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Un nouveau procédé biologique de lutte contre les bactéries filamenteuses dans les stations d'épuration

31 mai 1993 Paru dans le N°164 à la page 53 ( mots)
Rédigé par : Jean-yves BIAS, Pascale HUET et Michel-le GLOAN

La prolifération des bactéries filamenteuses dans le floc biologique est le problème le plus souvent rencontré dans les stations d'épuration à boues activées. Ces micro-organismes diminuent les performances épuratrices en ralentissant la décantation des boues. Un nouveau procédé biologique, le procédé Biolen, apporte une solution efficace pour contrôler le développement de ces bactéries. Nous exposons ici les résultats obtenus à l'aide de ce procédé dans la station d'épuration d'un abattoir de volailles.

Un nouveau procédé biologique, le procédé Biolen®, apporte une solution efficace pour contrôler le développement de ces bactéries. Nous exposons ici les résultats obtenus à l’aide de ce procédé dans la station d’épuration d’un abattoir de volailles.

On estime que les bactéries filamenteuses posent problème dans 25 % des stations d’épuration à boues activées (Pujol, 1988). Les filaments les plus fréquemment rencontrés sont, par ordre d’importance, 0041, 0092, Microthrix spp., Thiotrix spp., 021N (1). Le genre Nocardia est rarement en cause dans le phénomène de foisonnement ou bulking ; sa présence se traduit plutôt par la formation de mousse (filaments hydrophobes).

Lorsque ces bactéries foisonnent, elles allègent le floc bactérien et forment une trame empêchant la séparation des boues et de l’eau épurée. Les boues mal décantées s’échappent alors du décanteur secondaire et polluent le milieu récepteur.

Le bulking est défini par un indice de boue décantée en 30 mn supérieur à 200 ml g⁻¹ (2) et la présence de filaments lors de l’observation microscopique de la boue.

Le problème des pertes de boues évoqué plus haut se pose lorsque le volume décanté en ml l⁻¹ (3) est supérieur au volume décanté maximal admissible dans le décanteur. Ce volume est défini en fonction de la vitesse ascensionnelle (4) à l’aide de la courbe présentée sur la figure 1.

Si ce problème de décantation est associé à la présence de filaments bactériens lors de l’observation microscopique, il faut rechercher les facteurs responsables de leur développement afin d’y remédier.

Les principales causes du développement de bactéries filamenteuses dans les boues biologiques sont les suivantes (Jenkins et al., 1986) :

(1) Les codes correspondent à des bactéries filamenteuses caractérisées selon leur morphologie au microscope et les réponses à des tests microbiologiques. Cette classification résulte des travaux de Eikelboom (1975).

(2) Indice de boue : cet indice représente le volume occupé par un gramme de boue après 30 mn de décantation dans une éprouvette d’un litre. Il est défini par la formule suivante :

            volume décanté en 30 mn (ml)
I  =  ————————————————————————
        concentration MES dans l’éprouvette (g l⁻¹)

Le volume décanté doit être inférieur à 300 ml. S’il est supérieur, il faut diluer les boues avec de l’eau épurée.

(3) Volume décanté corrigé : celui-ci est calculé en multipliant l’indice des boues obtenu, selon Eikelboom, par la concentration en biomasse du bassin aéré.

(4) Vitesse ascensionnelle : elle se calcule selon la formule suivante :

            débit influent (m³ h⁻¹)
Va =  ——————————————————
        surface du décanteur (m²)

Septicité des effluents : les effluents ayant séjourné trop longtemps en anoxie sont riches en acides gras volatils et en mercaptans. Ces éléments favorisent le développement des filaments bactériens appartenant généralement aux genres Microthrix ou Thiothrix, qui génèrent souvent des mousses à la surface du bassin aéré et un foisonnement des boues biologiques. Ces problèmes de septicité des effluents se produisent lorsqu’il y a retour, en tête de station, des eaux issues du traitement d’épaississement des boues biologiques, lorsque le réseau en amont est trop long ou lorsque le système d’aération du bassin aéré est insuffisant et laisse décanter des boues biologiques au fond du bassin.

Carence en carbone : cette carence se produit dans les boues activées en aération prolongée et en faible charge à mélange intégral. Les filaments généralement présents sont : 0041, 0092, Microthrix spp., 021N, 0675.

Carence en nutriments N et P : en forte charge massique, ces carences provoquent principalement le développement de Sphaerotilus natans et/ou Thiotrix spp. En faible charge massique, ces carences induisent plutôt le développement de 0041, 0092, Thiotrix sp., 0961… Il y a carence en nutriment lorsque les concentrations dans l’influent sont inférieures à 5 mg d’azote l⁻¹ et 1 mg de phosphore l⁻¹ pour 100 mg l⁻¹ de DBO à éliminer pour des eaux usées « classiques », ou lorsque les concentrations en azote et en phosphore sont respectivement inférieures à 5 mg l⁻¹ et 1 mg l⁻¹ pour 100 mg l⁻¹ de DCO à éliminer pour les eaux usées contenant des composés facilement dégradables (sucre, alcool) ce qui est le cas de nombreuses industries agro-alimentaires (Morfaux et al., 1979).

Enfin, dans tous les cas, une mauvaise oxygénation de la biomasse et la présence de graisses ou autres flottants dans l’influent sont des facteurs aggravant, augmentant le risque de foisonnement.

Lorsque, malgré une modification des paramètres favorisant leur développement (équilibre DBO/N/P, bilan oxygène, réglage du recyclage des boues, charge massique conforme aux dimensions de l’ouvrage, établissement d’une zone de contact) les filaments bactériens sont toujours présents et induisent une mauvaise décantation, une amélioration très nette peut être apportée par l'emploi du procédé Biolen.

Le procédé biologique Biolen

Ce procédé consiste à ensemencer régulièrement le bassin d’aération d’une station d’épuration avec un produit associant un mélange de souches bactériennes sélectionnées (appartenant notamment aux genres Bacillus sp., Pseudomonas sp., Escherichia sp. et Enterobacter sp.), de levures et d’enzymes. La croissance de ces micro-organismes au sein de l’écosystème du bassin d’aération va concurrencer les bactéries filamenteuses et limiter leur développement.

Le produit Biolen contient environ 1 à 3 × 10⁹ cellules g⁻¹.

Il agit à plusieurs niveaux :

  • • en dégradant les graisses, privant ainsi les bactéries filamenteuses de substrats (notamment acides gras volatils),
  • • en dégradant les agents tensio-actifs responsables de l’émulsion des graisses,
  • • en fragilisant la gaine des filaments, ce qui conduit à la rupture et donc à la réduction de leur taille.

La dégradation des glycérides est entamée par des enzymes du type lipase qui rompent la liaison entre le glycérol et les acides gras. Ces composés sont ensuite métabolisés par trois souches bactériennes qui utilisent les acides gras comme source de carbone (voie de l’oxydation). Ces bactéries sont naturellement et fortement productrices de lipases endogènes qui sont excrétées des cellules et qui achèvent l’action initiale des lipases exogènes. Deux autres souches bactériennes dégradent spécifiquement les agents tensio-actifs, qui perturbent le transfert d’oxygène.

La dégradation des graisses et des agents tensio-actifs permet d’améliorer le transfert d’oxygène au sein du floc biologique. D’autres enzymes de type amylase et alcalase vont dégrader les matières organiques carbonées, en fournissant ainsi aux boues activées une source de carbone supplémentaire facilement assimilable, puisque déjà partiellement dégradée.

Enfin, d’après nos observations, les enzymes interviennent en attaquant la gaine des bactéries filamenteuses ; celles-ci sont ainsi fragilisées et ne résistent plus aux variations de pression osmotique, ce qui entraîne leur destruction.

Application du procédé dans la station d’épuration d’un abattoir

Il s’agit d’un abattoir de volailles pour lequel une bonne épuration est particulièrement importante, puisque le rejet s’effectue dans un cours d’eau qui alimente une pisciculture située en aval.

Caractéristiques de l’influent à traiter

L’influent contient du sang, des urines, des restes d’abattage, des graisses et les eaux de lavage des camions et de l’usine.

La pollution moyenne est approximativement la suivante :

DCO : 3 000 mg O₂ l⁻¹
DBO₅ : 1 500 mg O₂ l⁻¹
NTK : 200 mg N l⁻¹
PT : 20 mg P l⁻¹  

Caractéristiques de la station d’épuration

Les rejets de l’usine sont homogénéisés dans un bassin tampon, puis passent dans un dégraisseur. Les colloïdes et matières en suspension sont éliminés par un traitement physico-chimique dans un décanteur primaire.

L’influent est ensuite épuré par une station d’épuration biologique en aération prolongée. Le bassin d’aération, aéré par trois brosses, constitue un anneau circulaire autour du décanteur secondaire.

Le taux de recyclage des boues décantées vers le bassin aéré est de 150 %. La vitesse ascensionnelle moyenne dans le décanteur secondaire est de 0,23 m h⁻¹.

La charge massique est de 0,07 kg DBO₅ kg MES⁻¹ j⁻¹, pour une concentration en biomasse de 4 g l⁻¹ dans le bassin aéré.

L’excès d’azote est éliminé par un processus classique simultané de nitrification-dénitrification.

État de l’effluent épuré avant traitement

On constate que les résultats de l’épuration sont insuffisants vis-à-vis de l’élimination des matières carbonées et azotées (tableau I, colonne « avant traitement »).

Ces mauvais résultats sont dus à la présence de bactéries filamenteuses qui

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[Photo : Fig. 1 : Charge hydraulique superficielle limite, en fonction du volume corrigé (Duchêne, 1988)]

Va = débit admissible / surface de l’ouvrage = charge hydraulique superficielle limite (ou vitesse ascensionnelle) (en m³/m²·h)

Vc = indice de boue × concentration en MES des boues = volume corrigé (en ml/l)

Tableau I

Opérations Avant traitement Après traitement
Épuration DBO₅ mg l⁻¹ d’effluent 25-30 < 5
DCO mg l⁻¹ d’effluent 250-300 50
MES mg l⁻¹ 15-20 2,5
NTK mg l⁻¹ 50-60 3,5
NH₄⁺ mg l⁻¹ 50-60 Pas de mesure
NO₃⁻ mg l⁻¹ 15 7,5
Décantation (volume de boue décanté dans une éprouvette d’un litre)
Pur ml 980 960
Dilué à 50 % ml 940 510
Dilué à 75 % ml 500 260
Profondeur de disparition du disque de Secchi (cm) 60 90
Aération – Temps de fonctionnement des 3 brosses h jour⁻¹ 54 Après 15 jours : 50 / Après 2 mois : 44

gênent beaucoup l’exploitation de la station. L’emploi d’un floculant (polymère cationique) est alors nécessaire pour améliorer la décantation et la rétention de colloïdes mal épurés. Les indices de décantation et de disparition du disque de Secchi sont d’ailleurs faibles.

Le taux d’oxygène est de 0,7 mg l⁻¹ pour un fonctionnement de chaque brosse pendant 18 heures par jour (54 heures au total).

À ce stade, on observe au microscope, dans les boues biologiques, un développement important de bactéries filamenteuses, essentiellement de type 0041, mais aussi de Nocardia spp., Haliscomenobacter spp. et 1863, ainsi que la présence de protozoaires Thécamébiens (Arcella spp.), de quelques vorticelles, de petits ciliés libres et de métazoaires Rotifères (boue stabilisée).

Aucun dysfonctionnement n’est mis en évidence ; pas de carence en nutriment, aération correcte, et le taux de recyclage est suffisant pour que les boues ne séjournent pas en anoxie dans le décanteur. Seuls des facteurs inhérents à l’installation sont mis en cause : l’aération prolongée provoque des carences en carbone et la présence d’un décanteur primaire aggrave le foisonnement (Pujol, 1987).

Devant l’impossibilité de résoudre leur problème lié au développement de bactéries filamenteuses, les exploitants de la station d’épuration décident de faire appel au procédé biologique Biolen. Les résultats de son action sont présentés ci-dessous.

Mise en œuvre du produit Biolen

Le produit se présente sous forme d’une poudre. Les bactéries qu’il contient doivent être réhydratées pendant 3 à 4 heures dans de l’eau tiède oxygénée au moyen d’un système d’aération.

La préparation bactérienne est ensuite déversée dans le bassin aéré.

Les quantités apportées, dans le cas de cet abattoir, ont été les suivantes :

  • 1ᵉʳ et 2ᵉ jour : 2,8 kg jour⁻¹
  • 3ᵉ au 7ᵉ jour : 2 kg jour⁻¹
  • Ensuite : 400 g jour⁻¹

Résultats

Après 15 jours de traitement par ce procédé, la DCO du rejet est améliorée de 80 %; de même, les valeurs de DBO₅, MES, NTK et NO₃⁻ ont nettement diminué (tableau I, colonne « après traitement »). Les boues biologiques décantent nettement mieux, et l’injection du polymère cationique a pu être arrêtée.

L’efficacité de ce traitement a permis de modifier l’aération : en effet, le taux d’oxygène dans le bassin aéré est passé de 0,7 mg l⁻¹ à 1,8 mg l⁻¹ avec un temps de fonctionnement des brosses qui a été réduit de 54 h à 50 h jour⁻¹.

Ultérieurement, le temps de fonctionnement des aérateurs pourra encore être réduit jusqu’à 44 h jour⁻¹, soit un gain pour l’exploitant de 2 800 kW h par semaine.

Désormais, l’observation microscopique des boues fait apparaître une réduction notable de la densité des bactéries filamenteuses, une plus grande variété des protozoaires (ciliés libres du genre Aspidisca, ciliés fixés du genre Epistylis, Vorticella, Thécamébiens du genre Arcella), ainsi que de métazoaires (Rotifères).

Conclusion

L’utilisation de l’association biologique de bactéries spécifiques et d’enzymes a permis d’améliorer le fonctionnement de cette station :

• l’augmentation des teneurs en oxygène, tout en diminuant le temps de fonctionnement des aérateurs, est vraisemblablement due à une amélioration du transfert de l’oxygène dans le floc biologique, grâce à une meilleure assimilation des graisses et des agents tensio-actifs. Ainsi, le floc biologique a mieux assimilé les matières organiques, ce qui a entraîné une réduction de la DBO et de la DCO épurée. Le cycle de nitrification-dénitrification a vu accroître son efficacité ;

• la réduction du foisonnement des bactéries filamenteuses a permis de mieux maîtriser la décantation des boues et d’en éliminer les pertes, en diminuant ainsi les valeurs de DCO, MES et NTK de l’eau épurée.

En outre, l’utilisation du produit Biolen s’est traduite par une économie en électricité et en floculant, couvrant largement le coût du traitement biologique.

Le phénomène de bulking, lié au développement de bactéries filamenteuses, qui perturbe le fonctionnement de nombreuses stations d’épuration à boues activées, peut être maîtrisé par le procédé biologique, lequel est applicable dans toute station d’épuration, lorsque les corrections des facteurs responsables du foisonnement se sont révélées inefficaces ou insuffisantes. Les performances obtenues dans cet exemple démontrent qu’une solution efficace et économique peut être apportée à cette situation.

Ce traitement biologique diminue le foisonnement des bactéries filamenteuses, améliore la décantation des boues, améliore le transfert de l’oxygène et favorise l’assimilation des matières organiques par le floc biologique. L’effluent rejeté par cette station présente désormais d’excellentes caractéristiques d’épuration.

Contrairement à ce qui se produit lors d’un traitement chimique du bulking dont l’action est temporaire, ce procédé biologique, appliqué régulièrement, apporte à ce problème une réponse fiable à long terme.

BIBLIOGRAPHIE

DUCHENE Ph., Qualité des boues activées et dimensionnement des décanteurs secondaires, CEMAGREF, 12 p., 1988.

EIKELBOOM D.H., Filamentous organisms observed in activated sludge, Water Research, volume 9, 1975.

JENKINS, RICHARD M.G., DAIGER G.J., Manual on the causes and control of activated sludge bulking and foaming, Ridgeline Press Lafayette, C.A. 94549 USA, 165 p., 1986.

MORFAUX J.N. et ALBAGNAC G., Ecophysiologie des boues activées induites dans les stations d’épuration industrielles ou mixtes par les effluents à forte charge glucidique, Journal français d’hydrologie, volume 10, n° 28, pp. 37-46, 1979.

PUJOL R., VACHON A. et MARTIN G., Guide technique sur le foisonnement des boues activées, Documents techniques FNDAE, 57 p., 1990.

PUJOL R., Le foisonnement des boues activées. Situation du problème en France, Enquête nationale effectuée auprès des SATESE. CEMAGREF, 23 p., 1988.

VEDRY B., L’analyse écologique des boues activées, Technique et documentation Lavoisier, pp. 26-30 et 54-56, 1987.

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