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Une géothermie originale à Vaux-le-Pénil

28 février 1984 Paru dans le N°80 à la page 29 ( mots)
Rédigé par : J. DUPONT-CORBRAN

Grâce à une politique suivie de la part des pouvoirs publics, en matière de maîtrise de l'énergie, ainsi qu’à la mise en place d’incitations sous la forme d’aides financières et de prise en charge des risques géologiques, la géothermie a atteint depuis quelques années un bon rythme de développement en France. Ce développement est favorable à l’évolution des techniques d’exploitation de la chaleur des nappes aquifères profondes. Il ouvre aussi la voie à des idées nouvelles en ce qui concerne par exemple les possibilités de montages juridiques et financiers.

À Vaux-le-Pénil où une opération de cette nature est en cours de réalisation, on peut mesurer le chemin parcouru depuis le lancement en 1968 de la première expérience de géothermie française de Melun-l’Almont dont la proximité permet d’autant mieux d’établir la comparaison.

L’originalité de l'opération de Vaux-le-Pénil repose sur divers aspects qui seront examinés plus en détail ci-après :

  • • sur le plan juridique et financier, la production d’énergie géothermique et la distribution de chaleur aux usagers ont été séparées dans le cadre d'un montage mixte ;
[Photo : Le groupe d’habitation de Vaux-le-Pénil, alimenté par l’installation de géothermie.]
  • • l’ensemble des utilisateurs sélectionnés comprend d'une part une importante zone industrielle, et d’autre part des ensembles immobiliers de logements collectifs ;
  • • sur le plan technique les études d'optimisation ont montré l'intérêt de la mise en série des deux zones avec utilisation en relais d’un groupe de pompes à chaleur de grande puissance afin de mieux épuiser la ressource.
[Photo : Le site de Melun-l’Almont ; au premier plan, les réservoirs de stockage d’eau chaude sanitaire.]

MONTAGE JURIDIQUE ET FINANCIER

Comme pour tout projet de ce genre les objectifs étaient les suivants :

  • — pour l’Étatpermettre de réaliser des économies d’énergie primaire afin de soulager la facture pétrolière de notre pays, en utilisant les ressources énergétiques nationales ;
  • — pour la collectivité locales’assurer le contrôle de l’utilisation de la ressource géothermique et veiller au bon équilibre financier de l'opération tout en évitant de prendre des risques démesurés (le coût global de l’opération représente un investissement de 50 millions de francs) ;
  • — pour les usagersalléger les charges de chauffage en se libérant le plus possible des énergies traditionnelles.

Le schéma juridique, administratif et financier a donc été adapté afin de répondre au mieux à ces impératifs et a abouti à une solution originale désignée sous le nom de « montage mixte ». Le but principal de ce montage est de limiter l’engagement financier de la ville tout en lui permettant d’assurer le contrôle du bon équilibre de l'opération ainsi qu’on peut le voir sur le schéma administratif ci-dessous.

[Photo : Le montage juridique de l’opération.]

PRODUCTION DE L’ÉNERGIE GÉOTHERMIQUE

Les partenaires de la Société d’économie mixte dont le maire est président sont :

  • — la ville (majoritaire),
  • — la Compagnie générale de chauffe (concessionnaire de la distribution de chaleur),

Geotherma (société d’ingénierie chargée de la maîtrise d'œuvre des forages),

la Caisse d’Épargne locale,

des personnes physiques.

La Société d’économie mixte finance, réalise et exploite le doublet et cède l’énergie géothermique au concessionnaire dans le cadre d’un contrat de vente de chaleur.

DISTRIBUTION DE LA CHALEUR

Le concessionnaire finance, réalise et exploite le réseau de distribution de chaleur dans le cadre d’un traité de concession et vend la chaleur d’origine géothermique aux abonnés.

On voit que la ville contrôle bien l’équilibre de l’opération puisqu’elle est majoritaire dans la Société d’économie mixte et autorité concédante vis-à-vis du concessionnaire de la distribution de chaleur.

DÉTERMINATION DES PRIX DE VENTE DE LA CHALEUR

La faisabilité d’une opération dépend du taux de rentabilité interne global obtenu (production et distribution de chaleur confondues). Ce taux de rentabilité est fonction de l’ensemble des charges supportées et des recettes provenant des ventes de chaleur aux abonnés qui, dès l’origine, doivent bénéficier d’une économie par rapport au coût de l’énergie substituée.

Le prix de cession de la chaleur au concessionnaire par la Société d’économie mixte est déterminé en tenant compte d’une part des charges techniques et financières de celle-ci pour la production de chaleur, et d’autre part des recettes provenant de la vente de chaleur aux abonnés, déduction faite des charges techniques et financières supportées par le concessionnaire au titre de la distribution.

Le prix de cession de la Société d’économie mixte et le prix de vente aux abonnés sont indexés par des formules de variation de prix dont les termes reflètent la structure des charges supportées, de manière à obtenir une parfaite transparence.

AVANTAGES DU MONTAGE MIXTE

Ainsi qu’on peut le constater, le montage mixte appliqué à Vaux-le-Pénil est équilibré et présente de nombreux avantages pour la Collectivité locale :

  • - la Collectivité a l’initiative du lancement de l’opération de géothermie qui conserve son caractère de service public à travers la Société d’économie mixte et la concession ;
  • - la Collectivité contrôle à la fois la production et la distribution de la chaleur tout en diminuant l’engagement financier et la prise de risques inhérents à ce type d’entreprise ;
  • - les risques financiers sont partagés et limités pour la Collectivité, ce qui est souhaitable si l’on considère que la distribution de chaleur ne concerne qu’une partie de la population ;
  • - l’optimisation du montage financier est évidente puisque celui-ci bénéficie des avantages (subventions et prêts) pouvant être accordés aux collectivités locales et aux sociétés privées ;
  • - la surface financière et technique du concessionnaire et son engagement financier garantissent à la Collectivité le développement du service et, par voie de conséquence, la rentabilité nécessaire à l’équilibre de l’opération ;
  • - les problèmes de relations avec les usagers, la négociation des contrats d’abonnement au réseau de chaleur, la facturation, etc., sont traités par le concessionnaire dans le cadre des dispositions du cahier des charges, n’impliquant pas directement la Collectivité.

Après création de la Société d’économie mixte, mise au point du traité de concession entre la ville et le concessionnaire, ainsi que des différentes pièces contractuelles nécessaires (contrat de vente de chaleur par la Société d’économie mixte, polices d’abonnement, etc.), l’opération pouvait être lancée.

ASPECT TECHNIQUE DE L’OPÉRATION

Les travaux de forage

L’opération de géothermie de Vaux-le-Pénil est donc entrée dans sa phase de réalisation le 17 décembre 1982 par le forage d’un premier puits. L’objectif était la nappe du Dogger, à 1 700 m de profondeur environ. Les travaux se sont déroulés d’une manière satisfaisante, compte tenu de la compétence des intervenants et de la bonne connaissance de l’aquifère du Dogger, qui constitue désormais une ressource classique dans la région est du Bassin Parisien.

Le 17 janvier le premier forage était terminé et les essais de production, après stimulation, donnaient un débit artésien de 190 m³/h avec une température de 72 °C mesurée au fond du puits.

Après ripage de l’appareil de forage, la réalisation du second puits était entreprise dès le 19 janvier 1983. Ce deuxième forage étant destiné à la production, une chambre de pompage fut aménagée. Le 18 février 1983 le doublet était pratiquement terminé. Les essais effectués sur le deuxième puits révélaient un débit artésien de 180 m³/h avec une température de 72 °C mesurée au fond.

Il convient de s’arrêter un instant sur ces résultats et de les comparer à ceux obtenus en 1969 sur le doublet voisin de Melun-l’Almont (voir tableau page suivante).

On voit que la différence réside essentiellement dans une importante augmentation du débit artésien. Cette meilleure performance est due à l’amélioration des techniques de développement et de mise en production des puits géothermiques, et principalement à la pratique des stimulations, technique devenue classique pour l’exploitation du Dogger en région parisienne.

Les installations de surface

Les travaux d’équipement des têtes de puits sont en cours ainsi

Caractéristiques Melun-l’Almont Vaux-le-Pénil
Débit artésien ............. 100 m³/h 180 m³/h
Température .............. 72 °C 72 °C
Pression en tête de puits ..... 7 bars 7,5 bars

que la réalisation du réseau de distribution. La première livraison de chaleur d'origine géothermique est prévue pour le printemps 1984.

L'inventaire initial des utilisateurs de chaleur potentiels a permis de distinguer trois catégories distinctes d'usagers comprenant :

  • — des logements de conception collective,
  • — des établissements à caractère industriel,
  • — des équipements scolaires et sportifs.

En outre la construction d'une ZAC de 400 logements collectifs est programmée pour les cinq années à venir.

Une sélection soigneuse a été ensuite effectuée à partir de cet inventaire et a abouti à retenir un ensemble d’utilisateurs représentant une puissance totale de 18 000 kW et une consommation annuelle de l'ordre de 30 000 MWh.

Compte tenu des caractéristiques techniques des installations existantes et de leur situation géographique, le réseau de distribution a été divisé en trois circuits principaux (voir schéma) :

  • — un circuit « zone industrielle » alimenté en direct par la géothermie,
  • — un circuit en attente, en série sur le premier circuit, destiné à alimenter la future ZAC dont les logements seront équipés d’émetteurs à basse température,
  • — un circuit raccordant la zone des logements collectifs ; ce circuit sera alimenté, par l'intermédiaire d'un groupe de pompes à chaleur de grande puissance, à partir de la totalité du débit collecté sur tous les retours en permettant de remonter la température de l'eau aux environs de 70 °C.

Le fluide géothermal cédera sa chaleur au réseau par l'intermédiaire d'un groupe d’échangeurs à plaques en titane du même type que ceux mis en place en 1972 à Melun-l’Almont (après détérioration des échangeurs tubulaires en acier mis en place à l'origine). Ces échangeurs ont donné entière satisfaction depuis leur installation et n’ont pas subi de corrosion après plus de dix ans de service ainsi que l’a montré un récent démontage.

Bien que le réseau de distribution ne véhicule pas l'eau géothermale, mais de l’eau de ville traitée, c'est la solution « résine époxy renforcée fibre de verre » qui a été choisie pour des raisons de facilité de pose et compte tenu de l'encombrement du sous-sol.

[Photo : Canalisations en résine en cours d’installation.]

À Melun-l’Almont, l’appoint calorifique nécessaire par grands froids est centralisé (ainsi que la produc-

[Schéma : Ville de Vaux-le-Pénil – Opération de géothermie – Schéma de principe]

tion d'eau chaude sanitaire) et est fourni par une chaufferie traditionnelle utilisant le fuel lourd. À Vaux-le-Pénil c'est une solution décentralisée qui a été retenue : les chaufferies existantes des différents utilisateurs assureront l’appoint lorsque cela sera nécessaire.

[Photo : La chaufferie d’appoint traditionnelle de Melun-l’Almont.]

Des adaptations ont été prévues sur les installations existantes consistant surtout à améliorer les dispositifs de régulation automatique afin d’obtenir les températures de retour les plus basses possibles et récupérer le maximum d’énergie géothermique au niveau des puits.

Sur le plan énergétique l'économie annuelle sera de 3 000 TEP environ.

INTERFÉRENCES RÉCIPROQUES ENTRE DOUBLETS GÉOTHERMIQUES

En 1968, une demande d’autorisation préfectorale avait suffi pour entreprendre le forage du doublet de Melun-l'Almont. En 1978, la multiplication des opérations de géothermie, notamment dans le Bassin Parisien, conduisit l'Administration à compléter les dispositions réglementaires du Code minier : le décret n° 78-498 du 28 mars 1978 précise les conditions dans lesquelles les permis de recherche de gîtes géothermiques et les permis d’exploitation doivent être sollicités.

On pourrait en effet observer des interférences entre des doublets voisins si certaines précautions d'implantation n’étaient pas respectées.

À Melun-l'Almont, la distance entre puits de production et puits de réinjection au niveau de la nappe aquifère, de l'ordre de 900 mètres, a été calculée afin de ne pas craindre le refroidissement de celle-ci avant une trentaine d'années, période devant permettre largement l’amortissement des installations.

L'opération de Vaux-le-Pénil venant s’intégrer dans un système existant, l’étude des interférences réciproques des différents doublets géothermiques réalisés dans la région de Melun a été effectuée. Deux doublets étaient déjà réalisés lors de la mise au point du projet : un doublet situé à Melun-l’Almont (deux puits déviés) et un doublet situé au Mée-sur-Seine (deux puits verticaux). La Direction interdépartementale de l'Industrie a demandé en outre une modélisation afin de s’assurer que le nouveau doublet (deux puits déviés) de Vaux-le-Pénil serait sans influence sur l’exploitation des opérations antérieurement réalisées, et ceci pendant toute la durée de vie prévue pour ces installations.

La distance du doublet de Mée-sur-Seine était largement suffisante pour garantir l’absence d’interférence réciproque à long terme. L’étude devait être beaucoup plus fine pour les doublets de Melun-l’Almont et de Vaux-le-Pénil, voisins de 1 300 m seulement. L'évolution de la température en tête des puits de production est fonction des débits de réinjection de chaque site et des températures respectives de réinjection. La simulation numérique du comportement de la nappe aquifère, avec des hypothèses aussi proches que possible des conditions réelles, montre quelle pourra être l’évolution des températures de production au cours du temps.

Le calcul a été effectué pour une durée totale de 42 ans pour tenir compte de l'exploitation ancienne du doublet de Melun-l’Almont.

[Photo : Prévisions du modèle mathématique pour le refroidissement de la nappe ; après 32 ans (doublet 1) et 20 ans (doublet 2).]

Les résultats de cette étude, qui ont fait l’objet d’un contrôle approfondi de la part des services spécialisés de la Direction interdépartementale de l'Industrie, ont montré que la réalisation du doublet de Vaux-le-Pénil n’était pas préjudiciable à l’exploitation du doublet de Melun-l'Almont. Les calculs théoriques ont même démontré qu’à moyen terme l'effet était plutôt favorable au doublet existant à condition de respecter une implantation judicieuse des nouveaux puits.

Ces résultats sont d’ailleurs conformes aux conclusions d'une étude financée par la C.E.E. sur ce même sujet (contrat n° 09376 EGF), montrant que « par un choix judicieux de la position relative des puits d'injection et de prélèvement des doublets voisins, il est possible de retarder le recyclage de l'eau froide par rapport à celui de chaque doublet pris isolément ».

CONCLUSION

Comme on le voit l'opération de Vaux-le-Pénil est exemplaire ; elle a suscité l'intérêt de l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie et de la Région, qui lui ont attribué leur aide financière.

Il est probable que sa réalisation sera suivie avec attention par d’autres collectivités locales à la recherche de solutions originales.

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