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Un problème nouveau : les lixiviats de décharges contrôlées

30 mars 1984 Paru dans le N°81 à la page 45 ( mots)
Rédigé par : M. CHAMALOT, N. MILLOT, C. GRANET et 1 autres personnes

La pratique de mise en décharge de résidus, surtout pour ceux d’origine industrielle, a connu cette dernière décennie de substantielles évolutions techniques et réglementaires (Circulaire du 9-3-73 et instructions techniques du 22-1-80). En ce qui concerne la nature du sol, la France a choisi, pour les décharges de classe I, la technique de la « baignoire » (sol réputé étanche) plutôt que celle du « filtre » (sol semi-étanche). Cette pratique, dont il ne faut pas nier les avantages, présente toutefois quelques inconvénients. Le plus important résulte de l'accumulation, au cours du temps, de lixiviats captifs en fond de décharge, quelles que soient par ailleurs les précautions prises pour en limiter la quantité. Il faut donc faire face au traitement de ces percolats, collectés régulièrement lorsque les sites ont été préalablement équipés de systèmes de drainage et de stockage, ou pompés par l’intermédiaire de buses ou de puits.

Le temps nécessaire à l’apparition de quantités significatives de lixiviats explique que ce phénomène soit relativement récent dans notre pays et donc peu étudié. Par contre, dans certains pays cette préoccupation est plus ancienne et de nombreuses études ont été publiées. Aux États-Unis, notamment, depuis une vingtaine d’années, l’Environmental Protection Agency (EPA) a financé de nombreux projets d’études qui ont fait l'objet de volumineux rapports. En France, on note les travaux du CTGREF de Rennes (Piel, 1981).

Nous ne nous livrerons pas ici à une étude détaillée de ces travaux, notre but n’étant pas de faire une étude bibliographique. On peut toutefois les classer en deux grandes catégories :

  • — ceux qui ont trait à la caractérisation physico-chimique des lixiviats ;
  • — ceux qui se rapportent à leur traitement par voie biologique ou physico-chimique.

En consultant les travaux qui concernent la caractérisation des lixiviats, on remarque la grande dispersion des résultats d’analyses d'une décharge à l'autre, et pour une décharge d'un prélèvement à l'autre. Cette importante dispersion dans la composition des percolats s’explique par le grand nombre de facteurs qui interviennent dans la production des lixiviats. Les principaux paramètres nous apparaissent être les suivants :

  • — structure hydrogéologique du site de la décharge, notamment présence d’eaux parasites latérales ;
  • — nature des déchets mis en décharge, ainsi que leur volume et la hauteur des couches ;
  • — facteurs climatiques : précipitations et évapo-transpiration ;
  • — mode d’exploitation de la décharge (à ce sujet, on peut noter une variation importante du volume d’effluent produit selon le degré de compactage) ;
  • — âge de la décharge.

Tout ceci semble indiquer que chaque décharge contrôlée représentera un cas particulier et que le mode de traitement des lixiviats devra être redéfini à chaque fois.

Dans la mise au point de techniques d’épuration de ces lixiviats et pour des raisons pratiques, nous nous sommes limités dans un premier temps à trois sites de décharges contrôlées. Ces sites seront étudiés de façon très détaillée et, à partir des résultats obtenus, l’extrapolation sera tentée sur d'autres types de lixiviats. La première phase de notre étude concerne une campagne de caractérisation des lixiviats sur les différents points de prélèvement choisis dans ces trois décharges contrôlées. Nous en présentons ici les premiers résultats.

CHOIX DES PARAMÈTRES ÉTUDIÉS

Afin de connaître la composition physico-chimique des lixiviats, plusieurs paramètres ont été sélectionnés. On en trouvera la liste dans le tableau 1, ainsi que les renseignements qu’ils apportent quant à la connaissance des lixiviats. Cette liste n’est pas, bien entendu, exhaustive, et l'on pourrait y ajouter quelques éléments comme par exemple l’aluminium, le sodium et, bien entendu, des analyses microbiologiques caractérisant les microorganismes présents dans les lixiviats.

À partir de ces paramètres, on dispose alors de renseignements suffisants pour apprécier la composition des jus de décharges et, dans un premier temps, étudier leur traitement. Dans certains cas, il sera sans doute nécessaire, pour optimiser les filières d’épuration, d’identifier précisément la matière organique en utilisant des méthodes d’analyses fines et spécifiques telles que la chromatographie en phase gazeuse, la chromatographie liquide haute résolution, la spectrométrie de masse...

TABLEAU 1

Liste des paramètres retenus

PARAMÈTRES COMMENTAIRES
pH – Eh – Oxygène dissous – M.E.S. – M.V.S. Renseignement sur la composition générale des percolats et la forme chimique de certains composants
DCO – DCO s. – DBO5 – COT Évaluation de la charge oxydable (minérale ou organique) biodégradable ou non biodégradable
TH – TAC Teneur en carbonates et pouvoir tampon
Conductivité – Cl⁻ – SO₄²⁻ – Ca²⁺ – Mg²⁺ – K⁺ Teneur en sels dissous nécessaires au métabolisme des micro-organismes mais toxiques au-delà de certaines concentrations
NTK – N-NO₃ – N-NO₂ – N-NH₄ Paramètres intervenant dans le traitement biologique (nutriments)
PT – P-PO₄
Phénols – hydrocarbures – métaux lourds Composés susceptibles d’être gênants, inhibiteurs ou toxiques à partir de certaines concentrations
Acides gras volatils Étape réactionnelle d’une dégradation anaérobie

CHOIX DES SITES

Trois sites de décharges contrôlées, exploités par Ordure Service, ont été retenus pour cette étude. Leurs caractéristiques principales sont rassemblées dans le tableau 2. Pour les sites A et B, la grande majorité des déchets spéciaux reçus sur la décharge est composée de boues d’hydroxydes métalliques.

La décharge A, qui se trouve en site étanche, ne produit pas actuellement de percolats ; les bassins prévus pour les recueillir sont remplis d’eau météoritique. Ce site n’étant pas équipé de drains, il n’y a donc pas collecte immédiate des percolats ; par contre, le niveau du liquide monte très lentement au sein de la masse des déchets au cœur de la décharge. On peut accéder aux lixiviats grâce à deux piézomètres qui descendent jusqu’au fond de la décharge. Pour l’étude de ces percolats, on a retenu deux points de prélèvement (A1 et A2), distants de 210 m environ, qui correspondent aux deux piézomètres dans lesquels on prélèvera les lixiviats par pompage.

La décharge contrôlée B est équipée de drains en fond du site. On a retenu pour l’étude trois points de prélèvements :

– B1 : point bas où l’on recueille les lixiviats captés par un drain, situé à l’entrée des deux lagunes de traitement des percolats,

– B2 : buse qui descend jusqu’au fond de la décharge (à environ 18 m de profondeur) en traversant toute la masse des déchets. Cette buse reçoit les lixiviats captés par trois drains radiaux qui parcourent la décharge,

– B3 : suintement en fond de décharge recueilli dans des bassins de rétention.

Les points de surface B1 et B3 ont tous les deux un débit très faible par temps sec (de l’ordre de 3 à 5 m³/j). Pour B2, les prélèvements se feront par pompage dans la buse.

Le site C, toujours en exploitation, reçoit un tonnage mensuel moyen.

[Figure : Décharge B. Plan de situation des points de prélèvement.]

TABLEAU 2

Présentation des sites

SITE A (classe I) Date ouverture : 1975 Date fermeture : 1979 Superficie : 5 ha Capacité : 430 000 m³ Nature des déchets : 20 % D. spéciaux, 80 % D. banals
SITE B (classe I) Date ouverture : 1979 Date fermeture : début 1982 Superficie : 4,5 ha Capacité : 500 000 m³ Nature des déchets : 15 % D. spéciaux, 85 % D. banals
SITE C Date ouverture : 1972 Date fermeture : en exploitation Superficie : 18 ha Capacité : 1 000 000 m³ Nature des déchets : 100 % O.M. et déchets banals

de l'ordre de 5 500 t d’ordures ménagères et assimilées. Il se présente sous l’aspect d'une grande butte entourée d’un fossé extérieur drainant les eaux superficielles et les percolats. Toutes ces eaux sont recueillies gravitairement dans deux bassins en série. Un seul point de prélèvement sur cette décharge est prévu, à l’entrée des bassins.

CARACTÉRISATION PHYSICO-CHIMIQUE DES PERCOLATS

Le tableau 3 contient les résultats des analyses effectuées sur chacun des six points de prélèvement décrits ci-dessus, lors d'une première série de prélèvements ponctuels.

Afin d’éviter toute évolution chimique des échantillons avant les analyses, ceux-ci ont été conditionnés comme indiqué en annexe ; les analyses ont été effectuées en suivant les méthodes AFNOR d’analyse des eaux. L’étude des résultats du tableau 3 permet de tirer les grandes orientations suivantes :

- une grande variabilité d'une décharge à l'autre et même d'un point de prélèvement à l'autre (décharge B),

- une importante charge organique oxydable, comme on peut le constater d’après les DCO et les COT. Les méthodes d’analyses utilisées sont celles mises au point et employées pour les eaux résiduaires urbaines, ainsi que des paramètres mesurant la biodégradabilité, tels que la DBO5, ceci pour deux raisons principales : d'une part, les facteurs importants de dilution, imposés par les fortes valeurs des DCO et COT, entraînent une dilution d’autant des éléments inhibiteurs ou toxiques, et d’autre part, les difficultés d’acclimatation des souches présentes dans l'eau d’ensemencement (eau résiduaire urbaine). Les valeurs de DBO5 trouvées (mis à part A 2) peuvent paraître un peu faibles par rapport aux DCO, mais il faut rester prudent quant à leur signification.

TABLEAU 3

Résultats des analyses

pH
Eh (mV)
Oxygène dissous (mg/l)
Conductivité (µS·cm-¹)
M.E.S. (mg/l)
M.V.S. (% M.E.S.)
TH (°F)
TAC (°F)
DCO (mg/l)
DCO s. (mg/l)
DBO5 (mg/l)
COT (mg/l)
NTK (mg/l)
N-NH₄ (mg/l)
N-NO₂ (mg/l)
N-NO₃ (mg/l)
P total (mg/l)
P-PO₄ (mg/l)
Acide acétique (mg/l)
Acide propionique (mg/l)
Acide butyrique (mg/l)
Acide valérique (mg/l)
Indice phénol (mg/l)
Métaux lourds (mg/l)
Cd (mg/l)
Co (mg/l)
Cr (mg/l)
Cu (mg/l)
Fe (mg/l)
Mn (mg/l)
Ni (mg/l)
Pb (mg/l)
Se (mg/l)
Zn (mg/l)
Mercure (µg/l)
Hydrocarbures (mg/l)
Indice CH₂
Chlorures (mg/l)
Magnésium (mg/l)
Potassium (mg/l)
Calcium (mg/l)
Sulfates (mg/l)
Sulfures (mg/l)
A1 : 5,3 ; −80 ; 0,10 ; 22 670 ; 47 ; 54 ; 990 ; 1 130 ; 42 860 ; 39 170 ; 2 300 ; 11 800 ; 1 064 ; 849 ; 0,05 ; 2,5 ; 3,1 ; 0 ; 10 300 ; 3 400 ; 4 260 ; — ; 24 ; 2 050 ; 0,17 ; 0,61 ; 0,11 ; 0,34 ; 1 995 ; 34 ; 1,22 ; 1,05 ; 0,50 ; 42,6 ; 430 ; 600 ; — ; 4 400 ; 526 ; 1 300 ; 3 650 ; 1 350 ; —
A2 : 5,7 ; −50 ; 0,05 ; 18 540 ; 65 ; 35 ; 840 ; 1 060 ; 35 600 ; 35 290 ; 1 800 ; 10 950 ; 767 ; 557 ; 0,05 ; 3,0 ; 1,7 ; 0,27 ; 6 300 ; 1 835 ; 2 216 ; — ; <0,1 ; 1 512 ; 0,12 ; 0,33 ; 0,09 ; 0,20 ; 1 440 ; 23 ; 0,28 ; 0,57 ; 0,04 ; 4,44 ; <30 ; 1 ; — ; 2 950 ; 258 ; 760 ; 320 ; 120 ; 0,75
B1 : 7,0 ; −160 ; 0,15 ; 5 880 ; 111 ; 51 ; 112,5 ; 338 ; 13 880 ; 763 ; 262 ; — ; 557 ; 540 ; 0,20 ; 1,50 ; 1,4 ; 0,63 ; 2 120 ; 825 ; 1 470 ; — ; 32 ; 35,3 ; <0,05 ; <0,05 ; 0,09 ; 0,20 ; 32,4 ; 1,36 ; 0,16 ; 0,12 ; 0,50 ; 0,1 ; <30 ; 0,18 ; 1 060 ; 170 ; 900 ; 152 ; 190 ; 3,5
B2 : 6,4 ; −260 ; 0,30 ; 25 000 ; 285 ; 66 ; 280 ; 370 ; 19 900 ; 17 840 ; 6 040 ; 1 630 ; 1 870 ; 1 630 ; 0,20 ; 3,2 ; 3,6 ; 0,63 ; 1 860 ; 1 000 ; 2 830 ; 650 ; 0,35 ; 35,32 ; <0,01 ; 0,01 ; 0,05 ; 0,16 ; 32,4 ; 1,36 ; 0,16 ; 0,12 ; 1,12 ; <30 ; 0,45 ; 4 400 ; 180 ; 1 100 ; 330 ; 190 ; 6,1
B3 : 6,50 ; 0 ; 3,0 ; 4 050 ; 189 ; 31 ; 41,5 ; 164 ; 550 ; 5 420 ; 1 360 ; 1 679 ; 147 ; 232 ; 0,21 ; 61 ; 3,5 ; 0,1 ; 650 ; 300 ; — ; — ; 0,31 ; 9,5 ; 0,02 ; <0,02 ; 0,05 ; <0,05 ; 84,1 ; 4,08 ; 0,30 ; 0,13 ; 7,20 ; <30 ; 0,35 ; 300 ; 68 ; 480 ; 450 ; 260 ; 0,1
C : 8,70 ; +50 ; 2,80 ; 5 700 ; 170 ; 62 ; 32 ; 115 ; 1 470 ; 1 312 ; 546 ; — ; 277 ; 148 ; 0,21 ; 61 ; 0,6 ; 0,1 ; 4 000 ; 800 ; — ; — ; 0,34 ; 3,15 ; <0,01 ; 0,02 ; <0,05 ; <0,05 ; 2,80 ; 0,14 ; 0,07 ; 0,01 ; 0,30 ; <30 ; 0,35 ; 1 060 ; 50 ; 480 ; 450 ; 74 ; —
(— : valeur non indiquée dans l’image)

Nous pensons donc qu'il est important de mettre au point des tests de biodégradabilité adaptés aux lixiviats des décharges,

  • un milieu réducteur (sauf pour C), comme l'indiquent les valeurs négatives du potentiel d'oxydo-réduction,
  • des lixiviats légèrement acides (hormis ceux de la décharge d'ordures ménagères), comme l'indiquent les valeurs de pH inférieures à 7,
  • des teneurs en sels dissous très importantes, comme le montrent les valeurs de conductivité élevées. Les principaux sels sont les suivants : chlorures, sulfates, magnésium, potassium, calcium,
  • des teneurs en métaux lourds très fortes pour A1 et A2. Ceci s'explique par le caractère acide des percolats qui entraîne la redissolution des espèces métalliques. Il faut noter que, pour chaque décharge, le fer représente 90 à 97 % de la concentration en métaux lourds totaux ; il semblerait qu'il provienne en partie des ordures ménagères. Les autres métaux, que l'on ne trouve pas à l'état de traces, sont dans l'ordre des concentrations : le zinc, le manganèse et le nickel,
  • des teneurs en azote et phosphore assez faibles par rapport à la charge organique. On est en dessous du rapport DCO/N/P de 180/5/1 généralement préconisé pour le traitement biologique. L'élément le plus carencé est le phosphore. On note que 70 à 90 % de l'azote total Kjeldahl se trouve sous forme d'azote ammoniacal. Ces fortes teneurs en NH₄ sont susceptibles d'inhiber les traitements biologiques,
  • les phénols sont exprimés en indice phénol (norme AFNOR T 90-109) et il semblerait que les valeurs obtenues soient très inférieures à celles trouvées en chromatographie. De même, les hydrocarbures sont exprimés en indice CH₂ de façon globale (norme AFNOR T 90-114) et posent de gros problèmes d'extraction et d'interférences,
  • des concentrations en acides gras volatils élevées pour les points de prélèvement en profondeur qui correspondent aux COT les plus forts. En calculant le COT théorique de ces acides gras, on retrouve une grande partie du COT mesuré. Ces acides gras sont des intermédiaires réactionnels qui se forment au cours des réactions de dégradation anaérobies,
  • des valeurs en TH et TAC importantes qui indiquent une forte teneur en carbonates et montrent un certain pouvoir tampon des percolats.

TABLEAU 4

Essais de pompage dans le temps

5' 20' 35' 50' 65' 80' 95'
pH 6,06 6,02 6,01 6,00 6,00 6,00 6,00
Eh (mV) –68 –57 –58 –59 –54 –51 –62
DCO (mg/l) 40520 44110 42710 42910 42310 41920 42910
Conductivité (µS·cm⁻¹) 22400 22400 22400 22200 22300 22300 22300

Ces résultats correspondent à des prélèvements ponctuels dans le temps. Avant de mettre en place des filières de traitement, il sera nécessaire de lancer plusieurs campagnes de mesures étalées et régulières pour obtenir une bonne représentativité des résultats.

Pour vérifier l'homogénéité et la représentativité des prélèvements en profondeur, nous avons effectué des séries de pompage à des profondeurs différentes et sur des temps assez longs.

Pour le piézomètre A1 (tableau 4), les essais de pompage n'ont pas permis de remarquer de variations notables pour les quatre paramètres mesurés.

Par contre, le même type d'essai a été effectué sur B2 avec des résultats très différents ; on remarque une augmentation régulière de la charge organique (DCO et COT) au cours du pompage, phénomène accompagné par une baisse progressive du pH.

[Photo : Evolution en fonction du pompage de pH, DCO, COT, métaux lourds.]
[Photo : Evolution de la teneur en AGV, en fonction du temps de pompage.]

s’explique par une augmentation de la teneur en métaux lourds. Il semblerait qu’il faille vider trois fois la buse pour atteindre un certain équilibre et obtenir un échantillon représentatif du jus de décharge au sein de la masse de déchets. Sur les figures 2 et 3 on remarque que tous les paramètres, hormis le pH, varient dans le même sens. Les concentrations en acides gras volatils augmentent parallèlement à la charge organique quelles que soient la nature de l’acide et la longueur de sa chaîne carbonée. L’acide gras que l’on trouve en plus grande concentration est l’acide acétique, ce qui est normal, puisque cet acide carboxylique à chaîne courte est le dernier intermédiaire réactionnel avant la production de CH₄ et CO₂. Les acides à chaîne plus longue (valérique et caproïque) sont en concentrations moins élevées, car ils sont dégradés plus facilement par les souches méthanigènes en acides à chaîne carbonée plus courte. Par ailleurs, on peut supposer que les jus de décharge contiennent aussi des acides carboxyliques à chaîne carbonée plus longue tels que l’acide heptanoïque (ou enanthique) et l’acide octanoïque (ou caprylique), que l’on n’a pas pu déceler en chromatographie en phase gazeuse, du moins dans nos conditions expérimentales. Sur le chromatogramme (figure 4), on note au niveau de l’acide valérique trois pics qui correspondent à l’acide n-valérique, l’acide iso-valérique (ou méthyl-3-butanoïque) et l’acide méthyl-2-butanoïque ; le pic correspondant à la troisième forme de cet acide n’a pu être quantifié.

Le même phénomène se retrouve pour l’acide caproïque (ou hexanoïque) : sur le chromatogramme on enregistre deux pics et celui qui correspond à l’acide méthyl-4-pentanoïque n’a pu être quantifié. Ces quantités d’acide non mesurées ne sont pas très importantes mais participent quand même à la charge organique.

À partir des teneurs en acides gras volatils, on a calculé les valeurs de COT théorique et DCO théorique afin d’évaluer la contribution de ceux-ci à la charge organique des lixiviats (tableau 5). Cette contribution est importante puisque, selon les différents prélèvements, on obtient des valeurs de 70 à 87 % sur le COT et de 73 à 91 % sur la DCO. Ces pourcentages sont sans doute un peu sous-estimés puisque nous n’avons pas pu mesurer toutes les formes des acides gras volatils comme nous venons de le voir précédemment.

Les différences de comportement entre A1 et B2, au cours des pompages, peuvent s’expliquer par le processus des fermentations anaérobies que l’on peut schématiser rapidement ainsi :

Molécules organiques complexes  
→ Bactéries acidogènes → Acides gras volatils  
→ Bactéries méthanigènes → CH₄ + CO₂

Pour la décharge A, il semblerait que la fermentation soit bloquée en phase acide du fait des fortes teneurs en acides gras et des pH acides. En effet, les bactéries méthanigènes ne supportent pas les pH trop bas et sont très sensibles aux toxiques et inhibiteurs, soit dans le cas présent la forte teneur en métaux. Sur le site, on ne remarque pas les odeurs caractéristiques des sous-produits de fermentation, ni de dégagement de méthane.

TABLEAU 5Calcul de COT et DCO théoriques dus aux A.G.V.

Acide acétique (mg/l)7100710079008200858099608530
Acide propionique (mg/l)1420168017301820214030902460
Acide isobutyrique (mg/l)400560480540610900670
Acide butyrique (mg/l)2030254028303080368055903840
Acide isovalérique (mg/l)100160170200230330250
Acide valérique (mg/l)50068072086093013301050
Acide caproïque (mg/l)60081011001130133018201490
COT th (mg/l)55806963715574638318111298482
COT th/COT mesuré (%)87867770,37273,970,8
DCO théorique (mg/l)16689214612110922739256923450326963
DCO th/DCO mesurée (%)8591,3777374,37773,6
[Photo : Fig. 4 – Chromatogramme obtenu sur B2.]

Par contre, pour B 2, on remarque sur le site un important dégagement de méthane qui traduit une dégradation anaérobie active au niveau de la buse, ce qui est confirmé par la température élevée qui règne au fond de la buse, au cœur de la décharge ; celle-ci est de l’ordre de 48 °C. Ce phénomène de dégradation anaérobie explique que, dans la buse B 2, si on laisse le percolat séjourner quelque temps, on constate que sa charge organique diminue au fur et à mesure que ses acides gras volatils s’évaporent ou se transforment en CH4 et CO2 et donc que son pH augmente. Le phénomène inverse se déroule, lorsqu’on pompe suffisamment longtemps pour remplacer les percolats stagnants dans la buse par ceux qui sont au cœur de la décharge.

CONCLUSION

L’étude de la caractérisation des lixiviats de décharges est complexe notamment pour deux raisons :

  • le problème de la représentativité du prélèvement est délicat à résoudre, surtout sur des sites dépourvus de système de drainage et de collecte ;
  • au niveau analytique, il faut tenir compte des interférences et de la non-adaptation du protocole d’évaluation de certains paramètres traditionnels (la DBO5 par exemple). Ce problème est d’autant plus important que la fiabilité de ces informations analytiques et leur nombre est primordial dès lors que l’on envisage d’aborder la traitabilité de ces effluents.

Les résultats obtenus mettent en évidence le rôle prépondérant des acides gras volatils dans la charge organique. Ils ne constituent toutefois pas à eux seuls cette charge, et l’identification de cette fraction inconnue et donc de sa biodégradabilité éventuelle est nécessaire. Cette détermination de la charge inconnue nécessite l’utilisation de techniques analytiques sophistiquées. Nous allons porter notre attention sur ce dernier point ainsi que, bien entendu, sur la mise au point de filières de traitement.

Parallèlement, le Laboratoire de la SLEE et Ordures-Service entreprennent une campagne de caractérisation des lixiviats sur l’ensemble des décharges contrôlées qu’ils exploitent en France.

La grande disparité de composition des six jus de décharges étudiés semble indiquer que les filières de traitement de chaque lixiviat seront spécifiques et qu’elles devront s’adapter à l’évolution (en quantité et composition) de ceux-ci au cours du temps.

Cette publication présente les premiers résultats concernant la caractérisation de six percolats de nature différente. Une quarantaine de paramètres ont été analysés sur chacun des percolats ; l’analyse des résultats obtenus donne les indications suivantes :

  • grande dispersion des résultats d’un lixiviat à l’autre,
  • difficulté importante d’obtenir un échantillon représentatif,
  • non-adaptation de quelques protocoles d’analyses (DBO5),
  • rôle prépondérant des acides gras volatils dans la charge organique,
  • nécessité d’identifier plus précisément les lixiviats en utilisant des techniques sophistiquées.

Tout ceci semble indiquer que la mise au point de filières de traitement sera délicate et constituera un problème spécifique à chaque site de décharge contrôlée.

Nota. – La bibliographie sera fournie par les auteurs aux lecteurs intéressés.

ANNEXE

Note de conditionnement des échantillons

  • Ajout de 2 ml/l de NaOH pour l’analyse des paramètres suivants : DCO, NTK, NH4, MOJ, OB, O.
  • Ajout de 1 ml/l de H3PO4 pour les métaux lourds et prélèvement en flacon en verre.
  • Ajout de 1 ml/l de H3PO4 et 1 g/l de CuSO4 pour les phénols.
  • Ajout de 2 ml/l de H2SO4 et utilisation de flacons en verre pour les hydrocarbures.
  • Prélèvement en flacons sortis du four pour les acides gras volatils suivi de transport sur glace et d’une congélation dès l’arrivée au laboratoire.
  • Transport en glacière à 4 °C pour tous les échantillons.
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