Il y a un peu plus d’un an, le groupement Robbins-Kawasaki Heavy Industries commandait à l'Agence d'Arras de CGEE Alsthom l’étude, la fourniture et l’installation de l’ensemble des équipements électriques et informatiques des tunneliers T2 et T3 chargés de percer les galeries principales, côté français.
La conception de tunneliers est l’affaire de quelques rares spécialistes seulement, des Américains et des Japonais. Les premiers sont les maîtres incontestés en matière d’ingénierie et de construction. Quant aux Japonais, ils ont hérité de la nature, une situation géographique (le Japon est constitué d’un très grand nombre d’îles) qui les a obligés à réaliser quelque 3 000 tunnels en milieu aquifère au cours des 25 dernières années ! Cette situation exceptionnelle leur a permis d’acquérir un immense savoir-faire. L’industrie japonaise a en particulier tout spécialement développé, au cours de ces cinq dernières années, les technologies des « joints d’étanchéité » et du « confinement de terre », c’est-à-dire justement celles qui doivent être maîtrisées pour la construction du tunnel, côté français. En effet, chaque tunnelier est adapté aux terrains qu’il aura à creuser.
Les conditions de creusement des deux tunnels ferroviaires et du tunnel central de service qui les relie sont très différentes côté anglais et côté français. Côté anglais, la couche de craie bleue, dure, imperméable, peu faillée, très favorable au creusement, affleure, et les techniques usuelles sont utilisables : elles sont d’ailleurs parfaitement maîtrisées en Europe.
Côté français, la couche de craie bleue (épaisseur : 20 à 35 mètres) s’enfonce, et pour l’atteindre, il va falloir traverser des couches de craie grise (15 à 28 m d’épaisseur) et blanche (15 à 25 m), très fracturées et gorgées d’eau. Les techniques à mettre en œuvre sont donc beaucoup plus sophistiquées : tout en respectant les conditions de sécurité optimales, les tunneliers doivent être capables de passer presque instantanément du mode de fonctionnement « ouvert » (à pression atmosphérique) à un mode « fermé » assurant l’étanchéité totale. Le mode ouvert est utilisé dans la craie bleue. C’est un mode continu avec pose simultanée des voussoirs. En mode fermé, les machines évoluent par bonds successifs dans la craie grise ou blanche. Chaque tunnelier doit aussi pouvoir contenir les matériaux abattus mélangés à de l’eau sous haute pression, et les extraire à la pression atmosphérique.
Les tunnels ferroviaires vont être percés sur une distance de 16,3 km au moyen des tunneliers T2 (tunnel nord) et T3 (tunnel sud) dont la réalisation a été confiée au groupement Kawasaki Heavy Industries (Japon)-Robbins (États-Unis). Ils sont nécessairement équipés de joints d’étanchéité spéciaux, fiables, sur les parties tournantes de la machine, et également entre le tunnelier et le revêtement des tunnels. Les Japonais ont justement développé les deux technologies répondant à ces deux impératifs, le « confinement de terre » et les « joints d’étanchéité ».
[Photo : Tunnelier destiné au percement du ]
Quelques caractéristiques
- — diamètre de coupe : 8,780 m
- — longueur de la tête : 13,745 m
- — puissance totale : 7,4 MVA
- — couple du disque de coupe : 650/1 300 Tm
- — vitesse de rotation : 3/1,5 t/mn
- — poussée du tambour glissant : 2 000 T
- — poussée des vérins de propulsion : 11 000 T
- — rayon de courbure minimum : 600 m
- — vitesse prévue : 500 m/mois.
[Photo]
C'est la raison pour laquelle le cœur du procédé de creusement des tunnels leur a été confié.
T2 et T3 sont des machines à la taille de leur tâche : gigantesques. La tête, à elle seule, d'un diamètre de 8,78 mètres, pèse plus de 1 200 tonnes. Leur complexité est spectaculaire. Ce sont des monstres dont les trains suiveurs mesurent plus de 200 mètres.
L’équipement électrique
CGEE Alsthom avait déjà à son actif l'équipement du tunnelier qui a percé le métro de Lille. Les excellentes relations nouées avec FCB, licencié français de Kawasaki et le savoir-faire acquis, ont largement joué en sa faveur pour l’obtention du marché de l’équipement électrique des tunneliers T2 et T3.
Outre les études et les travaux d’installation, la fourniture de CGEE Alsthom comprend l'instrumentation, 40 km de câbles par tunnelier ainsi qu'un automate programmable Alspa ZS (1 800 entrées/sorties), un poste de conduite et de supervision, les alimentations électriques (quatre transformateurs de 1 600 kVA et un transformateur de secours de 1 000 kVA), 52 moteurs, les systèmes d'éclairage, de sécurité et de télécommunications.
Le tunnelier T2 a été mis à front de taille en décembre. Le tunnelier T3 est en février en phase finale de construction. Ces monstres de technologie vont creuser le tunnel sous la Manche à la vitesse de 500 mètres par mois. Le percement sera achevé en juillet 1991.
Quand, en mai 1993, nous traverserons la Manche en train, serons-nous capables de nous remémorer les actions d’éclat des uns et des autres ? De ces entrepreneurs et industriels qui auront mis en œuvre tout leur potentiel et l’ensemble de leurs ressources pour assurer la réussite d'un aussi grand projet ?
Nous pourrons alors dire que nous étions de ceux-là !
Dominique Léonard
Extrait du N° 7 de la revue CGEE Alsthom
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