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Un nouveau procédé de nitrification intensive

30 mai 1996 Paru dans le N°192 à la page 29 ( mots)
Rédigé par : Jacques MANEM et Valentina LAZAROVA

Les normes de plus en plus sévères vis-à-vis de l'élimination du carbone, de l'azote et du phosphore, la nécessité de moderniser les installations existantes et les contraintes de terrain pour la construction de nouvelles stations d'épuration, exigent la mise en ?uvre d'une nouvelle stratégie de développement et de gestion de l'assainissement. Afin de répondre à ce besoin immédiat d'une meilleure protection de l'environnement, le groupe Lyonnaise des Eaux s'est engagé dans un effort important de recherche, menée dans le Centre International de Recherche sur l'Eau et l'Environnement (CIRSEE), sur la conception de nouvelles technologies avancées, plus efficaces, performantes et fiables, permettant l'intensification, l'optimisation et l'automatisation des filières de traitement des eaux.

L’efficacité des procédés biologiques est souvent contrôlée par l’étape de la nitrification, qui est la plus sensible vis-à-vis des variations des charges massiques et hydrauliques et des conditions environnementales. Afin de favoriser le développement des populations nitrifiantes, une des nouvelles tendances technologiques est la dissociation du temps de séjour hydraulique de celui de la biomasse par la mise en œuvre des cultures fixées.

Le nouveau procédé à lit circulant d’un support flottant, le Turbo N®, s’inscrit dans le cadre de cette nouvelle génération de procédés biologiques. Son concept innovant permet de coupler les avantages des procédés intensifs (rendements très élevés, transfert de matière accéléré) avec un fonctionnement relativement simple, sans dispositifs techniques sophistiqués. Le procédé, conçu et développé par le CIRSEE, est industrialisé par Degrémont. Deux projets industriels sont en cours, l’un en France et l’autre en Allemagne.

Le concept du lit flottant circulant Turbo N® (figure 1) consiste en :

[1] la séparation verticale du réacteur en deux zones aérée et non aérée,

[2] l’introduction d’un support flottant à faible granulométrie,

[3] l’induction d’une circulation ordonnée des trois phases par l’injection de gaz.

Ce concept technique particulier confère au procédé deux grands avantages :

• des rendements biologiques élevés, un meilleur transfert de matière et l’auto-contrôle d’un biofilm mince et actif ;

• la flexibilité opératoire et la simplicité de maintenance déterminées par l’absence de dispositifs techniques complexes (distribution homogène de l’eau et de l’air, lavages) sans nécessité de décantation primaire ou de recirculation des boues.

Un prototype semi-industriel (volume 5 m³), installé sur la station d’épuration d’Évry (figure 2), a été utilisé pour l’étude des performances hydrodynamiques du procédé et pour la définition de sa capacité de nitrification en traitement tertiaire et secondaire.

Efficacité du procédé en nitrification tertiaire

L’analyse des résultats de fonctionnement en traitement tertiaire (figure 3) montre un démarrage rapide de la nitrification et une stabilisation de la capacité nitrifiante à 1,5-2 kg N/m³·j, sans aucune accumulation intermédiaire de nitrites.

L’activité nitrifiante du procédé n’a pas été altérée d’une manière importante par les divers types de dysfonctionnement, en particulier par les surcharges en matières organiques et en suspension (DCO_i = 200 mg/l, MES = 120 mg/l pendant les journées 29-30).

Ces bonnes performances nitrifiantes s’expliquent par le maintien d’un biofilm mince et actif. Les cinétiques de nitrification observées sont d’environ

19 mgN-NH₄/gMV h (90 mgN-NH₄/gProtéines h).

[Photo : Lit flottant circulant. Schéma de principe.]
[Photo : Evolution de la capacité de nitrification en traitement tertiaire (concentrations initiales en ammonium 25-50 mgN/l, oxygène dissous 6 mg/l, T = 17 ± 1 °C).]
[Photo : Vue du prototype semi-industriel.]

Performances en traitement secondaire

Les bonnes performances de nitrification du nouveau procédé ont été également confirmées en traitement secondaire avec alimentation en eaux décantées primaires (rapport DCOₛₒₗᵤbₗₑ/N-NH₄ d’environ 10).

Dans des conditions d’élimination conjointe de l'azote et du carbone, la nitrification est l’étape limitante. Les bactéries hétérotrophes responsables de la dégradation du carbone se multiplient très vite et consomment l’oxygène disponible, en défavorisant ainsi le développement des bactéries nitrifiantes. Afin de mieux étudier ce mécanisme de compétition entre différentes espèces de bactéries épuratrices, la dynamique des populations du biofilm a été suivie à l'aide de méthodes analytiques avancées (tests respirométriques et sondes nucléiques).

Après une période rapide de démarrage et de stabilisation de la capacité de nitrification (charges azotées éliminées d’environ 0,6 kgN/m³·j), le prototype a été mis en fonctionnement à débit variable. Le débit d’alimentation a été augmenté d’un facteur deux pendant les heures de pointe journalière en pollution (du 9h00 à 15h00), simulant ainsi le régime opératoire réel d’une station d’épuration. Il faut noter que ce régime de fonctionnement se caractérise par une augmentation du flux massique en azote et en carbone respectivement d’un facteur 4 et 3, ce qui est particulièrement défavorable pour la nitrification.

Les résultats obtenus dans les échantillons moyens correspondant à chaque période, diurne ou nocturne, ont montré que les surcharges journalières n’affectent pas d’une manière significative la stabilité du fonctionnement du procédé (figure 4). La capacité maximale de nitrification s’équilibre par rapport aux charges massiques maximales, ce qui se traduit par des rendements de nitrification toujours supérieurs à 80 %. L'augmentation des flux de pollution pendant les pointes.

[Photo : Influence des pointes en pollution azotée en flux massique sur les rendements de nitrification du procédé en traitement secondaire (concentrations initiales jusqu’à 65 mgN-NH₄/l et 250 mg DCO, TSH 2 h et 4 h).]
[Photo : Exemple d'une variation journalière des charges azotées appliquées et éliminées (T = 17 °C, oxygène dissous pendant la pointe 4 mg/l).]

Diurnes a pour conséquence une légère fuite en ammonium de l’ordre de 5-8 mg/l (baisses ponctuelles des rendements jusqu’à 80 % pour les températures relativement faibles de 13,5 ± 0,5 °C). Avec l’augmentation de la température à 17-18 °C, ces fuites deviennent négligeables, inférieures à 2,5 mg/l, pour des rendements supérieurs à 90 %. Il faut noter que la concentration en oxygène dissous pendant les pointes diminue de 5 à 3 mg/l, au niveau du seuil critique pour la nitrification.

Il faut rappeler que l’élimination de la pollution carbonée reste complète pour toutes les conditions opératoires (concentrations résiduelles en DBO₅ < 5 mg/l et en DCO₅ < 50 mg/l). Les charges organiques éliminées sont de 2 à 4 kg DCO/m³ total j⁻¹.

La figure 5 présente une courbe typique d’évolution journalière des charges azotées appliquées et éliminées par ce nouveau procédé.

Les cinétiques de nitrification observées pendant l’élimination conjointe de l’azote et du carbone sont de l’ordre de 2,8 mg N-NH₄/g MV h (12 mg N-NH₂/g protéines h), valeur voisine des cinétiques des boues activées. Par contre, la masse du biofilm est de 3 à 4 fois plus élevée que les concentrations des boues activées, ce qui explique la capacité de nitrification importante du Turbo N®.

L’analyse par les sondes nucléiques de la composition du biofilm a montré que les bactéries nitrifiantes restent en fortes proportions (environ 22 % de la masse bactérienne) même pendant le fonctionnement en traitement secondaire à charges organiques et azotées variables. Ces résultats indiquent que la baisse des cinétiques spécifiques de nitrification en traitement secondaire est due plutôt aux limitations en oxygène (consommé rapidement par les bactéries hétérotrophes) qu’à des pertes en population nitrifiante.

Conclusion

Les principaux résultats de cette étude peuvent être résumés dans les points suivants :

  • • Le nouveau procédé se caractérise par une grande stabilité de fonctionnement vis-à-vis des perturbations accidentelles, des surcharges hydrauliques et massiques et des conditions environnementales.
  • • Les charges éliminées en nitrification tertiaire sont élevées, jusqu’à 1,5-2,0 kg N/m³ total j⁻¹.
  • • Les charges azotées éliminées en traitement secondaire (rapport DCO₅/N-NH₄ jusqu’à 10) sont de 0,6 ± 0,1 kg N/m³ total j⁻¹ à 13,5 ± 0,5 °C (efficacité de nitrification 90-95 %). Cette capacité nitrifiante est de trois à quatre fois plus élevée que celle des boues activées en aération prolongée. Le procédé s’adapte bien aux variations des charges (variations quotidiennes des charges appliquées de 0,2 à 0,7 kg N/m³ total j⁻¹).
  • • L’élimination du carbone reste complète dans toutes les conditions de fonctionnement et atteint des charges éliminées d’environ 4 kg DCO/m³ j⁻¹.
  • • Le nouveau procédé permet un autocontrôle de l’épaisseur et de l’activité du biofilm. La population nitrifiante reste un constituant important du biofilm (jusqu’à 22 % de la masse bactérienne) pendant le fonctionnement en traitement secondaire.

En conclusion, il faut noter que la capacité élevée de nitrification et la stabilité de fonctionnement du nouveau procédé sont favorisées par le contrôle efficace de l’activité de la biomasse fixée et par le bon transfert de matière. Cette nouvelle technologie, compacte et fiable, peut être une solution attractive et compétitive aussi bien pour la réhabilitation des stations d’épuration existantes que pour la construction de nouveaux ouvrages plus compacts et sans nuisance pour le milieu environnant.

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