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Traitement et valorisation des eaux résiduaires dans l'industrie textile

29 septembre 1989 Paru dans le N°130 à la page 31 ( mots)
Rédigé par : P. RIVET

L'inquiétante montée de la pollution de notre environnement oblige les industriels, sous la contrainte des pouvoirs publics, à traiter leurs effluents par des procédés de plus en plus performants. Mais il est souhaitable, et parfois possible, d’aller au-delà de la simple dépollution des eaux résiduaires (qui n’a d’autre ambition que d’économiser la redevance) pour récupérer les matières de valeur qu’elles contiennent. Des exemples particulièrement frappants de cette intéressante possibilité nous sont fournis par l'industrie textile et par une technique de séparation : l’ultrafiltration ; si elle n'est pas nouvelle, puisque les premières installations industrielles en France remontent à 1970, l’ultrafiltration connaît depuis quelques années une expansion remarquable. C’est ainsi qu’une installation de récupération de colle ou d'indigo, de régénération de bain de mercerisage s’amortit sur une période de quelques mois à trois ans, suivant sa taille. Plusieurs installations de ce genre existent déjà chez nos voisins d’outre-Rhin et il est permis d’espérer que des entreprises françaises de l'industrie textile, encouragées par les pouvoirs publics, suivront cet exemple.

Nous passons en revue ci-après quelques cas d’application de la technique de l'ultrafiltration dans cette industrie.

Récupération des produits d’encollage

Encollage

L'encollage des fils de chaîne, qui a pour objet d’augmenter leur solidité avant tissage, consiste à faire passer la nappe de fils dans un bain renfermant une solution aqueuse d'un produit tel que l'amidon, la carboxyméthyl-cellulose, l'alcool polyvinylique, l'acide polyacrylique, etc. Après ce trempage, les fils sont séchés avant de passer sur le métier à tisser. Il faut ensuite enlever la colle du tissu avant de procéder aux opérations ultérieures dites « d’ennoblissement » : teinture, impression, apprêt. Cette élimination, le désencollage, s’opère en trempant le tissu dans une machine, appelée laveuse, qui contient de l’eau à 90 °C, laquelle entraîne la colle dans une proportion comprise entre 90 et 95 %. Cette eau doit ensuite être évacuée et constitue un effluent porteur d'une charge de pollution importante.

Ultrafiltration de l’effluent

Lorsque la colle est d'origine synthétique (PVA, CMC, acide polyacrylique), il est parfaitement possible de traiter l’effluent de la laveuse par ultrafiltration. Les membranes utilisées à cet effet sont de nature organique, spiralées ou tubulaires (des membranes minérales feraient également l'affaire mais elles sont d'un coût trop élevé) ; le seuil de coupure est de 20 000 daltons. Les membranes retiennent les macromolécules de colle, qui restent dans le rétentat, lequel est recyclé vers l’encollage. Le perméat, contenant essentiellement de l'eau et un peu de colle (à cause de la fragmentation progressive des macromolécules), s’utilise au rinçage du tissu, dans la laveuse, où il remplace une grande partie de l’eau neuve.

Les gains résultent de la récupération de colle (90 à 95 % de la colle mise en œuvre), d’énergie thermique, d’eau, ainsi que de l’économie sur la redevance de pollution. Les dépenses de fonctionnement proviennent de l’énergie mécanique nécessaire pour assurer la vitesse de passage voulue sur les membranes, et du remplacement de ces dernières (tous les deux ans). Suivant sa taille, l'installation s'amortit en un à trois ans.

Deux questions se sont posées avant la construction de la première installation industrielle :

— certains tisseurs utilisent des mélanges de produits d’encollage ; seront-ils récupérés dans la même proportion dans le rétentat ? — la colle récupérée donne-t-elle aux fils de chaîne d’aussi bonnes propriétés mécaniques que la colle neuve ?

L'expérience de plusieurs installations industrielles a permis aujourd’hui de lever tous les doutes : l’ultrafiltration est parfaitement apte à traiter des mélanges de produits d’encollage ; la colle récupérée donne même aux fils de chaîne une résistance mécanique meilleure que le produit neuf, car elle contient davantage de grosses molécules, qui sont plus efficaces que les petites, lesquelles sont passées en grande partie dans le perméat.

Certains tissages utilisent l'amidon comme produit d’encollage ; or l’amidon est insoluble dans l'eau et il faut, pour désencoller, faire agir une enzyme dans la laveuse ; cette enzyme décompose l’amidon, qu'il devient alors impossible de réutiliser. Dans ce cas particulier, la mise en œuvre de l’ultrafiltration pour le traitement des effluents suppose le changement préalable de produit d’encollage au bénéfice d'une colle synthétique ; on économise alors le traitement enzymatique. La durée d’amortissement est néanmoins légèrement plus longue que dans le cas où le tissage utilisait un produit synthétique car l’amidon est moins coûteux, et son emploi se traduit par une redevance de pollution moins élevée ; cependant, le recours à l’ultrafiltration reste encore ici hautement rentable.

Récupération de l'indigo

Teinture à l'indigo

L'indigo sert à teindre les tissus en bleu. Il trouve un débouché important dans la fabrication des blue jeans.

Ce colorant, tel qu'il est fourni aux utilisateurs, ne saurait être employé sans préparation préalable. Il existe en effet sous deux formes : réduite (incolore, soluble dans l’eau) et oxydée (bleue, insoluble dans l'eau). Pour teindre, on commence par réduire l'indigo du commerce par le bisulfite de soude en présence de soude caustique. Le tissu est trempé dans une cuve contenant la solution d'indigo incolore, substance très sensible à l'action de l'oxygène de l'air, lequel ne tarde pas à la transformer en indigo bleu. Une fois le tissu exposé à l'air, la couleur se développe, l'indigo bleu précipite dans les fibres du tissu et s'y fixe, puis on lave le tissu pour enlever l’excédent d'indigo, lequel se monte à une fraction comprise entre 15 et 20 % de la quantité entrante. Il en résulte une charge polluante importante et, de plus, bien visible dans les eaux résiduaires de l'usine…

Mise en œuvre de l'ultrafiltration

L'ultrafiltration permet de récupérer l'excédent d'indigo contenu dans l'effluent de l'installation. Elle doit être conduite sur la suspension d'indigo oxydé. En effet, l'indigo blanc, soluble dans l'eau, traverse les membranes et, si une oxydation se produit à cet endroit, l'indigo bleu précipite à l'intérieur de la membrane qui se colmate aussitôt.

Les membranes utilisées sont de type tubulaire, en polyamide ou en polysulfone, avec un seuil de coupure de 20 000 daltons. Le débit de perméat est de deux à trois fois plus élevé que dans le cas des produits d'encollage : c'est que l'indigo bleu se présente, non pas sous la forme de molécules dissoutes, mais de petits grains solides ; la polarisation des membranes, qui a pour conséquence de réduire le débit de perméat, est donc plus faible. Il ne faut pas ultrafiltrer d'indigo insuffisamment oxydé (risque de colmatage des membranes) et son degré d'oxydation est surveillé en permanence par mesure du potentiel redox. La couleur est contrôlée par spectrophotométrie en différents points des circuits.

Les avantages économiques de la récupération de l'indigo sont, d'une part la réutilisation de 15 à 20 % de la quantité entrant dans l'installation, et d'autre part une réduction importante de la redevance de pollution.

La durée d'amortissement, qui varie en fonction de la proportion d'indigo récupéré (15 à 20 %), se situe entre un et trois ans.

Outre le bénéfice économique, la mise en œuvre de l'ultrafiltration présente encore un autre intérêt : elle décolore l'effluent de l'usine ; en effet, l'indigo est un témoin gênant, car bien visible, de l'existence d'une pollution. C'est ainsi que, dans de nombreux pays, on étudie la possibilité de réglementer la décoloration complète de tous les effluents industriels.

Régénération des bains de mercerisage

On appelle mercerisage le traitement du coton par une lessive de soude caustique à 28-32° Baumé, avec plusieurs objectifs :

— augmentation du brillant, — accroissement de la résistance à traction, — diminution de l'allongement à la rupture, — amélioration de la résistance à la lumière et à l'eau, — augmentation de la reprise d'humidité, — augmentation du gonflement des fibres dans l'eau.

Le coton mercerisé absorbe davantage de colorant, ce qui rend les couleurs plus profondes.

Les impuretés introduites par le coton dans la lessive de mercerisage provoquent l'apparition de taches sur le tissu ; il est donc nécessaire de les éliminer ou bien de vidanger le bain et de changer la lessive périodiquement.

L'épuration des bains peut être obtenue à l'aide de membranes d'ultrafiltration organiques extrêmement résistantes ; il est donc possible de régénérer les lessives de mercerisage en continu et d'augmenter fortement la longévité des bains. La réduction des coûts ainsi engendrée, qui est considérable, autorise des durées d'amortissement raisonnables des installations d'ultrafiltration. Le traitement permet également de réduire les redevances de pollution et il contribue à l'assainissement de l'environnement.

Traitement des lessives de blanchiment

Les fibres textiles sont accompagnées par des impuretés dont la plupart sont éliminées avant les opérations d'ennoblissement proprement dites. Dans le cas des fibres naturelles, ces impuretés proviennent notamment des cires et du suint ou bien, pour faciliter les traitements, elles ont été introduites dans les phases préalables à l'ennoblissement. L'élimination de ces impuretés exige des procédés d'épuration spéciaux car un simple lavage resterait insuffisant. Pour faire disparaître les colorants naturels des fibres neuves ou régénérées, et les impuretés colorées des fibres synthétiques qui proviennent des matières premières utilisées à leur fabrication, un blanchiment est nécessaire. On ne blanchit d'ailleurs pas seulement les tissus blancs, mais aussi les textiles destinés à être teints en couleurs claires ou brillantes. Les agents de blanchiment mis en œuvre sont principalement des oxydants, qui détruisent les colorants.

Un blanchiment standard comporte les opérations suivantes : — chloration de la lignine présente dans les fibres, — élimination de la lignine chlorée par extraction alcaline à la soude caustique, — blanchiment oxydant et éclaircissant par l'hypochlorite de soude.

L'extraction alcaline provoque la formation d'un effluent de couleur sombre, riche en chlorure de sodium, possédant une DCO très élevée et inadapté à l'épuration biologique du fait de sa teneur élevée en lignine.

En raison de la forte pression osmotique, l'osmose inverse ne permet qu'une concentration limitée de cet effluent. L'emploi de membranes d'ultrafiltration (qui doivent être très résistantes aux alcalis) présente au contraire une possibilité intéressante de concentration des impuretés par élimination d'eau. Comme les sels sont évacués dans le perméat, la pression osmotique est négligeable. On peut utiliser aussi bien des membranes spiralées que des membranes tubulaires, toutes de nature organique. On obtient un facteur de concentration (volume entrant/volume de rétentat) de 25, et l'élimination à 95 % des colorants. Dans l'ultrafiltration des effluents de blanchiment, il est très important de disposer d'une préfiltration de qualité et d'assurer une vitesse de balayage élevée car une dispersion insuffisante des matières de la couche de polarisation peut conduire au colmatage des membranes.

Nous avons donné l'exemple des lessives de blanchiment, bien qu'il n'y ait pas là à proprement parler de récupération de matières de valeur, pour bien montrer toutes les possibilités de l'ultrafiltration, et notamment des membranes organiques, dans le traitement des effluents des usines textiles.

Conclusion

L'ultrafiltration a fait ses preuves dans le traitement des rejets des usines textiles ; les installations correspondantes fonctionnent de manière entièrement automatique, avec une excellente fiabilité, et sont source de profit pour les industriels qui ont consenti l'effort financier nécessaire pour leur construction.

Cependant, pour que de telles installations soient bien conçues, bien dimensionnées, bien réalisées, pour qu'elles répondent, en un mot, aux espoirs placés en elles, il est indispensable de faire appel, pour leur étude, à des spécialistes disposant à la fois de l'expérience acquise dans l'industrie textile et dans les techniques de la séparation sur membranes. C'est à cette condition que pourront être pris en compte les paramètres des procédés d'encollage, de teinture, de mercerisage, etc. et que seront suggérées les modifications rendues éventuellement nécessaires par l'introduction de l'ultrafiltration. L'industriel aura ainsi l'assurance de pouvoir bénéficier de toute l'expérience déjà acquise lors de précédentes réalisations.

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