Lors d’un article précédent, nous exposions les méfaits de l’eutrophisation des eaux de surface, ses conséquences sur l’écosystème lacustre, plus spécialement sur les eaux destinées au soutien d’étiage et sur les eaux brutes à potabiliser. Face à de tels déséquilibres survenant en période estivale, l'aération par destratification s’avère être un système curatif tout à fait efficace pour atténuer les effets directs et indirects du phénomène d’eutrophisation.
Ces installations d’aération ont pour objectif essentiel d’éviter le relargage des composés réduits (phosphore, fer, manganèse, ammoniaque) par les sédiments, mémoire de la pollution antérieure ; mais un tel système modifie également l’équilibre phytoplanctonique du plan d’eau. Il permet notamment de lutter contre le développement des Cyanophycées.
La Société Aqua Technique a développé un savoir-faire important en matière de restauration de la qualité des plans d’eau eutrophes par aération, notamment dans l’aération des couches profondes par destratification des eaux.
Rappels sur l’aération par destratification (procédé DAD®)
Principe
Ce procédé consiste à créer un ou plusieurs rideaux de bulles ascendantes générant un effet d’air-lift sur plusieurs centaines de mètres. Ce mouvement de masse entraîne une circulation de l'eau du fond vers la surface du lac. La puissance de ce brassage est calculée pour éviter la stratification naturelle des eaux en période chaude. Il provoque leur aération par contact avec la surface du plan d’eau et a donc pour conséquence le maintien de conditions oxydantes au sein de toute la colonne d’eau.
Les installations sont constituées d’un local insonorisé enfermant un compresseur d’air disposé en bordure de rive, et connecté à un réseau de canalisations percées immergé sur le fond du plan d’eau (réseau de diffusion).
Dimensionnement
Chaque installation est conçue en fonction des caractéristiques chimiques et morphologiques du plan d’eau. Ces facteurs conditionnent le débit d’air à injecter, la longueur, le nombre de lignes de diffusion et leur perforation.
Conditions d’installation
D’une manière générale, cette technique convient aux plans d’eau de profondeur moyenne jusqu’à 15 mètres ou présentant une stratification thermique peu prononcée. Dans le cas contraire l’énergie à apporter pour vaincre la stratification thermique serait trop importante et l’installation peu rentable économiquement.
Fonctionnement
L’aération par déstratification est dé-
[Photo : Evolution de la concentration moyenne en oxygène dissous au droit de la prise d’eau du lac de la Visance.]
[Photo : Evolution de la concentration moyenne en fer au droit de la prise d’eau du lac de la Visance.]
[Photo : Evolution de la concentration moyenne en manganèse au droit de la prise d’eau du lac de la Visance.]
[Photo : Evolution de la concentration moyenne en ammonium au droit de la prise d’eau du lac de la Visance.]
[Photo : Evolution de la concentration moyenne en orthophosphates au droit de la prise d’eau du lac de la Visance.]
[Photo : Evolution de la concentration moyenne en chlorophylle A au droit de la prise d’eau du lac de la Visance.]
Tableau I
Comparaison des frais de fonctionnement. Moyennes annuelles avant et après destratification de la retenue de la Visance.
Année : | 1987 | 1988 | 1989 | 1990 |
Coût (FF/m³) : | 0,13 | 0,10 | 0,093 | 0,08 |
marquée avant la période de stabilité thermique du plan d'eau, celle-ci durant généralement d’avril à octobre. En temps normal, au cours de cette période, les eaux denses et froides stagnent au fond et s’appauvrissent en oxygène. Selon l’état de la qualité du plan d’eau et sa morphologie, un fonctionnement permanent ou intermittent peut être envisagé.
Quelques résultats
Il s'agit des résultats obtenus sur trois installations de déstratification réalisées depuis 1988.
La Visance à Flers (France)
La Visance est une retenue de 12 ha et d’une capacité de 350 000 m³, construite en 1950 pour alimenter en eau potable la ville de Flers.
Entre les années 1980 et 1988, de forts développements algaux avec prédominance de Microcystis (Cyanophycées) sont apparus durant la période estivale et nuisaient à la bonne traitabilité de l'eau (colmatage des filtres, problèmes de goût et d’odeur).
C’est pourquoi la ville de Flers a entrepris de mettre en place, en 1988, une
[Photo : Fig. 7 – Rapidité de déstratification du lac d’Hanningfield (13 et 14 juin 1994)]
[Photo : Fig. 8 – Évolution du profil vertical de température au sein du lac d’Hanningfield, sous l’effet de brassages intermittents (mai-juillet 1994)]
[Photo : Fig. 9 – Évolution du pourcentage de saturation en oxygène dissous des eaux du lac d’Hanningfield, sous l’effet de brassages intermittents (mai-juillet 1994)]
[Photo : Fig. 10 – Évolution de la concentration en ammonium au sein du lac d’Hanningfield avant et après déstratification]
[Photo : Fig. 11 a – Concentration moyenne en chlorophylle A en 1991 et 1992, dans le lac d’Hanningfield]
[Photo : Fig. 11 b – Concentration moyenne en chlorophylle A en 1994, dans le lac d’Hanningfield]
Le maintien d’une bonne oxygénation (supérieure à 4 mg/l) de l’interface eau/sédiment agit directement sur son potentiel d’oxydoréduction. Lorsque celui-ci est maintenu au-dessus de 0,5 V, le fer et le manganèse restent complexés sous forme insoluble.
L’installation de déstratification de la retenue, en même temps qu’une unité complémentaire de déphosphatation sur l’installation de traitement des eaux située à l’amont, exerce une incidence évidente : les résultats obtenus montrent que, d’une part, la concentration moyenne estivale en oxygène dissous n’est jamais inférieure à 6 mg/l et que, d’autre part, les concentrations moyennes estivales en orthophosphate, ammoniac, fer et manganèse connaissent des abattements respectifs variant de 50 à 80 %.
[Figure 12 : Incidence de la destratification sur la concentration en oxygène dissous au fond du lac de Ploermel.]
[Figure 13 : Incidence de la destratification sur le pH en surface du lac de Ploermel.]
[Figure 14 : Incidence de la destratification sur la concentration en ammonium au fond du lac de Ploermel.]
Fer est chélaté au phosphore dans le sédiment sous forme de phosphate ferrique ou fixé sous forme d’hydroxydes, alors que le manganèse reste figé sous forme de MnO₂. La réduction du fer conditionne largement le relargage du phosphore soluble. D'autre part, le maintien des processus de nitrification et de dénitrification empêche l’accumulation de composés nocifs tels que l'ammoniaque et les nitrites. On retrouve ce type de résultats dans tous les lacs traités par destratification.
Par ailleurs, la réduction de près de 40 % des concentrations estivales en chlorophylle a (indicateur de la biomasse algale) et l’abattement de la fraction de la population algale correspondant aux Cyanophycées montrent à quel point celles-ci peuvent être sensibles aux turbulences de la colonne d’eau générées par le réseau de diffusion (figure 6). En 1986, la population de Cyanophycées représentait plus de 75 % de la population de phytoplancton, alors qu’en 1988, année de mise en route de l’installation, cette population est passée à moins de 5 %.
Enfin, l'amélioration de la qualité de l'eau brute s’est concrétisée par un accroissement significatif du volume d'eau filtré entre deux lavages de filtre (gain pouvant atteindre 80 % en période estivale !). De même, les frais de fonctionnement se sont sensiblement réduits, comme le montre le tableau 1.
Le lac d'Hanningfield pour Essex Water (U.K.)
La retenue d’Hanningfield, de 350 ha et d’une capacité de 27 Mm³, alimente en eau potable une partie de l’Essex en Angleterre. Cet usage était perturbé par des pics de concentration en Fe²⁺, Mn²⁺ et NH₄⁺ liés aux relargages en période d’anoxie hypolimnique, ainsi qu’au développement occasionnel d’une biomasse algale très importante, et en particulier de Cyanobactéries.
Afin de limiter ces problèmes, sept lignes de destratification ont été installées dans le lac en deux temps : trois en 1992, puis quatre en 1993.
Après trois ans de fonctionnement, les résultats obtenus grâce à ces installations sont très concluants.
En effet, les équipements installés permettent de réaliser une destratification rapide des eaux du lac (figure 7). Cet exemple nous montre qu'une différence de 5 °C entre les eaux du fond et de la surface peut être « cassée » en moins de 15 heures.
Par ailleurs, l'utilisation intermittente (à moindre coût énergétique) de ces équipements du printemps à l’automne a permis de maintenir le lac destratifié (figure 8), les profils de température ne laissant pas apparaître de thermocline pendant l'été (l’écart de température entre les eaux de surface et du fond reste inférieur à 1 °C).
La figure 9 montre un lac oxygéné tout l'été à plus de 80 % de la saturation sur toute la colonne d’eau, alors que celle-ci pouvait atteindre 0 % dans les couches profondes en l’absence de l’installation.
Le fonctionnement de la destratification induit un abattement très sensible (70 %) des concentrations en composés réduits tels que l'ammoniaque, par exemple (figure 10).
Enfin, le brassage efficace des eaux conduit à limiter le développement estival de la biomasse algale, comme
[Photo : Evolution des populations algales durant les saisons estivales 1992 et 1994 dans le lac de Ploermel.]
Le montrent les figures 11a et 11b, la biomasse moyenne annuelle étant passée de 18 µg chla/l en 1991 à 8 µg chla/l en 1994.
L'Etang au Duc à Ploermel (France)
La retenue de Ploermel, d'une surface de 240 ha et d'une capacité de 3,7 Mm3, est utilisée pour l’alimentation en eau potable de la ville, mais aussi comme base de loisirs. Elle présentait une eutrophisation très intense, nuisible par ses conséquences aux différentes vocations du lac.
Malgré une profondeur maximale très faible (de 5 m), une destratification et aération diffuse a été installée au début de l'été 1994, après une première poussée algale.
Cette installation a permis, dès 1994, de réduire les phases d’anoxie observées en profondeur (figure 12), d’abattre les concentrations en H2S et NH4+ (figure 14), d’abaisser et d’homogénéiser le pH (figure 13) et de réduire le relargage de PO4 à partir des sédiments. Enfin, les turbulences générées par le brassage des eaux ont permis de diminuer fortement la proportion de Cyanophycées au sein de la biomasse algale (figure 15), facteur très appréciable pour la traitabilité des eaux (les années 1990 et 1994 indiquées sur les figures ci-jointes correspondent à des années de suivi contractuel).
Conclusion
Loin de constituer des installations figées, les systèmes d’aération par destratification doivent évoluer constamment pour s’adapter aux contraintes présentes. L’accent est notamment mis actuellement sur l’amélioration du coût énergétique de telles installations tant au niveau de l’investissement (par le choix des équipements de compression appropriés, à haut rendement et faible puissance) qu’au niveau de l’exploitation (par le choix de temps de fonctionnement intermittents, voire de lignes de diffusion alternées).
D’autre part, une veille technologique et scientifique permanente est indispensable à la perception toujours plus pointue des systèmes lacustres et des processus physico-chimiques qui les régissent. Les installations sont suivies durant des années par des administrations, des universités, des bureaux d’études indépendants et sont autant de plate-formes d’essais. Les connaissances ainsi recueillies permettent d’obtenir des garanties de résultats de plus en plus fines.
Simple dans son principe, mais complexe dans sa conception, l’aération par destratification s’avère être un outil fiable et un pré-traitement efficace en amont de la filière de potabilisation.
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