EAUX PARASITES ET REJETS INDUSTRIELS
L’introduction d’eaux parasites dans les réseaux d’assainissement se traduit, dans la majorité des cas, par des désordres de fonctionnement du réseau proprement dit, de ses équipements et des ouvrages de traitement situés à l’aval :
- — insuffisance de capacité de certains tronçons de collecteur,
- — surcharge temporaire ou continue de stations de relèvement,
- — fonctionnement perturbé de la station d’épuration,
- — pollution des milieux récepteurs.
Le terme « eaux parasites » est pris ici dans son sens large et s’applique à des eaux véhiculées par un réseau d’assainissement qui n’avait pas été conçu pour les recevoir et reçues par une station d’épuration non prévue pour les traiter.
Il s’agit par exemple :
- — des eaux d’infiltration (apports de la nappe baignant le collecteur) dans les réseaux séparatifs « eaux usées » et parfois dans les réseaux unitaires,
- — des eaux pluviales (ruissellement sur la voirie, sur les toitures, etc.) dans les réseaux séparatifs « eaux usées »,
- — des introductions d’eaux liées à des captages de sources, de ruisseaux, de surverses d’étangs... ou à des refoulements à partir de l’exutoire du réseau dus aux marées ou à des crues de rivières,
- — des eaux usées (erreurs de branchement) dans les réseaux séparatifs « eaux pluviales »,
- — des eaux industrielles propres (eaux de réfrigération),
- — des eaux industrielles à pollution spécifique (métaux lourds, hydrocarbures, matières organiques, acides ou bases, etc.).
Une enquête récente réalisée auprès des organismes d’assistance technique aux stations d’épuration estime ainsi les causes de dysfonctionnement des stations d’épuration :
Arrivée d’eaux propres parasites ............ 30,5 % |
Manque de raccordements .................... 17,5 % |
Surcharge organique .......................... 15,5 % |
Effluents industriels .......................... 10,6 % |
Effluents agricoles ............................. 4,6 % |
Effluents septiques ............................ 2,5 % |
Au total ............ 81,2 % des stations souffrant de maux divers.
L’impact sur un ensemble (réseau plus station d’épuration) des pollutions industrielles ou des eaux propres rejetées par des usines est évidemment très dépendant de la qualité et de la densité du tissu industriel de l’agglomération concernée. C’est ainsi que dans certaines grandes agglomérations industrielles, la pollution industrielle peut représenter jusqu’à 50 % de la pollution domestique et, dans d’autres plus petites, elle peut même être prépondérante.
En raison des caractéristiques particulières des rejets industriels en réseau d’assainissement, tels que :
- — localisation (connue a priori),
- — nature de la pollution (différente des pollutions domestiques),
- — risque à l’égard des ouvrages d’assainissement ou d’épuration,
- — rythme de production,
ces « eaux parasites », au sens large retenu précédemment, nécessitent une approche particulière que nous allons développer ci-après.
Nous examinerons le cas le plus fréquent d’une agglomération d’une certaine importance où la charge de pollution domestique reste prépondérante, en laissant de côté le cas inverse où il ne s’agit plus de maîtriser une pollution industrielle afin d’améliorer ou de préserver le fonctionnement d’un système d’assainissement (réseau plus station d’épuration) mais de réaliser une épuration conjointe ou même, si nécessaire, séparée, d’effluents domestiques et d’un ou plusieurs rejets industriels de charges polluantes équivalentes.
LES REJETS INDUSTRIELS ET LE SYSTÈME D’ÉPURATION
Concevant le système d’épuration comme l’ensemble d’un réseau de collecte et d’une station de traitement, le rejet d’effluents industriels dans cet ensemble pose, dès lors qu’on en accepte le principe ou qu’on en étudie la possibilité, des problèmes à différents niveaux.
En effet, il faut que les effluents industriels acceptés dans le réseau :
- — n’entravent pas le fonctionnement de la station de traitement,
- — ne présentent pas de danger pour l’exploitation (sécurité des personnes),
- — ne détériorent pas les installations de collecte et de traitement.
— ne surchargent pas excessivement les installations de collecte et de traitement (débit, matières en suspension ou charge organique).
Or, dans l'ensemble des établissements industriels concernés, on relève la plupart des polluants habituels :
— matières organiques plus ou moins biodégradables (produits chimiques, eaux vannes, matières alimentaires, etc.), — détergents (en provenance de lavages, d’activités de raffinage ou de pétrochimie, de blanchisseries industrielles), — hydrocarbures (entraînés par des eaux de lavage ou en provenance d’activités de raffinage, de mécanique, etc.), — matières en suspension d’origines diverses (présence permanente ou accidentelle), — pollutions alcalines ou acides en provenance d’installations de traitement d’eaux brutes, de déminéralisation, d’eaux de procédés, — toxiques et métaux lourds en provenance des traitements de surface, par exemple, — pollution saline en provenance d’eau mère de réaction, de purges de chaudières, etc.
Deux approches se dégagent alors : l’une va consister à se limiter à la fixation aux industriels raccordés, ou raccordables, de conditions de rejets uniformes dans le réseau (et à vérifier l’application de ces dispositions) portant uniquement sur les concentrations des rejets tels que définies dans des prescriptions techniques reprises dans le tableau ci-après ; l’autre comportera un examen cas par cas des établissements industriels et visera, d’une part, à situer chaque établissement dans l'ensemble des industriels concernés, tant par l’importance de sa contribution en charge polluante, en nature de polluant ou en débit et, d’autre part, à tenir compte de son implantation géographique dans le réseau à l’égard de son fonctionnement (débit de l’égout, pente, etc.).
Rejet dans un réseau muni d'une station d'épuration |
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Charge de pollution industrielle du réseau d'assainissement |
Faible – Importante mais non prépondérante – Prépondérante |
Dilution (rapport entre le débit du réseau d'assainissement 24 h et le débit de l'effluent) suivant la durée du déversement |
• déversement en 24 h : a > 25 – 4 ≤ a < 25 – a < 4 |
• déversement en 10 h : a > 60 – 6 ≤ a < 60 – a < 6 |
pH (cas général) : 3,5 < pH < 6,5 – 5,5 < pH < 8,5 – 5,5 < pH < 8,5 |
pH (si neutralisation à la chaux) : 5,5 < pH < 9,5 – 5,5 < pH < 8,5 – 5,5 < pH < 9,5 |
Température maximale : 30 °C – 30 °C – 30 °C |
Composés cycliques hydroxylés et leurs dérivés halogènes : interdits – interdits – interdits |
Substances susceptibles de provoquer odeurs, saveurs ou colorations anormales dans les eaux destinées à l’alimentation humaine : interdites – interdites – interdites |
Produits susceptibles de dégager en égout, directement ou indirectement après mélange avec d'autres effluents, des gaz ou vapeurs toxiques ou inflammables : interdits – interdits – interdits |
Matières flottantes et tous produits susceptibles de nuire à la conservation des ouvrages : interdits – interdits – interdits |
Matières en suspension totales maximales : 1 500 mg/l |
DBO5 : 500 mg/l – 500 mg/l |
Azote total (méthode de Kjeldahl) : 150 mg/l en N – 150 mg/l en N |
200 mg/l en NH4 – 200 mg/l en NH4 |
Cette approche, à la fois plus globale mais aussi plus relativiste et technique, prend en considération l'interaction entre les rejets industriels et le système d'épuration, de manière à optimiser l’ensemble. Prise dans cette optique, l'analyse de la pollution industrielle met l’accent sur les conséquences des rejets concernés vis-à-vis du système de traitement, de l’exploitation du réseau, de la conservation des ouvrages et même de la qualité du milieu récepteur.
Bien entendu, dans tous les cas, les sept premiers impératifs définis dans le tableau précédent devront être respectés car ils concourent à la sécurité des ouvrages et du personnel, mais les trois derniers critères (matières en suspension, DBO5, azote total) pourront donner lieu à modulation ou même à extension à d’autres paramètres. En effet, pris tels quels, ils expriment, en concentration, certains aspects de la pollution mais ne prennent pas en compte, par exemple, le débit des effluents industriels (la dilution ne pouvant, bien entendu, être considérée comme un système d'épuration) ni les conditions d’écoulement dans l’égout (débit minimum, pente, etc.).
MÉTHODOLOGIE D’ÉTUDE
L’approche globale de la réduction de la charge de pollution industrielle lors des études de conception et/ou d'amélioration de fonctionnement d'un système d’épuration va consister :
— dans un premier temps, à réaliser un inventaire des établissements industriels à partir des documents disponibles, à classer les établissements recensés par branches industrielles, à les répartir par bassin de collecte et à quantifier la pollution rejetée (débit, matières oxydables, matières en suspension, etc.), soit à partir de résultats de mesures, si elles existent, soit à partir de coefficients statistiques relatifs au type d’activité. On disposera ainsi d’une vue d’ensemble de la répartition de la pollution industrielle et de son importance vis-à-vis de la pollution domestique.
Nota : dans la plupart des cas on pourra se limiter, pour l’évaluation de la pollution, à l'examen de 20 à
30 % des établissements concernés, car selon une règle statistique générale qui se trouve être vérifiée aussi en matière de pollution, 90 % de la pollution est généralement émise par 20 à 30 % des établissements industriels.
- — dans un deuxième temps à effectuer un classement des établissements industriels généralement en trois groupes :
- 1er groupe : établissements sans conséquences particulières pour le système d’épuration. Ces établissements ne feront pas l’objet d’enquête complémentaire.
- 2e groupe : établissements sur lesquels on peut avoir un doute. Ces établissements doivent faire l’objet d’une enquête simplifiée.
- 3e groupe : établissements ayant un intérêt certain pour le système d’épuration. Ces établissements doivent faire l’objet d’une enquête approfondie afin d’apprécier et de limiter les conséquences des rejets.
- — dans un troisième temps, à classer les établissements du 2e groupe, après enquête simplifiée, soit dans le 1er soit dans le 3e groupe,
- — finalement, à classer les établissements du 3e groupe, après enquête approfondie, en deux sous-groupes :
- 1. Établissements devant effectuer un prétraitement avant raccordement aux réseaux.
- 2. Établissements pouvant se raccorder aux réseaux sans prétraitement et à définir ainsi les actions prioritaires à entreprendre.
Pour atteindre l’objectif initial de classement en trois groupes, on peut retenir quelques critères systématiques qui permettront de mettre en évidence les établissements apportant l’essentiel de la pollution et qui devront donc être l’objet d’une attention particulière. On peut ainsi constituer un premier échantillon d’établissements jugés intéressants pour le système d’épuration en utilisant les critères de sélection suivants :
Est pris en compte tout établissement :
- — tel que l’une des activités qui s’y exerce présente un risque de rejet de matières toxiques,
- — qui rejette plus de 5 % de la pollution en matières oxydables,
- — qui rejette plus de 1 % de la pollution en matières en suspension,
- — dont la consommation d’eau est supérieure à 100 000 m³.
Nota : sur ces bases et dans les quelques cas que nous avons eu à examiner, l’ensemble des établissements sélectionnés représentait de l’ordre de 80 à 90 % de la pollution industrielle, tant en matières oxydables qu’en matières en suspension.
La liste de ces établissements ainsi sélectionnés peut être complétée à partir d’informations obtenues auprès des différents services intéressés avant que les établissements concernés puissent être répartis en deux listes, l’une (2e groupe ci-dessus) concernant les établissements qui donneront d’abord lieu à une enquête simplifiée, afin de mieux connaître et
Situer leurs activités, et l'autre qui comprendra les établissements pour lesquels une enquête approfondie sera nécessaire en raison de l’importance des rejets à l'égard du système d’épuration (3° groupe).
Doivent être par exemple classés immédiatement dans ce dernier groupe, les établissements qui rejettent des matières toxiques ou dont les rejets représentent au moins 10 fois les valeurs de seuil retenues précédemment ou enfin, dont la consommation est, par exemple, à 10 fois le seuil précédemment défini.
Les renseignements à obtenir lors des enquêtes simplifiées comportent au minimum les éléments suivants :
- — définition des activités et procédés de fabrication,
- — effectifs moyens,
- — tonnages (jour, mois, an) de produits fabriqués ou travaillés,
- — tonnages (jour, mois, an) de matières premières utilisées ou ingrédients,
- — consommation d’eau (jour, mois, an) en distinguant les eaux polluées et les eaux propres,
- — évaluation de la pollution.
Leur analyse permettra de décider des établissements qui donneront lieu à un examen approfondi et à la définition d'action de prétraitement. Les principaux critères retenus pour ce choix sont, par exemple :
- — le débit : s'il est important par rapport à celui de l'égout récepteur ou par rapport à celui d’un établissement similaire, il sera nécessaire d’examiner sa réduction,
- — les matières en suspension : une quantité trop importante par rapport à celle présente dans l'égout récepteur peut entraîner des encrassements, si la pente est trop faible, ou surcharger la station,
- — les matières oxydables : une quantité trop importante de matières oxydables peu biodégradables ou au contraire très biodégradables gêne le fonctionnement de la station ou la surcharge,
- — la salinité : une salinité excessive influe sur la tenue des égouts. On évitera, par exemple, en général de dépasser 500 ppm de sulfate dans l’égout récepteur dans les conditions les plus défavorables.
Les enquêtes approfondies visent à obtenir une connaissance suffisante des circuits des eaux industrielles, des installations de traitement existantes en vue de servir de base, si nécessaire, à l’établissement des prétraitements et pouvoir ultérieurement négocier avec les industriels concernés les mesures les plus propices à satisfaire leurs impératifs techniques et ceux de la collectivité, en fonction des objectifs retenus.
On établira ainsi les caractéristiques principales de l’établissement et des circuits d'eau :
- 1. nature et intensité des activités, produits fabriqués transformés ou travaillés, matières premières utilisées, tonnages annuels, mensuels, journaliers,
- 2. quantités journalières d'eau utilisées, en les séparant par origine d’approvisionnement, rivière, nappe, distribution publique et en précisant ; dans le cas où les eaux subissent un traitement particulier inhérent à la fabrication :
- — les caractéristiques des eaux brutes (analyses qualitatives et quantitatives),
- — la nature des traitements appliqués, selon les fabrications concernées,
- — le coût de ces traitements ;
- 3. inconvénients ou incidents dus à la pollution des rejets (plainte des riverains, expériences des égoutiers, etc.),
- 4. lorsque l'établissement possède déjà une station de traitement ou de prétraitement, on relève les bases de calcul, les caractéristiques de dimensionnement et de fonctionnement, le mode de traitement, le degré de sécurité et de contrôle.
Les projets d’extension de l’établissement à plus ou moins longue échéance, et leurs répercussions sur l’évolution de la pollution doivent être aussi examinés. Il n’appartient pas bien sûr au gestionnaire d'un réseau d’assainissement de se substituer à la responsabilité de l'industriel dans la définition des installations éventuellement nécessaires avant rejet au réseau d’égout, mais il lui est indispensable, toutefois, de disposer des éléments techniques nécessaires à son action.
L’étude des possibilités de prétraitement visera cet objectif et reposera sur les possibilités d’aménagement suivantes, établies à partir de la connaissance acquise au cours des enquêtes approfondies :
- — diminution du débit, réduction des consommations d'eau,
- — séparation des effluents non pollués et pollués,
- — diminution de la pollution par la retenue des polluants à la source ou la modification des fabrications ou encore par le traitement de la pollution.
Les polluants toxiques doivent en particulier faire l'objet d'une retenue à la source et (ou) d’un éventuel traitement.
REJETS INDUSTRIELSET CHARGESD’ASSAINISSEMENT
La participation financière aux charges d’assainissement des établissements raccordés doit traduire aussi fidèlement que possible l’influence des rejets industriels sur
exploitation du réseau et être simple à établir.
Or, l'évacuation des effluents des établissements industriels et assimilés présente deux aspects, l'un quantitatif (volume des eaux rejetées), l'autre qualitatif (degré de pollution de ces eaux) entre lesquels il n’existe pas de corrélation, même à l'intérieur d'une branche industrielle. Ils sont tous les deux sous la dépendance de facteurs technologiques (variété de procédés de fabrication), techniques (nature des usages de l'eau, importance du taux de recyclage) et économiques (montant des investissements consentis par l’industriel pour l’aménagement des circuits d'eau intérieurs à l’établissement et épuration plus ou moins poussée de ses effluents avant rejet à l'égout).
Dans ces conditions, la redevance d’assainissement en tête est déterminée sur la base du volume d'eau total prélevé par l'établissement sur le réseau public ou sur toute autre source, corrigée par trois coefficients :
1. coefficient de rejet.
Pour tenir compte des conditions spécifiques de rejet de certaines entreprises industrielles, commerciales ou artisanales, une entreprise peut bénéficier d'un abattement si elle fournit la preuve qu'une partie importante du volume d'eau qu'elle prélève sur un réseau public de distribution ou sur toute autre source ne peut être rejetée dans le réseau d’assainissement.
2. coefficient de dégressivité.
Les charges occasionnées par la collecte des effluents industriels rapportées au mètre cube, sont d'autant plus faibles que les volumes collectés sont plus importants.
Pour tenir compte de ce fait, on corrige le volume d'eau prélevé déjà affecté, le cas échéant, du coefficient de rejet par application du barème suivant.
Tranches en mètres cubes par an :
jusqu’à 6 000 m³ | 1 |
de 6 001 à 12 000 m³ | 0,8 |
de 12 001 à 24 000 m³ | 0,6 |
de 24 001 à 50 000 m³ | 0,5 |
Au-delà, le barème à appliquer dépend de plusieurs facteurs qui ne peuvent être appréciés que sur le plan local.
3. coefficient de pollution.
Enfin, le volume d’eau corrigé, tel qu’il résulte de l’application des dispositions précédentes, est affecté d’un coefficient de majoration ou de minoration suivant le cas, lorsque les effluents rejetés par l’établissement considéré présentent une pollution significativement différente de celle qui provient des usages domestiques.
Ce coefficient permettra de tenir compte équitablement, pour chaque établissement, des dépenses que les pollutions qu’il déverse entraînent effectivement pour le système d’assainissement et des efforts internes de réduction de pollution.