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Un nouveau procédé de restauration des lacs acides : le traitement des sédiments par des briquettes de carbonate de soude

30 octobre 1990 Paru dans le N°140 à la page 94 ( mots)
Rédigé par : H. DESSART

L'ensemble des phénomènes connus sous le nom de « pluies acides » a suscité une vaste littérature et de vastes efforts de recherches consacrés à leurs causes, à leurs effets sur l'environnement et aux moyens de les éviter ou de les réduire.

L'étude des effets écologiques s'est pratiquement focalisée sur les dégâts causés au milieu forestier dans diverses régions du monde ; par contre on a moins parlé de la contribution des pluies acides à la destruction de l'écosystème d'un nombre immense de lacs de l'hémisphère nord. Cette destruction est, pourtant, péniblement ressentie par les habitants des régions où se trouvent ces « lacs acides » où toute vie animale et végétale est en voie de disparition.

Le 31 mai 1989 paraissaient dans les quotidiens suédois « Sydöstran » et « Blekinge Läns Tidningar » des reportages décrivant l'immersion de briquettes de carbonate de soude dans les eaux du lac Alasjön de la province de Blekinge. Le 12 juin 1989, l'une des deux chaînes de télévision suédoises diffusait, au cours d'une émission périodique consacrée aux événements positifs pour l'environnement, un reportage montrant le même traitement appliqué au lac Strömsjön. Ces reportages marquaient en fait les premiers essais à grande échelle d'un procédé qui va sans doute permettre la restauration durable de l'écosystème de nombreux lacs acides.

L’acidification des lacs

Des milliers de lacs et de rivières en Scandinavie et en Amérique du Nord, localisés sur des lits rocheux faiblement altérables ou sur des sols pauvres en calcaire, souffrent des effets de l'acidification de leurs eaux. Celle-ci peut avoir des origines naturelles, telles que des apports d’eaux infiltrées dans des sols naturellement acides, mais elle est aggravée, depuis des dizaines d'années, par des séquelles de l'activité humaine, principalement par les pluies acides.

Les apports acides consomment les ions bicarbonates naturellement présents dans les eaux du lac. Lorsque la réserve d'ions bicarbonates est consommée, la valeur du pH s’abaisse drastiquement et devient instable. En soi, un faible pH de l'eau est défavorable à la vie aquatique végétale et animale. En outre, l’acidité de l’eau provoque la remobilisation de métaux antérieurement fixés dans les sédiments des fonds des lacs ; en particulier le mercure, le cadmium et l’aluminium. En effet, une grande partie des matières formant sédiment est constituée de composés humiques. Ces composés présentent une aptitude à fonctionner comme échangeurs de cations.

Si on représente par R le radical humique, l'échange ionique résultant de l’acidification peut être décrit par l’équation :

(R — Me) + H⁺ → (R — H) + Me⁺. (1)

Acidification et remobilisation de métaux toxiques ont pour effet la disparition progressive de la flore aquatique mais aussi des poissons et écrevisses, jadis très abondants dans ces lacs et dont la pêche était non seulement une activité de loisirs, mais aussi une source de revenus pour les riverains.

La restauration des lacs acides par voie calcique

Le remède classique à l'acidification est l'épandage de poudre de calcaire ou de chaux à la surface des lacs et des cours d'eau. C’est, actuellement, le seul procédé, appliqué à grande échelle, qui permette d'obtenir une certaine amélioration de l’état des lacs acides.

La Suède consacre, annuellement, de très importants budgets au traitement de ses lacs par voie calcique. L'épandage de produits très finement divisés se fait au départ de barges ou même de conteneurs suspendus à des hélicoptères.

Malheureusement ce traitement ne rencontre que des succès assez divers : très souvent, l’effet de neutralisation est insuffisant et surtout de trop courte durée ; l’eau, traitée sur une trop faible profondeur est évacuée rapidement par les émissaires des lacs. Il en résulte que des lacs de haute valeur écologique ne peuvent être traités valablement ou encore que l'épandage calcique doive être répété quasi annuellement (figure 1). La répétition trop fréquente des traitements, outre son caractère onéreux, constitue en soi une nuisance (chantiers au bord des lacs, dégagements de poussières, bruit).

La restauration des lacs par voie sodique

L’épandage superficiel d’un neutralisant plus efficace que le calcaire ou la chaux, le carbonate de sodium, en poudre ou sous forme

granulée, a été expérimenté en Amérique du Nord. Cet épandage se heurte aux mêmes inconvénients que l’épandage calcique : effet superficiel et éphémère.

En 1979, l'Institut de Limnologie de l'Université de Lund (Suède) a expérimenté une idée nouvelle : traiter le sédiment du fond du lac plutôt que l'eau de surface ; en fait, il s'agit de mettre à profit la propriété d'échange ionique du sédiment. Si l'échange ionique décrit par l'équation (1) a pour effet de remobiliser certains métaux, il constitue en effet, par la fixation d'ions H⁺, un moyen naturel de neutraliser l’acidité. Dans de nombreux lacs acidifiés, cette capacité d’échange ionique est épuisée.

D’où l'idée de restaurer la capacité d’échange cationique de la matière humique en introduisant, au moyen de carbonate de sodium (Na₂CO₃), des ions Na⁺ dans le sédiment :

(R—H) + Na⁺ → (R—Na) + H⁺. (2)

L'ion H⁺, ainsi déplacé, forme du bicarbonate, du dioxyde de carbone et de l'eau par combinaison avec l'ion CO₃ du carbonate de sodium :

CO₃ + H⁺ → HCO₃ (3)
HCO₃ + H⁺ → CO₂ + H₂O. (4)

La capacité échangeuse d’ions est ainsi restaurée et est disponible pour neutraliser les apports acides ultérieurs par réaction inverse :

(R—Na) + H⁺ → (R—H) + Na⁺. (5)

Il en résulte qu'un traitement des sédiments d’un lac au moyen de carbonate de sodium a non seulement un effet rapide sur l’acidité de l'eau mais crée, au fond du lac, une réserve d’agent neutralisant capable d’équilibrer les apports acides extérieurs pendant une longue durée. En outre, le carbonate de sodium provoque la libération de petites quantités de phosphore fixées dans le sédiment. Cette libération est favorable à une refertilisation du lac « mort ». Il faut, en effet, savoir que les lacs acides, pour la plupart situés dans des régions relativement peu peuplées, ne reçoivent pas les apports surabondants en phosphore liés aux activités humaines, qui provoquent la surfertilisation et l'eutrophisation de certains lacs dans des régions de forte densité de population.

L'Institut a, en 1979, entrepris une série d'essais, en laboratoire, puis en enceintes de matières plastiques implantées dans le sédiment d'un lac. Réalisés sous la direction du Dr Gunilla Lindmarck, ces essais ont montré la pertinence de l'idée de constituer une réserve de sodium dans le sédiment. Les résultats furent prometteurs au point de justifier, en octobre 1980, le traitement complet du sédiment du lac suédois Lilla Galtsjön.

[Photo : Fig. 1 : Évolution de l’alcalinité des eaux de lacs traités par voie calcique.]
[Photo : Fig. 2 : Évolution depuis 1980 de l’alcalinité des eaux du lac Lilla Galtsjön traitées par voie sodique (origine : Dr Gunilla Lindmark, Institut de Limnologie de l'Université de Lund).]

Le procédé issu de ces essais (dénommé Contracid) consiste à injecter dans le sédiment une solution aqueuse à 10 % de carbonate de sodium. La solution, préparée dans un mélangeur installé sur la rive du lac, est pompée, par une conduite souple, vers un radeau motorisé guidé par un câble. Le radeau traîne, sur le fond du lac, une sorte de herse dont les pointes sont constituées d’injecteurs qui introduisent la solution de carbonate de sodium à 10 à 15 cm sous la surface de la couche de sédiment. La consommation de carbonate de sodium est de l'ordre de 4 t/ha.

L’écosystème du lac avait été étudié soigneusement (paramètres chimiques, flore, faune) une année avant l’opération. Après le traitement, ces différents paramètres ont été contrôlés systématiquement chaque année. Aujourd’hui, neuf ans après le traitement, l'écosystème du lac, restauré dès la première année, reste parfaitement équilibré : le sédiment continue à libérer de l’alcalinité en compensant les apports acides et les pertes par les émissaires (figure 2). La flore et la faune aquatique (poissons et écrevisses) se sont reconstituées.

Le procédé n’a malheureusement connu, à ce jour, que peu d’applications. Il est permis de penser que sa technologie s'est révélée quelque peu trop compliquée compte tenu des conditions dans lesquelles elle devait être mise en œuvre.

L’immersion de « briquettes » de carbonate de sodium

En 1987, la société Solvay, premier producteur mondial de carbonate de sodium, conçut l’idée qu'il serait possible de faire pénétrer du produit solide, dans le sédiment d'un lac, par simple immersion sous la surface de l'eau. À cette fin, le carbonate de sodium devait être présenté sous une forme physique appropriée.

Une étude, passant, à nouveau, par la phase de laboratoire et par les enceintes implantées dans un lac fut confiée à l'Institut de Limnologie de l'Université de Lund, afin de vérifier le comportement de « briquettes » de carbonate de sodium traversant des hauteurs d'eau de 4 à 12 m et aboutissant à la surface

[Photo : Fig. 3 : Evolution de l'acidité des eaux du lac Alasjön traitées par carbonate de sodium *.]

* Les résultats obtenus à partir des eaux du lac Strömsjön sont identiques.

du sédiment. Les essais furent réalisés en 1988 par le Dr. Lindmark. Les briquettes de carbonate de sodium pénétraient à quelques cm sous la surface du sédiment et se dissolvaient lentement dans l'eau interstitielle. Les mesures systématiques des paramètres écologiques amenèrent à la conclusion que, par simple immersion de briquettes, on pouvait obtenir le même effet que par une injection de solution. Les résultats de ces essais ont fait l'objet d'une communication du Dr. Lindmark au XXIV° Congrès de l'Association Internationale de Limnologie à Munich (août 1989 — Textes en cours d'édition).

Au début de 1989, Solvay concluait, toujours avec le même Institut, un contrat de deux ans prévoyant :

• la reconnaissance écologique complète de deux lacs de la province de Blekinge (les lacs Alasjön et Strömsjön, tous deux acides mais dont l'un avait été traité quelques années auparavant par voie calcique avec des résultats insuffisants) ;

• le traitement de ces deux lacs, avant l'été 1989, par déversement contrôlé de briquettes de carbonate de sodium ;

• le suivi écologique des deux lacs jusqu'en fin 1990.

Les « briquettes » de carbonate de sodium se présentent sous la forme de blocs ovoïdes, s'inscrivant dans un parallélépipède de 25 × 35 × 45 mm et d'une masse d'environ 45 g. Elles sont produites à partir du carbonate de sodium des soudières de Solvay, produit qui répond aux spécifications de l'US Food Chemical Codex.

En début 1989, Solvay a chargé une entreprise familiale de la province de Blekinge de construire un appareillage permettant l'immersion régulière des briquettes de carbonate de sodium, consistant en une série de quatre distributeurs à godets, alimentés par une trémie et installé sur un ponton qui peut être remorqué par un radeau motorisé. Par l'immersion de 4 à 6 t de carbonate de sodium/ha, cet appareillage, destiné au traitement de petits lacs, permet de traiter 10 ha de lacs par semaine.

C'est ce dispositif qui a été utilisé, avec succès, pour le traitement des lacs Alasjön et Strömsjön en 1989.

Le lac Alasjön, d'une surface de 10,3 ha, présente une profondeur moyenne de 4,8 m et une durée théorique de renouvellement de l'eau de 0,4 an ; le pH de l'eau avant traitement était de 5,8.

Le lac Strömsjön, d'une surface de 11,7 ha, présente une profondeur moyenne de 4,4 m et une durée théorique de renouvellement de l'eau de 0,9 an ; le pH de l'eau avant traitement y était également de 5,8.

Les premiers prélèvements opérés une semaine après traitement montraient déjà un pH légèrement supérieur à 7 ; celui-ci s'est depuis stabilisé à 7,2-7,4. Le suivi limnologique (pH, alcalinité, conductivité, examen de l'évolution du plancton et des différentes espèces de poissons) se poursuit jusqu'à fin 1990.

Les résultats acquis à ce jour sont suffisamment favorables pour que l'on puisse, sans attendre, préparer le développement du procédé de la société ; Solvay est bien décidé à en promouvoir l'application au plus grand nombre possible de lacs atteints par l'acidification dans le monde. À cet effet, un appareillage destiné à de plus grands lacs est actuellement à l'étude.

L'action commencera par la Suède, la Norvège et la Finlande. Le projet fera appel au patronage des autorités nationales et régionales, aux associations de défense de la nature ainsi qu'à la collaboration d'Instituts de Limnologie, de groupements de riverains des lacs, d'associations de pêcheurs et, bien entendu, d'entreprises spécialisées dans les travaux d'assainissement des lacs. Cette action est coordonnée par une cellule d'experts installés depuis le début de 1990 dans les locaux de la filiale suédoise de Solvay à Stockholm.

BIBLIOGRAPHIE

[1] CRONBERG G., LINDMARK G.K. & BJÖRK S., 1988 : Mass development of the flagellate Gonyostomum semen (Raphidophyta) in Swedish forest lakes — an effect of acidification ? Hydrobiologia 161, 217-236.

[2] DE PINTO J.V., SCHEFFE R.D., YOUNG R.C., BOOTY W.G. & RHEA J.R., 1987 : Use of acid lake reacidification model (Alarm) to assess impact of bottom sediments on calcium carbonate treated lakes. Proc. North American Lake Management Society (NALMS), Portland, USA, Nov. 5-8, 1986, 421-429.

[3] LESSMARK O. & THÖRNELÖF E., 1986 : Liming in Sweden. Water, Air and Soil Pollution 31, 809-815.

[4] LINDMARK G.K., 1982 : Acidified lakes : Sediment treatment with sodium carbonate — a remedy ? Proc. Int. Symp. on Interactions between sediments and Freshwater, Kingston, Ontario, Canada, June 1981 (Ed. P. Sly), Hydrobiologia 92, 537-547.

[5] LINDMARK G.K., 1984 : Acidified lakes : Ecosystem response following sediment treatment with sodium carbonate. Verh. Internat. Verein. Limnol. 22, 772-779.

[6] LINDMARK G.K., 1985 : Sodium carbonate injected into sediment of acidified lakes : A case study of Lake Lilla Galtsjön treated in 1980. Proc. Fourth Annual Conference and International Symposium on « Lake and Reservoir Management : Practical Applications », North American Lake Management Society (NALMS), McAfee, NJ, USA, Oct. 16-19, 1984, 89-93.

[7] LINDMARK G.K., 1989 : Soda ash briquettes in lake sediment. A new approach in reclamation of acidified waters (Communication au XXIV° Congrès de l'Association Internationale de Limnologie, Munich, août 1989. Texte non encore publié).

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