue.
L'importance de cette pièce (2 700 mm × 2 200 mm × 1 400 mm – 4 600 kg) et sa complexité ont imposé une conception de fonderie séparée du corps de pompe.
Corps de pompe
Le corps de pompe présente deux particularités d’autant plus importantes qu’elles sont ...
réunies sur une machine de grande capacité : un plan de joint et une double volute (deux canaux hydrauliques).
La réalisation du plan de joint a nécessité une attention toute particulière, en raison d'une part de sa dimension (3 000 mm x 2 600 mm) et d’autre part de la pression d’épreuve élevée (20 bars), ce qui imposait à la fois l'obtention simultanée d'une planéité parfaite, avec un état de surface poli et le choix d'une boulonnerie à hautes caractéristiques mécaniques, serrée hydrauliquement.
La solution à double volute, de réalisation plus compliquée en fonderie que celle à simple volute, améliore très sensiblement le rendement hydraulique et permet de réaliser un équilibrage presque parfait des poussées radiales. En effet, la discontinuité de la languette dans une solution à simple volute est ici annulée par la symétrie des deux canaux hydrauliques présentant deux languettes diamétralement opposées. Par ailleurs, la paroi centrale de séparation des canaux procure une excellente tenue mécanique limitant les déformations de la volute sous l’effet de la pression.
Il faut noter que ces particularités ne peuvent être efficacement réunies que par des relations très étroites et permanentes entre le concepteur hydraulicien et le dessinateur du plan de fabrication.
Rotor
La qualité du rotor, élément essentiel de la pompe (figure 4), est liée à une multitude de détails de construction ayant chacun une très grande importance pour obtenir le niveau extrêmement élevé requis.
La roue est du type double entrée permettant une meilleure capacité d’aspiration qu'une roue à simple entrée et une vitesse spécifique par demi-roue, très proche de l'optimum du point de vue des rendements hydrauliques possibles. Le tracé hydraulique utilisé est la synthèse d'une longue expérience et des recherches récentes pour améliorer non seulement le rendement, mais aussi la capacité d’aspiration visualisée sur modèle réduit.
Pour garantir le rendement hydraulique et mécanique de la roue, un contrôle de fabrication très poussé a été suivi avec le plus grand soin depuis la fonderie jusqu’à l'usinage final pour vérifier à la fois le respect rigoureux du tracé hydraulique, le polissage des canaux, l'affûtage des aubes à l'entrée et à la sortie, et enfin la rugosité de l'usinage des flasques.
Pour améliorer le rendement volumétrique de la pompe, les bagues d’étanchéité sont du type bi-étagé à jeu réduit, ce qui limite très fortement les fuites internes entre refoulement et aspiration. L'étanchéité au niveau des sorties d'arbre est assurée par un presse-étoupe portant sur une chemise revêtue de céramique (alumine-titane). Cette solution diminue très fortement les interventions de maintenance.
Paliers
Les paliers (guide et butée) sont du type à roulements, lubrifiés à la graisse (figure 5). Cette solution simple a été rendue possible grâce au bon équilibrage radial des efforts par la double volute et l'équilibrage axial réalisé par le choix optimum du diamètre de laminage des bagues d’étanchéité (supérieure et inférieure).
Pour faciliter les opérations de maintenance, les paliers sont fixés sur le demi-corps fixe, ce qui assure aussi bien la possibilité de visiter la pompe, le rotor en place, que l'interchangeabilité d'un rotor complet équipé de ses bagues et de ses paliers.
L’ENSEMBLE MOTEUR-VARIATEUR
L'entraînement de la pompe est assuré par un moteur vertical Jeumont-Schneider d’une puissance nominale de 6 800 kW (figure 6) alimenté en 15 000
Volts, à vitesse variable (avec accouplement pompe-moteur réalisé par cardan). Le variateur Jeumont-Schneider (du type Jisflow) fonctionne sous la même tension par l’intermédiaire d’un transformateur d’adaptation d’une puissance nominale de 2 300 kVA. La relation variateur-moteur est assurée par un démarreur.
L’ensemble moteur-variateur comprend essentiellement : le moteur, le transformateur d’adaptation, l’armoire des condensateurs pour la compensation du cosinus phi, l’armoire de démarrage et d’aiguillage, le rhéostat de démarrage, l’armoire Jisflow (puissance, redresseur et onduleur, contrôle, régulation allumage, protections) (figure 7), l’inductance de lissage dans le circuit continu établi entre redresseur et onduleur.
Fonctions
L’ensemble moteur-variateur doit satisfaire aux impératifs suivants :
— Assurer à chaque instant le débit d’eau demandé par l’exploitant avec le maximum de souplesse tout en conservant un rendement global optimum ;
— Tenir compte des contraintes électriques, de manière à demander l’énergie au réseau dans les conditions les plus favorables (contrat jour pointe – pointes de démarrage – facteur de puissance – rendement) ;
— Réduire les contraintes mécaniques dans les conduites hydrauliques en limitant le courant de démarrage et les à-coups ;
— Améliorer la conduite d’exploitation par une excellente régulation en marche à vitesse variable ;
— Passer en cas de besoin à la marche à vitesse nominale ;
— Autoriser une marche à vitesse ajustable sur le rhéostat en cas d’indisponibilité du variateur et de nécessité d’exploitation ;
— Permettre une maintenance rapide et simplifiée.
Sa souplesse de fonctionnement permet d’accroître la durée de vie de l’ensemble du matériel, tant électrique, mécanique qu’hydraulique.
Principe de fonctionnement
Démarrage :
Le démarreur (figure 8) est inséré dans le circuit rotorique du moteur bobiné à bagues ; dès la mise sous tension du stator-moteur le démarreur assure dans tous les cas le démarrage du groupe. Dans le cas d’une marche avec régulation de vitesse, le démarreur amène le groupe à une vitesse d’environ 600 tours par minute (seuil de prise en charge par le Jisflow).
Marche à vitesse nominale :
Le démarreur est commandé en vitesse croissante jusqu’au voisinage de la vitesse nominale du groupe, soit
environ 740 tours par minute (seuil d’enclenchement du court-circuitage rotor).
Marche en secours à vitesse ajustable :
Un circuit de refroidissement du rhéostat est mis en service pour permettre au démarreur de fonctionner en régime continu sur ordres « plus vite » ou « moins vite ».
Marche à vitesse variable
Le variateur Jisflow (cascade hyposynchrone) étant dimensionné uniquement pour la plage utile de variation de vitesse du groupe est mis en service à partir de 600 tours par minute.
La tension rotorique est redressée par un pont à diodes. Cette tension continue (redressée et lissée par une inductance) est fournie à un onduleur à thyristors alimenté et piloté par le réseau électrique à 50 Hertz.
L'onduleur découpe cette tension suivant sa propre fréquence, chaque demi-alternance ainsi théoriquement reconstituée n’étant débloquée que partiellement en fonction de la demande de la régulation au circuit de commande des impulsions des thyristors. C’est ainsi que l'on crée une résistance rotorique dynamique variable dont les seules pertes sont celles dissipées dans les semi-conducteurs, les fusibles, le jeu de barres et le transformateur. L’énergie de glissement qui serait normalement dissipée dans les résistances de démarrage est alors renvoyée au réseau par l'intermédiaire du transformateur d’adaptation.
Caractéristiques et performances
Variateur :
La technique mise en œuvre pour sa fabrication mérite les précisions suivantes :
- - son dimensionnement a été calculé seulement pour la plage utile de variation de débit de la pompe ;
- - le choix des semi-conducteurs et des fusibles a été effectué de façon à assurer une très faible chute de tension interne ;
- - on utilise deux ponts redresseurs et deux ponts onduleurs mis en parallèle ;
- - on a adopté un surdimensionnement des jeux de barres et employé une technologie poussée pour la réalisation des éclissages ;
- - la technologie de l’inductance de lissage a été particulièrement soignée ;
- - l'utilisation de nouveaux condensateurs a permis de réduire considérablement les pertes dues au fonctionnement en variateur.
Moteur :
Le moteur est du type asynchrone à rotor bobiné à bagues, refroidi par brassage d’air et échangeurs air-eau ; il est installé verticalement ; son degré de protection (IP 23, avant capotage), devient IP 44 après pose d'une cellule insonorisante.
Ses caractéristiques électriques sont les suivantes :
- — puissance 6 800 kW ;
- — tension 15 000 volts ;
- — tension rotorique 1 960 volts ;
- — courant rotorique 2 060 ampères ;
- — vitesse nominale à vide 750 tours par minute ;
- — rendement supérieur à 0,96.
Ensemble moteur-variateur
Sa gamme de variation de vitesse est comprise entre 600 et 740 tours par minute. Dans toute sa plage d'utilisation, son rendement est supérieur à 0,95.
L'utilisation de composants de base classiques et contrôlés à différents niveaux permet de garantir une excellente fiabilité de l'ensemble et une maintenance simplifiée.
CONCLUSION
Le groupe SE.9 a été mis en service en mars 1986. Les premiers essais réalisés en cours de fabrication et sur la plateforme du CETIM ont montré que les performances allaient au-delà des garanties du marché. En fait, le rendement de la pompe atteint 93 % et reste supérieur à 92 % sur une assez large plage (figure 9). La consommation spécifique moyenne est ainsi de 275 Wh/m³ au lieu de 283 Wh/m³ garantis. Il en résulte, par rapport à la consommation moyenne précédente, une économie de l’ordre de 20 Wh/m³ représentant environ 1 500 000 kWh/an pour une utilisation de SE.9 à 60 % du temps.
Enfin, une étude récente a montré que les caractéristiques de la nouvelle pompe (en particulier sa valeur de NPSH) permettaient de l'utiliser pour assurer une vidange rapide (en quelques heures) des réservoirs d'effacement dans l’hypothèse d’une eau insuffisamment traitée à la suite d'une pollution accidentelle.