Un outil d'aide à la décision pour la gestion patrimoniale et la maîtrise des risques sanitaires sur les réseaux d'eau potable

En France, il existe 880 000 km de canalisations d’eau potable. Ce patrimoine est estimé à 79 milliards d’euros. Son état est préoccupant, car 10 % ont plus de 50 ans et 44 % ont entre 30 et 50 ans. Pour renouveler ce patrimoine âgé et vieillissant, les dépenses annuelles de renouvellement devront au minimum s’élever à 1,5 milliard d’euros jusqu’en 2050 afin de garantir une fourniture en eau satisfaisante. Au regard de l’investissement en jeu, le renouvellement des réseaux est un enjeu national demandant un important travail de

Réflexion et de concertation, qui pour l'instant n’a pas été mené. Dans la plupart des cas, la gestion patrimoniale des réseaux est plutôt d’ordre curatif puisqu’aucune démarche prévisionnelle n'est mise en place. Les conséquences de cette gestion « au coup par coup » sont : des financements irréguliers suivant les années, des difficultés financières pour certaines communes, et par conséquent in fine une dégradation de la qualité du service rendu.

Dans ce contexte, il a été développé un outil, dénommé PHARE, permettant de coupler la gestion patrimoniale et l’analyse de risques sanitaires afin de faciliter la prise de décision des gestionnaires, en sélectionnant les tronçons à renouveler et/ou à étudier en priorité. Une première application a été réalisée sur une commune rurale des Vosges.

Présentation de la méthodologie

Principes généraux

L'outil intègre certains concepts de la méthode HACCP (Hazard Analysis Critical Control Points) considérée comme la référence dans le domaine de la sécurité alimentaire.

En effet, il repose sur l’identification des dangers présents sur le système de distribution d’eau potable et l’examen des mesures de maîtrise permettant de les réduire à un niveau acceptable. Ces principaux éléments permettent de constituer un système d'indicateurs de performance et de critères de décisions afin d'identifier les tronçons prioritaires en termes de remplacement ou d’étude.

Description des indicateurs

- Indicateurs d’état : Ce sont des indicateurs de base obtenus par la modélisation, liés aux paramètres hydrauliques (pression…) et ceux liés aux risques sanitaires (temps de séjour, résiduel de désinfectant…) ou par un modèle de vieillissement de type fonction de survie (état de santé estimé de la conduite).

- Indicateurs de facteurs de danger : Ces indicateurs évaluent l’ensemble des dangers potentiels pesant sur la qualité de l'eau (présence de puits privés, réseau d’assainissement fuyard…) et sur l'intégrité physique de la canalisation (trafic routier élevé en surface, argiles rétractables, nombre de casses déjà enregistrées…) qui pourraient entraîner leur vieillissement prématuré ou leur casse soudaine.

- Indicateurs de dangers potentiels : Les dangers potentiels sont les dangers « bruts » qui existeraient en absence de toute mesure de maîtrise, diminuant leur importance et leur effet. Les dangers sont classés selon leur nature en quatre catégories : les dangers microbiologiques, de pollution chimique, d’interaction eau/matériau, de défaut hydraulique (coupure d’eau, inondation…).

- Indicateurs de mesures de maîtrise : Les mesures de maîtrise sont l'ensemble des actions mises en œuvre par le gestionnaire du réseau pour limiter un danger (programme de purge, …). Elles peuvent être mises en œuvre tout au long du réseau et même en amont du réservoir.

- Indicateurs de dangers résiduels : Ce sont les dangers réévalués en prenant en compte les mesures de maîtrise.

- Indicateurs de facteurs de vulnérabilité : Chaque danger est plus ou moins important selon l’effet qu’il aura. Ces indicateurs visent à évaluer les enjeux menacés, appelés les vulnérabilités (population, patrimoine urbain, finance, environnement).

- Indicateurs d’impacts : Ce sont les indicateurs finaux qui mesurent qualitativement l’impact des différents dangers résiduels sur les vulnérabilités. Ils sont résumés dans sept principaux : impact d'une pollution microbiologique, d'une pollution chimique, de l’interaction eau/canalisation, sur l'environnement, d’une défaillance sur le patrimoine urbain, d’une défaillance sur la distribution, sur les finances du gestionnaire.

Calcul des indicateurs

Tous ces indicateurs sont classés selon quatre modalités sur une échelle de niveau 1 à 4, 1 étant le niveau le meilleur et 4 le plus mauvais. La valeur des indicateurs de premier niveau est calculée à partir de seuils facilement paramétrables par l'utilisateur.

Les autres indicateurs sont dits « composites » car ils croisent deux indicateurs.

Enfin, une note finale est attribuée à chaque conduite. Elle renseigne sur le niveau de priorité de son remplacement. Cette hiérarchisation repose sur une clé de pondération des impacts potentiels de chaque conduite que le gestionnaire définira en fonction de sa politique et des enjeux locaux.

PHARE appliqué sur un réseau rural

L’application informatique développée calcule, à l’échelle de chaque tronçon, ce système d’indicateurs. Ce logiciel a été testé sur une commune rurale des Vosges.

… tant environ 1 000 habitants. La commune peut être considérée comme représentative des principales problématiques rencontrées sur les réseaux d’eau potable.

La base de données « patrimoine »

• - Les données physiques du réseau et de son environnement :

  Une base de données regroupant les informations relatives aux quelque 500 tronçons du réseau (date de pose, matériau, casse…) a été mise en place pour calculer le système d’indicateurs présenté précédemment. Des informations concernant le système urbain environnant (trafic, activité à risque…) sont aussi stockées dans cette base.

• - Résultats de modélisation :

  Les résultats de modélisation issus de ce logiciel de modélisation hydraulique nécessaires aux calculs des indicateurs dans PHARE sont stockés dans cette base de données. Les résultats concernent aussi bien les paramètres hydrauliques des nœuds et tronçons (vitesse, pression et ses variations…) que les paramètres liés aux risques sanitaires (résiduel de désinfectant, temps de séjour…).

Les résultats obtenus

• - Analyse des indicateurs de performance des conduites

  Il est possible de visualiser l’ensemble des indicateurs pour chaque conduite ou d’en sélectionner certains (figure 5).

  [Photo : Visualisation de certains indicateurs pour une conduite.]
  [Photo : Visualisation du réseau selon l'indicateur « note globale ».]

• - Visualisation sur SIG

  Afin d’avoir une vision plus globale, il est possible d’exporter l’ensemble des indicateurs sous un logiciel de visualisation gratuit, tel ArcReader®. Ainsi, selon un code couleur défini, les conduites apparaissent de manière différenciée selon l’indicateur choisi et selon la valeur de cet indicateur.

• - Plan de renouvellement

  Grâce à ces différentes vues, un plan d’action a été proposé afin d’améliorer le réseau et de diminuer les risques sanitaires :

  • Les indicateurs montrent que sur certaines zones, les vitesses y sont faibles entraînant des dépôts importants. La mise en place d’un programme de purge ou d’une désinfection permettra de réduire le problème sur ces points.

  • Un secteur fuyard et majeur en termes de desserte de réseau sera renouvelé dans un souci de protection de la ressource et afin de réduire les risques microbiologiques.

PHARE fournit un éclairage sur la hiérarchie …

hiérarchisation des priorités lors de réflexions sur le réseau d’eau potable d’une commune.

En particulier, lors d’un schéma directeur il permet d’avoir des résultats synthétiques, visualisables et donc aisément exploitables par une collectivité.

Il peut également servir d’outil de communication vers les élus et les différents services en charge des infrastructures, de la voirie…

Perspectives

Les évolutions de PHARE

L’outil est, d’ores et déjà, opérationnel. Toutefois, l’application sur d’autres collectivités permettra d’améliorer la définition de certains indicateurs, notamment celui lié à l’état de santé estimé d’une conduite. De plus, l’outil s’inscrit parfaitement dans une logique d’amélioration continue en lien avec la norme ISO 22000 Système de management de la sécurité des denrées alimentaires.

Il est prévu à court terme de coupler cet outil de gestion patrimoniale à celui créé pour la gestion des réseaux d’eaux usées (PHARE Assainissement).

Les collectivités disposeraient alors d’un module complet de gestion des réseaux d’eau (potable et usées) ce qui leur permettrait de connaître leur patrimoine et son état. La mise en place d’actions coordonnées sur les infrastructures eau et assainissement en sera grandement facilitée.

Le développement des pratiques de gestion patrimoniale

Les gestionnaires de réseau doivent impérativement mener des efforts significatifs en matière d’acquisition de données.

En effet, le plus important est maintenant la collecte d’informations tant sur le plan du réseau physique que de son environnement. Le simple fait de conserver, sous forme numérique, ces données dans une base constitue le premier pas vers une meilleure exploitation et suivi du réseau. C’est, naturellement, la qualité de cette base qui fera la qualité de l’outil de gestion du patrimoine. Le développement de l’utilisation des systèmes d’informations géographiques, et des outils d’aide à la décision en matière de gestion patrimoniale vont devenir incontournables. Ils permettront aux gestionnaires de ces ouvrages d’intégrer une véritable démarche d’amélioration continue.