Nous sommes à l’est de la Californie, à quelques kilomètres à peine du Yosemite National Park, aux pieds de la Sierra Nevada. C’est là, au centre d’une ancienne caldeira, dans un vaste bassin d’effondrement entouré de volcans, que se situe le lac Mono, un lac salé perché à 1 945 mètres d’altitude qui s’étend sur une superficie de 180 km². C’est l’un des plus anciens lacs du continent nord-américain. Sa formation, qui remonterait à 760 000 ans selon les géologues, serait le fruit d’une gigantesque explosion de la chambre magmatique d’un ancien volcan, d’une ampleur comparable à celle impliquée dans la destruction de l’île volcanique de Santorin. Elle aurait laissé place à une énorme caldeira qui se serait ensuite progressivement emplie d’eau donnant naissance au lac Mono. Un lac qui n’avait alors pas grand-chose à voir avec ce qu’il est aujourd’hui, du fait d’une histoire tumultueuse.
À l’époque glaciaire, le lac Mono faisait partie d’un vaste réseau hydrographique qui s’étendait tout au long de la vallée.
[Photo : Malgré l’explosion qui est à l’origine de la formation du lac Mono, le magma, aujourd’hui encore, n’est pas très loin. Deux îles ont ainsi fait leur apparition au milieu du lac, il y a quatre et huit cents ans. L’île Negit, un cône de scories qui fait office de zone de nidification et l’île Paoha qui doit son nom aux sources chaudes qui s’y trouvent.]
de l’Owens et jusqu’au désert Mojave. Entre 25000 et 14000 ans avant J.C., les glaciers qui recouvraient la région ont commencé à fondre ajoutant d’énormes quantités d’eau de fonte à l’eau de source existante. D’une taille considérable, son trop-plein contribuait, avec l’ancêtre de la rivière Mojave, à former un grand lac dans la Vallée de la Mort. Un grand lac dont la géomorphologie n’a jamais cessé d’évoluer au fil des temps et des épanchements de lave. Car malgré l’explosion qui est à l’origine de sa formation, le magma, aujourd’hui encore, n’est pas très loin. Deux îles ont ainsi fait leur apparition au milieu du lac, il y a quatre et huit cents ans. L’île Negit, de couleur foncée, est un cône de scories qui fait aujourd’hui office de zone de nidification aux goélands de Californie. Et l’île Paoha qui doit son nom aux sources chaudes qui s’y trouvent.
Ce sont ses sources chaudes qui sont à l’origine de ses fameux tufas qui ont rendu célèbre le lac Mono. Le lac étant endoréique, c’est-à-dire sans autre exutoire possible que l’évaporation des eaux, les sels et minéraux apportés par les cinq rivières qui l’alimentaient se sont accumulés au cours des siècles jusqu’à ce que la salinité du lac Mono devienne presque trois fois supérieure à celle des océans. Les tufas qui se sont formés autour de ses sources souterraines résultent de la combinaison des minéraux de l’eau douce et de l’eau salée : lorsque le calcium provenant d’une source d’eau douce rencontre les carbonates contenus dans l’eau salée du lac, un dépôt de carbonate de calcium précipite et se solidifie avec le temps pour former les tours de calcaire que l’on aperçoit aujourd’hui le long des rives. Car ces concrétions ne peuvent se former que sous l’eau. Si elles sont aujourd’hui visibles, c’est à cause de l’assèchement progressif du lac, fruit d’une gestion catastrophique des autorités locales.
Une gestion catastrophique des autorités locales
Au début du 20ᵉ siècle, le volume du lac Mono était deux fois supérieur à ce qu’il est aujourd’hui et son niveau plus élevé de 15 mètres.
Mais en 1941, le Department of Water and Power de Los Angeles entreprend de détourner les cinq rivières qui alimentent le lac pour satisfaire les besoins en eau sans cesse croissants de la ville, construite en zone semi-désertique.
Le résultat ne se fait pas attendre : en 50 ans, le lac baisse de 14 mètres et perd la moitié de son volume. Des îles sur lesquelles nichaient des oiseaux se retrouvent reliées à la rive, à portée des prédateurs. La concentration en sel devient dangereuse pour la faune et la flore. L’existence même du lac, devenu une vaste flaque boueuse balayée par des nuages de poussières toxiques, est remise en cause.
Mais en 1994, après une longue bataille judiciaire, une autorité arbitrale, le Water Board, modifie les permis de dérivation de Los Angeles. La ville de quatre millions d’habitants est sommée de laisser davantage d’eau couler vers le lac, avec pour objectif de faire remonter son niveau de 6 mètres en 20 ans. Le lac Mono est sauvé même si cet accord ne suffit pas à lui permettre de retrouver son niveau d’autrefois.
On pense alors avoir préservé un écosystème remarquable. On ignore encore que
[Photo : Une baisse du niveau des eaux due à leur pompage vers Los Angeles a fait apparaître des tufas précédemment immergés. Ils ont été produits par des sources immergées riches en calcium en contact avec des eaux riches en carbonates.]
[Photo : La souche de bactérie GFAJ-1, isolée au lac Mono, serait capable d'utiliser l'arsenic, habituellement toxique, lorsqu’elle est cultivée dans un milieu dépourvu de phosphore.]
C'est l'une des plus importantes découvertes scientifiques du 20ᵉ siècle que l'on vient de sauver : une redéfinition des éléments de base nécessaires à la vie.
Une redéfinition des éléments nécessaires à la vie
Lorsque le 2 décembre 2010 la Nasa annonce la tenue d’une conférence de presse sur la découverte d’une nouvelle forme de vie qui ne présente aucune caractéristique biologique commune avec quoi que ce soit de vivant sur Terre, on croit enfin venue l'annonce de la découverte d’une forme de vie extraterrestre.
La nouvelle sera finalement moins spectaculaire mais tout aussi importante. Car même si elle n’a rien à voir avec les spéculations des médias, l’annonce de la Nasa est en effet exceptionnelle et son impact sur notre façon de voir et comprendre la vie est considérable.
On savait en effet que le carbone, l'hydrogène, l'azote, l’oxygène, le phosphore et le soufre sont les six composants à la base de toutes les formes connues de vie. Le phosphore notamment intervient dans une partie du « squelette chimique » de l’ADN et de l’ARN, ces structures porteuses des instructions génétiques liées à la vie. Il est également présent au sein des cellules où il permet le transport de l’énergie, l’ATP. Le phosphore était donc considéré comme indispensable à toute cellule vivante.
Et pourtant, la Nasa annonce rien moins que la découverte au fond du lac Mono d'un micro-organisme baptisé GFAJ-1, capable de s’en passer pour se développer tout en acceptant l’arsenic, un élément toxique pour la plupart des formes de vie sur Terre.
Dans la communauté scientifique, l’annonce de l’agence spatiale américaine fait l'effet d’une bombe. Elle ouvre en effet de nouvelles perspectives pour les biologistes mais aussi pour les exobiologistes qui cherchent des formes de vie extraterrestre. Car de nombreux champs de recherche qui ont été écartés en raison de leur forte concentration en arsenic sur Terre et dans l’espace pourront désormais faire l'objet de nouvelles recherches pour découvrir d'autres organismes adaptés à ce milieu que l’on jugeait incompatible avec toute forme de vie.
Pourtant, des polémiques ne tardent pas à naître. Pour les uns, le processus de substitution observé au lac Mono signifierait qu'il existe différentes formes d’ADN ne reposant pas sur des atomes considérés essentiels à la vie, comme c’est le cas du phosphore. L’absence de ces atomes sur d'autres planètes n’empêcherait donc pas l’existence de vie même différente de celle que nous connaissons sur Terre. Mais pour les autres, la découverte n’offre aucune preuve concluante que l’arsenic s'est substitué au phosphore dans l’ADN de la bactérie qui en aurait besoin d’une quantité minimum qu’elle absorberait sous la forme de phosphate, rare mais présent dans son milieu naturel.
Au lac Mono, les recherches continuent pour savoir si cette bactérie est une anomalie propre à la Terre ou si elle matérialise une forme de vie susceptible d’apparaître partout dans l’Univers où prévalent des conditions comparables.
[Photo : Au lac Mono, les recherches continuent pour savoir si la bactérie GFAJ-1 est une anomalie propre à la Terre ou si elle matérialise une forme de vie susceptible d’apparaître partout dans l’Univers où prévalent des conditions comparables.]