Le lavage chimique est le procédé de désodorisation le plus utilisé dans les stations d'épuration. Dans le cas où le deuxième tour de lavage à pH 9, qui permet d'éliminer principalement l'hydrogène sulfuré, utilise le chlore libre comme oxydant, celui-ci est injecté sous forme d'eau de Javel ou généré électrochimiquement à partir de chlorure de sodium. L'introduction de l'électrolyseur au sein du contacteur gaz-liquide permet l'amélioration des rendements d'épuration de l'hydrogène sulfuré en période de pointe de pollution. Cette configuration résoud les problèmes de production électrolytique de chlore dans une tour à pH 11.
Françoise PERSIN - CNRS et Véronique RISSONS - F-TEC Indus
Le lavage chimique est le procédé de désodorisation le plus utilisé dans les stations d’épuration. Dans le cas où la deuxième tour de lavage à pH 9, qui permet d’éliminer principalement l’hydrogène sulfuré, utilise le chlore libre comme oxydant, celui-ci est injecté sous forme d’Eau de Javel ou généré électrochimiquement à partir de chlorure de sodium. L’introduction de l’électrolyseur au sein du contacteur gaz-liquide permet l’amélioration des rendements d’épuration de l’hydrogène sulfuré en période de pointe de pollution. Cette configuration résout les problèmes de production électrolytique de chlore dans une tour à pH 11.
Le traitement des effluents gazeux des stations d’épuration des eaux usées constitue une source de nuisances olfactives importantes. Parmi les techniques de désodorisation, l’absorption par voie humide est l’une des plus utilisées. Dans ce procédé, deux à trois tours de lavage sont mises en œuvre en série. Selon les familles de composés à éliminer, la solution de lavage est acide (pH 2-3 : absorption des composés azotés type ammoniac, amines) ou basique oxydante (pH 9 : absorption et oxydation des composés type sulfures et disulfures ; pH 11 : absorption et oxydation des composés type mercaptans essentiellement). Pour éliminer efficacement les composés soufrés et notamment l’hydrogène sulfuré (H₂S), polluant majoritaire en flux, on emploie le plus couramment dans les deux dernières tours le chlore libre comme oxydant. Actuellement, dans les différents procédés par lavage au chlore libre, celui-ci est ajouté dans la boucle de recirculation sous forme d’Eau de Javel ou par électrochloration d’une saumure. Les performances de ces techniques sont très voisines ; en ce qui concerne l’H₂S, 99 % sont éliminés pour des teneurs moyennes sur 24 heures de 4 mg·m⁻³. Ces performances sont moins bonnes lorsque la teneur d’entrée devient égale à 10, voire 25 mg d’H₂S·m⁻³, c’est-à-dire lors des pointes de pollution. En effet, pendant ces périodes, il faut que le rendement de l’installation soit supérieur à 99 % pour atteindre un rejet situé dans la norme (0,1 mg d’H₂S·m⁻³). Dans ces conditions, une troisième tour de lavage à pH 11 permet d’absorber les pointes de concentration en H₂S en améliorant le rendement global de l’installation. Cette tour, introduite initialement pour piéger les mercaptans, complète efficacement le traitement de l’H₂S. Cependant, elle est coûteuse au niveau des investissements et du fonctionnement, du fait qu’elle induit une consommation importante de soude liée à la carbonatation des solutions de lavage (transfert en solution du CO₂ atmosphérique) ; elle est par conséquent difficilement envisageable dans toutes les stations d’épuration, et il semble dès lors moins onéreux d’améliorer le rendement du procédé à deux tours, ce qui a fait l’objet de nos travaux menés sur pilote de laboratoire. Industriellement, l’électrochloration est réalisée dans le circuit extérieur à la tour d’absorption : l’innovation consiste à l’effectuer au sein du contacteur gaz-liquide.
L’électrochloration
L’électrochloration correspond à une technique de chloration basée sur la génération électrochimique du chlore libre (entendre par chlore libre la somme des espèces Cl₂, HClO et ClO⁻). Celle-ci peut être schématisée par l’ensemble des réactions qui interviennent :
à l’anode : 2 Cl⁻ → Cl₂ + 2 e⁻ [1], suivie de la dismutation du chlore gazeux selon : Cl₂ + H₂O ⇄ HClO + Cl⁻ + H⁺ [2], à la cathode : 2 H₂O + 2 e⁻ → H₂ + 2 OH⁻ [3], soit un bilan global théorique : Cl⁻ + H₂O → H₂ + ClO⁻ [4].
L’électrochloration, technique d’utilisation plus récente que l’emploi de l’Eau de Javel dans le domaine de la désodorisation, présente de nombreux avantages. Sa mise en œuvre s’effectue à l’aide de cellules d’électrolyse constituées de matériaux et d’électrodes non attaquables par le chlore. Les anodes utilisées dans l’industrie sont de deux types : les électrodes en graphite et les électrodes métalliques de type DSA (« dimensionally stable anode » = anode dimensionnellement stable). La détérioration plus facile des électrodes en graphite a contribué au remplacement de celles-ci par les DSA.
Présentation du pilote
Afin de favoriser les échanges de matière entre les phases liquide, gazeuse et solide (électrodes), le système d’électrolyse est introduit à l’intérieur de la tour de lavage expérimentale. Cette nouvelle configuration sera appelée par abus de langage “électrolyse interne”, par opposition au schéma classique dans lequel l'électrolyseur est placé dans la boucle de recirculation externe de la solution de lavage (= “électrolyse externe”, toujours par abus de langage).
La cellule électrochimique met en jeu le ruissellement de la solution de lavage entre deux électrodes. L’électrode supérieure, du type DSA, présente une structure déployée tandis que l’électrode inférieure est réalisée en nickel plein. Ce dispositif, conçu et étudié par Legrand [2] puis Nanzer [4] a été appliqué à la récupération du cuivre dans des solutions diluées. L’utilisation du métal déployé disposé sensiblement horizontalement permet un meilleur départ des bulles engendrées à l'anode (Cl₂, O₂) comme à la cathode (H₂) et un meilleur contact air-solution. Elle favorise donc les transferts de matière (H₂S contenu dans l’air-solution, chlorures-électrode) et le dégagement de chlore gazeux.
Le pilote d’absorption gaz-liquide présenté sur la figure 1 est constitué par une tour de lavage parallélépipédique. Les fluides air et eau circulent à contre-courant. L’air comprimé utilisé sert de vecteur de l’hydrogène sulfuré et fonctionne en circuit ouvert, tandis que l'eau circule en circuit fermé. L’hydrogène sulfuré est mélangé à l’air dans le barboteur B₁. Ce flux (10,4 m³·h⁻¹) se divise en deux : une partie (0,2 m³·h⁻¹) sert à des fins d’analyse (barboteurs B₂ et B₃, compteur CG₁), l’autre à des fins de traitement. Le flux à traiter arrive dans un litre et demi de solution de lavage située en pied de tour. À l'aide d’un système identique situé après la tour de lavage, en dérivation du circuit principal, on détermine la quantité d’hydrogène sulfuré contenue dans le fluide de sortie (barboteurs B₄ et B₅, compteur CG₂).
Matériel et méthodes
Méthodes analytiques (non rappelées ici, cf. Rissons [5])
Protocole expérimental
La configuration du pilote reste inchangée quel que soit le procédé étudié. Dans chaque cas, nous utilisons 4 l de solution tamponnée à 0,01 M en hydrogénocarbonate-carbonate (ce qui correspond à la concentration en solution à l’équilibre avec le CO₂ atmosphérique pour la force ionique considérée) qui contiennent 0,427 M de NaCl (= 25 g·l⁻¹) en électrolyse et 0,005 M (= 0,3 g·l⁻¹) en injection d’eau de Javel. L’intensité du courant appliquée est fixée à 44 A·m⁻² en électrolyse “interne” et à 25 A·m⁻² en électrolyse “externe”. On effectue l’électrolyse de la solution pendant les premières trente minutes sans injection d’H₂S, on détermine le rendement faradique en chlore libre et les pertes sous forme de chlore gazeux, puis on effectue le couplage absorption-oxydation pendant une durée d’une heure afin de comparer les performances des techniques dans les conditions les plus identiques possibles.
Résultats expérimentaux
Rendement de l’électrochloration
En électrolyse interne, le rendement faradique s’établit à 11 ± 1 % sous forme de chlore gazeux et à 70 ± 2 % sous forme de chlore libre en solution; globalement il s’élève à 81 ± 3 %.
En électrolyse externe, il n’y a pas de pertes sous forme de chlore gazeux et le rendement est de 83 ± 3 %.
Ces bons rendements sont comparables à ceux rencontrés dans le milieu industriel.
Résultats
Sur la figure 2 sont représentées les variations du rendement d’épuration en fonction du taux de chloration R*i défini comme le nombre de moles de chlore libre produites ou injectées en solution par mole d’H₂S pénétrant en phase gazeuse; on se ramène ainsi à une même quantité d’H₂S entrant dans
Le pilote sans présomption sur son transfert.
Pour un taux de chloration supérieur à 4, c’est-à-dire en sur-stœchiométrie (HS⁻ + 4 ClO⁻ → SO₄²⁻ + 4 Cl⁻ + H⁺), les techniques sont apparemment équivalentes, ce qui confirme les résultats de la littérature concernant l’électrolyse externe et l’Eau de Javel.
Par contre, pour un taux de chloration inférieur à 4, c’est-à-dire en sous-stœchiométrie (HS⁻ + ClO⁻ → S⁰ + Cl⁻ + OH⁻), l’injection d’Eau de Javel est moins performante que l’électrolyse, l’électrolyse interne semblant légèrement plus efficace.
Nous présentons à la figure 3 l’évolution de la consommation en chlore libre R (nombre de moles de chlore libre ayant réagi par mole d’H₂S consommée) en fonction du taux de chloration R₁ (nombre de moles de chlore libre produites ou injectées en solution par mole d’H₂S oxydée).
Les consommations sont similaires et atteignent la valeur limite prévue par la théorie en sur-stœchiométrie.
En sous-stœchiométrie, les travaux ont montré qu’il se forme du soufre colloïdal en quantité plus importante quand on utilise l’injection d’Eau de Javel (q(S⁰) Javel > q(S⁰) E. Externe > q(S⁰) E. Interne). Plus le taux de chloration est faible, plus les écarts entre les procédés en ce qui concerne la quantité de soufre formée sont élevés. Par ailleurs, toujours en sous-stœchiométrie, nous avons observé la formation de polysulfures (HSₙ⁻) sauf avec l’Eau de Javel. En effet, avec ce dernier procédé il subsiste toujours un peu de chlore en fin d’expérience et la solution finale est exempte de soufre (-II) tandis qu’en électrolyse coexistent soufre (0), polysulfures (HSₙ⁻ en quantité plus importante en électrolyse interne) et soufre (-II). Ces observations montrent que la réaction d’oxydation est plus avancée pour le même temps de contact dans les deux procédés électrolytiques. On doit admettre que les mécanismes réactionnels d’oxydation du soufre (-II) diffèrent d’un procédé à l’autre.
Il semblerait que la première étape d’oxydation du soufre (-II) soit plus rapide en électrolyse externe et surtout interne, ce qui conduit à une absorption plus importante de l’hydrogène sulfuré. Néanmoins, lorsque l’absorption est trop importante par rapport à la quantité de chlore libre présente, on retrouve du soufre (-II) en excès. Cette hypothèse paraît être confirmée par le fait qu’avec l’Eau de Javel il reste toujours du chlore libre en fin d’expérience bien qu’on soit en sous-stœchiométrie ; la cinétique d’oxydation serait donc plus lente. Par ailleurs, ceci est cohérent avec l’oxydation directe de l’hydrogène sulfuré que nous avons montrée réalisable sur DSA [5]. On peut donc penser que l’oxydation électrochimique est plus rapide que l’oxydation chimique. Elle conduit, par oxydation directe, à la formation de soufre, puis à celle de polysulfures permettant une solubilisation du soufre et accélérant par la même le transfert de l’hydrogène sulfuré.
Conclusion
En sur-stœchiométrie, les techniques utilisées sont comparables. Les procédés d’électrolyse ne deviennent plus efficaces qu’en sous-stœchiométrie, grâce aux phénomènes d’oxydation directe ; c’est-à-dire par comparaison avec le milieu industriel lorsque l’hydrogène sulfuré arrive par bouffées en concentration importante et que le résiduel de chlore libre s’avère insuffisant.
L’électrolyse interne semble légèrement plus performante que l’électrolyse externe, de par une formation plus importante de polysulfures. Par ailleurs, lorsque l’installation globale comporte trois tours, comme c’est souvent le cas, nous envisageons d’utiliser l’entraînement de chlore gazeux observé en électrolyse interne à pH 9, de la deuxième vers la troisième tour à pH 11 pour permettre de résoudre les problèmes de production électrolytique du chlore libre liés à la formation de carbonates à ce pH [5]. Dans la configuration à deux tours, l’électrolyse interne est intéressante lors des pointes de pollution ; dans ce cas, le dégagement de chlore gazeux vers l’extérieur n’est pas souhaitable et il convient d’introduire un étage de garnissage au-dessus des électrodes les plus proches du dévésiculeur.
Bibliographie
[1] Handbook of chlorination (1986), Van Nostrand Reinhold, New York, White G.C., 2ᵉ édition.
[2] Legrand J., Coeuret F. (1983), Brevet français n° 81 19115.
[3] Martin G., Laffort P. (1990), Odeurs et désodorisation dans l’environnement, Techniques et Documentation, Lavoisier, 452 p.
[4] Nanzer J. (1990), Contribution à l’ouverture du génie électrochimique vers le génie biomédical, le génie de l’environnement et l’électrochimie industrielle, Thèse d’Université, Rennes, 256 p.
[5] Rissons V. (1993), Procédé de traitement d’un mélange air-hydrogène sulfuré par lavage basique oxydant avec génération électrolytique interne du chlore, Thèse d’Université, Montpellier, 322 p.