Depuis une dizaine d’années, le besoin d’une gestion moderne et peut-être automatisée des réseaux d’assainissement s'est fait sentir en France ; quelques tentatives ont vu le jour mais, pour diverses raisons, aucune n’est à ce jour parvenue à son terme, l'une de ces raisons étant sans aucun doute d'importantes difficultés dans la collecte des informations sur le terrain même.
En ce qui concerne les informations provenant des réseaux, on s'est longtemps contenté de la mesure de la hauteur, plus facile à obtenir qu'une véritable mesure de débit ; cependant, cette donnée apparaît insuffisante pour évaluer de façon correcte les débits transitant dans les collecteurs. Or, une véritable gestion est conditionnée par la connaissance permanente des débits.
C’est pourquoi le CERGRENE, Centre d’Enseignement et de Recherche pour la Gestion des Ressources Naturelles et de l’Environnement, attaché à l’École Nationale des Ponts et Chaussées, s’est soucié de mettre au point un outil de mesure permanente par ultra-sons des débits des collecteurs d’assainissement. Il est représenté schématiquement sur la figure 1.
AVANTAGE DE L’UTILISATION DES ULTRASONS
L’utilisation des ultra-sons semble ouvrir de nouvelles perspectives pour cette mesure. Ils permettent en effet la mesure de la vitesse de l'eau dans le collecteur (d’où un accès direct au débit), en éliminant tout passage par une relation intermédiaire (hauteur–débit ou pression–débit). En outre, les ultra-sons conviennent particulièrement aux eaux usées pour les raisons suivantes :
- ils se propagent très bien dans l'eau et sont assez peu perturbés par les éléments chimiques présents dans les eaux usées ainsi que par les différents corps flottants ;
- la mesure de la vitesse ne nécessite que la présence de deux sondes situées en paroi du collecteur, ce qui élimine toute pièce mobile pour la mesure (avantage sur les moulinets) ; la maintenance est donc très faible ;
- ce principe de mesure peut s’appliquer, à quelques exceptions près, à n’importe quel point du réseau sans créer de perte de charge particulière.
PRINCIPE DE LA STATION DE MESURE-TYPE
Plutôt que de nous attacher à démontrer la faisabilité d'une mesure de vitesse seule qui a déjà été tentée avec plus ou moins de succès, il nous a paru plus probant d’essayer de construire un ensemble cohérent et autonome pouvant être par la suite directement intégré dans une structure plus vaste destinée à la gestion d’un réseau. Il est en effet utile de bien insister sur la nécessité de ne négliger aucun aspect du problème — de la mesure pure à la construction même de la station et à l’exploitation des données — pour parvenir à un résultat susceptible d’intéresser les exploitants de réseaux.
A) Principe de la mesure du débit
— mesure de hauteur ; toujours pour des raisons de cohérence, la me-
- mesure de hauteur : elle utilise les ultrasons. Contrairement à ce qui s'est déjà fait, la sonde est placée verticalement dans l'eau au fond du collecteur, ce qui permet notamment de ne pas craindre les effets de paroi (lobe d’émission plus « étroit ») et de réduire la « zone morte » de la sonde (distance minimale en dessous de laquelle la sonde ne peut mesurer). Le principe est un peu celui du sonar : on mesure la durée entre l'émission du signal par la sonde et le retour de l’écho produit par la surface de l'eau ; la connaissance de la vitesse du son dans l’eau fournit la distance sonde-surface et donc, bien entendu, le niveau de l'eau dans le collecteur.
- mesure de la vitesse : elle nécessite deux sondes émettrices-réceptrices placées en vis-à-vis. L'axe des sondes est horizontal et fait un angle de 45° avec la direction de l'écoulement. Le principe consiste à mesurer le temps de parcours du signal de la sonde n° 1 à la sonde n° 2 et vice-versa. Par simple composition des vitesses, la vitesse de l'eau s’additionne à la vitesse du son dans un cas et se retranche dans l'autre. On obtient alors par différence la vitesse de l'eau recherchée (voir formules en annexe). Le processus réel est légèrement plus complexe pour obtenir des différences de temps mesurables par les électroniques actuelles.
- calcul du débit : lorsque l'on possède les données précédentes, c'est-à-dire la hauteur d’eau et une ou plusieurs mesures de vitesse (à différents niveaux), il est très simple alors de calculer le débit. Il suffit de posséder une table des surfaces mouillées en fonction de la hauteur et de faire le calcul : Q = Σ Vᵢ Sᵢ, où Sᵢ est la surface affectée à la vitesse Vᵢ.
Sᵢ est variable en fonction de la hauteur si la iᵉ paire de sondes est immergée mais non la i + unième.
Sᵢ est fixe si la i + unième paire de sondes est immergée.
Sᵢ = 0 si la iᵉ paire de sondes est hors d'eau.
B) La station de mesure
La station de mesure est composée de deux parties : la chambre de mesure proprement dite et l’abri renfermant l’alimentation électrique et le matériel électronique.
- la chambre de mesure (figure 2) : afin de ne détourner à aucun moment l’écoulement, elle est construite autour du collecteur sans toucher à celui-ci. Ce n’est qu’au dernier moment que le collecteur est décalotté. On vient ensuite poser sur des glissières, à la manière d'une vanne guillotine, un feuillard en inox roulé d'un diamètre légèrement inférieur à celui du collecteur ; ce dispositif est appelé gabarit porte-sondes (voir photos).
Les sondes sont ensuite scellées par boulonnage et collage à l'intérieur du gabarit.
comme nous l’avons vu plus haut, les mesures n’ont absolument rien d’analogique ; elles sont en effet à base de chronométrage. Les valeurs de temps obtenues sont ensuite converties en mesure de vitesse et de hauteur grâce à des calculs adéquats, toutes ces opérations se faisant au moyen d’un microprocesseur. Pour des raisons de sécurité, ce petit « ordinateur » local a donc été déporté dans un abri spécialisé. C’est grâce à ce calculateur et à un deuxième microprocesseur que l’on effectue le calcul du débit. C’est à cette partie du calculateur que l’on a confié la sauvegarde des données et la gestion des télétransmissions. En effet, il convient de signaler ici que si la station fonctionne de façon autonome, elle peut être appelée en permanence par un poste de surveillance par l’intermédiaire du réseau commuté P.T.T. Pour le moment, la station délivre les 84 dernières heures depuis l’appel. L’enregistrement se fait en effet à raison d’un couple hauteur-débit toutes les 10 mn et la RAM sauvegardée permet de stocker 1 024 valeurs.
— L’abri :
L’abri renferme en outre le modem (à réponse automatique) qui permet l’accès au réseau commuté et l’alimentation électrique confiée à un onduleur fournissant une tension de 24 V et lui-même relié au réseau E.D.F. L’onduleur possède en outre deux batteries dans l’éventualité d’une coupure sur le secteur.
C) Le poste de surveillance
À l’heure actuelle, un ensemble de logiciels a été développé sur un petit ordinateur de bureau. Ces logiciels permettent le rapatriement des données, l’édition de divers graphiques, la totalisation des débits sur une période choisie ainsi que l’archivage des données sur cassettes.
RÉSULTATS OBTENUS À VILLEMOISSON-SUR-ORGE
Une station expérimentale de ce type a été réalisée par le CERGRENE à Villemoisson-sur-Orge (Essonne) sur un collecteur circulaire de Ø 1 200 pour le compte du Syndicat d’Assainissement de la Vallée de l’Orge. L’opération a été subventionnée par l’Agence Financière de Bassin Seine-Normandie et suivie par la D.D.E. de l’Essonne.
La station est en service depuis octobre 1982, hormis quelques
brèves interruptions pour diverses mises au point. Pour le moment, les données sont simplement dépouillées puis archivées ; cependant, une série de constatations ont déjà pu être faites :
Valeurs obtenues :
bien que le réseau soit un réseau séparatif, on enregistre bien entendu de grandes différences entre période pluvieuse et période sèche. Les débits en période sèche sont en moyenne de 350 à 450 l/s (non compris l’été, saison pour laquelle nous n’avons
pas encore de mesures), et peuvent monter jusqu'à 800 à 900 l/s en période humide. Le réseau peut alors se mettre en charge. Les vitesses mesurées varient de 70 à 100 cm/s. Toutes ces données paraissent cohérentes avec les estimations et observations faites par ailleurs sur le réseau.
Les données montrent en général (sauf périodes très humides) des cycles journaliers réguliers (figure 3).
Précision :
la précision de la mesure de vitesse est en temps normal légèrement supérieure à ± 1 cm/s. Compte tenu des erreurs de méthode faites sur l'intégration des vitesses ainsi que sur la table hauteur-surface mouillée, les premiers calculs d'erreur montrent que celle-ci doit être comprise entre 5 et 10 %. Ce résultat peut paraître modeste, mais il nous paraît suffisant pour suivre correctement le comportement du réseau, d'autant qu'un surcroît de précision conduirait sûrement à un coût prohibitif.
Cohérence :
il apparaît difficile de faire un étalonnage de la station expérimentale de Villemoisson. Les diverses méthodes proposées paraissent soit coûteuses, soit difficiles à mettre en œuvre ou encore trop peu précises elles-mêmes. Cependant, plusieurs tests de cohérence se sont révélés positifs :
- a) on remarque d'abord que cet appareil continue à donner un débit même lorsque le collecteur est en charge (figure 4). Or, on note que le débit et la vitesse maximum sont obtenus lorsque le collecteur n'est plus en charge mais plein aux 9/10 environ (figure 5), ce qui confirme la théorie.
- b) on dispose à Villemoisson de deux paires de sondes. Conformément au profil de vitesse théorique, la paire de sondes la plus haute donne toujours une vitesse légèrement supérieure à la paire de sondes basse (différence de l'ordre de 5 à 10 %).
- c) en janvier 83, nous avons pu obtenir sur une période sèche de longue durée, des valeurs de débits journaliers identiques à 1 % près.
- d) on peut enfin ajouter un test de cohérence de l'électronique effectué avant la pose du gabarit. Un dispositif de laboratoire comportant deux sondes distantes de 1 m a pu fournir une vitesse sensiblement constante (à 2 cm/s près et, bien entendu, après correction due à l'angle), en faisant varier l'angle de l'appareil par rapport à l'axe de l'écoulement (de 30 à 60°).
EXPLOITATION DES RÉSULTATS
Nous disposons pour le moment de la seule station de Villemoisson sur le collecteur de l'Orge, ce qui rend les résultats difficilement interprétables. Cependant, nous tentons d'utiliser ces données pour obtenir une mesure approximative des eaux parasites. Cela nécessite un certain nombre de traitements mathématiques, mais l'on peut dire que le but recherché serait une fonction débit linéique qui puisse s'appliquer par tranches le long du réseau (moyennant un éventuel rapport d'homothétie). Le minimum durant la nuit de cette fonction donnerait ainsi une mesure approximative des eaux parasites, la condition étant bien sûr que la convolution des débits ainsi obtenue conduise bien au débit mesuré à Villemoisson.
Mais l'exploitation la plus utile et la plus efficace sera rendue possible lorsque de nouvelles stations seront installées en d'autres points du réseau. Trois autres stations nous ont en effet été demandées par le Syndicat d'assainissement de la vallée de l'Orge. Ainsi, la fonction de comptage deviendra prépondérante. L'origine exacte des effluents pourra être déterminée avec toutes les conséquences que cela peut laisser supposer. À l'avenir, il sera peut-être envisagé de créer un poste de contrôle centralisé. La future station d'épuration de Valenton, où le collecteur aboutira bientôt, pourrait exploiter alors avec profit les données en provenance de l'Orge. Tout le secteur « contrôle du réseau » d'une gestion automatisée serait alors en place.
ANNEXE
Sonde n° 1
Sonde n° 2
Si on appelle c la célérité du son dans l'eau et V la vitesse de l'écoulement recherchée on obtient :
t₁ = l ———————— c + V cos² θ
temps de propagation du signal de la sonde n° 1 à la sonde n° 2
t₂ = l ———————— c - V cos² θ
temps de propagation du signal de la sonde n° 2 à la sonde n° 1,
d'où V = — l (t₂ - t₁) ———————————— 2 cos² θ t₁ t₂
l et θ étant fixes et connus, la mesure de t₁ et de t₂ donne V. On remarque que c a été éliminé par le calcul : il n'est donc pas nécessaire de connaître c pour connaître V, ce qui permet de s'affranchir de mesures de qualité et de température.