Traiter, limiter et valoriser les rejets tout en optimisant les ressources énergétiques, telle était l'ambition de Degrémont France Assainissement pour la nouvelle station de traitement des eaux usées de Meistratzheim (67) dont l'objectif est de traiter à la fois les eaux usées et les jus concentrés issus de l'industrie de la choucroute.
L’un n’exclut pas l’autre. Il est possible à la fois de se concentrer sur la réduction de la pollution tout en valorisant les sous-produits et de se montrer exemplaire énergétiquement. C’est ce qu’illustre la station de traitement des eaux usées de Meistratzheim, dans le bassin de l’Ehn (67), d’une capacité de 200 000 Équivalents Habitants (EH) en débit de pointe.
Sur ce site, les eaux usées sont dépolluées via une filière de traitement biologique renforcée par un dispositif de filtration finale, les jus de choux sont méthanisés, les boues à évacuer réduites de 30 % et de l’énergie verte est produite.
Cette combinaison est unique en Europe. Des essais pilotes ont été menés précédemment, mais la station du bassin de l’Ehn constitue le premier site en fonctionnement (depuis octobre 2011).
Optimisation énergétique
« Nous construisons pour au moins les 20 prochaines années » annonce Anne Roth Boucard, directrice du SIVOM du Bassin de l’Ehn. « Nous pensons à l’avenir et prenons nos responsabilités ».
Ces responsabilités incluent, outre la qualité du traitement, le respect de l’environnement, y compris sous l’angle énergétique. La station se devait donc non seulement de traiter les eaux usées des communes du bassin de l’Ehn et les jus concentrés de choux, sa raison d’être, mais aussi d’apporter une solution sobre en énergie.
Ainsi, la consommation énergétique de la station a été réduite au maximum et le traitement des matières retirées des effluents génère du biogaz. « Non seulement la station ne consomme pas beaucoup d’énergie, alors que c’est le cas habituellement, mais elle en produit », se félicite Anne Roth Boucard.
La consommation d’énergie est réduite partout où elle peut l’être. Tous les bâtiments sont chauffés grâce à l’énergie produite sur site : l’eau chaude est issue des chaudières ou moteurs de cogénération qui fonctionnent au biogaz. Cela représente une consommation d’eau chaude de 1 500 kWh par jour en été et 6 000 kWh par jour en hiver. Le bâtiment d’exploitation bénéficie par ailleurs d’une conception bioclimatique : il est enterré pour limiter les variations de température et une VMC double flux réduit les déperditions de chaleur.
Toujours dans une approche énergétique et environnementale, le volume de boues générées par le traitement de l’eau est réduit au maximum. Si les boues restaient gorgées d’eau, elles nécessiteraient plus de rotations de camions pour être évacuées de la station. Elles sont donc digérées et séchées.
Néanmoins, les sécher demande de l’énergie ; le séchage constitue même un gros poste énergétique. Dans sa préoccupation de réduction des consommations, Degrémont France Assainissement a fait le choix d’équiper la station de l’appareil le moins énergivore du marché. Degrémont Technologies, à double étage avec récupération d’énergie sur le 2ᵉ étage pour une recirculation vers le 1ᵉʳ, affiche une consommation de 800 kWh pour évaporer une tonne d’eau, là où ses concurrents annoncent des valeurs supérieures à 1 000 kWh.
Ce séchage est donc le moins énergivore possible et, qui plus est, il fonctionne avec du biogaz produit sur la station (un tiers de l’année, au plus fort de l’arrivée de jus concentrés de choux).
Énergie verte
Les déchets fermentescibles du traitement de l’eau et du traitement des jus de choux génèrent du biogaz et c’est un aspect innovant de la station.
D’une part, le traitement de l’eau génère des boues (matière liquide gorgée de bactéries et micro-organismes) et des graisses. Ces boues et ces graisses produisent du biogaz par digestion, à hauteur de 600 m³/j.
D’autre part, les jus de choux traités en parallèle produisent également du biogaz par méthanisation, à un débit variable selon la période, de 500 m³/j à 3 600 m³/j. Le biogaz produit par les deux réacteurs est mélangé avant d’être utilisé et, au besoin, stocké dans un gazomètre.
Pour pouvoir être utilisé, ce biogaz est prétraité. Il est condensé, c’est-à-dire que l’eau qu’il contient est retirée, sans quoi il ne pourrait pas alimenter les moteurs, notamment de cogénération. Par ailleurs, le soufre présent, dû à la composition des jus de choux, est également retiré pour protéger les équipements, le soufre étant corrosif.
Le biogaz peut alors alimenter directement des chaudières et/ou servir à produire de l’énergie électrique et de l’eau chaude grâce à deux moteurs de cogénération de 90 kW chacun. Si besoin, le biogaz en surplus peut être brûlé par une torchère. Selon les saisons et les apports en jus de choux, des scénarios d’utilisation du biogaz sont privilégiés.
Le biogaz alimente en priorité la chaudière qui produit de l’eau chaude pour maintenir les 36 °C nécessaires au fonctionnement du digesteur des boues et pour chauffer les bâtiments. Le digesteur des boues, gros poste énergétique, fonctionne donc avec du biogaz produit sur site.
Ensuite, le biogaz peut alimenter les moteurs de cogénération qui produisent simultanément électricité et chaleur.
Eux aussi de l'eau chaude pour compléter, ou prendre en charge, le chauffage du digesteur des boues et des bâtiments.
Les moteurs de cogénération produisent également de l’électricité, intégralement vendue à ESR, filiale d'EDF.
De son côté, la chaudière dédiée à la méthanisation fonctionne aussi avec du biogaz, ce qui la rend autonome énergétiquement. En cas de besoin, les chaudières fonctionnent très bien avec du gaz naturel.
Réduire les sous-produits
Les deux process à l’origine de la production de biogaz (digestion des boues et méthanisation des jus de choux) ont été pensés à la fois dans une logique de filière de traitement et dans une démarche de développement durable. L’objectif est autant de dégrader les sous-produits que de produire de l’énergie.
Il ne s'agit pas de produire de l’énergie verte exclusivement pour le plaisir d'une approche environnementale (bien qu’effective) mais bien aussi de limiter les rejets et de valoriser au maximum le potentiel énergétique des résidus urbains (boues et graisses issues du traitement des eaux usées) et industriels (jus concentrés de choux). C'est une stratégie « d’épuisement systématique de la DCO » comme l’indiquent les concepteurs de la station, c’est-à-dire de réduction de la biomasse poussée à son maximum.
Ainsi, la digestion des boues dans un digesteur Digelis™ Smart de Degrémont, outre l'intérêt de produire du biogaz, permet de réduire la masse des boues à évacuer d’environ 30 %. C'est d’ailleurs sa raison d’être initiale.
La digestion des boues réduit de façon conséquente la matière organique contenue dans les boues et la transforme en biogaz (voir encart).
Les boues digérées sont déshydratées par des centrifugeuses puis séchées dans un sécheur thermique pour être évacuées sous forme de granulés. Ces différentes phases font passer la masse de boues de 95 % d’eau à 10 %.
Cela réduit d’autant la problématique de destination finale de ces boues (une étude d'homologation a débuté pour leur commercialisation) et limite les rotations d’évacuation (réduction des émissions de GES).
Le choix de la méthanisation
Le choix de la méthanisation des jus de choux répond lui aussi à plusieurs considérations : traiter et valoriser l’effluent et optimiser la consommation d’énergie. Traiter les jus de choux par voie classique aérobie aurait été un non-sens écologique.
C'est la conviction de l’équipe qui a conçu
La station de Meistratzheim. « Nous avons fait le choix de traiter les jus de choux séparément des eaux usées », explique Damien Kuntz, directeur technique chez Degrémont France Assainissement.
« Les traiter directement avec les eaux usées par voie aérobie classique aurait nécessité des besoins supplémentaires en air dans les bassins biologiques car ces jus sont très concentrés en matières organiques et minérales. Cela aurait doublé la consommation énergétique. Avec un traitement séparé par méthanisation de ces jus, c’est-à-dire un traitement biologique anaérobie, nous obtenons le même résultat en termes d’élimination de la pollution à la différence près que ce procédé consomme peu d’énergie et permet de produire du biogaz, lui-même valorisable en énergie ! ».
« Il n’était pas cohérent, ni pertinent, d’opter pour un traitement classique aérobie énergivore pour ces jus très concentrés, alors que nous déployons une technologie poussée, peu consommatrice d’énergie électrique et productrice d’énergie verte pour le traitement des eaux résiduaires urbaines ».
Ces arguments déterminants allongent la liste des préconisations d’un traitement dédié aux jus de choux, par méthanisation en l’occurrence. En effet, sous un angle très pragmatique, c’est-à-dire au niveau du fonctionnement et de la gestion de la station, il est plus judicieux de faire tourner deux files de traitement dédiées : l’une pour l’eau usée urbaine et l’autre pour les jus concentrés de choux. En plus, cela limite la production de boues.
Par ailleurs, la méthanisation ne dépollue les jus de choux qu’à hauteur de 80 % (de la DCO). Le reste peut être épuré par une filière classique de traitement de l’eau, ici donc sur le même site.
« Pour la méthanisation, nous avons très tôt choisi la société Paques comme partenaire », commente Damien Kuntz. « Son réacteur de méthanisation Biopaq® IC mettant en œuvre des boues granuleuses est l’un des plus, sinon le plus, performants du marché. D’autre part, trois réacteurs IC sont en fonctionnement et donnent toute satisfaction dans la brasserie Kronenbourg d’Obernai qui se situe à tout juste 2 km à vol d’oiseau du site de la station de Meistratzheim. Le partenariat Paques/Degrémont France Assainissement a d’ailleurs été, à mon sens, une des clés du succès de cette station innovante ».
Une exigence de traitement
En termes de dépollution, précisons que pour satisfaire les exigences très sévères quant à la qualité de l’eau rejetée dans l’Ehn, une étape supplémentaire a été mise en œuvre. Il s’agit d’un traitement final, réalisé grâce à un Filtrazur®, procédé Degrémont de filtration tertiaire. Ce type de filtration n’est pas forcément mis en place sur toutes les stations. Il représente un stade avancé d’épuration de l’eau.
Bien entendu, en parallèle de ces traitements de l’eau, des jus de choux et des boues, l’air est lui aussi assaini avant son rejet dans l’atmosphère pour être exempt d’odeur.
Ainsi, sur la nouvelle station de Meistratzheim la dépollution est globale et performante. Elle anticipe d’ailleurs un potentiel durcissement des exigences réglementaires.
Se poser d’autres questions
Se fixer un objectif de performance énergétique dans un contexte particulier de traitement des eaux usées et de jus concentrés de choux sur un même site, conduit à réfléchir de façon plus interconnectée.
Les approches environnementales (sensibilité du milieu), techniques (process de traitement), énergétiques, économiques, ergonomiques… se croisant, cela oblige à bien réfléchir à la conception de la station, des ouvrages… C’est l’intégration réussie de l’ensemble de ces contraintes qui fait la qualité du projet.
À titre d’exemple, la prise en compte de la saisonnalité des apports en effluents de choux s’impose. Ces derniers ont des répercussions à la fois sur le fonctionnement du process de traitement et sur la production d’énergie verte. Il s’avère que la saison du chou (septembre à décembre) se superpose aux périodes de besoins énergétiques de la station (chauffage des bâtiments, du digesteur…).
La spécificité de la station (traitements d’eau, de jus de choux, de boue et production de biogaz) demande une attention particulière et de la réactivité. Les exploitants sont équipés de tablettes connectées à un logiciel de supervision pour une intervention immédiate, depuis tout point de la station.
Ils peuvent à tout moment, selon les besoins, ajuster une température, modifier un pH… Ici la réflexion sur l’ergonomie croise l’approche technique des process.
Le challenge de la mise en œuvre
« Les étapes de traitement sont assez simples dans leur principe mais, comme elles sont imbriquées, leur mise en œuvre est plus compliquée. La fiabilité de chaque étape est indispensable », souligne Alain
Suez Environnement, un acteur majeur de la digestion en France
- + Plus de 50 % des installations construites en nombre,
- + Plus de 85 % des installations en capacité,
- + Plus de 34 % des installations exploitées.
*Source : étude de marché ADEME 2008.*
Ebel, ingénieur chez Degrémont France Assainissement, en appui technique sur la station.
Par exemple, un mauvais réglage du processus de méthanisation se répercute sur la composition du biogaz (moindre part de méthane) qui ne brûle plus alors aussi bien et n’alimente plus convenablement les chaudières en chaleur. Cela se répercute donc potentiellement sur l’étape de digestion des boues.
En outre, le temps de séjour dans le réacteur de méthanisation est court, ce qui demande de la précision et une surveillance particulière.
La saisonnalité des jus de choux implique une flexibilité dans le fonctionnement de la méthanisation : à l’arrêt une semaine puis en fonctionnement trois jours… (start and stop). En pratique, lorsque l’alimentation en jus de choux du réacteur de méthanisation cesse, la production de biogaz se poursuit jusqu’à épuisement de la charge en matières organiques et minérales, puis s’arrête automatiquement.
Autre point technique, et pas des moindres, les moteurs de cogénération doivent s’adapter à la qualité variable du biogaz produit, qui est un mélange du biogaz émanant des jus de choux (eux-mêmes variables) et de celui issu des boues.
Aussi, d’un point de vue technique, le traitement des jus de choux et la méthanisation en particulier ne vont pas de soi comme le traitement des eaux usées urbaines. C’est la raison pour laquelle Degrémont France Assainissement, spécialisé dans le traitement des effluents urbains, s’est associé à un partenaire expérimenté dans le traitement de ce type d’effluents industriels.
L’expertise
Pour cette nouvelle usine, en ce qui concerne la digestion et le biogaz, Degrémont France Assainissement a pu s’appuyer sur l’expertise de sa maison mère Degrémont, filiale de Suez Environnement, qui a construit plus de 85 % du volume des digesteurs existant en France (dont Achères 246 000 m³ et Valenton 60 000 m³). Degrémont constate aujourd’hui un « renouveau » de la digestion en France avec la construction de digesteurs sur des installations de capacité inférieure à 100 000 EH. Historiquement, la digestion était réservée aux grandes usines (notamment Folschviller (57) 15 000 EH, St. Marcellin (38) 35 000 EH, Sallanches (74) 55 000 EH, SIVOM de la Baie (22) 65 000 EH).
Fort de plus de 40 années d’expertise dans le domaine de la digestion/biogaz, de l’appui de GDF Suez et du centre de recherche de Suez Environnement, Degrémont dispose de l’expertise nécessaire à la mise en œuvre, non seulement de la valorisation chaleur seule ou en cogénération (plus d’une vingtaine de références dans la production simultanée de chaleur et d’électricité à partir de biogaz), mais également de nouveaux types de valorisation tels que la production de biométhane avec injection dans le réseau gazier. Le biométhane issu du traitement poussé du biogaz (élimination poussée des polluants et augmentation du taux de méthane) est un gaz dont la composition est analogue à celle du gaz naturel d’origine fossile. Il peut être injecté dans les réseaux de distribution ou de transport de gaz, ou encore transformé en biocarburant pour les véhicules.
À noter que l’injection dans le réseau du biométhane issu du traitement des boues des stations d’épuration n’est aujourd’hui pas encore autorisée en France. Degrémont et la Lyonnaise des Eaux, avec le soutien de l’Union européenne, travaillent actuellement sur un projet pilote d’injection de biogaz dans le réseau à partir de la station d’épuration de Strasbourg. Ce projet constituera une première en France. Degrémont a déjà réalisé des installations d’injection de biogaz dans le réseau à partir de l’usine de Santiago du Chili (capacité de 510 000 EH).
Un exemple réitérable
Pour Degrémont, la station de Meistratzheim est une vitrine des technologies proposées par le groupe et illustre « la volonté d’investir et de s’investir dans des procédés de traitement et de valorisation qui vont dans le sens du développement durable », souligne Damien
Kuntz. « On a passé un cap ! Dans notre métier, avant nous avions entre autres deux grands domaines de compétence, le traitement de l'eau et celui des boues générées. Aujourd’hui s’y ajoute la gestion de l'énergie produite par les déchets comme ici, dans le bassin de l’Ehn, avec les jus de choux », commente Alain Ebel.
La station du bassin de l’Ehn est pionnière dans sa configuration de traitement et de production de biogaz. Elle contribue, à l’échelle locale, aux efforts demandés en matière de performance énergétique par le Grenelle 2 de l’environnement. Et, outre la performance technologique, l'intérêt est concret et pérenne pour les choucroutiers et pour le SIVOM gestionnaire.
« Cette configuration représentait un choix ambitieux. Nous sommes contents de l’avoir fait et nous sommes satisfaits de notre station et des équipes qui ont travaillé sur cette opération : les traitements fonctionnent et nous espérons produire 800 000 kWhe/an », confie Alphonse Koenig, le président du SIVOM du bassin de l’Ehn. Le président se félicite de l’engagement des élus du SIVOM dans ce projet complexe et du professionnalisme des équipes de conception et de réalisation : « les compétences étaient là ».
L’expérience de la station du bassin de l’Ehn s’annonce concluante : la station telle que conçue par Degrémont France Assainissement est fonctionnelle et opérationnelle. L’expérience est réitérable, d’autant que désormais la société dispose d'une référence.
La configuration de la station d’épuration de Meistratzheim est adaptable à d'autres contextes de jus industriels fortement concentrés en matières organiques et minérales (effluents viticoles industriels…).