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Un système nouveau de détermination de la toxicité de produits ou d'effluents par les bactéries marines

29 juillet 1983 Paru dans le N°75 à la page 68 ( mots)
Rédigé par : Béatrice HERSCHKE

Limiter la dispersion de toxiques dans l'environnement apparaît aujourd'hui d'une nécessité absolue. Les tests biologiques qui, au contraire des tests chimiques, permettent de détecter dans une eau la présence de toxiques quelle que soit leur nature, se sont particulièrement développés ; ils utilisent comme réactif biologique des animaux ou des plantes.

Cependant ces tests ne sont pas dépourvus d'inconvénients. Ils sont souvent longs et coûteux. Ils impliquent le maintien d'élevages ou de cultures et nécessitent un contact avec l'eau à tester et le réactif biologique d'un à plusieurs jours.

Beckman propose aujourd'hui un réactif biologique qui ne présente pas ces désavantages. Il s'agit de lyophilisats de bactéries marines, toujours identiques à eux-mêmes, disponibles quels que soient les lieux et les moments. Les bactéries, dont la particularité est d'émettre la lumière, recouvrent leur activité quelques minutes après reconstitution dans un liquide approprié. Leur émission lumineuse est réduite en quelques minutes par des toxiques en fonction de leur nature et de leur concentration ; il devient facile de les déceler. Le réactif biologique, accompagné de l'appareillage de réalisation des essais, porte le nom de Microtox (appareil pour le contrôle de la toxicité de l'eau).

Cet article présente des travaux ayant pour but d’obtenir une première approche de la valeur de ce système.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Appareillage

Il comprend trois éléments :

— un élément principal, le Microtox 2055 (voir photo) avec à l’extérieur, notamment : un panneau de réglage et lecture des résultats, une chambre à + 2 °C, quinze chambres à + 15 °C et une tourelle mobile avec logement pour tube et capuchon de fermeture étanche à la lumière, de façon à placer le tube dont on veut mesurer l’émission lumineuse à l’obscurité devant le photomultiplicateur ;

— un enregistreur relié à l’élément principal ;

— une calculatrice indépendante (Sharp EL-5100) programmée pour le calcul de la EC 50, et des EC 20 et EC 80.

[Photo : Diverses fonctions de l’appareil (photo Beckman). 1. Tourelle de mesure d’émission lumineuse. 2. Chambre à + 2 °C. 3. Ligne A, Ligne B, Ligne C. 4. CAL, permet de tester le PM ; affiche 100 + 20 si 100 % adj. est réglé à 4 tours. 5. HV check. Contrôle de la tension du photomultiplicateur.]

Réactif biologique

Le réactif biologique est livré sous forme lyophilisée, accompagné d’un liquide de reconstitution (1 ml d’eau distillée stérile) et de flacons de diluant (solution saline stérile à 2 % de NaCl).

Produits et effluents étudiés

Les produits sont :

— le dodecyl sulfate (Prolabo n° 2792618 lot 78111) aux fins de comparaison avec les résultats d’autres laboratoires ;

— le cequartyl A ou chlorure de diméthyl alkyl (lauryl principalement) benzyl ammonium (Sfos, échantillon du 2.1.1980) ;

— le cequartyl O ou chlorure de triméthyl alkyl (oleyl principalement) ammonium (Sfos, échantillon du 2.1.1980).

Ces deux ammoniums sont des biocides couramment employés. Les effluents proviennent d’usines de Rhône-Poulenc et leur toxicité vis-à-vis des daphnies est connue.

Mode opératoire

Le liquide de reconstitution de la suspension bactérienne, les solutions de produit (ou l’effluent) et le diluant de la suspension bactérienne sont maintenus par thermostat aux températures voulues.

Le lyophilisat bactérien est incorporé au liquide de reconstitution à un temps que l’on prend soin de noter, pour former la suspension bactérienne mère.

Des aliquotes de cette suspension sont transférées dans les tubes de diluant prévus à cet effet, pour former les suspensions bactériennes diluées qui conviennent à la détermination de la toxicité. L’heure de ce transfert est enregistrée.

L’émission lumineuse des suspensions est suivie dans le temps ; après être passée par un maximum, elle chute régulièrement. Dès que la chute est amorcée, l’émission de chaque tube est mesurée et l’on procède immédiatement à l’injection des solutions de produit à étudier. L’heure de chaque mélange est notée.

Très exactement 5, 10 et 15 minutes après chaque mise en contact « bactéries-produits », l’émission lumineuse est mesurée.

La calculatrice programmée, fournie avec l’appareillage, permet d’obtenir, à partir des résultats expérimentaux, la valeur de la concentration de produits qui fait chuter l’émission lumineuse de moitié par rapport à sa valeur au temps zéro (EC 50).

RÉSULTATS

Analyse de l’émission lumineuse de suspensions bactériennes témoins

(Ces suspensions ne reçoivent aucun produit ; on suit l’émission lumineuse de 10 μl de suspension bactérienne + 500 μl de solution de NaCl à 2 %.)

Cette analyse comporte :

— l’étude des variations d’émission pendant une heure de plusieurs fractions de la même suspension

reconstituée soit depuis 5 minutes, soit depuis 4 heures 50 ;

– l’étude de la variation d’émission de plusieurs suspensions, 20 minutes après leur reconstitution ;

– l’enregistrement de l’émission lumineuse d’une suspension pendant 16 heures.

L’analyse statistique montre que les variations d’émission lumineuse de 14 fractions d’une même suspension sont toutes similaires ; la valeur initiale de l’émission n’a pas d’influence. Le taux de décroissance moyen est de 58,3 % en 40 minutes pour une suspension reconstituée depuis 5 minutes et de 16,5 % en 40 minutes pour une suspension reconstituée depuis 4 heures 50 (tableaux 1 et 2).

La luminescence de 9 suspensions, 20 minutes après leur reconstitution est variable. Tous les lyophilisats sont considérés valables à l’exception du n° 9 (tableau 3).

TABLEAU N° 1

VARIATION D’ÉMISSION LUMINEUSE PENDANT 1 HEURE DE PLUSIEURS FRACTIONS DE LA MÊME SUSPENSION BACTÉRIENNE TEMPS DE RECONSTITUTION DE LA SUSPENSION BACTÉRIENNE : 5 MINUTES LYOPHILISAT BACTÉRIEN N° 5

Fraction de suspension |Émission lumineuse en fonction du temps (min)
10°15°20°25°30°35°40°50°60°120°150°180°
1 | 57 52 42 35 31 27 22 19 17 15 9 7 6
2 | 49 43 39 30 26 25 20 18 18 15 7 7 7
3 | 43 39 33 28 25 22 19 17 15 14 7 6 5
4 | 40 37 32 27 23 22 19 20 19 17 4 4 3
5 | 50 45 37 31 28 25 21 18 18 16 9 8 8
6 | 55 47 39 32 28 25 21 18 18 16 9 7 7
7 | 43 36 30 27 24 21 18 15 13 12 5 4 3
8 | 73 65 52 44 38 34 28 22 20 19 14 12 10
9 | 56 49 41 36 30 28 23 20 19 16 9 7 6
10 | 40 36 30 26 25 21 18 15 13 12 7 5 4
11 | 40 37 31 28 25 22 19 17 15 14 6 5 4
12 | 49 37 31 27 23 22 19 15 13 12 6 5 4
13 | 40 37 31 28 25 22 19 17 15 14 6 5 4
14 | 50 46 37 32 28 24 21 19 17 16 9 8 8

Valeur moyenne de AL / L₀ × 100 = 58,24 Avec un intervalle de confiance à 95 % de 56,37 à 60,11

TABLEAU N° 2

VARIATION D’ÉMISSION LUMINEUSE PENDANT 1 HEURE DE PLUSIEURS FRACTIONS DE LA MÊME SUSPENSION BACTÉRIENNE TEMPS DE RECONSTITUTION DE LA SUSPENSION BACTÉRIENNE : 4 HEURES 50 LYOPHILISAT BACTÉRIEN N° 7

Fraction de suspension |Émission lumineuse en fonction du temps (min)
10°15°20°25°30°35°40°50°60°120°150°180°
1 | 93 102 99 96 94 92 90 88 85 82 76 74 71
2 | 93 97 93 92 90 89 86 82 80 78 73 72 69
3 | 93 90 78 76 74 73 72 69 67 66 59 58 56
4 | 90 87 74 73 70 67 65 64 63 61 57 57 53
5 | 95 93 76 75 70 68 65 64 63 60 55 54 51
6 | 91 88 81 80 78 72 70 68 66 63 61 60 57
7 | 94 89 84 82 80 76 74 72 70 67 65 64 61
8 | 95 88 81 80 76 74 72 69 67 65 63 60 57
9 | 94 85 82 80 78 76 74 72 70 67 66 64 61
10 | 91 89 81 78 76 74 73 70 68 65 64 63 60
11 | 97 92 82 79 76 74 71 69 67 65 60 58 56
12 | 86 83 76 73 70 68 67 64 61 60 56 55 53
13 | 86 101 97 84 80 78 76 72 70 68 65 63 60

Valeur moyenne de AL / L₀ × 100 = 16,49 Avec un intervalle de confiance à 95 % de 15,71 à 17,27

TABLEAU N° 3

VARIATION DE L’ÉMISSION LUMINEUSE, 20 MINUTES APRÈS RECONSTITUTION DE NEUF SUSPENSIONS PRÉPARÉES À PARTIR DE NEUF LYOPHILISATS BACTÉRIENS DIFFÉRENTS

N° lyophilisat bactérien |123456789
Émission lumineuse L (en %) | 35 35 22 35 47 28 22 17 0
[Photo : Lyophilisat bactérien n° 5. Évolution de la luminescence en fonction du temps.]

Cinq minutes après reconstitution de la suspension, l’émission lumineuse atteint un maximum, puis elle décroît de façon exponentielle (figure 1).

Détermination de la toxicité des produits

Les valeurs des EC₅₀ des produits étudiés sont, pour un temps de contact de 5 minutes et une suspension bactérienne fraîchement préparée :

– dodécyl sulfate de sodium : 1,63 mg l⁻¹ – cequartyl O : 1,65 mg l⁻¹ – cequartyl A : 1,62 mg l⁻¹

L’étendue des variations de la EC₅₀ moyenne, autour de la valeur médiane est acceptable pour un réactif biologique. Par exemple, la EC₅₀ moyenne du dodécyl sulfate de sodium s’écarte autour de 1,63 mg l⁻¹ de ± 23 % (1,26 mg l⁻¹ à 2,01 mg l⁻¹) si l’on admet un risque d’erreur de 5 % (tableau 4).

La valeur de la EC₅₀ du dodécyl sulfate de sodium trouvée, 1,63 mg l⁻¹, est voisine de celle des autres laboratoires, puisque Beckman transmet une valeur moyenne de 1,57 mg l⁻¹.

Comme cela semble normal, la valeur de la EC₅₀ est fonction de la durée de contact entre le réactif biologique et le produit. Elle diminue lorsque cette dernière croît (tableau 5).

La valeur de la EC₅₀ est dépendante de la durée pendant laquelle la suspension bactérienne est reconstituée. Elle croît avec celle-ci, avec un coefficient qui varie selon les produits à tester (tableau 6).

TABLEAU N°3

Toxicité du lauryl sulfate de sodium, du Cequartyl 0 et du Cequartyl A, en fonction du lyophilisat bactérien, de la durée de contact et de la durée de reconstitution de la suspension bactérienne : EC 50 en g·L⁻¹

Durée de contact entre bactéries et produitDurée de reconstitution de la suspension bactérienneLauryl sulfate de sodiumCequartyl 0Cequartyl A
5 minutes
10 minutes

Valeur moyenne de la EC 50 en g·L⁻¹

Intervalle de confiance à 95 % de la moyenne

TABLEAU N°5

Influence de la durée de contact entre la suspension bactérienne et le produit sur la valeur de la EC 50

Différence entre les valeurs de EC 50 après 5 et 10 minutes de contact : EC50₅ₘᵢₙ – EC50₁₀ₘᵢₙ

Produit : Lauryl sulfate de sodium — Cequartyl 0

Durée de reconstitution de la suspension bactérienne

1 … 0,660,38
2 … 0,37
3 … 0,59
4 … 0,49
6 … 0,410,64
7 … 0,240,52

Valeur moyenne de la différence EC50₅ₘᵢₙ – EC50₁₀ₘᵢₙ : 0,46 — 0,51

Intervalle de confiance à 95 % de la moyenne : 0,30 — 0,19 ; 0,62 — 0,83

Pour les deux produits, l’intervalle de confiance à 95 % de la moyenne n’englobe pas zéro.

La suspension bactérienne, une fois reconstituée, n’est donc pas stable, bien que conservée à 2 °C. En conséquence, il ne faut utiliser que des suspensions qui viennent d’être préparées.

Toxicité comparée vis-à-vis des bactéries lumineuses et des daphnies d’effluents Rhône-Poulenc

Les résultats réunis dans le tableau 7 montrent que les toxicités des effluents Rhône-Poulenc vis-à-vis des bactéries lumineuses et des daphnies n’évoluent pas de manière entièrement parallèle.

Ils mettent en évidence une sensibilité des bactéries lumineuses suffisante pour déceler la toxicité d’un effluent.

TABLEAU N°6

Influence de la durée de reconstitution de la suspension bactérienne sur la valeur de la EC 50

Facteur par lequel la EC 50 déterminée avec une suspension fraîche est multipliée si la suspension n’est plus fraîche mais a été conservée un temps donné à 2 °C

Rapport EC 50ₜ / durée de reconstitution = 0

Produit : Lauryl sulfate de sodium — Cequartyl 0

Durée de contact entre bactéries et produit : 5 minutes10 minutes5 minutes10 minutes
1 … 2,853,871,141,02
7 … 4,084,321,351,33

TABLEAU N°7

Toxicité comparée vis-à-vis des bactéries lumineuses et des daphnies d’effluents Rhône-Poulenc

N° effluentPerte de luminescence (effluent dilué 2 fois)EC 50 5 minutes bactéries lumineusesCL 50 20 heures daphniesToxicité comparée
79725 %12,57plus toxique pour la daphnie
79630 %peu ou pas de différence
7980 %17,28 – 18,88 – 17,58identique

Les effluents ne sont pas ajustés à NaCl = 20 %. Par contre, ils sont dilués dans tampon à 20 % de NaCl.

TABLEAU N°8

Variation de l’émission lumineuse de la suspension bactérienne en fonction de la teneur en NaCl du milieu

Teneur en NaCl du milieu (g·L⁻¹)Émission lumineuse (%)
1022
2066

Les bactéries lumineuses qui constituent le réactif biologique sont d’origine marine et, de ce fait, elles sont sensibles à la concentration en NaCl du milieu (tableau 8). Il serait utile de déterminer avec plus de précision cette sensibilité au NaCl : si l’on souhaite éliminer totalement la toxicité liée à ce facteur, il faut ajuster la concentration de l’effluent en NaCl à 20 %.

CONCLUSION

Le réactif biologique de Beckman, à savoir le lyophilisat de bactéries lumineuses qui permet de reconsti-

tuer une suspension active, offre peu de variations dans le temps d’une fraction à une autre du même lyophilisat ; toutes les fractions évoluant de la même manière, une différence n’aura pas de cause intrinsèque et elle ne sera due qu’à l’action du produit ou de l’effluent étudiés.

Par contre, on observe des variations non négligeables d’un lyophilisat à l’autre ; il est donc indispensable que Beckman précise une limite de validité du réactif.

La mesure de la toxicité est fondamentalement dépendante :

  • - de la durée de contact entre la suspension bactérienne et le produit, diminuant lorsque celle-ci croît, ce qui est normal ;
  • - de « l’âge » ou durée de reconstitution de la suspension bactérienne, augmentant lorsque celle-ci croît ; ceci montre que la suspension n’est pas stable, même à 2 °C, et qu’il ne faut utiliser que des suspensions venant d’être préparées.

La valeur moyenne de la EC 50 du dodécylsulfate de sodium, pour un contact de 5 minutes et une suspension bactérienne préparée au moment de l’emploi, est de 1,63 mg l⁻¹, avec un intervalle de confiance à 95 % de 1,26 mg l⁻¹ à 2,01 mg l⁻¹ ; ces réactions sont acceptables pour un réactif biologique.

La toxicité d’effluents industriels vis-à-vis des daphnies et des bactéries lumineuses n’évolue pas parallèlement, ce qui est normal. Par ailleurs, les bactéries lumineuses étant d’origine marine, il faut ajuster l’effluent à une salinité en NaCl de 20 % si l’on ne veut pas qu’intervienne du tout la toxicité liée à ce facteur (les dilutions des effluents sont bien entendu réalisées dans un milieu de 20 % de NaCl).

Le réactif biologique mis au point par Beckman offre donc une sensibilité et des variations acceptables. Il gagnerait beaucoup à être stabilisé, ne serait-ce que sur un temps assez court.

Le gros avantage du système Microtox est sa rapidité ; en effet, il suffit d’environ 10 minutes de contact entre les bactéries et le produit pour obtenir le résultat.

Le réactif biologique de Beckman, distribué sous forme lyophilisée, est toujours prêt à l’emploi ; il est possible, en conséquence, d’étudier un grand nombre d’échantillons en même temps.

Toutefois, il est impératif de bien avoir en mémoire que chaque organisme vivant possédant sa sensibilité propre, les résultats fournis par le système Microtox, utilisant une bactérie marine, ne peuvent se substituer à ceux obtenus avec d’autres organismes d’eau de mer ou d’eau douce (alevins de truites, daphnies, crustacés, etc.).

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