Gianluigi Triverti, Research Dpt. Manager, Bemberg S.p.A.
Valerio Brenna, Industrial Water Dpt. Manager, Degrémont Italia S.p.A.
[Photo : Vue aérienne de l’usine Bemberg de Gozzano, près du lac d’Orta]
La société de fabrication de textile Bemberg a été créée à Milan (Italie) le 26 mai 1925 et, le 9 février 1927, démarrait dans l'usine de Gozzano, près du lac d’Orta, la production du fil Cupro, également appelé soie artificielle.
Le procédé de fabrication, né à Oberbruch (Allemagne) en 1889, est actuellement utilisé
[Photo : Unité d’ultrafiltration avec membranes creuses en acétate de cellulose]
Dans deux usines seulement dans le monde : Asahi Chemical, au Japon, et Bemberg, en Italie.
Ce procédé transforme les linters du coton, fibres courtes formées de cellulose pure, en des fibres longues continues ayant la même composition chimique. Les linters sont dissous dans des bains concentrés de sulfates basiques de cuivre et d’ammoniaque ; le fil est ensuite créé par extrusion et fixé par des rinçages successifs à l'eau déminéralisée et dans des solutions d’acide sulfurique de concentrations diverses.
Les rejets, très concentrés en cuivre et en ammoniaque, sont actuellement traités dans une station d’épuration utilisant des échangeurs d’ions et des résines spécifiques, réalisée par Degrémont Italie en 1980. Ils permettent d’éliminer le cuivre et l’ammoniaque présents dans les eaux résiduaires et de répondre ainsi aux normes italiennes de rejet (azote ammoniacal inférieur à 10 mg/l). Les régénérations par acide sulfurique produisent des éluats sous forme de sulfate de cuivre et de sulfate d’ammonium. Le cuivre est récupéré par précipitation dans l’appareil de production, le sulfate d’ammonium, après cristallisation, est revendu pour la valorisation agricole.
Un projet ambitieux alliant réduction des coûts de production et zéro rejet
Dans la situation actuelle, pour chaque kilogramme de fil fabriqué, Bemberg utilise les produits suivants :
- 1 m³ d'eau
- 1,1 kg d’ammoniaque
- 0,5 kg de cuivre (totalement récupéré)
- 4,8 kg d’acide sulfurique
- 1,2 kg de chaux
L’usine rejette en général un débit d’eau de 400 m³/h, 24 h sur 24, et tous les jours de l’année.
À l'occasion de l’extension de la capacité de l’usine, Bemberg a cherché à réduire ses coûts de production et à réutiliser les eaux résiduaires en simplifiant l’exploitation de la station.
Degrémont a alors proposé la technologie de l’osmose inverse. La mise au point de la nouvelle filière de traitement a obtenu un financement de la Communauté européenne à travers LIFE, l'Instrument financier pour l’environnement.
D’avril 1998 à janvier 1999, des essais ont été menés sur la possibilité de :
- recycler 8 000 m³/j d’eau actuellement rejetés dans le lac d’Orta
- réduire la consommation d’acide sulfurique et de chaux respectivement de 18 et de 8 tonnes par jour
- maintenir la possibilité de rejet dans le lac (donc avec une concentration d’ammoniaque résiduelle dans les eaux traitées inférieure à 10 mg/l)
- permettre la cristallisation du concentrat issu de l’osmose inverse dans l’évaporateur actuel en produisant un rejet ayant une concentration de sulfate d’ammonium supérieure à 100 g/l
Une campagne d’essais pilotes pour définir une nouvelle filière de traitement
Les effluents à traiter sont habituellement d’une turbidité variable liée à la production du fil Cupro. La valeur de l’indice de colmatage (SDI) est importante, et fonction de la présence de monomère de cellulose, ainsi que la teneur en silice, cuivre, DCO et la température des effluents, très élevée surtout en été (voir tableau 1).
Les caractéristiques des eaux à traiter ont imposé un prétraitement performant, car la présence de monomère de cellulose provoque un encrassement rapide des membranes d’osmose inverse. Degrémont a ainsi privilégié un prétraitement par ultrafiltration et microfiltration.
Pendant les essais, nous avons utilisé trois types de membranes : les membranes d’ultrafiltration (0,01 µm) en acétate de cellulose, les membranes de microfiltration (0,2 µm) en polypropylène et en céramique, et les membranes d’osmose inverse :
- Desal AE 2540 F 1684
- Fluid System SC 2540 SW FRP
- Dow SW 30 2540 F
Les caractéristiques principales de l’unité de microfiltration sont les suivantes :
- un fonctionnement en mode frontal
- le flux de passage va de l’extérieur vers l’intérieur des membranes ; les impuretés sont donc retenues sur la surface extérieure des membranes
- les lavages (détassage) sont effectués par injection d’air comprimé à l’intérieur des membranes et rinçage à l’eau osmosée à l’extérieur afin d’éliminer les particules retenues ; il faut en général un lavage toutes les 30 minutes de fonctionnement
- les lavages chimiques, qui ont lieu tous les 15 jours environ, sont effectués à l’aide de soude et de détergents
Les équipes de Bemberg et de Degrémont ont ainsi exploité six unités pilotes différentes :
- une unité d’ultrafiltration avec membranes …
Tableau 1 : Caractéristiques des eaux à traiter
Paramètres |
Concentrations |
Débit d'eau |
8 600 m³/j |
Température |
25-40 °C |
pH |
7,5-12 |
Turbidité |
4,5-45 NTU |
SDI |
non mesurable |
Conductivité |
3 300-5 000 µS/cm |
NH₄⁺ |
700-1 000 mg/l |
SO₄²⁻ |
3 000 mg/l |
DCO |
10-30 mg/l |
Chlore libre |
< 0,1 mg/l |
Cu |
2-4 mg/l |
Fe |
0-0,12 mg/l |
SiO₂ |
5-6 mg/l |
Métaux divers |
< 0,05 mg/l |
[Photo : Vue de l’unité de microfiltration avec membranes creuses en polypropylène]
creuses en acétate de cellulose, d'une capacité de 5 m³/h,
* une unité de microfiltration avec membranes creuses en polypropylène, d’une capacité de 4,3 m³/h,
* un premier étage constitué d’une unité pilote d’osmose inverse pour évaluer les performances d’élimination de l'ammoniaque et du cuivre dans les eaux traitées à recycler,
* un deuxième étage constitué également d'une unité pilote d’osmose inverse pour évaluer la concentration en sulfate d’ammonium à partir du rejet du premier étage d’osmose,
* une unité pilote d’échangeurs d’ions, d'un diamètre de 300 mm et d'une hauteur de lit de résine de 2000 mm, pour l’élimination du cuivre contenu dans le rejet issu du premier étage de l’osmose inverse et avant le deuxième étage,
* une unité pilote de laboratoire pour tester les performances des membranes céramiques de microfiltration.
Les essais effectués sur le prétraitement ont démontré que les membranes creuses en polypropylène ont de meilleures performances de perméabilité et de résistance à l'agression chimique, tout en maintenant une valeur de l’indice de fouling des eaux en sortie très proche de 1. Elles sont donc réellement optimales pour le traitement par osmoses inverses successives. Après trois mois d’essais, les membranes n’ont pas montré de signes de vieillissement importants, et nous avons même constaté la reprise complète des encrassements après lavages chimiques, une bonne résistance à la haute température et au pH.
Les étages d’osmose inverse doivent garantir des qualités de flux de perméat et de concentrat au moins équivalentes à celles obtenues avec la station d’épuration actuelle, c’est-à-dire :
* une concentration d’ammonium dans le perméat inférieure à 10 mg/l,
* un concentrat avec une teneur en sulfate d’ammonium supérieure à 100 g/l et un volume égal à 2 ou 3 % du débit des effluents à traiter à l’entrée du premier étage.
Les 500 heures de tests effectuées ont montré des résultats presque équivalents pour les trois types de membranes. Le taux de conversion du premier étage a été de 95 %; la teneur en ammoniaque du perméat a toujours été inférieure à 10 mg/l, avec une concentration de sulfates d’ammonium dans le concentrat de 70 g/l. Le taux de réjection des membranes vis-à-vis de l'ammoniaque a toujours été compris entre 99,6 et 99,9 %. La perméabilité des membranes a enfin toujours été élevée et constante, les lavages chimiques des membranes sont à envisager une fois tous les 15 jours.
Nous avons par ailleurs testé sur le deuxième étage d’osmose inverse des eaux de procédé ayant une concentration en sulfates d’ammonium de 60 à 80 g/l et des caractéristiques proches de celles du concentrat du premier étage.
Ces essais, réalisés sur une durée de 800 heures, ont mis en évidence la possibilité d'obtenir une concentration en sulfates d'ammonium dans le concentrat comprise entre 110 et 130 g/l et un taux de conversion de 50 % environ. Le taux de réjection des membranes à l’ammoniaque a toujours été compris entre 99,4 et 99,7 %. Le perméat sera donc renvoyé en tête du premier étage d’osmose. L’encrassement observé nous amène à prévoir un lavage chimique des membranes tous les 15 à 20 jours environ. Les caractéristiques principales des eaux en sortie des étages d’osmose inverse sont indiquées dans le tableau 2.
Tableau 2 : Caractéristiques des eaux en sortie d'osmose inverse
Paramètres |
NH₄⁺ (mg/l) |
Cu²⁺ (mg/l) |
(NH₄)₂SO₄ (g/l) |
Conductivité (µS/cm) |
Perméat osmose 1 |
< 10 |
< 0,1 |
0,5 |
100 |
Concentrat osmose 1 |
11 600 |
2,7 |
45 |
45 000 |
Perméat osmose 2 |
190 |
0,5 |
2,3 |
2 300 |
Concentrat osmose 2 |
35 500 |
2,8 |
130 |
130 000 |
Des économies substantielles vont être réalisées
La nouvelle station, dimensionnée pour un débit instantané de 400 m³/h, comprendra trois lignes de microfiltration (soit 270 mem-
Tableau 3 : Comparaison des coûts de la station à résines actuelle et de la nouvelle station d’osmose inverse
Paramètres |
Résines (€/an) |
Osmose (€/an) |
Acide sulfurique |
600 000 |
105 000 |
Chaux |
240 000 |
— |
Ammoniaque |
135 000 |
— |
Maintenance |
90 000 |
50 000 |
Énergie électrique |
95 000 |
310 000 |
Remplacement résines/membranes |
40 000 |
80 000 |
Vapeur |
420 000 |
345 000 |
Eau |
285 000 |
30 000 |
TOTAL EN € PAR AN |
1 905 000 |
920 000 |
[Photo : Vue de l’unité pilote d’osmose inverse]
branes) suivies par trois lignes d’osmose inverse en premier étage (soit 180 membranes) et une ligne d’osmose inverse en deuxième étage (soit 36 membranes).
Les résultats obtenus permettront de recycler 8 000 m³/j (ou de les rejeter dans le lac d’Orta) et de maintenir la valorisation actuelle du sulfate d’ammonium sans aucune intervention complémentaire. La nouvelle installation permettra d’économiser 6 500 tonnes par an d’acide sulfurique ainsi que 3 200 tonnes par an de chaux. Elle réduira ainsi les coûts de production de l'usine de 1 million d’euros par an environ, selon les prévisions de Bemberg.
Tableau 4 : Comparaison de la consommation de matières premières utilisées pour la production de 1 kg de fil Cupro
Paramètres | Résines | Osmose |
Acide sulfurique | 4,8 kg | 2,2 kg |
Chaux | 1,2 kg | 0,4 kg |
Ammoniaque | 14 kg | 0,9 kg |
Cuivre (récupéré) | 0,5 kg | 0,5 kg |
Eau | 1,0 m³ | 0,2 m³ |
(voir tableau 3).
De plus, lorsque la nouvelle station sera mise en service, la production d'un kilogramme de fil Cupro nécessitera presque moitié moins de matières premières et 20 % seulement du débit d’eau actuellement utilisés (voir tableau 4).
Bemberg, en collaboration avec la Communauté européenne et son programme LIFE, a donc développé en partenariat avec Degrémont un nouveau procédé technologique, globalement plus économique que l’actuel, prêt à répondre à toutes les évolutions futures de la législation en termes de pollution et de consommation d’eau, dans le but d’améliorer son propre cycle de production et d’en diminuer l’impact sur l’environnement.
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