En matière d’agriculture, les besoins de chauffage existent principalement pour les serres, la pisciculture et le séchage des produits.
Les deux premières activités demandent des températures inférieures à 30 °C et sont donc bien adaptées à des sources tièdes de 25 à 40 °C ; la troisième nécessite généralement des températures élevées, souvent supérieures à 100 °C. C’est pourquoi, en France, les deux premières seules ont été envisagées ; par contre, en Hongrie par exemple, le séchage des produits agricoles par la géothermie a été réalisé en de nombreux endroits.
Le chauffage de serres a déjà été utilisé en France dans plusieurs régions ; on trouvera ci-dessous un tableau résumant les caractéristiques des différentes installations :
SITE | Réservoir | Profondeur (m) | T°C | Salinité (g/l) | Débit (m³/h) | Surface prévue (ha) | Surface équipée (ha) |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Melleray (Loiret) | Grès trias – doublet (écartement 1 000 m) | 1 618 | 68°–70° | 38 | 160 à 170 | 15,7 | 15,7 |
Lamazère (Gers) | Sables inframolassiques (1 620 à 1 700 m) | 1 750 | 57,8° | 0,31 | 160 | Projet initial 12 à 20 ramené à 8 | 4 |
Saint-Cricq (Gers) | Sables inframolassiques (forage unique) | 929 | 42° | douce | 60 | 3 | exploitation abandonnée |
Lodève (Hérault) | Karst de la dolomie du Cambrien et conglomérat autunien | 80–120 | 26°–36° | douce | 27 ; 3 × 40 | 0,3–0,5 ; 1 ha de tunnels | |
Région de Perpignan | Nappe phréatique + PAC | — | 13° | douce | — | environ 1 |
L’exploitation des nappes tièdes paraît tout particulièrement bien adaptée à ce type d’usages, mais également pour réchauffer les eaux de bassins de pisciculture de mer et d’eau douce. Des pré-études ont été faites pour plusieurs sites en France ; les projets les plus avancés sont ceux de Mèze et de Saint-Genis-sur-Menthon. C’est ce dernier qui fait l’objet du présent article ; il prévoit la réalisation d’une écloserie et de bassins d’alevinage qui seront réchauffés par les eaux géothermales d’un doublet pré-existant formé par deux forages dénommés KB 1 et BR 104-104 bis, récupérés à la suite de reconnaissances menées par le Gaz de France en vue d’un stockage souterrain, opération qui a été abandonnée.
L’eau géothermale à 34 °C et 3 g/l de sel sera produite par le forage KB 1 et réinjectée dans BR 104. Les bassins seront maintenus à 20-22 °C par un réseau d’échanges thermiques. L’eau géothermale, refroidie à 23 °C, passera ensuite dans un échangeur pour réchauffer de 12 °C à 20-22 °C l’eau d’appoint et l’alimentation d’une écloserie. Elle sera réinjectée à une température voisine de 16 °C. Les bassins seront protégés des déperditions calorifiques par divers procédés expérimentaux.
[Figure : Plan d’ensemble de l’installation.]La production énergétique sera voisine de 600 TEP par an.
LE PROJET KARST DE BRESSE DE SAINT-GENIS-SUR-MENTHON
Historique et présentation
Le quart sud-est du département de l'Ain est occupé par la région des Dombes, plateau argileux d'origine glaciaire, couvert d’étangs consacrés à la pisciculture dont la superficie totale est voisine de 12 000 ha, et produisant annuellement environ 2 000 tonnes de poissons : 60 % de carpes, 25 % de gardons, 15 % de brochets, tanches, etc.
Un quart de la superficie en eau est utilisé à la reproduction, et au grossissement des alevins, de manière extensive et soumise aux aléas climatiques. C’est ce que l'on appelle « les étangs d’empoissonnement ». La reproduction des brochets a lieu à la fin de l'hiver dans des eaux encore froides et est particulièrement aléatoire ; celle des carpes a lieu lorsque les eaux atteignent une température supérieure à 20 °C pendant cinq semaines, soit vers la fin du printemps, voire en mauvaise année au début de l’été. Le potentiel nutritif de ces étangs est donc très mal utilisé pendant tout le printemps et le début de l'été. Il en résulte que la production est en moyenne la moitié de celle des étangs d’élevage.
Pour améliorer la production et pallier ces inconvénients, 150 exploitants représentant environ 5 000 ha ont créé l'AREP (Association de recherches et d'études piscicoles). Celle-ci a créé une écloserie expérimentale avec les eaux réchauffées de la laiterie de Servas (près de Bourg-en-Bresse), le but étant de réaliser la reproduction dans des eaux réchauffées pendant la fin de l’hiver et le printemps, dans des bassins où les alevins sont élevés jusqu’à 0,2 – 0,3 g. Ils sont ensuite reversés dans de petits étangs d’empoissonnement préparés spécialement. Une grande partie des étangs d’empoissonnement peut ainsi être libérée pour l'élevage.
Cependant la création d'une écloserie et d'une station de prégrossissement à l'échelle de la région nécessite une quantité d’énergie pour le réchauffement des bassins absolument prohibitive par rapport aux sources classiques. L’AREP s’est donc orientée vers la recherche d'une source d’énergie bon marché, et un premier projet basé sur l'utilisation des eaux de refroidissement de la centrale atomique de Bugey a échoué en raison du coût inacceptable des aménagements nécessaires. Les ressources géothermiques ont alors été prospectées par l'AREP.
Une opportunité s’est présentée avec le prochain abandon par le Gaz de France de deux forages situés à la périphérie nord des Dombes. L'AREP a donc chargé la société SPEG (Société de prospection et d'études géothermiques) des études et de la mise en valeur de la ressource géothermique, laquelle s'est assuré tout d'abord le contrôle des forages en passant une convention avec le Gaz de France pour l’acquisition des puits et des plateformes, et une demande de permis d’exploitation géothermique a été déposée par SPEG auprès du commissaire de la République de l’Ain.
Le programme de réalisation de cette opération a été établi en cinq phases suivant le processus suivant :
- — phase 1 (essais) :
- forage d’un puits d'eau froide à la nappe phréatique ;
- construction des bassins et du système de refroidissement ;
- essai de boucle de longue durée.
- — phase 2 :
- construction des bassins d’alevinage et du réseau géothermal.
- — phase 3 :
- expérimentations de protections thermiques.
- — phase 4 :
- expérimentations et mise au point de la production d’alevins en eaux réchauffées.
- — phase 5 :
- extension éventuelle.
L’aquifère jurassique
L’étude hydrogéologique des formations karstiques de Bresse dans la commune de Saint-Genis-sur-Menthon (Ain) a permis à GDF de mettre en évidence à 460 m de profondeur un aquifère au droit des formations du jurassique supérieur.
Cet aquifère a été étudié à partir du comportement des puits artésiens BR 104-104 bis et KB 1.
Les résultats de cette étude ont permis de définir les caractéristiques du réservoir jurassique à savoir :
- - profondeur du toit du réservoir : 420 m à KB 1 – 460 m à BK 104 ;
- - épaisseur de la zone karstique : 60 m ;
- - volume estimé des vides : 28 à 40 × 10⁶ m³ ;
- - porosité de la matrice : 3 % ;
- - perméabilité de la matrice : 0,1 à 0,5 m Darcy ;
- - perméabilité du karst très élevée (calcul sans signification) ;
- - salinité totale : 3 à 4 g/l ;
- - débit artésien initial voisin de 50 m³/h.
Principe et description de l'installation
À partir de la plateforme de forage de production d’eau géothermale à 34 °C, une canalisation alimentera un distributeur relié au réseau de chauffage installé au fond des bassins. À la sortie de ce réseau, un collecteur ramènera l'eau géothermale refroidie à 23 °C vers un échangeur qui fournira ainsi des calories à l'eau froide de la nappe phréatique, avant d’être réinjectée dans le second forage à environ 16 °C. L’eau de la nappe phréatique ainsi réchauffée à 20-22 °C, sortant de l'échangeur, sera dirigée d'une part vers l'écloserie et d’autre part vers les bassins.
L'installation (voir schéma) comprendra donc :
- - des bassins ;
- - un circuit géothermique alimentant un réseau de chauffage situé dans les bassins et retournant au puits de réinjection ;
- - un échangeur alimenté par le circuit géothermique sortant du réseau de chauffage des bassins et réchauffant l'eau de la nappe phréatique ;
- - un circuit de l'eau réchauffée alimentant l'écloserie et les bassins ;
- - l'écloserie.
Description du programme
Phase 1 (essais)
L'eau froide sera, en principe, réinjectée dans le puits situé structuralement le plus bas afin de créer une cellule de convection dans le karst : les eaux froides descendant du forage BR 104-104 bis vers les zones les plus basses et les eaux chaudes montant vers la partie haute, pompées au puits KB 1 (voir figure 2). Toutefois, le système karstique nous étant inconnu, il est impossible de prévoir la façon dont va circuler l'eau entre les puits.
Pour produire les eaux géothermales, les refroidir, les réinjecter, il faudra procéder aux opérations suivantes :
- - forer un puits d’eau froide dans les alluvions quaternaires, capable de produire 50 m³/h à 12 °C ;
- - creuser des bassins de stockage et de refroidissement d’environ 5 000 m² ;
- - établir une liaison par conduite de 150 mm entre les deux plateformes ;
- — installer un réseau de refroidissement à partir du puits d’eau froide avec échangeur et rejet à la rivière ;
- — mettre en place une pompe de réinjection ;
- — procéder aux essais.
Sauf imprévu, ceux-ci seront conduits à débit constant de 100 m³/h pendant environ trois mois avec réinjection d’eau refroidie à moins de 20 °C et avec injection d’un traceur radioactif. L’étude des résultats donnera lieu à l’élaboration d’un rapport, qui précisera les conditions d’exploitation.
Phase 2. Construction des bassins et du réseau géothermal
Au cours de cette phase, les bassins de stockage de la phase précédente seront remodelés et équipés pour l’élevage des poissons. Ils sont réalisés en terre et traversés par des canalisations de chauffage, où circulera l’eau géothermale (voir schéma) ; les canalisations formeront des boucles dans les bassins afin que la colonne chaude et la colonne d’eau refroidie se trouvent en parallèle dans la même tranchée. Une antenne de chaque réseau alimentera également l’écloserie. Les deux réseaux pourront être interconnectés pour faire passer dans le circuit géothermal de certains bassins l’eau froide du puits afin de les maintenir à une température basse en vue de la reproduction des brochets ou de conserver des géniteurs et différer leur ponte.
Enfin la vidange des bassins sera assurée par un réseau de collecte de 150 mm avec vannes manuelles, et en cas de crue de la rivière par pompe mobile. Un réseau électrique enterré assurera l’alimentation de celle-ci ainsi que l’éclairage.
Phases 3 et 4 : Expérimentation de protections thermiques — Expérimentation de la production d’alevins
Les bassins, d’une superficie totale de 5 000 m² étant terminés et équipés pour le réchauffement par géothermie, l’expérimentation de couvertures isolantes sera menée de pair avec celle de l’élevage des alevins, de façon à définir les méthodes les plus économiques et les plus favorables à l’élevage. Des essais comparatifs seront menés au cours de deux saisons froides.
La phase 4 d’essais de production d’alevins commencera trois à quatre mois après la phase 3, les premiers mois de l’hiver étant utilisés à mettre au point les systèmes de couverture.
Chacun des bassins sera exploité dans des conditions différentes avec des protections variées :
- — serres plastiques sur arceaux ;
- — films plastiques lisses et à bulles soit noirs (immergés), soit transparents (en surface), etc. ;
- — fabrications nouvelles.
Les critères étudiés seront les suivants :
- — isolation thermique ;
- — teneur en oxygène de l’eau des bassins ;
- — développement du phytoplancton ;
- — grossissement ou carence des alevins.
Phase 5 : Extension éventuelle de l’installation
Une extension éventuelle est prévue au cas où les ressources géothermiques permettraient le chauffage d’une surface plus importante de bassins.
La réalisation de cette station d’alevinage en eau réchauffée par la géothermie sera une première en France. Elle pourrait ouvrir la voie à d’autres installations plus diversifiées, dans les régions où existent des nappes d’eaux tièdes à moins de 500 mètres de profondeur.
Les régions les mieux placées sont la côte du Languedoc, avec le centre de recherche de Mèze, la côte Atlantique au sud de La Rochelle, mais aussi les régions piscicoles de Brenne, Sologne et de l’Est.
À l’étranger, de nombreuses régions pourraient également se prêter à ce type d’exploitation, en particulier dans les pays à climat tempéré froid, comme l’Allemagne et l’Europe centrale.