Les centres d'enfouissement techniques (CET) produisent des volumes plus ou moins importants d'effluents (lixiviats) qui sont très concentrés en matière organique et minérale. Leur rejet dans l'environnement nécessite donc obligatoirement une étape préalable. Dans le souci de préserver le milieu récepteur et de répondre aux normes de rejet, un programme de recherche sur le traitement des lixiviats de CET a été mené en collaboration entre FD Conseil et le CIRSEE (Lyonnaise des Eaux-Dumez) en 1991 et 1992. Dans le cadre de ce programme, le lixiviat du CET d'Arnouville-les-Mantes a fait l'objet d'une étude pilote de traitement par bioréacteur à membrane (BRM) en partie financée par la société Dexel qui exploite le site. Le travail de recherche a été concrétisé par la conception d'une station de traitement qui sera opérationnelle en février 1993. Les résultats de cette étude, ainsi que les caractéristiques de la station de traitement sont décrits dans cet article.
Des solutions performantes pour le traitement des lixiviats
La nature même des lixiviats (concentrations, diversité des différents polluants) nécessite l'élaboration de chaînes de traitement performantes ; en effet plusieurs types de pollution sont à traiter :
- • la matière organique biodégradable,
- • la fraction azotée organique et inorganique,
- • les matières en suspension,
- • la matière organique non biodégradable,
- • les métaux,
- • les chlorures.
Parmi les différents procédés de traitement des lixiviats, trois configurations différentes ont été définies, le BRM constituant dans tous les cas le cœur du procédé (figure 1).
Chacune des chaînes de traitement permet de répondre à une situation spécifique (charge polluante, milieu récepteur, normes imposées...), mais l'association BRM-osmose inverse est la seule capable de répondre aux normes sur la DCO, l’azote ammoniacal, les métaux et les chlorures.
Principe du traitement par bioréacteur à membrane et osmose inverse
Les procédés de séparation et de concentration par membranes sont connus depuis une centaine d’années. Il a fallu toutefois attendre les années 60 pour voir le développement des membranes synthétiques et la concrétisation industrielle de ces techniques. Depuis les années 70, ces procédés ont connu un développement considérable. Le CIRSEE a fait un très gros effort de recherche depuis plusieurs années pour appliquer ce procédé au traitement des eaux :
- • membranes d’ultrafiltration pour la production d’eau potable,
- • procédé Aquachoc, unité transportable actuellement utilisée lors de catastrophes naturelles,
- • les bioréacteurs à membranes pour le traitement des eaux usées urbaines et industrielles.
Caractéristiques des BRM
Le bioréacteur à membrane associe à une épuration par voie biologique, un procédé de séparation performant par membranes de micro ou d’ultrafiltration.
La biologie
La parfaite séparation entre biomasse et lixiviat épuré permet de dissocier et de contrôler de manière absolue le temps de séjour hydraulique et l'âge de la boue. Dans le cas d'une pollution organique peu biodégradable et d'une concentration élevée d'ammoniaque, le procédé autorise le maintien d'une population adaptée à la matière organique (bactéries hétérotrophes) ainsi qu’à l’azote ammoniacal (bactéries autotrophes).
La filtration
La micro ou l'ultrafiltration permettent à faible pression (< 5 bars) et à température ambiante, de séparer les MES ainsi que certaines macromolécules organiques (selon leur taille) de l'eau traitée (figure 2).
Les membranes ont pour avantage, face aux procédés classiques de séparation par décantation, d'assurer un rejet exempt de particules en suspension et de permettre le maintien d'une concentration élevée de microorganismes dans le bassin biologique. Ce dernier point autorise l'augmentation des charges volumiques traitées ainsi que l'adaptation des bactéries aux composés difficilement dégradables.
L'osmose inverse
L’osmose inverse utilise les propriétés des membranes semi-perméables au travers desquelles l'eau migre alors que la quasi-totalité des solutés est retenue. L'osmose inverse est très souvent utilisée pour le dessalement d’eau de mer et la production d'eau ultrapure destinée aux usines de composés électroniques. L'utilisation de ce procédé permettra donc d'éliminer la pollution non éliminée dans le BRM.
Présentation du CET d’Arnouville-les-Mantes
Le centre d’enfouissement technique d’Arnouville-les-Mantes est situé au sommet de la « Butte de Souville », à deux kilomètres au sud d’Arnouville (Yvelines). Le site s’étend sur une superficie totale d’environ 5 hectares, dont 3 seulement sont en exploitation par alvéoles successives ne dépassant pas 3 000 m² (figure 3).
L'exploitation du site en centre d’enfouissement technique destiné à accueillir des déchets ménagers a débuté en 1976 ; depuis le 1ᵉʳ janvier 1986, c'est la société Dexel, filiale du groupe SITA, qui en assure l’exploitation.
À l'entrée du site, chaque camion est identifié et pesé et la nature et la provenance des déchets sont vérifiées. Ce sont aujourd’hui plus de 45 communes représentant environ 65 000 habitants qui évacuent chaque année quelque 30 000 t de déchets ménagers auxquels s'ajoutent 25 000 t de déchets industriels banals, soit un total de 55 000 t.
Caractéristiques du lixiviat
La caractérisation du lixiviat a été étudiée de manière intensive en 1991. En 1992 la composition du lixiviat a été suivie plus particulièrement sur la base des paramètres globaux DCO et NH₄⁺ (tableau 1).
Caractéristiques globales
Le pH du lixiviat est stable dans le temps (en moyenne 7,5), de même que la quantité de matière organique exprimée en termes de DCO (environ 2 g/l). La DCO est principalement soluble et très peu biodégradable (DBO₅/DCO < 10 %). La quantité de MES dans le lixiviat est quant à elle très variable et comprise entre 50 et 600 mg/l. Le lixiviat contient une grande quantité d’azote dont la composition est également variable dans le temps. Entre 1991 et 1992 le rapport N-NH₄⁺/NTK passe de 0,35 à 0,99 (tableau 1). Les résultats de l’essai-pilote présentés ici concernent une période où le lixiviat contenait en moyenne 1,4 g N-NH₄⁺/l.
Éléments minéraux et organiques particuliers
En termes d'éléments minéraux, le lixiviat contient une grande quantité de chlorures (environ 2 g/l), une quantité de fluorures variable dans le temps (1,3 mg/l en 1991 contre 40 mg/l en 1992) mais il ne contient pas de cyanures. Les principaux cations rencontrés sont le sodium et le potassium à un taux d’environ 1,2 g/l. La concentration en calcium reste constante dans le temps (environ 80 mg/l) alors que celle en magnésium
Tableau I
Caractéristiques physico-chimiques du lixiviat d’Arnouville
Paramètres | 1991 | 1992 | ||||
---|---|---|---|---|---|---|
— | moyenne | cv % | n | moyenne | cv % | n |
Paramètres globaux | ||||||
pH | 8 | 4 | 82 | 8 | 1 | 1 |
MES mg/l | 300 | 34 | 82 | 50 | 1 | 1 |
MVS mg/l | 250 | 37 | 82 | – | – | – |
DCO soluble mg/l | 2 000 | 22 | 82 | 2 057 | 7 | 111 |
DCO soluble/total mg/l | 0,91 | – | 82 | – | – | – |
DBO₅ mg/l | 300 | 77 | 12 | 171 | 46 | 9 |
DBO₅/DCO totale mg/l | 0,14 | – | 12 | 0,08 | – | 6 |
N-NH₄ mg/l | 490 | 39 | 82 | 1 401 | 7 | 114 |
N-NH₄/NTK mg/l | 0,35 | – | 7 | 0,99 | 8 | 7 |
Pt mg/l | 10 | 30 | 7 | 13 | 1 | 2 |
Anions mg/l | ||||||
Sulfates | – | – | – | – | – | – |
Chlorures | 2 100 | 14 | 7 | 2 100 | – | 1 |
Fluorures | 1,3 | 18 | 7 | 40 | – | 1 |
Cyanures | < 0,01 | – | 7 | – | – | 1 |
Cations mg/l | ||||||
Magnésium | 80 | 3 | 7 | 44 | – | 1 |
Calcium | 80 | 8 | 7 | 78 | – | 1 |
Sodium | 1 180 | 6 | 7 | 1 200 | – | 1 |
Potassium | 1 250 | 7 | 7 | 1 050 | – | 1 |
Métaux mg/l | ||||||
Fe | 6,2 | 17 | 7 | 5,6 | – | 1 |
Mn | 0,2 | 5 | 7 | 0,2 | – | 1 |
Al | 0,8 | 5 | 7 | 0,5 | – | 1 |
Cr | 0,2 | 12 | 7 | – | – | – |
Pb | 0,2 | 24 | 7 | – | – | – |
Zn | 0,3 | 16 | 7 | – | – | – |
Cu | 0,1 | 2 200 | 7 | – | – | – |
Ni | 0,2 | 0 | 7 | – | – | – |
Cd | < 0,02 | 0 | 7 | – | – | – |
Hg | < 0,005 | 0 | – | – | – | – |
As | 0,07 | 52 | 7 | – | – | – |
varie de 80 à 44 mg/l entre 1991 et 1992. La quantité totale de métaux reste inférieure à 10 mg/l, le fer étant l’élément majoritaire (environ 75 %). Les halogènes ne sont pas détectés dans le lixiviat et les composés type hydrocarbures, phénols ou détergents anioniques sont analysés à moins de 1 mg/l respectivement.
En conclusion, on constate que le lixiviat d’Arnouville contient une grande quantité d’azote ammoniacal et une concentration en DCO dont la biodégradabilité apparente (estimée par le rapport DBO₅/DCO) est faible.
Tableau II
Normes de rejet du centre d’enfouissement technique d’Arnouville
Paramètres | Échantillon instantané | Échantillon moyen 2 h | Échantillon moyen 24 h |
---|---|---|---|
pH | 5,5 à 8,5 | 5,5 à 8,5 | 5,5 à 8,5 |
DBO₅ mg/l | 50 | 20 | 15 |
DCO mg/l | 120 | 80 | 50 |
MES mg/l | 40 | 20 | – |
NTK mg/l | 60 | 50 | 40 |
Métaux lourds mg/l | < 6 | ||
Arsenic mg/l | < 0,05 | ||
Phénols mg/l | < 0,1 | ||
Hydrocarbures mg/l | < 5 |
Tableau III
Principales caractéristiques du lixiviat et du perméat après traitement par bioréacteur à membrane (BRM) et résultats théoriques après traitement du perméat par osmose inverse (OI)
Paramètres (mg/l) | Lixiviat brut | Sortie BRM | Sortie OI (calcul) | Rendement (%) |
---|---|---|---|---|
DCO | 2 200 | 1 300 | < 50 | 97,7 |
DBO₅ | 250 | < 15 | < 15 | 93,7 |
N-NH₄⁺ | 1 500 | 2,5 | < 0,5 | 99,9 |
N-NO₂⁻ | < 0,1 | < 0,1 | < 0,1 | – |
N-NO₃⁻ | < 0,1 | 1 400 | < 10 | – |
Normes de rejet
Les effluents sont rejetés dans le milieu naturel, dans un fossé vers le « ravin de la Pételance », affluent de la rivière La Vaucouleurs. Compte tenu de la grande sensibilité du milieu récepteur, des normes de rejet très strictes ont été imposées au CET d’Arnouville (tableau II).
Étude expérimentale
L’osmose inverse seule ne permet pas d’atteindre la norme de rejet en NTK (cf. tableau II). Étant donné la concentration élevée en azote ammoniacal du lixiviat à traiter, une nitrification préalable est nécessaire. Cette première étape réalisée dans le BRM produit alors un effluent dont la qualité facilite le traitement suivant d’osmose inverse.
Le développement expérimental du BRM a donc été engagé dans le sens de l’optimisation d’une élimination conjointe du carbone biodégradable et de l’azote ammoniacal.
Le bioréacteur à membrane a été installé sur le site d’Arnouville, dans un local protégé. Il est constitué d’une cuve de 1 m³ couplée à une membrane d’ultrafiltration.
L'aération est réalisée par l'intermédiaire de 10 Vibrairs afin d'assurer une oxygénation ainsi qu'un brassage optimal. Afin de favoriser la nitrification, le pH est régulé à 8 et la température est maintenue au-dessus de 20 °C par une résistance chauffante placée au niveau de la recirculation de la boue. Une fraction du perméat peut être recyclée dans le bioréacteur afin d'obtenir un temps de séjour hydraulique défini. À partir d'une concentration initiale en azote ammoniacal égale à 1,4 g/l, une nitrification complète est obtenue sur toute la durée de l'étude (figure 6) ; en effet, la concentration résiduelle en azote ammoniacal reste inférieure à 2,5 mg/l pendant les 135 jours de fonctionnement du pilote, ce qui met en évidence la remarquable stabilité du procédé. La composition moyenne du perméat présentée dans le tableau III indique que 40 % de la DCO soluble ont été éliminés lors du traitement par BRM. Par ailleurs, les résultats attendus après traitement par osmose inverse du perméat issu du BRM indiquent que la composition du rejet sera conforme aux normes imposées. La membrane qui est une barrière absolue pour les micro-organismes et particulièrement pour les bactéries nitrifiantes, joue probablement un rôle majeur dans la stabilité du système. Ces résultats montrent de plus que la nitrification n'est pas inhibée malgré des concentrations en nitrates et en DCO soluble dans la boue supérieures à 1000 mg/l.
La station de traitement des lixiviats d'Arnouville
La station de traitement des lixiviats du centre d'enfouissement technique d'Arnouville va être construite sur la base des résultats de l'étude pilote ; opérationnelle en février 1993, elle traitera 10 m³/jour de lixiviats. La figure 7 représente le schéma d'ensemble de la station.
Celle-ci comprendra les infrastructures suivantes :
- — un bassin de traitement biologique dont l'aération est réalisée au moyen d'air surpressé diffusé par des membranes d'aération Flexazur,
- — un bâtiment de 80 m² de superficie abritant les membranes d'ultrafiltration, d'osmose inverse et les équipements pour le nettoyage des membranes.
Conclusion
L'étude pilote a montré que bien que les lixiviats du centre d'enfouissement technique d'Arnouville contiennent de fortes concentrations en matières organiques et minérales, le traitement combiné par bioréacteur à membrane et osmose inverse permettra d'atteindre les normes de rejet imposées.
Les résultats de cette étude ont ainsi permis d'aboutir à la réalisation sur le CET d'Arnouville d'une station de traitement qui constitue une innovation en matière de traitement des lixiviats.
L'effort de recherche investi sur différentes techniques de traitement des lixiviats a permis de développer une palette de procédés adaptables au cas par cas. Le cœur du traitement est constitué par un bioréacteur à membrane et le traitement d'affinage additionnel (osmose inverse, nanofiltration ou ozonation) dépend, quant à lui, des contraintes propres à chaque site (qualité du lixiviat à traiter, normes de rejet définies selon le milieu récepteur).