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Un nouveau procédé de traitement biologique aérobie des graisses

30 octobre 1992 Paru dans le N°158 à la page 94 ( mots)
Rédigé par : Philippe GRULOIS, Gédéon ALRIC et Jacques MANEM

Les résidus graisseux, à l'instar des boues résiduaires urbaines ou de nombreux déchets industriels posent aujourd'hui un véritable problème d’élimination. Une prise de conscience des réels enjeux de l'environnement ainsi qu'un changement du contexte législatif sont à l'origine de cette situation.

Pour être réellement significatif, un bilan de pollution implique la prise en compte de toutes les sources de production et de rejets. Le cas des résidus graisseux, émanant de la restauration, du réseau d’assainissement ou des stations d’épuration, est de ce fait aujourd'hui reconsidéré. Les responsables des Centres d’Enfouissement Techniques (CET) refusant de plus en plus l’admission des résidus graisseux, ou les acceptant à des prix prohibitifs, cette modification de contexte a incité le Ministère de l'Environnement et l'ANRED à chercher des solutions alternatives : épandage agricole, compostage, incinération ou traitement biologique. À cet effet, le Centre International de Recherche Sur l’Eau et l’Environnement (CIRSEE) a mis au point un procédé breveté de traitement biologique aérobie des graisses : Biomaster® G.

Les problèmes de mise en décharge des déchets graisseux sont apparus en 1985 dans la région parisienne. Selon une étude réalisée en 1989 par De Lauzanne, la destination des résidus graisseux se répartissait en 1983 comme indiqué par le tableau I.

Les effets indésirables des graisses

Le réseau d’assainissement est le premier ouvrage exposé aux effets des graisses. Du fait de leur insolubilité dans le milieu aqueux, les corps gras se déposent et s’accumulent progressivement dans les ouvrages du réseau et sur les parois des canalisations jusqu’à une obstruction complète. Bowermann et al. (1962) ont montré que ces dépôts graisseux sont constitués de 80 à 95 % d’acides gras insolubles (acides gras à 16 carbones et plus) sous forme saponifiée.

[Photo : Fig. 1 – Hydrolyse des triglycérides (Lehninger A.L., 1972).]

Les graisses qui ne se déposent pas dans les canalisations du réseau arrivent à l'entrée de la station où elles participent de façon importante à la charge polluante de l'eau résiduaire. À l’entrée de la station d’épuration, la fraction de la charge polluante apportée par les graisses est estimée à environ 35 % de la DCO (Bridoux, 1992).

D’autres formes de nuisances interviennent sur la chaîne de traitement et particulièrement au niveau du bassin d’aération où l’impact des graisses est le plus manifeste. La présence de graisses y provoque un abaissement du transfert d’oxygène. Deux phénomènes contribuent à cet effet :

  • la présence d’un film lipidique à l’interface air/eau qui diminue le transfert d’oxygène (Boutin et al., 1975) ;
  • l'adsorption des graisses sur la boue qui pénalise le transfert entre l’air et le floc bactérien (Duchêne, 1980).

Une concentration excessive de graisses au niveau du traitement biologique aérobie aura donc comme conséquence une diminution de l’efficacité de l’épuration réalisée. De plus, de nombreuses observations sur les stations d’épuration ont montré qu'il existe une relation entre la forte teneur

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Fig. 2 : Biomaster G, version autonome.

en graisses dans le bassin d’aération etla présence d’organismes filamenteux(du type Nocardia amarae).

Le traitement biologiqueaérobie des graisses

Le traitement biologique des graissespermet la dégradation de celles-cien eau et en dioxyde de carbone pardes micro-organismes spécialementadaptés à ce substrat. La dégradationdes lipides va s’opérer en deux phasessuccessives : l’hydrolyse des lipides enacides gras, puis l’oxydation des acidesgras libres en dioxyde de carbone et eneau. Les mécanismes biochimiques dela dégradation, et particulièrement laphase d’hydrolyse, sont encore assezmal connus.

L’hydrolyse des triglycérides

La coupure des fonctions esters donneune molécule de glycérol et trois molé-cules d’acides gras libres. La réactiongénère la formation de composés inter-médiaires, les diglycérides et les mono-glycérides. Dans un réacteur biolo-gique, ces réactions sont consécutives,simultanées et co-courantes, suivant leprocessus reporté sur la figure 1.

En milieu humide, l’hydrolyse se faitpréférentiellement par voie enzyma-tique appelée lipolyse. Les lipases sontdes enzymes qui catalysent l’hydrolysedes liaisons esters des glycérides enlibérant des acides gras.

L’oxydation des acides gras

En épuration des eaux, le processusbiochimique de cette réaction estencore mal défini ; aussi est-il admisqu’il suit la voie de la β-oxydation. Plusconnue sous le nom de spirale deLynen, la β-oxydation est une succes-sion de coupures oxydatives s’effec-tuant sur le carbone en β de la fonctioncarboxyle.

Fig. 3 : Chromatogramme d’un mélange artificiel contenant lescomposés suivants : 1) C6, 2) C7, 3) C10, 4) C11, 5) C12, 6) C14,7) C15, 8) C16, 9) C18, 10) squalane (étalon interne), 11) TG 30,12) TG 42, 13) TG 48, 14) TG 54,

L’activité enzymatique

La dégradation des lipides est favoriséepar les réactions enzymatiques. Lalipase, soluble dans l’eau, agit sur desmolécules à l’état émulsionné et inso-luble. Un procédé biologique fonction-nera d’autant mieux que les graissesseront finement dispersées ou émul-sionnées. Ces lipases ont un spectred’activité très large en ce qui concernele pH et la température notamment. Cepotentiel permet d’obtenir, après sélec-tion sur une flore bactérienne étendue,un mélange bactérien optimal pour ladégradation des lipides dans les condi-tions considérées.

L'étude et la compréhension de cesphénomènes a permis de développer leprocédé de traitement biologique desgraisses Biomaster® G.

Le procédé Biomaster G

Le procédé est actuellement réalisé endeux versions. La version compacte estattenante à un prétraitement de dégrais-sage et permet d’éliminer au fur et àmesure les graisses extraites sur la sta-tion d’épuration par un transfert directentre la surverse du dégraissage et lebassin de traitement biologique desgraisses. La seconde version, dite auto-nome, est plus complète et va êtredécrite ici en détail. Il est possible dansce cas de recevoir des rejets provenantde l’extérieur et de les traiter. L’instal-lation se compose de deux parties prin-cipales (figure 2) : la fosse de dépotageet le bassin de traitement biologique.

La fosse de dépotage

Dans la fosse de dépotage sont récep-tionnées les graisses provenant de lastation d’épuration, de bacs à graisses,d’industriels,... Un canal de dépotage (1)

assure le transfert des graisses jusqu’àla fosse. Un système d’agitation (7) per-met l’homogénéisation des graissesavant leur introduction dans le réacteurbiologique. Ce stockage intermédiaire aégalement pour but de permettre decontrôler et d’ajuster la charge qui seraenvoyée ultérieurement sur le bassin detraitement biologique. Une pompe (6)assure le transfert des graisses d’unouvrage à l’autre. La fosse de dépotageest couverte et désodorisée (2).

Le réacteur biologique

Le substrat graisseux est injecté dans leréacteur biologique à une charge volu-mique de 2,5 kg DCO.m⁻³.j⁻¹. L’aérationest assurée par un système de diffusiond’air, en fond de réacteur (3). L’injectiond’air permet également le brassage duréacteur. Le temps de séjour préconisépour la dégradation des graisses est de20 jours environ.

Il est nécessaire, pour garantir un déve-loppement optimum de la biomassespécifique, de prévoir la possibilitéd’équilibrer le substrat en termes de rap-port C/N/P. Un local permettra de stoc-ker l’engrais agricole utilisé à cette fin.

La réaction conduit à une acidificationdu milieu par la libération des acidesgras libres. Une régulation de pH entre6,5 et 7 est possible par injection dechaux. Les ions calcium de ce réactifoffrent de plus l’avantage d’être des co-facteurs enzymatiques de la réactionlipolytique. Une arrivée d’eau brute (4)doit être prévue afin de permettre dediluer les graisses entrantes lorsqu’ellessont trop concentrées. Le rejet traité estévacué vers le bassin de traitement bio-logique de la station d’épuration (5).Contrairement à de nombreux systèmesdisponibles, ce procédé ne nécessiteaucun apport extérieur régulier de bio-masse sélectionnée.

EAU, L’INDUSTRIE, LES NUISANCES — N° 158 — OCTOBRE 1992 95

Tableau I

Destination des résidus graisseux en 1983

Destination Pourcentage concerné %
Epandage agricole 28
Dépôt en station d’épuration* 37
Mise en décharge 30
Divers (dont incinération) 5

* Il est à noter que le dépôt en station d’épuration n’est qu’une solution intermédiaire et que la plupart des graisses qui y sont stockées sont envoyées en décharge.

Tableau II

Performances obtenues sur des réalisations industrielles de Biomaster G.

Sites Charge volumique (kg DCO·m-³·j-¹) Élimination DCO* (%) MEH (%)
Pouilley-les-Vignes 0,72 74 93
Cholet 2,2 51 84
Vercel 4,2 60 72

Suivi analytique

Le suivi du procédé est réalisé par la mesure de paramètres globaux (DCO, MES, MVS) et de paramètres physico-chimiques (pH, température, oxygène dissous). De plus, une méthode d’analyse plus spécifique des graisses a été mise au point au CIRSEE, pour évaluer la composition quantitative et qualitative de l’échantillon considéré. Les lipides totaux sont extraits dans un mélange hexane/méthanol et analysés, dans un second temps, en chromatographie en phase gazeuse (détermination de la concentration en MEH, figure 3).

Performances

Le procédé permet d’éliminer plus de 80 % des graisses entrantes si les conditions de fonctionnement préconisées sont respectées. Plusieurs installations industrielles en service à l’heure actuelle confirment ces résultats (tableau II). L’ajout de ces « boues » sur la filière de traitement biologique de la station d’épuration n’a qu’un impact mineur en terme de charge de pollution. Il est même probable que la biomasse ajoutée, compte tenu de son activité spécifique, soit bénéfique.

Conclusion

Dans le contexte actuel, le traitement biologique aérobie constitue une solution efficace aux problèmes posés par les graisses. Celles-ci sont transformées en dioxyde de carbone, en eau et en biomasse. L’effluent constitué principalement de biomasse est retourné sur la filière de traitement des eaux, au niveau du réacteur biologique. Biomaster G répond bien aux nouvelles exigences ; les graisses sont éliminées sans nuisances particulières et sont transformées en sous-produits intégrables sans effets secondaires dans la filière de traitement en place. Les performances obtenues avec le procédé démontrent une fois encore l’intérêt de travailler avec un substrat spécifique, homogène et concentré, ce qui nécessite de traiter la pollution à sa source et non pas après mélange et dilution.

BIBLIOGRAPHIE

1. Boutin P., Vachon A., Bechac J.P. et Lopez B. (1975), Mesure de la capacité d’oxygénation dans les stations de traitement à boues activées en mélange intégral, Techniques et Sciences Municipales, 11, pp. 493-501. 2. Bowermann F.R. and Dryden F.D. (1962), Garbage, detergents and sewers, Journal of Water Pollution Control Federation, 34, 5, pp. 475-494. 3. Bridoux G. (1992), Mesure des graisses dans les stations d’épuration. Dégradation des graisses par voie aérobie. Thèse de Doctorat de l’Université de Compiègne. 4. De Lauzanne R. (1989), Gisement, enjeux, situation actuelle de l’élimination des déchets graisseux en France. La collecte et l’élimination des déchets graisseux. Actes du colloque ANRED (Paris), pp. 5-20. 5. Lehninger A.L. (1972), Biochemistry. 2ᵉ édition, Worth Publishers, Inc. New York, USA. 6. Lemmer H. and Baumann M. (1988), Scum actinomycetes in sewage treatment plant — part 2: The effect of hydrophobic substrate, Water Research, 22, 6, pp. 761-763.

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