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Une alternative économique pour l'élimination des nitrates dans l'eau potable

30 mars 1987 Paru dans le N°108 à la page 83 ( mots)
Rédigé par : J.-c. DERNAUCOURT, G.-de LARMINAT et J.-l. RONDEPIERRE

Observée depuis le début des années 60, l’élévation des teneurs en nitrates dans de nombreuses nappes souterraines pose d’importants problèmes aux responsables de la distribution d’eau de la plupart des pays développés. En fait, de récentes enquêtes épidémiologiques ont démontré que le risque de méthémoglobinémie chez le nourrisson absorbant de l’eau chargée en nitrates n’apparaissait qu’en présence de facteurs de prédisposition tels que diarrhée, malnutrition, carence en vitamine C, rares dans nos régions. De même, on a récemment conclu à la très forte probabilité d’une absence de corrélation entre le cancer de l’estomac chez l’adulte et la consommation d’eau chargée en nitrates, risque qui avait été mis en avant depuis plusieurs années.

Il n’en demeure pas moins que la directive communautaire 80/778/CEE fixant les normes européennes impose aux États membres la prise en compte d’une concentration maximale admissible (CMA) de 50 mg/l de nitrates (exprimée en NO₃⁻) et recommande un niveau guide de 25 mg/l. L’OMS a, pour sa part, adopté une valeur limite de 10 mg/l en N de NO₃, soit 44 mg/l en NO₃⁻. Le projet de norme française reprend pour le paramètre nitrate la CMA des normes européennes. Les distributeurs d’eau européens sont donc réglementairement astreints à respecter cette valeur limite. La nécessité d’un traitement spécifique d’élimination des nitrates s’impose alors à eux lorsque les solutions alternatives de dilution ou de mise en service d’une ressource de substitution ne sont pas possibles.

Les solutions techniques à ce problème sont nombreuses. On peut citer :

  • – les procédés utilisant des membranes :
    • — osmose inverse,
    • — électrodialyse ;
  • – les procédés d’échanges d’ions :
    • — déminéralisation partielle,
    • — permutation des ions nitrates par des ions chlorures et/ou bicarbonates ;
  • – les procédés biologiques :
    • — hétérotrophiques avec apport de carbone organique,
    • — autotrophiques avec apport de carbone minéral ou utilisant l’hydrogène comme agent réducteur.

À l’exception du procédé à l’hydrogène qui nous est apparu d’emblée trop coûteux et dangereux au plan de l’exploitation, toutes ces voies ont été explorées par OTV et son centre de recherches. Il est rapidement apparu que la voie biologique hétérotrophe et le procédé par permutation d’ions sur résine étaient, en l’état de la technique, les seules filières présentant une fiabilité et une simplicité de mise en œuvre compatibles avec la faible importance des débits qu’il y a lieu de prendre en compte puisque les installations de dénitratation intéressent souvent de petites communes rurales. Ces études ont abouti à la mise au point en 1978 du procédé biologique hétérotrophe dont la première application industrielle mondiale fut réalisée en 1983 à Éragny-sur-Oise ; la voie biologique reste d’ailleurs la seule qui résolve intégralement le problème en transformant les nitrates en azote élémentaire, restitué à l’atmosphère, et en produisant un rejet totalement biodégradable.

Toutefois, la recherche du coût d’investissement le plus bas pour ce type d’installation a conduit à étudier attentivement la permutation d’ions qui peut constituer une alternative économiquement intéressante pour les petits débits en dépit du problème écologique que constituent les rejets salins inhérents à la régénération de la résine. L’aboutissement de ces études fut la mise au point du procédé Ecodenit, breveté par OTV. Son application industrielle a été rendue possible par l’agrément du ministère de la Santé de certaines résines anioniques pour le traitement des eaux potables.

LES PARTICULARITÉS DU PROCÉDÉ

Dans les systèmes de permutation d’ions classiquement proposés, le fonctionnement de l’échangeur est à co-courant, c’est-à-dire que l’épuisement et la régénération se font dans le même sens. Le taux de régénération appliqué qui définit la quantité de réactif régénérant mis en œuvre pour redonner à la résine sa capacité d’échange initiale est alors d’environ quatre fois la stœchiométrie soit, pour une régénération au chlorure de sodium, entre 230 et 250 grammes de réactif par litre de résine anionique.

Nos essais ont consisté à réduire le taux de régénération dans un système à co-courant classique pour atteindre l’objectif fixé : moins de 25 ppm en NO₃ à la sortie de l’échangeur en toutes circonstances. Le résultat recherché a été obtenu par une amélioration des conditions de la régénération. Ceci constitue l’essentiel du procédé Ecodenit breveté par OTV et qui a reçu l’agrément du ministère de la Santé après avis favorable du Conseil supérieur d’hygiène publique de France.

Incidence de la réduction du taux de régénération dans un système à co-courant

Nous avons réalisé des essais à l’échelle d’un pilote de taille semi-industrielle traitant 24 000 litres d’eau par jour et comprenant un échangeur d’une capacité de 30 litres de résine (anionique base forte Dowex SBRP agréée par le ministère de la Santé).

Les caractéristiques de l’eau à traiter étaient celles d’une eau minéralisée, bicarbonatée (240 à 260 ppm), moyennement sulfatée (30 à 40 ppm) et artificiellement enrichie en nitrates.

[Figure : Influence de la réduction du taux de régénération en système à co-courant]

dopée en nitrates (60 à 130 ppm). Deux préleveurs placés à l’entrée et à la sortie de l’échangeur permettaient de recueillir des prélèvements moyens horaires pendant toute la durée du cycle d’épuisement.

Les résultats moyens obtenus sur plusieurs cycles épuisement-régénération sont reportés sur la figure 1.

Il apparaît que, lorsque la régénération est réalisée avec 240 grammes de chlorure de sodium par litre de résine — soit approximativement quatre fois la stœchiométrie de l’échange — la fuite en nitrates est quasi nulle pendant toute la durée du cycle d’épuisement. La fuite limite de 25 mg/l est atteinte dans ces conditions pour environ 650 vol/vol. La réduction du taux de régénération se traduit par une augmentation de la teneur en nitrates au début du cycle d’épuisement : 10 ppm pour 180 g de NaCl/l de résine, 55 ppm pour 80 g de NaCl/l de résine avec, dans ce dernier cas, une valeur résiduelle élevée pendant toute la durée du cycle. Celle-ci s’explique par le fait que les nitrates sont les anions les plus difficiles à éluer ; la baisse du taux de régénération laissant dans les couches basses de l’échangeur une quantité de nitrates non déplacée d’autant plus importante que le niveau de régénération est plus faible. Au redémarrage du cycle d’épuisement, ces nitrates sont déplacés par les chlorures libérés dans les couches hautes de l’échangeur. Ce phénomène est caractéristique du dispositif de fonctionnement à co-courant avec une régénération réalisée de façon classique (injection de la saumure, déplacement de la saumure et rinçage rapide).

Pour résumer : la réduction du taux de régénération en système à co-courant classique s’accompagne non seulement d’une baisse de capacité d’échange, mais aussi d’une fuite en nitrates importante et il n’est pas raisonnable de réduire ce taux de régénération en deçà d’un seuil que nous fixons par expérience à 180 g de NaCl/l de résine.

Incidence de la réduction du taux de régénération dans un système à contre-courant

Dans un système d’échangeur à contre-courant, l’épuisement de la résine et sa régénération se font en sens contraire ; l’intérêt du contre-courant réside dans le fait qu’il annule de par sa conception l’effet du phénomène décrit ci-dessus : au redémarrage après régénération, l’eau à traiter traverse d’abord les couches de résine les moins bien régénérées puis celles où la régénération a été totale, ce qui permet d’envisager une réduction du taux de régénération sans que celle-ci s’accompagne d’une dégradation de la qualité de l’effluent. On se reportera aux courbes de la figure 2.

[Figure : Fig. 2 : Influence de la réduction du taux de régénération en système à contre-courant.]

L’allure de ces courbes confirme le fait que la réduction du taux de régénération n’affecte pas la qualité de l’eau traitée : la fuite en nitrates reste nulle de 240 à 90 g de NaCl/l de résine. En revanche, la capacité d’échange est réduite. Le tableau 1 complète ce faisceau de courbes en donnant la capacité d’échange pour les nitrates mais surtout l’efficacité de l’échange en fonction du taux de régénération pour un type d’eau donné. Il apparaît clairement qu’un taux de régénération de 90 g de NaCl/l de résine est un optimum puisqu’il conduit à la consommation la plus faible en régénérant, rapportée au poids de nitrates éliminé. Ce taux constitue un point de convergence heureux entre coût d’exploitation réduit et meilleure protection du milieu naturel puisqu’il correspond également au plus faible rejet.

Tableau 1

Régénération (g de NaCl/l de résine) Capacité d’échange nitrates (g) Poids de NaCl utilisé / poids de nitrates fixés (g/g)
240 535 7,2
180 495 5,85
120 450 4,30
90 370 3,9
80 330 3,9

Adaptation du système à co-courant à une réduction du taux de régénération : Ecodenit

Bien que le dispositif de régénération à contre-courant permette la réduction du poids de réactif mis en œuvre jusqu’à la valeur limite de 90 g de NaCl/l, il impose néanmoins des contraintes qui limitent son utilisation à des débits élevés. Elles sont principalement d’ordre économique :

  • — nécessité d’un dispositif de blocage de la résine,
  • — nécessité d’un rinçage de la résine à l’eau dénitratée,
  • — nécessité d’un dispositif d’extraction périodique d’une fraction du lit de résine pour l’élimination des fines.

C’est pourquoi nous avons recherché, tout en gardant la simplicité de fonctionnement du co-courant, à l’adapter à une réduction du taux de régénération. Ceci nous a conduits à en modifier profondément les conditions pour limiter l’hétérogénéité observée en fin de cycle.

Les résultats obtenus sont reportés sur la figure 3 : un taux de régénération de 90 g de NaCl/l de résine conduit à une fuite en nitrates qui reste inférieure à 15 ppm. La capacité d’échange est identique à celle observée pour le même type d’eau dans un système de régénération à contre-courant.

[Figure : Fig. 3 : Évolution de la fuite en nitrates au cours d’un cycle après régénération à 90 g de NaCl/l de résine.]

PREMIÈRE APPLICATION INDUSTRIELLE DU PROCÉDÉ

Le Syndicat des eaux de l’IC alimente en eau potable les communes de Saint-Quay-Portrieux, Étables et Binic à partir d’une installation de traitement implantée sur la commune de Binic (Côtes-du-Nord).

La filière de traitement existant dans cette usine permet d’assurer une clarification poussée de l’eau par décantation, filtration, ozonation, neutralisation et stérilisation finale, mais elle ne peut réduire les teneurs en nitrates de l’eau distribuée, qui dépassent couramment la concentration maximale admissible de 50 mg/l de la norme européenne.

Ces teneurs excessives sont essentiellement liées aux activités agricoles : épandage de lisier et utilisation intensive d'engrais à base de nitrates.

Le Syndicat, sous le contrôle de la Direction départementale de l'agriculture et en liaison avec la Compagnie Générale des Eaux, sa société fermière, a décidé la mise en place à Binic d'une installation de dénitratation capable de délivrer une eau potable présentant une teneur en nitrates inférieure à 25 mg/l (correspondant au niveau guide de la norme européenne). La réalisation de cette unité a été confiée à l'Agence régionale de l'Omnium de Traitement et de Valorisation (OTV) implantée à Rennes.

L'installation actuellement réalisée met en œuvre notre procédé de dénitratation par résines échangeuses d'ions, dont le principe est décrit ci-dessus.

Elle s'intègre dans la filière d'origine en aval de la filtration, cela afin de minimiser les risques d'empoisonnement de la résine par les matières organiques contenues dans les eaux à traiter et d'éviter un apport trop important de matières en suspension sur le lit de résine, apport qui perturberait le fonctionnement du système et accroîtrait sensiblement les pertes de charge dans l'échangeur. On peut noter à ce sujet que, contrairement à une installation à lit bloqué, le procédé Ecodenit cocourant permet une élimination régulière des matières déposées à chaque détartrage du lit de résine. Cette caractéristique revêt une certaine importance lorsque l'eau à traiter ne subit aucun prétraitement.

Les principales caractéristiques des eaux constatées avant et après traitement sont indiquées dans le tableau 2.

L'installation est dimensionnée pour traiter un volume de 3 200 m³ par cycle à un débit de 160 m³/h. Elle comprend les équipements suivants :

Tableau 2

Produits Eau filtrée Eau à la sortie de l'échangeur (moyenne)
NO₃⁻ (mg/l) 70 < 25
SO₄²⁻ (mg/l) 50 10
HCO₃⁻ (°F) 5,3 4,5
Cl⁻ (mg/l) 50 120
  • — trois corps d'échange de 1,90 m de diamètre et 2,85 m de hauteur contenant au total 8 000 litres de résine,
  • — un silo dissolveur de 25 m³ assurant la préparation de la saumure en automatique et autorisant le stockage de 20 tonnes de sel,
  • — l'ensemble des équipements nécessaires à la régénération des échangeurs et au contrôle du fonctionnement.

L'unité de dénitratation s'intégrant dans une chaîne de traitement existante, le débit de production doit être maintenu constant pour ne pas perturber les traitements de correction et de désinfection réalisés en aval ; les échangeurs ont ainsi été dimensionnés pour que, lors de la régénération d'un appareil, son débit de production soit réparti sur ceux encore en fonctionnement.

Le devenir des rejets de régénération constitués par les ions élués et l'excès de chlorure de sodium mis en œuvre a été un souci important pour le Syndicat. Leur composition et les flux qu'ils représentent sont repris dans le tableau 3.

Tableau 3

Produits Concentration (g/l) Flux rejeté (kg/j)
NO₃⁻ 5,5 148
SO₄²⁻ 4,7 125
HCO₃⁻ 2,45 65
Cl⁻ 5,8 155
Na⁺ 9,25 247

Dans le cas présent, la solution finalement adoptée a été leur transfert vers la station d'épuration de Binic, laquelle fonctionne en aération prolongée, l'aération des boues activées étant assurée de façon syncopée. Pendant les périodes d'arrêt des aérateurs, les nitrates produits par l'oxydation de l'azote ammoniacal des eaux usées sont réduits en azote gazeux ; les nitrates en provenance de l'installation de dénitratation sont éliminés de la même manière, sans affecter ni le fonctionnement de la station, ni le milieu naturel. Ce dernier est ici le milieu marin, dans lequel l'introduction des sels non éliminés par la station d'épuration, chlorures, sodium et sulfates, n'a aucun impact, la salinité moyenne de l'eau de mer étant de 35 g/l.

**

En conclusion, il apparaît que pour assurer l'élimination des nitrates dans les eaux de consommation, le choix d'une filière de traitement par permutation d'ions représente des avantages économiques et technologiques non négligeables compte tenu :

  • — du niveau limité des investissements à prévoir,
  • — de la fiabilité du traitement et de sa relative simplicité de mise en œuvre,

son principal inconvénient par rapport à une filière biologique résidant dans la production de rejets salins.

La mise au point de notre procédé présente l'intérêt de réduire très sensiblement ces rejets et, parallèlement, les coûts d'exploitation. Dans le cas d'installations de traitement localisées à proximité du milieu marin comme celle de Binic, son choix constitue alors une optimisation tant technologique qu'écologique.

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