Le traitement des eaux usées chargées en matières organiques par fermentation anaérobie, connu dans son principe depuis le siècle dernier a longtemps été supplanté par le traitement par voie aérobie ; relancé par la crise de l’énergie, il se développe depuis une douzaine d’années grâce aux progrès technologiques et aux nouvelles découvertes en microbiologie. Divers procédés de traitement calqués sur leurs homologues aérobies ont ainsi vu le jour peu à peu.
Le plus ancien, appelé procédé conventionnel, est celui utilisé notamment en assainissement individuel (fosse septique) et pour la digestion des boues. Dans ce type de réacteur, la fuite de biomasse dans l’effluent est égale à la production. La vitesse de croissance des bactéries méthanigènes étant faible, il en résulte une très faible concentration en matières actives dans le réacteur ; cette carence doit être compensée par un temps de séjour élevé.
Par la suite, on a cherché à diminuer le volume du fermenteur, en y maintenant une concentration en biomasse active la plus élevée possible :
- — en séparant la boue de l’effluent et en la recyclant dans le fermenteur. C’est le cas de procédé à contact, analogue dans sa conception à celui des boues activées ;
- — en utilisant une particularité de la boue à constituer dans des conditions très précises des agrégats ou granulés décantant mieux. Il s’agit du procédé à lit de boue dont le fonctionnement peut être aléatoire si l’on s’écarte quelque peu des conditions optimum ;
- — en les fixant sur un support selon diverses technologies parmi lesquelles on distingue le lit bactérien immergé, le filtre biologique anaérobie, le lit fluidisé.
Un nouveau procédé mis au point conjointement par la SAUR et l’IRCHA permet d’accroître considérablement la quantité de biomasse active dans le réacteur grâce à son immobilisation à l’intérieur d’une masse poreuse, constituée par de la mousse de polyuréthane réticulée. Ce matériau souple, léger, non abrasif, peut être manipulé facilement, permettant ainsi d’éviter le colmatage et le vieillissement de la biomasse. Il en résulte une augmentation des performances et une remarquable stabilité.
PRINCIPAUX PARAMÈTRES CARACTÉRISANTLE PROCÉDÉ
La masse poreuse
La masse poreuse est constituée de morceaux de mousse qui sont introduits en vrac dans la cuve du réacteur. Elle est définie par trois paramètres principaux : porosité de la mousse, dimensions des morceaux de mousse, taux de garnissage du réacteur.
Les valeurs choisies pour ces paramètres correspondent à un compromis entre l’optimisation de la vitesse de colonisation, ainsi que de l’activité méthanogène de la masse poreuse colonisée et la nécessaire minimisation des risques de colmatage.
Porosité
Le choix de la porosité résulte d’essais réalisés pendant deux à trois mois en réacteurs de 60 litres, alimentés par une solution de lactosérum acidifié. Ces essais ont porté sur trois types de mousse, sélectionnés lors des essais préliminaires au cours desquels une plus large gamme de porosité avait été étudiée.
Les mousses de 30 à 45 ppi qui conduisent à une plus grande densité de biomasse (25 à 40 g/litre de réacteur) et à une plus grande stabilité du réacteur sont préférables à celles de porosité plus faibles.
Forme et dimensions des éléments de support
Nous avons choisi d’utiliser des morceaux de mousse de forme cubique. Des essais ont été entrepris afin d’évaluer les dimensions de ces cubes, au-delà desquelles les vitesses de réaction sont fortement limitées par la diffusion, dans les conditions habituelles d’utilisation : faible vitesse ascensionnelle et concentration de biomasse proche de 35 grammes par litre de mousse. Trois réacteurs de 60 litres alimentés en continu par un milieu synthétique (voir composition plus loin) et contenant des cubes d’arête 1, 2 et 4 cm ont été utilisés. Les cubes, occupant 13 à 16 % du volume des réacteurs, étaient fixés sur des tiges, à intervalles réguliers, de façon à être totalement
immobilisés et individualisés (absence de ponts inter-cubes ou cubes-paroi).
Après colonisation totale des cubes, les essais ont permis de déterminer l’activité de chaque réacteur (figure 2). À la fin de ces essais, les cubes de 1, 2 et 4 cm contenaient respectivement 26,5, 25,5 et 24,5 g/l de protéines, valeurs qui semblent correspondre à la colonisation maximale des MPU-45. Les différences d’activité constatées proviennent donc de l’influence limitante de la diffusion, qui ne paraît négligeable que pour les cubes de 1 cm d’arête. Cette limitation d’activité est d’autant plus importante que la concentration du substrat est plus faible. Pour les mousses de polyuréthane du type MPU-45, les performances optimales doivent donc être recherchées en utilisant des cubes d’arête 1 à 2 cm et des effluents concentrés. Pour des raisons d’ordre technico-économique, le choix des cubes d’arête 2 cm semble actuellement le plus judicieux.
Taux de garnissage
Le taux de garnissage est égal au rapport entre le volume occupé par la masse poreuse (ici les cubes de mousse en vrac), et le volume de la cuve du réacteur. La concentration des micro-organismes dans le réacteur est, après colonisation, proportionnelle au taux de garnissage. Un taux élevé peut donc être favorable à l’efficacité du réacteur. En contrepartie, il peut aussi provoquer des pertes de charge incompatibles avec un bon fonctionnement hydraulique, et conduire à d’importants risques de colmatage. Le choix du taux de garnissage résulte donc habituellement d’un compromis, qui dépend notamment de la nature du matériau support utilisé et des caractéristiques de l’effluent à traiter.
Dans le cas des mousses de polyuréthane, il dépend principalement de la nature du substrat, de sa concentration et de sa biodégradabilité. En effet, une partie du biogaz produit est temporairement retenue dans les pores de la mousse (tension superficielle). Du fait de cette rétention gazeuse, la densité des éléments de support diminue. Ils se déplacent vers le haut du réacteur sous l’effet de la poussée d’Archimède et peuvent ainsi, compte tenu de leur souplesse, subir un écrasement préjudiciable au bon fonctionnement du réacteur. Ce phénomène se manifeste de manière d’autant plus intense que les matières organiques biodégradables présentes dans l’effluent sont plus concentrées et/ou que la viscosité de l’effluent est plus forte. Habituellement, le taux de garnissage est compris entre 30 et 50 %.
Fonctionnement du réacteur
Le mode de fonctionnement du réacteur doit favoriser les échanges entre le substrat et les micro-organismes, ainsi que la stabilité et l’homogénéité de l’activité du lit de mousse.
Recyclage du liquide
La vitesse ascensionnelle joue un rôle dans la colonisation des mousses de polyuréthane, en favorisant la migration des bactéries à l’intérieur de la masse poreuse. Le retard observé sur le démarrage des réacteurs à écoulement piston s’explique par le fait que l’inoculum décante dans la partie inférieure du réacteur, ce qui retarde la colonisation complète.
Les résultats relatifs aux phases stables sont conformes aux modèles proposés pour les systèmes de traitement biologique (4) et confirment la supériorité des productivités obtenues en réacteurs pistons (figure 3).
Néanmoins, la stabilité des résultats dépend du substrat : lorsque le taux de recyclage est nul, de brutales variations de la charge appliquée peuvent engendrer l’acidification du milieu si l’on utilise un substrat lactosé, alors que ce type d’incident n’est jamais constaté sur milieu synthétique (voir sa composition plus loin). Le choix du taux de recyclage ne peut donc pas être uniquement basé sur un critère de productivité, mais doit être adapté à chaque substrat. Par ailleurs, la vitesse ascensionnelle doit toujours être assez forte pour éviter la décantation des boues libres au fond du réacteur (le débit d’alimentation peut parfois suffire).
Rupture du lit
Après colonisation des éléments de mousse, la densité bactérienne atteint un maximum et l’équilibre est réalisé
par relargage de biomasse. La concentration des boues libres augmente ; celles-ci peuvent alors agir comme un ciment et provoquer l’agglomération des cubes entre eux, donc la formation de nombreuses zones mortes.
Un moyen d’assurer la stabilité et l’homogénéité de l’activité du lit est de provoquer, périodiquement ou non, la mise en mouvement des cubes de mousse les uns par rapport aux autres, ce qui peut être réalisé par des moyens mécaniques ou hydrauliques, et doit permettre la rupture du lit et non son déplacement en bloc.
Des essais ont été effectués dans des réacteurs alimentés par du lactosérum acidifié, afin d’évaluer l’influence de la rupture du lit sur l’efficacité des réacteurs. Les résultats obtenus (figure 4) montrent que, pour des charges volumiques variant de 5 à 25 kg de DCO/m³/jour, la rupture répétée du lit permet non seulement d’améliorer très notablement la productivité et la capacité d’épuration, mais aussi d’augmenter la charge volumique admissible.
RESULTATS OBTENUS AVEC DIVERS SUBSTRATS
Substrat synthétique M₁
C’est le milieu de référence par excellence : c’est celui qui permet de faire des études systématiques, d’acquérir des données précises pour tester le procédé.
Ce milieu synthétique a la composition suivante :
- NH₄Cl : 1 g l⁻¹
- KH₂PO₄ : 3 g l⁻¹
- K₂HPO₄ : 1 g l⁻¹
- MgCl₂·6H₂O : 0,1 g l⁻¹
- Acide acétique : 3 g l⁻¹
- Éthanol : 1,5 ml l⁻¹
- Solution A : 10 ml l⁻¹
- Solution B : 10 ml l⁻¹
Solution A (mg l⁻¹) : MgSO₄·7H₂O : 3000 ; MnSO₄·2H₂O : 500 ; NaCl : 1000 ; FeSO₄·7H₂O : 100 ; CoCl₂ : 100 ; acide nitrilotriacétique : 1500 ; CaCl₂·2H₂O : 100 ; ZnSO₄ : 100 ; CuSO₄·5H₂O : 10 ; H₃BO₃ : 10 ; NaMoO₄ : 10 ; NiCl₂ : 50.
Solution B (mg l⁻¹) : Biotine : 5 ; pyridoxine HCl : 10 ; riboflavine : 5 ; acide nicotinique : 5 ; D.L. pantothénate de calcium : 5 ; acide p-aminobenzoïque : 5.
Le pH est amené à 6,8-7,0 par un mélange NaOH-KOH 5 N dans un rapport 3/1. Le milieu est préparé par lots de 20, 50 ou 200 l, stocké à 4 °C en cuve réfrigérée et agitée, et renouvelé tous les trois jours. L’étape limitante pour la dégradation de ce substrat est l’utilisation de l’acétate, puisque les faibles valeurs d’élimination de DCO ne s’accompagnent pas d’accumulation d’éthanol.
Les résultats obtenus figurent au tableau 1.
Tableau 1 – Résultats sur milieu synthétique
TEMPS DE SÉJOUR (h) | CHARGE EN DCO (g l⁻¹ j⁻¹) | RENDEMENT SUR LA DCO (%) | PRODUCTION CH₄ (ml g DCO initiale) |
---|---|---|---|
3,0 | 41,9 | 92,6 | 295 |
1,6 | 77,2 | 82,5 | 282 |
0,6 | 199 | 72,4 | 237 |
0,5 | 237 | 69,6 | 213 |
Lactosérum
Le lactosérum utilisé pour les essais était obtenu par dilution de poudre du commerce à l’aide d’eau permutée pour l’obtention d’un substrat à 15-20 g l⁻¹ de DCO.
Les premiers essais ont fait apparaître des difficultés de fonctionnement dues à une acidification rapide, résultat du faible pouvoir tampon du milieu et de la concentration élevée en sucres facilement métabolisables. Pour remédier à ces difficultés nous avons dû réaliser une première étape d’acidification, c’est-à-dire la transformation du lactose en acide lactique à l’aide de bactéries spécifiques (Lactobacillus bulgaricus). Le lactosérum acide ainsi préparé dans un réacteur séparé permet de conserver dans le méthaniseur un processus stable malgré des concentrations parfois élevées en AGV.
La limitation relative de l’activité du réacteur semble due essentiellement à l’accumulation de matières plus lentement biodégradables. Pour vérifier cette hypothèse, une série d’essais complémentaires a été réalisée.
Tableau 2 – Résultats obtenus avec le lactosérum
QUALITÉ DU SUBSTRAT | TEMPS DE SÉJOUR (h) | CHARGE EN DCO (g l⁻¹ j⁻¹) | RENDEMENT SUR DCO (%) | PRODUCTION CH₄ (ml g DCO initiale) |
---|---|---|---|---|
Sérum acidifié | 26,4 | 12,3 | 82,5 | 311 |
Sérum acidifié | 19,9 | 17,4 | 78,5 | 300 |
Sérum acidifié | 16,7 | 20,8 | 61,7 | 248 |
Sérum acidifié | 13,2 | 26,3 | 48,6 | 192 |
Sérum acide déprotéiné | 14,6 | 22,4 | 91,6 | 319 |
Sérum acide déprotéiné | 8,1 | 40,4 | 87,5 | 307 |
Sérum acide déprotéiné | 6,0 | 54,4 | 84,1 | 304 |
Sérum acide déprotéiné | 4,4 | 73,3 | 71,8 | 265 |
sérum acide déprotéiné obtenu par centrifugation après chauffage préalable à la température de 90 °C pendant 35 minutes. Ce traitement conduit à plus de 80 % d’élimination des protéines. Les résultats du tableau 2 montrent une amélioration des performances du réacteur.
Vinasses de mélasse de betteraves
La vinasse obtenue par dilution de produit concentré a la composition moyenne suivante :
DCO : 20 000 mg/l DBO : 10 000 mg/l Matière sèche totale : 14 000 mg/l NTK : 111 mg/l P. Total : 20 mg/l Sulfates : 2 800 mg/l
Une complémentation en phosphore, sous forme d’acide phosphorique, permet de ramener le rapport DCO/N/P à 100/5,56/1,1.
La vinasse de mélasse de betteraves ne permet pas d’atteindre des taux d’élimination de DCO très élevés en raison de sa forte teneur en sulfates ; en effet, les sulfates sont sans influence sur la DCO d’entrée, mais sont réduits en sulfures pendant la fermentation. L’hydrogène sulfuré, éliminé avec les autres produits gazeux de la fermentation, ne représente qu’une fraction relativement faible (10 à 25 % en S) des sulfures formés. Ceux qui sont en solution dans l’effluent du fermenteur représentent une part importante (20 à 30 %) de la DCO de sortie. C’est également pour cette raison que les productions de gaz obtenues au cours d’essais sur ce substrat sont toujours supérieures à celles que donne le calcul théorique en fonction de la DCO éliminée.
Les résultats obtenus sont portés sur le tableau 3 et la figure 5.
Tableau 3 – résultats sur pilote de 65 litres
Éléments | Minimum | Maximum | Moyenne sur les 7 derniers mois | Moyenne sur les 15 dernières semaines |
---|---|---|---|---|
Charge volumique appliquée (kg de DCO/m³ j) | 28,4 | 38,6 | 34,0 | 35,4 |
Taux d’élimination de la DCO (%) | 43,9 | 68,5 | 57,3 | 63,4 |
Production de CH₄/DCO introduite (l/kg) | 189,5 | 312,0 | 257,6 | 284,1 |
Taux de CH₄ (%) | 57,5 | 68,6 | 63,8 | 66,4 |
Eaux résiduaires de papeterie
L’eau usée objet des essais provient de la fabrication de papier carton à partir de vieux papiers recyclés. L’eau est prétraitée par floculation-décantation pour l’élimination des matières en suspension, ce qui permet le recyclage en fabrication de la totalité des boues et d’une partie des eaux décantées. Après prétraitement, l’eau a les caractéristiques moyennes suivantes :
DCO = 2 000 à 4 000 mg/l DBO₅ = 1 000 à 2 000 mg/l MeS = 50 mg/l pH = 5,2 à 5,6
Elle est neutralisée et enrichie en nutriments N et P avant introduction dans le réacteur de 6 m³ (figure 6).
CONCLUSION
Le réacteur anaérobie à mousse de polyuréthane permet d’obtenir des performances tout à fait comparables à celles des procédés de sa génération.
Il présente d’autres avantages : une simplicité de mise en œuvre, un démarrage rapide et une adaptabilité remarquable aux changements de régime.
Les principaux paramètres qui régissent sa mise en œuvre (porosité, dimensions des blocs, taux de garnissage du réacteur, charge appliquée, taux de recyclage, etc.) doivent être soigneusement choisis en fonction de la nature du substrat.
REMERCIEMENTS :
les travaux de laboratoire, effectués à l’I.R.C.H.A. pour la mise au point du procédé, ont bénéficié du soutien financier de l’A.F.M.E.
BIBLIOGRAPHIE :
Les lecteurs intéressés pourront obtenir les références bibliographiques auprès des auteurs.