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Un exemple industriel d'oxydation propre : l'ozonation des eaux ammoniacales de cokeries

30 juillet 1991 Paru dans le N°147 à la page 58 ( mots)
Rédigé par : Gabriel TOFFANI et Daniel GAMBET

L’évolution des normes de rejet oblige les industries à rechercher des solutions innovantes pour le traitement de leurs effluents.

Depuis déjà de nombreuses années l’ozone est connu pour son utilisation dans le traitement de l’eau potable, où, à l’origine, ses propriétés bactéricides et virulicides étaient privilégiées. Aujourd’hui le traitement moderne de l’eau potable utilise également son pouvoir oxydant élevé pour oxyder micropolluants et précurseurs de THM.

Moins connue, son utilisation dans le milieu industriel trouve déjà un antécédent en France, où un brevet a été pris en 1905 concernant l’oxydation des phénols par ozone dans un effluent de sidérurgie ; néanmoins, les applications dans l’industrie étaient restées, jusqu’il y a peu de temps, très limitées. Grâce aux progrès récents de la génération de l’ozone, cet oxydant a franchi le seuil des usines de traitement d’eau pour séduire les industriels, en particulier pour le traitement des effluents.

L’un des effluents dont le traitement est difficile et qui présente des risques particulièrement graves pour l’environnement est celui issu de la fabrication du coke, ce qui nous a amené à étudier la possibilité d’intégrer l’ozone dans la chaîne de traitement des effluents d’une importante cokerie, dans les conditions exposées ci-après.

Caractéristiques des effluents de cokerie

L’un des principaux polluants des effluents de cokerie est l’ammonium, que l’on y trouve à des teneurs atteignant 200 mg/l ; c’est la raison pour laquelle on dénomme ces effluents « eaux ammoniacales de cokerie ».

Outre le NH₄⁺, de nombreux polluants sont présents dans les eaux ammoniacales, à des teneurs très élevées. Dans le cas présent, les essais ont été réalisés sur le site d’une cokerie dont l’effluent présentait les caractéristiques suivantes, en valeurs moyennes et maximales (mg/l).

Ammonium (NH₄⁺) : 120 – 150
DCO : 4 000 – 4 800
Phénols (C₆H₅OH) : 800 – 1 000
Sulfocyanures (CNS⁻) : 350 – 400
Cyanures (CN⁻) : 3 – 5
MES : 45 – 60

L’écart entre les deux valeurs étant réduit, la qualité de l’effluent est très peu variable.

Schéma du traitement

Un tel effluent peut être traité par plusieurs procédés différents : stripping ammoniacal, procédés physico-chimiques, adsorption sur charbon actif, épuration biologique par boues activées, etc. Étant donné la densité de polluants présents, aucun de ces procédés ne peut résoudre la totalité du problème posé par la pollution présente ; d’où l’intérêt d’envisager une oxydation chimique par l’ozone.

Remarquons que le traitement d’une eau ammoniacale de cokerie ne peut se faire, en aucun cas, par ozonation seule ; dans la grande majorité des cas, en effet, l’ozone n’est pas efficace pour éliminer l’ammonium. Ainsi, deux modes principaux d’utilisation de l’ozone peuvent être envisagés dans le traitement d’un effluent de cokerie :

  • – le premier consiste à injecter l’ozone après strippage de l’ammoniaque, auquel cas la bibliographie existante fait état de très bons résultats après l’ozonation. Les abattements obtenus seraient de l’ordre de 85 % pour la DCO, 90 % pour les cyanures, 99 % pour les sulfocyanures et 100 % pour les phénols. Dans ce cas, il est conseillé de travailler à pH élevé pour améliorer l’oxydation chimique ;
  • – le deuxième concerne le cas où les eaux ammoniacales sont épurées par voie biologique ; ici l’ozone est placé à la sortie des boues activées.

Les essais se sont déroulés dans une cokerie équipée d’un traitement biologique ; c’est donc la deuxième manière d’appliquer l’ozone qui a été utilisée.

La figure 1 montre le schéma du traitement mis en œuvre.

Objectif des essais

La qualité de l’eau à ozoner (à la sortie du traitement biologique) peut être résumée par les valeurs suivantes (en mg/l) :

Ammonium 5
DCO 350
Phénols 0,2
CNS⁻ 4
CN⁻ 0,2

Dans ce cas aussi, les paramètres sont très peu variables.

L’ozone est ici utilisé pour l'« affinage final », dont le but est de ramener la DCO à 150 mg/l et d’assurer une élimination aussi élevée que possible des autres polluants.

[Photo : Schéma du traitement]

L'installation-pilote

Les essais ont été réalisés avec un générateur d’ozone OZONIA équipé d’une alimentation électrique en moyenne fréquence. Le gaz vecteur utilisé était l'oxygène, assurant une production de 200 g d’O₃/h à une concentration pouvant varier entre 10 et 130 g d’O₃/Nm³ d’O₂. La mise en contact ozone-eau à traiter s’est faite à l'aide d’une colonne à bulles avec diffusion de l’ozone par disque poreux. Cette installation permettait le traitement d’un débit variant de 0,3 à 2 m³/h, et le taux de traitement maximal était de 667 g d’O₃/m³ d’eau à traiter.

Le programme d’essais a été établi de la façon suivante :

Essais en batch

  • - détermination des cinétiques d’élimination de la DCO,
  • - influence du couplage O₃ + UV et O₃ + H₂O₂,
  • - influence du pH,
  • - influence de l’ajout d’un catalyseur,
  • - influence du traitement sur les autres paramètres (CNS⁻, CN⁻, C₂H₅OH, couleur).

Essais en continu

  • - détermination du rapport massique O₃ injecté/DCO éliminé, et du taux nécessaire pour abattre la DCO de 350 à 150 mg,
  • - détermination du taux de traitement pour éliminer les CNS⁻, CN⁻ et C₂H₅OH,
  • - influence du temps de contact.
[Photo : Cinétique d’élimination de la DCO]
[Photo : Évolution du rapport « mg O₃/mg DCO éliminée », en fonction de la DCO initiale]
[Photo : Quantité d’ozone nécessaire en fonction de la DCO à éliminer]
[Photo : Élimination des CNS⁻ et CN⁻]

Résultats

Essai en batch

La cinétique d’élimination de la DCO est donnée par la figure 2.

La figure montre l’élimination de la DCO en fonction du temps, lors d'un essai à l’ozone employé seul. Les essais en batch ont permis de tirer les conclusions suivantes :

  • - l'augmentation du pH ne produit que de très faibles améliorations, qui concernent surtout l’élimination des cyanures. On arrive donc dans ce cas aux mêmes résultats avec un temps de contact plus long, lequel correspond à la durée nécessaire pour l’élimination de la DCO. L’ajustement du pH ne se justifie donc pas ;
  • - le couplage O₃ + H₂O₂ et O₃ + UV n’accélère pas l’oxydation chimique des polluants : ces procédés n’ont pas été retenus dans le cas présent ;
  • - les essais à l’ozone employé isolément avec ajout de catalyseur (CuSO₄) ont donné des résultats très semblables à ceux réalisés sans sulfate de cuivre.

Les essais en continu ont donc été réalisés uniquement à l’ozone, sans apporter de modifications à l’effluent provenant du traitement biologique.

Essais en continu

Nous examinerons les résultats concernant la DCO et les cyanures, puis les autres paramètres.

La DCO

Les essais en continu ont montré que la demande chimique en oxygène s’élimine bien avec l’ozone. Pour atteindre une valeur de 150 mg/l, on se place toujours dans la partie à forte pente de la courbe (figure 4) portée (bien avant la partie asymptotique qui s’amorce à partir de 80 mg/l). Il est donc possible d’obtenir des valeurs très basses de la DCO si l'on applique le taux de traitement nécessaire ; en valeur moyenne, on obtient un rapport d’élimination de la DCO de 2 mg d’O₃ injectés/mg de DCO éliminés.

Remarquons tout d’abord que les rendements d’ozonation étaient très élevés (entre 98 et 99,6 %). Il est donc possible de faire l’approximation « ozone injecté = ozone consommé ». Néanmoins, la valeur de ce rapport varie en fonction de la teneur initiale en DCO comme le montre la figure 3, dont la courbe donne la quantité d’ozone nécessaire (exprimée en mg) pour éliminer 1 mg.

de DCO, pour une valeur initiale donnée de la DCO. On y relève qu’il faut employer 1,4 mg d’O₂ pour éliminer 1 mg de DCO pour une DCO de 360 mg/l, valeur qui passe à 2,1 mg pour une DCO de 150 mg/l (figure 3).

La figure 4 donne, pour plusieurs valeurs de DCO, la quantité d’ozone nécessaire en fonction de l'abattement de DCO recherché. Dans le cas général où l'on veut passer de 350 à 150 mg/l de DCO (élimination de 200 mg/l de DCO) il faudra utiliser 320 mg/l d’O₃, ce qui correspond à 1,6 mg d’O₃/mg de DCO éliminés. Si l'on veut passer de 200 à 150 mg/l (élimination de 50 mg/l), il faut 92 mg d’O₃, soit 1,84 mg d’O₃/mg de DCO éliminés. Les consommations d’ozone deviennent ensuite beaucoup plus élevées pour obtenir des valeurs de DCO inférieures à 150 mg/l.

Les cyanures

L’effluent à traiter présente une teneur élevée en sulfocyanures. Les réactions avec l’ozone sont les suivantes :

CNS⁻ + 3O₃ ➔ CN⁻ + SO₄

CN⁻ + O₃ ➔ CNO⁻ + O₂  
CNO⁻ + 1,5 O₂ + 0,5 H₂O ➔ HCO₃⁻ + 0,5 N₂ + 1,5 O₂

et  

CNO⁻ + NH₄⁺ ➔ NH₂CONH₂

Les deux premières réactions sont rapides, la troisième plus lente.

[Photo : Élimination de la couleur.]

L’élimination des sulfocyanures (CNS⁻) entraîne d’abord la formation de cyanures vrais (CN⁻) qui sont eux aussi attaqués par l’ozone pour former des cyanates (CNO⁻). La figure 5 donne les valeurs des composés cyanurés relevées au cours de l’ozonation. Il est très important de ne pas arrêter les réactions à la seule élimination des sulfocyanures, étant donné que le CN⁻ produit ne commence à être attaqué que lorsque la teneur en CNS⁻ est faible. Les cyanates qui apparaissent par la suite présentent une toxicité très réduite vis-à-vis de l’environnement aquatique.

Autres paramètres

Même si dans le traitement biologique l’élimination des phénols est très bonne, il en reste encore 0,2 mg/l en sortie. Ces traces sont complètement éliminées par l’ozone.

Un autre paramètre sur lequel l’ozone produit une évolution favorable est la couleur. La figure 6 indique les valeurs de la couleur à l’entrée et à la sortie de la colonne d’ozonation, pendant les différents essais.

On y voit que l’intensité de la couleur baisse en moyenne de 75 %, avec des efficacités qui vont jusqu’à 95 %. De plus, l’effluent passe du marron foncé à l’entrée de la colonne d’ozonation au vert clair à la sortie.

Conclusion

Les essais effectués sur pilotes montrent que l’ozonation est un procédé efficace pour l’affinage final des effluents de cokerie. La qualité de l’eau obtenue minimise leur impact sur le milieu récepteur.

Le couplage traitement biologique-ozone permettra de respecter les normes les plus exigeantes. Vis-à-vis des autres procédés possibles, l’ozone apparaît comme le plus adapté lorsqu’on tient compte de l’ensemble de données : efficacité sur l’abattement de la DCO, mais aussi sur les CNS, CN, phénols et la couleur, facilité de mise en œuvre, fiabilité à l’exploitation, coût et incidence sur l’environnement.

Dans le traitement des effluents de cokerie, en particulier, ou d’autres effluents industriels en général, l’ozone combine les avantages d’un procédé propre à une très grande efficacité d’oxydation chimique.

L’avenir proche devrait confirmer ces grands avantages de l’ozone.

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