Les propriétés du bioxyde de chlore et son efficacité prouvée depuis près de 10 ans aux USA et depuis 4 à 5 ans en Europe, RFA, Italie et France, dans différentes papeteries, l'amènent à être de plus en plus utilisé dans le traitement des slimes, en remplacement des bactéricides traditionnels.
L’eau joue un rôle primordial dans l’industrie papetière : support des matières premières, elle permet en effet leur transport depuis les installations de défibrage-désintégration jusqu'à la toile de fabrication de la machine à papier. Ces opérations nécessitent l'emploi de grandes quantités d'eau ; toutefois, l'amélioration des procédés a permis de réduire la consommation, de récupérer les matières fibreuses et minérales, d’économiser l'énergie thermique et de réduire le volume des effluents.
Il faut noter que les eaux blanches d'égouttage de la pâte, qui sont aujourd'hui de plus en plus recyclées, se trouvent être, par leur composition et leur température (30-40 °C), un milieu idéal pour un développement rapide des bactéries et des champignons. Par ailleurs, les papetiers ont accru l'emploi de produits organiques de synthèse en portant le pH de fabrication de 5 à 7 environ. Ils transforment ainsi progressivement leurs procédés de fabrication, en passant du collage en milieu acide au collage en milieu neutre ou faiblement alcalin, encore plus favorable au développement des bactéries.
Toutes ces modifications augmentent la probabilité de développements bactériens et de formation de dépôts sous forme de « slimes » qui s’accumulent dans les angles morts des circuits, s’accrochant, en particulier, aux aspérités du béton, de la caisse de tête ou des tuyauteries. Si l'on ne prend pas la précaution de limiter le développement biologique dans les slimes, ceux-ci envahissent les parois et s’accumulent. Ces dépôts, entraînés par l'eau vers la caisse de tête de la machine, souillent la feuille en provoquant divers dommages :
— détérioration de la qualité du papier (taches, trous), qu'il faudra éliminer avant livraison au client ; — accroissement du nombre de « casses » avant l’entrée en sécherie ; — augmentation des temps d'arrêt.
Pour empêcher ou, plus exactement, limiter le développement des slimes, le traitement à appliquer doit donc concilier l'efficacité avec les impératifs de rentabilité. De ce point de vue, le bioxyde de chlore constitue, comme nous allons le voir, une solution très efficace.
LES SLIMES
Ce terme est utilisé en papeterie pour désigner les dépôts mucilagineux qui se forment dans les circuits d'eau. D’origine chimique et biologique, les slimes sont principalement le résultat du développement d’organismes vivants de différentes natures.
La lutte contre les slimes et l’encrassement biologique demande la connaissance de plusieurs facteurs :
— les éléments favorables à l’apparition des slimes ; — les micro-organismes générateurs de slimes ; — le seuil de pollution du circuit.
L'encrassement biologique peut avoir pour origine le développement de trois principaux types de micro-organismes : bactéries, algues et champignons (levures et moisissures), qui sont toujours plus ou moins présents dans les eaux et dans certaines matières premières utilisées en papeterie. Divers paramètres influent sur leur développement :
— les algues se rencontrent surtout dans les endroits exposés à la lumière ; présentes dans un dépôt, elles sont souvent signe de la mauvaise qualité des eaux claires ; — le développement des champignons est dû à l'apport de nutriments ; ils sont fréquemment rencontrés dans les industries du bois et du papier ; — les bactéries, par contre, peuvent survivre et se multiplier partout, certaines en milieu aéré, d'autres en l'absence d’oxygène dissous, notamment sous les dépôts (slimes, rouille...).
Deux autres paramètres, température et pH, ont une grande influence sur le développement des micro-organismes. À chaque espèce correspond en effet une plage optimale de température pour vivre et se développer : ainsi, pour les bactéries mésophiles, les plus nombreuses, la température optimale se situe entre 25 et 45 °C ; elle est de 30 °C environ pour les champignons. Il en est de même pour le pH : le pH optimal du développement de la plupart des bactéries se situe entre 6 et 8, tandis qu'un pH acide (4 à 6) favorise celui des champignons.
Dans un environnement défavorable (traitement chimique par exemple), on assiste à la formation d’endospores extrêmement résistants, phénomène qui permet à certains organismes de résister en attendant le retour à des conditions favorables.
LES MICRO-ORGANISMES GÉNÉRATEURS DE SLIMES
Les micro-organismes concernés se classent en plusieurs catégories, en fonction de l’aspect des slimes dont ils sont la cause.
Slimes mous et gélatineux
Ils sont souvent colorés et on trouve parmi eux :
- — les bactéries Aerobacter aérogènes, que l'on rencontre surtout dans les eaux à forte DBO. Elles ont la propriété de s’encapsuler en s’entourant de polysaccharides et de protéines sur lesquels viennent adhérer des charges, des fibres et des moisissures ;
- — les Pseudomonas et Flavobacterium, qui forment des dépôts muqueux très denses ;
- — l'Escherichia coli, qui forme une pellicule ayant tendance à se détacher.
Slimes filmogènes très adhérents
Dans ce type de dépôt on trouve les Micrococcus et plusieurs espèces de Bacillus. Ces derniers ont la propriété de former des endospores protecteurs difficiles à détruire.
Slimes caoutchouteux d’aspect sec
Composés essentiellement de moisissures, ils présentent un aspect de peau. On les rencontre fréquemment dans les circuits des papeteries mais leur développement est souvent saisonnier.
Autres micro-organismes indésirables
D’autres micro-organismes qui ne forment pas, à proprement parler, de slimes, sont néanmoins responsables de nuisances telles que mauvaises odeurs et corrosion des circuits. On distingue :
- — les ferrobactéries, qui oxydent le fer ferreux en fer ferrique et dissolvent le métal en le polarisant. Elles forment souvent des chaînettes ou filaments ;
- — les bactéries sulfato-réductrices anaérobies, qui réduisent les sulfates en sulfures, sources de corrosion et d’odeurs ;
- — les algues, qui se rencontrent surtout dans les endroits exposés à la lumière et sont souvent signe de la mauvaise qualité des eaux claires.
LE BIOXYDE DE CHLORE, BIOCIDE ANTISLIME
Propriétés physico-chimiques du bioxyde de chlore
Suffisamment stable dans l’eau où il est très soluble (environ dix fois plus que le chlore), le bioxyde de chlore est le plus souvent utilisé sous forme de solution aqueuse. Il est généré sur le lieu même de son utilisation en solution de quelques grammes de bioxyde de chlore par litre d’eau (en général moins de 3 g/l).
Le bioxyde de chlore est un oxydant puissant : l’expérience a montré que son pouvoir oxydant est bien supérieur à celui du chlore ou de l’hypochlorite, ce qui lui permet d’éliminer les polluants chimiques dans un spectre plus large.
Il est très important de préciser que, contrairement au chlore ou à l’hypochlorite, le bioxyde de chlore ne conduit pas à la formation de trihalométhanes...
Un agent biocide efficace
Le bioxyde de chlore agit différemment de beaucoup de biocides conventionnels : il se comporte plus comme oxydant que comme poison, et il n’est donc pas sélectif.
Ses propriétés bactéricides (et même virulicides), sporicides, algicides et fongicides, depuis longtemps reconnues, et que nous évoquons ci-après sont, dans la plupart des cas, supérieures à celles du chlore qui sert souvent de référence.
Effet bactéricide
Un bon indicateur de l’efficacité bactéricide du bioxyde de chlore est l’Escherichia coli qui sert souvent de référence. Aux pH de 7 et 9,5 et aux températures de 5 et 20 °C, les taux de traitement mis en œuvre pour stériliser des cultures d’E. coli (0,05 mg/l, exprimé en chlore) sont inférieurs à ceux de chlore (0,1 mg/l). Contrairement à celui-ci et à l’eau de Javel, qui agissent uniquement sur la paroi des cellules vivantes, le bioxyde de chlore agit sur la cellule même par altération de la paroi cellulaire et par action sur la nature colloïdale du protoplasme. Il inhibe de plus l’activité enzymatique.
L’efficacité du bioxyde de chlore a été vérifiée sur les bactéries présentes dans les circuits d’eau du procédé papetier particulièrement favorable au développement de ces bactéries : E. coli, Pseudomonas, Proteus, Klebsiella, Salmonella, sulfato-réductrices...
Effet sporicide
Vis-à-vis des spores de B. subtilis, B. mesentericus, B. megatherium et des actinomycètes, son efficacité est largement supérieure à celle du chlore.
Effets algicide, fongicide
Il permet souvent d’obtenir une bonne élimination du phytoplancton : sur les types d’algues Scenedesmus, Volvox, Synedra, Anabena, Vorticella, on obtient de 30 à 40 % de plasmolyse par ppm de ClO₂ ; par contre, en papeterie, où les développements de levures et de moisissures sont particulièrement importants, l’efficacité fongicide du bioxyde de chlore peut ne pas être suffisante pour éviter ce genre de pollution.
L'addition d'un fongicide complémentaire peut alors être nécessaire pendant les périodes de prolifération ou dans le cas de circuits particulièrement pollués.
Autres avantages du bioxyde de chlore
Le bioxyde de chlore présente d'autres avantages appréciables :
- — efficacité dans un large domaine de pH : contrairement à beaucoup d’autres biocides dont l’activité varie très sensiblement avec le pH de l'eau à traiter, celle du bioxyde de chlore reste sensiblement stable dans une large plage de pH s'étendant de 6 à 10 ;
- — action rapide : pour un résultat souvent meilleur, les temps de contact sont deux à trois fois plus courts qu’avec le chlore ;
- — efficacité croissant avec la température : l'activité biocide du ClO₂ augmente considérablement avec la température.
Toutes ces propriétés font du bioxyde de chlore un agent biocide « pas comme les autres ». Depuis plusieurs années, des papeteries l'utilisent avec satisfaction comme bactéricide pour le traitement antislime des eaux blanches de leurs machines. Convenablement appliquée, cette technique donne de très bons résultats ; aussi, la société Atochem, grosse productrice de chlorite, matière première utilisée pour la génération du bioxyde de chlore, s’est-elle dotée de moyens techniques pour en assurer la promotion. Depuis peu, elle collabore avec les papetiers à la mise en place du traitement au bioxyde de chlore sur leurs installations industrielles, en l'adaptant aux particularités locales.
C'est ainsi qu’à la suite de nombreux essais, des papetiers, convaincus de l’intérêt du bioxyde de chlore, se sont équipés de générateurs de ce produit :
- — les Papeteries Mougeot à Laval-sur-Vologne (Vosges) ont mis le leur en service en août 1988, pour le conditionnement de l'une de leurs machines ;
- — au début de 1989, une nouvelle papeterie a mis en route son générateur.
Quelques autres papeteries en sont à la phase des essais.
On constate que l'intérêt du bioxyde de chlore dans la lutte contre la prolifération des slimes conduit donc à imposer cette technique dans le circuit papetier.
LE TRAITEMENT ANTISLIME
Le bioxyde de chlore, maintenant utilisé sur plusieurs types de machines pour fabriquer, à partir de pâte chimique, différentes qualités de papier impression-écriture, donne des résultats particulièrement intéressants, que le collage soit effectué en milieu acide (pH 4-5) ou en milieu neutre ou légèrement alcalin avec une charge minérale de CaCO₃ (pH 7-7,5).
Les machines à papier, où a été testé le bioxyde de chlore, sont de divers modèles (tables plates, Bel Baie, Duoformer), et peuvent produire, selon leur type et la qualité requise, de 120 à 250 t/j de papier, d’un grammage variant de 30 à 130 g/m², sur une largeur pouvant atteindre plus de 4 mètres et une vitesse de 850 m/min.
Pour obtenir les résultats souhaités, un certain nombre de paramètres doivent être déterminés :
- — nature des micro-organismes,
- — seuil de pollution,
- — types et débits d’eau, taux de recyclage,
- — compatibilité avec les adjuvants de fabrication,
- — évaluation des taux de traitement,
- — nombre et emplacements des points d'injection.
Les paramètres sont déterminés expérimentalement sur chaque installation. En prenant certaines précautions, les problèmes d’incompatibilité avec les colorants et les azurants sont assez facilement résolus.
Le choix des conditions opératoires permet de traiter convenablement aussi bien les eaux claires que les eaux blanches, et de maintenir en dessous du seuil de pollution les circuits d'une ou plusieurs machines, en utilisant un seul générateur de bioxyde de chlore. Les dosages, déterminés expérimentalement, varient selon les papeteries, le type d’eau utilisé, le taux de recyclage, etc. L'expérience montre qu’après plusieurs mois (voire plusieurs années d'exploitation), le taux de traitement se situe entre 70 et 100 g de ClO₂ par tonne de papier.
Comparativement aux biocides « classiques », le traitement antislime au moyen du ClO₂ a ramené le prix de revient de l’opération de 15-20 F à 2,5-3 F par tonne de papier. Dans la mesure où il est maintenu toute l'année, le traitement fongicide complémentaire n’augmente que de 2 à 2,5 F le coût de la tonne de papier.
Le temps de retour des frais d'installation du bioxyde de chlore (générateur et local) est de l'ordre de une à deux années.
CONCLUSION
Les exploitants de papeteries ont pu constater que le bioxyde de chlore leur apporte les avantages suivants (plus ou moins prononcés selon les installations et le type de fabrication) :
- — même à des pH légèrement alcalins, il offre une large activité biocide toujours uniforme et non sélective, sans provoquer d’accoutumance des micro-organismes ;
- — ses faibles taux d'emploi le rendent très compétitif au niveau du coût de traitement ;
- — il permet une grande souplesse d’adaptation du traitement au régime de production de papier ;
- — il assure une élimination rapide des slimes par un traitement simple et efficace permettant le maintien des machines dans un état de propreté jusqu’alors inconnu avec les bactéricides classiques.
En outre, son emploi tend vers l’amélioration de la production, avec, d’après un professionnel : « plutôt moins de taches, de trous et de casses. »
Les auteurs remercient les industriels de la papeterie pour leur participation active aux différents essais dont les résultats ont été décrits.