Le Syndicat des Eaux de Beaufort est l'un des plus anciens syndicats intercommunaux de Bretagne dont l'objet comprend l’alimentation en eau potable. Il groupe : Saint-Malo, Dol-de-Bretagne, Cancale et 22 communes. Au moyen de ses canalisations d'une longueur totale supérieure à 500 km, il assure donc la desserte en eau de toute la région malouine en distribuant, en période de pointe estivale, environ 20 000 m³ d’eau par jour.
L'eau distribuée est puisée dans l'étang qui a donné son nom au syndicat et qui est alimenté par quelques sources, mais surtout par un ruisseau ; elle est traitée immédiatement à l’aval d'un barrage dans une usine qui vient d’être modernisée. Le traitement portait jusqu’alors sur un traitement classique d’eau de surface : floculation-décantation, filtration sur sable, stérilisation à l’ozone et neutralisation. Il vient de lui être adjoint un traitement de reminéralisation à la chaux et au bicarbonate de sodium qui permettra la formation d’un dépôt protecteur de carbonates dans les canalisations. Il se trouve en effet que l'eau distribuée était, comme souvent en Bretagne, légèrement corrosive. Or, les plus anciennes canalisations en place, qui datent de près de 70 ans, sont en fonte grise avec un simple revêtement bitumineux.
ÉTAT DES CANALISATIONS
Dans son ensemble, le réseau de distribution du Syndicat s'est bien comporté malgré l’existence de ces tuyaux en fonte grise mais, tout de même, dans certains secteurs les abonnés commencent à se plaindre de débits insuffisants, de manque de pression en heure de pointe et parfois aussi de la qualité de l'eau. Ces observations répétées ont conduit le Cabinet Bourgois, ingénieurs-conseils du Syndicat, et la Compagnie des Eaux et de l’Ozone, exploitant le réseau, à rechercher l’origine et l'importance du mal, notamment sur la commune de Miniac-Morvan où une canalisation de 250 mm de diamètre est en service depuis 1914.
Il s'est avéré que cette canalisation en fonte grise est encore extérieurement en parfait état de conservation tandis qu'elle se trouve encombrée intérieurement d’excroissances de toutes formes accrochées à sa paroi sur une épaisseur moyenne de 1 à 5 cm. Il s'agit de boursouflures spongieuses créées par le développement de bactéries ferrugineuses. Outre la réduction de débit qu’elles provoquent, ces nodosités retiennent des dépôts qui sont remis en suspension à l’occasion des variations de débit provoquées par les causes les plus diverses, ce qui entraîne la livraison d'une eau trouble et de couleur rougeâtre donnant lieu à de fréquentes réclamations de la part de la population.
Ce problème bien connu n’existe plus dans les canalisations plus récentes en fonte revêtue d’un mortier de ciment ou de matières plastiques, mais il serait dommage de remplacer ces conduites entartrées plutôt que de procéder à leur nettoyage et, si possible, à leur protection par un revêtement intérieur. Après études préliminaires, c’est cette solution qui a été adoptée.
ÉTUDES PRÉLIMINAIRES
Devant la complexité des phénomènes de corrosion, il est difficile de définir parmi les nombreux procédés existants la meilleure méthode de protection, la plus efficace étant incontestablement celle qui consiste à isoler le métal constitutif des tuyaux du milieu extérieur, c’est-à-dire de l'eau du réseau, au moyen de peintures, vernis, résines, enduits de ciment comprimé, ciment centrifugé ou autres. Cette opération est d’autant plus compliquée qu'elle nécessite une intervention préalable sérieuse de préparation des surfaces dont dépendra l'adhérence du revêtement sur la surface, facteur essentiel de bonne protection.
Il est bien évident qu’en raison de l'état des canalisations, le seul procédé de nettoyage pouvant être envisagé était le moyen mécanique, mais comme il s’agit de tuyaux installés sur des dizaines de kilomètres, cette opération ne pouvait s’envisager qu’en procédant à un certain nombre de coupures afin d’opérer par tronçons successifs. La longueur de ces tronçons ne pouvant guère dépasser deux cents à trois cents mètres, les travaux annexes s’avéraient importants ; l'opération devait être à la fois longue, coûteuse et fort gênante pour les abonnés se trouvant privés d'eau pendant un certain temps, dans le cas où il ne serait pas envisageable — ou trop coûteux — de by-passer le tronçon de canalisation sur lequel ils sont raccordés.
Compte tenu du coût d’une telle intervention, en regard du prix d’un réseau neuf similaire, le Syndicat a finalement renoncé à la réalisation de cette opération ; il a décidé qu’en raison de l'amélioration du traitement de l’eau par la mise en service des nouvelles installations de reminéralisation appelées à corriger son
agressivité, l'intervention pouvait se limiter à l’arrachage des pustules encombrant l’intérieur de la conduite, sans appliquer de revêtement protecteur, celui-ci devant se constituer seul avec l’eau légèrement entartrante distribuée actuellement. Certes, après une telle opération, le risque de corrosion de la canalisation demeure, si l’efficacité de la reminéralisation et le contrôle sérieux de la qualité de l’eau distribuée font défaut, mais le Syndicat en a accepté le risque, compte tenu de la différence de coût entre ce procédé et les autres solutions de renouvellement des tuyaux, ou de revêtement interne. En tout état de cause, il a été décidé que des examens périodiques de témoins placés sur les conduites permettraient de suivre leur comportement dans le temps et, si besoin était, d’envisager dans une seconde étape, la mise en place d’un enduit intérieur.
C’est ainsi que fut décidée la consultation d’entreprises spécialisées dans ce genre de travaux.
CRITÈRES DE CHOIX
Les canalisations restant en place ne devant pas être revêtues, il convenait de rechercher un procédé qui soit à la fois capable d’éliminer toutes les incrustations et dépôts sans mettre « à vif » le métal pour éviter le risque d’une nouvelle incrustation plus rapide. En raison de la longueur de conduite à traiter et du nombre important d’abonnés (notamment dans le secteur du bourg de Miniac-Morvan où il était envisagé d’opérer), il était indispensable que l’intervention soit de courte durée. Bien entendu, il convenait de prendre en considération l’importance des travaux annexes incombant à l’exploitant ou revenant au Syndicat (coupures et remises en eau, travaux de fouilles, etc.).
C’est l’Entreprise Reinhart qui a présenté sur ces bases la proposition la plus intéressante.
MODE DE CURAGE PROPOSÉ
Le procédé utilisé, d’origine suisse, consiste en la mise en œuvre d’un appareil de ramonage mû par l’eau du réseau refoulée à fort débit, cette eau assurant à la fois la progression de l’appareil, le décollement des dépôts et l’évacuation des produits détachés.
L’appareil est constitué de plusieurs éléments dont chacun a une fonction bien définie, l’ensemble articulé, d’une longueur de 2 m, pouvant franchir sans difficultés coudes normalisés et vannes.
Il comprend notamment :
a) Le propulseur : cet organe constitue l’essentiel du système : c’est lui qui permet la progression de l’appareil dans la conduite et provoque le décollement des produits de la paroi et leur maintien en suspension, au moyen de l’eau qu’il projette vers l’avant. Il comprend un axe sur lequel sont fixées deux flasques métalliques servant de butée aux éléments mobiles.
La projection de l’eau vers l’avant est effectuée au moyen de deux disques de cuir découpés en secteurs, d’un diamètre légèrement supérieur à celui de la canalisation. Sur chacun de ces secteurs sont fixées des masses de fonte d’un poids approximatif de 1,2 kg.
La vibration des secteurs de cuir venant alternativement buter sur leur flasque provoque un passage de l’eau vers l’avant, le long des contours externes de ces secteurs, dans les conditions suivantes :
- – vitesse de progression de l’appareil dans la conduite : 1 m/s,
- – vitesse de projection de l’eau : de l’ordre de 22 m/s.
Il est essentiel de noter que la force axiale engendrée instantanément par le propulseur n’a aucune commune mesure avec celle qui résulte de la pression d’eau ; en réalité, le propulseur développe, pendant des temps très courts, une énergie considérable résultant du mouvement alternatif des secteurs de cuir.
b) Les couteaux : ils constituent la tête de l’appareil. Le contact de celle-ci avec la conduite se fait, pour chacun des couteaux, selon une surface en forme de Y. L’ensemble des deux jeux de couteaux est disposé en quinconce et couvre la totalité de la circonférence interne du tube. La pression de contact des couteaux sur la conduite est de l’ordre de 5 kg/cm².
La fonction de ces jeux de couteaux est double :
- – ils procèdent au raclage de la paroi interne, mais du fait de la faible pression d’appui sur le tube, cette fonction est relativement secondaire et la surface interne des tubes est donc préservée du risque de rayures,
- – leur rôle essentiel consiste, en raison de leur forme, à orienter vers la paroi les jets d’eau projetés à l’avant de l’appareil par le propulseur.
c) Le détecteur électronique : il est destiné à permettre de repérer l’appareil en cas de blocage dans la conduite. Il comporte un émetteur tiré par l’appareil de ramonage au moyen d’une articulation et son centrage dans la conduite est réalisé par un jeu de ressorts à lames. Le récepteur est constitué d’une bobine qui, au passage de l’appareil, fait dévier l’aiguille d’un galvanomètre et émet un signal sonore.
L’eau nécessaire à la propulsion de l’engin (70 l/s pour une conduite de 250 mm de diamètre) est four
puis envoyée à la pression voulue pour la propulsion (environ 3 bars). Il faut bien entendu prévoir à chaque coupure la possibilité de faire évacuer les eaux déversées et de recueillir les produits solides résultant du curage.
Avec ce moyen, il a été décidé de procéder, pour une première tranche de 5,2 km en trois tronçons, ce qui conduit à couper la conduite en quatre points afin d'introduire l'appareil et évacuer les incrustations.
La durée prévue pour la réalisation des travaux était de 3 jours — un par tronçon — la coupure d'eau chez les abonnés riverains étant limitée à 5 heures environ sur chacun des tronçons, en raison de la nécessité de fermer les vannes de départ des branchements pour ne pas encombrer ces derniers des résidus solides extraits de la conduite principale.
EXÉCUTION DES TRAVAUX
Le découpage des tronçons, réalisé en fonction des possibilités de rejet et de création des fosses de réception-décantation a conduit finalement à effectuer cinq coupures sur la conduite pour réaliser le curage en quatre tronçons : 1 100, 1 900, 900 et 1 300 m.
Le curage du premier tronçon s'est déroulé comme prévu et sans incident, l'appareil introduit à l’amont s'est déplacé presque à la vitesse d'un homme marchant au pas, l'eau de lavage se déversant d’abord avec quelques matières légères en suspension puis, presque en fin d’opération, avec les éléments lourds détachés se déplaçant comme une « dune » sous l’effet du courant d’eau et précédant l’appareil. Un deuxième passage ne paraissait pas nécessaire, mais il fut malgré tout effectué pour confirmer l’impression que l’on avait de l’efficacité de la première passe. Peu de produits furent récoltés à l'occasion de ce deuxième « ramonage ».
Le curage du 2° tronçon a été perturbé par la présence d'un caillou venu se coincer dans une vanne et qui, interdisant le passage de l’appareil, a nécessité le démontage de cette dernière. À cette occasion, il a
même été récupéré dans la conduite un manche de pioche ! À noter que les vannes à passage intégral qui existent actuellement n’auraient pas présenté ce piège pour le caillou). Cette interruption, qui s'est traduite par un arrêt de la progression de la « dune » et des particules solides en suspension, a provoqué à 200 m plus loin un nouveau blocage de l’appareil, derrière un volume important d’éléments lourds comblant totalement le tuyau. Le dispositif de détection a permis alors de déterminer avec une précision remarquable l’emplacement de l'appareil, de procéder au bon endroit à une coupe de canalisation afin de la débarrasser des produits solides provenant du curage, de sortir puis de réintroduire l'appareil pour la poursuite de l'opération.
Le curage des deux derniers tronçons ne devait poser aucun problème. À noter toutefois que pour permettre l'évacuation progressive des produits du curage, les poteaux d’incendie de 100 mm situés sur ces tronçons furent ouverts et ce fut là un facteur, non indispensable, mais indiscutablement favorable à la bonne évacuation des produits du curage.
Il est impressionnant de voir que l’appareil n’est relié par aucun câble de traction ou fil de commande quelconque, mais qu’il se propulse sous le seul effet de la pression de l’eau sur le propulseur fonctionnant suivant le principe du « coup de bélier » à une cadence bien rythmée qui fait avancer l’appareil à une vitesse voisine du mètre par seconde.
Ainsi donc, à raison d’un jour par tronçon, le nettoyage de la conduite était-il réalisé à la plus grande surprise de tous les visiteurs qui posaient immanquablement moult questions sur le mode de propulsion de cet étrange appareil de curage, très bien suivi à l’écoute (au besoin à l'aide d'une canne stéthoscope en bois).
RÉSULTATS OBTENUS
Il s’avère qu’en fin d’opération la conduite est parfaitement nettoyée sans que sa paroi intérieure ait été griffée.
Les essais effectués démontrent que le rendement de la conduite après nettoyage est identique à celui d'une conduite à l’état neuf répondant à la norme Pont-à-Mousson K = 0,1.
Pendant quelques jours les analyses effectuées sur l’eau distribuée ont décelé une augmentation de sa teneur en fer, teneur ramenée rapidement à un taux normal par un traitement approprié conduisant, tout en respectant les normes sanitaires, à distribuer une eau légèrement entartrante.
Ainsi donc, pour une dépense évaluée au tiers environ du coût de remplacement de cette canalisation le même résultat a été obtenu et tous les espoirs semblent permis quant à sa durabilité.