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Traitement des sols pollués par le chrome: mise en oeuvre d'un nouveau procédé par extraction chimique

30 mars 1999 Paru dans le N°220 à la page 60 ( mots)
Rédigé par : Gauthier RIGAUD, Julien CHAUZY, Gilles BARATTO et 1 autres personnes

Il existe en France des techniques de traitement des sols pollués par les métaux lourds, comme la stabilisation des terres ou le lavage des sables, mais rares sont celles qui permettent de coupler une extraction efficace de la pollution à un coût intéressant. Avec le soutien de la Communauté Européenne, Anjou Recherche a développé un procédé de lavage de sols pollués par du chrome (CrIII majoritairement) comprenant une filière d'extraction du polluant et une filière de traitement de l'effluent de lavage. Un pilote semi-industriel de démonstration, mis en place sur un site industriel basé en région parisienne, permet de traiter des terres polluées en chrome à un débit nominal de 100 kg/heure avec un rendement d'extraction avoisinant les 70 % et un coût à la tonne concurrentiel par rapport aux autres techniques.

En France, la dépollution des sols est une préoccupation environnementale relativement récente. Cette activité s'est développée notamment avec l'apparition des problèmes cruciaux de contamination des nappes phréatiques mais aussi dans les approches de délocalisation des sites industriels et des transactions foncières sous-jacentes. À l'heure actuelle, les techniques de traitement proposées restent onéreuses (de 200 F/tonne à 7 000 F/tonne pour des traitements allant de la simple biodécontamination à l'incinération hors site des PCB), à l'exception des coûts relativement bas pour la dépollution des terres contaminées par des hydrocarbures aliphatiques. Bien que le marché potentiel soit important, celui-ci se développe très lentement dans un contexte économique plutôt difficile. Cependant, la mise au point de nouvelles techniques de traitement peut aider à la fois à répondre aux attentes concrètes des propriétaires fonciers ou des administrations, et à apporter des réponses viables pour l’ensemble des parties sur le plan économique.

Dans le cadre de son activité de R&D, notamment dans le domaine de la dépollution des sols, Anjou Recherche mène actuellement, en partenariat avec la société Sodebor et avec le concours de la Communauté Européenne, un programme de démonstration Life visant à élaborer un procédé compétitif de traitement des sols pollués par du chrome. Un pilote de démonstration semi-industriel (cf. photographie 1) a été conçu par Anjou Recherche, puis mis en place sur

[Photo : Pilote de traitement des sols pollués par le chrome sur un site industriel. Les essais de traitement sur des terres polluées par du chrome se poursuivent afin d’optimiser les performances du pilote.]

Le contexte des sols pollués par le chrome

Aujourd’hui, les collectivités sont de plus en plus confrontées aux problèmes pratiques et réglementaires engendrés par les friches industrielles souvent dégradées au niveau environnemental. Ces dernières constituent un frein au développement local et à la mise en valeur du territoire, elles ont de plus un triple impact sur l'environnement :

  • un impact direct ou indirect sur la santé humaine,
  • un impact sur les paysages urbains ou périurbains (surfaces importantes laissées à l'abandon),
  • un impact sur le développement socio-économique des collectivités par l'immobilisation de terrains.

Le recensement officiel 1996 des sites et sols pollués, effectué par le Ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, a dénombré 896 sites pollués dont 295 par des métaux et 95 par du chrome. La pollution de ces sites constitue une limitation majeure à leur réutilisation. Il en va de même dans la plupart des pays industrialisés, en particulier dans les régions d'activités anciennes, ainsi que dans les pays de l'Europe de l'Est (République tchèque, Hongrie, Pologne par exemple).

Parmi ces friches industrielles, celles contaminées par le chrome sont importantes compte tenu de la large gamme d'activités industrielles susceptibles de rejeter ce type de polluant. De plus, elles présentent un risque pour l'environnement du fait des caractéristiques particulières de ce polluant (mobilité et toxicité élevées). Parmi les industries susceptibles de rejeter ce polluant, on peut citer :

  • les tanneries,
  • les ateliers de traitement de surface,
  • les usines de traitement du bois,
  • les usines de fabrication de matériaux réfractaires,
  • les usines de fabrication de pigments,
  • les industries métallurgiques.

Les techniques de dépollution des sols contaminés par le chrome

Parmi les techniques de décontamination connues, on compte :

  • l'excavation et le stockage,
  • le confinement par encapsulation et mise en alvéole,
  • la stabilisation et l'inertage,
  • la vitrification,
  • les méthodes biologiques par biofixation,
  • le lavage des terres.

Les trois premières techniques citées ci-dessus constituent les solutions les plus couramment proposées, à l'heure actuelle, par les opérateurs de dépollution lors d’une réhabilitation de site contaminé par du chrome.

Le chrome dans le sol

Dans le milieu naturel, le chrome peut être rencontré soit à l'état naturel dans la croûte terrestre soit en tant que polluant dû à l'activité humaine. En fait, le chrome existe sous diverses formes à des degrés d’oxydation variant de –II à +VI. Cependant, il est plus

[Photo : Module de tamisage et d’extraction]
[Photo : Graphe 1 : Répartition du chrome dans les échantillons étudiés]
[Photo : Graphe 2 : Cinétique de l’extraction du chrome dans les sols]

souvent rencontré dans le sol sous ses formes trivalentes (CrIII : CrOH²⁺, Cr(OH)²⁺, Cr(OH)₃ et Cr(OH)₄⁻) et hexavalentes (CrVI : CrO₄²⁻, HCrO₄⁻) et leurs proportions dans les sols dépendent beaucoup des conditions de pH et de potentiel redox, de la quantité de matières organiques, d’oxydes de fer (II), de sulfures, d’oxydes de manganèse, d’oxygène dissous et de l'humidité des terres.

Le sol possède en général une grande capacité de fixation des métaux lourds (métal dont la densité est supérieure à 5 g/cm³) et donc également pour le chrome dont la densité est de 7,2 g/cm³. L’adsorption du chrome sur un sol est directement liée à sa porosité (augmentation de la surface de contact). De plus, cette adsorption est intimement liée à la présence d’argiles et de matières organiques dans le sol. En tant qu’échangeur de cations, l'argile constitue donc un excellent adsorbant.

D’autre part, le chrome, notamment hexavalent, est adsorbé par des solides minéraux argileux présentant des groupements OH en surface, par les oxydes de fer, de magnésium et d’aluminium. Les réactions d’adsorption-désorption jouent un rôle significatif sur les concentrations des espèces de chrome rencontrées dans les sols et sur leur mobilité. Lorsque le pH augmente de 4 à 9, l'adsorption de Cr(VI) diminue pour être finalement nulle. Au contraire, l’adsorption de Cr(III) a tendance à augmenter avec le pH.

Principe du procédé de traitement

L’étude minéralogique, couplée à une étude physico-chimique des sols pollués par du chrome, permet d'identifier et de localiser la nature de la pollution. Dans le cas du site industriel étudié, l'étude minéralogique a permis de montrer que le chrome était adsorbé par les vermiculites dans leurs sites interfoliaires et principalement localisé dans la fraction granulométrique inférieure à 100 µm (cf. graphe 1).

Le principe de ce traitement par extraction chimique (cf. figure 1) consiste donc à isoler la fraction de sol polluée et à la traiter. La fraction de sol restante ne subit aucun lavage chimique mis à part un rinçage à l'eau. L’extraction du polluant (le chrome) s'effectue en mélangeant la fraction de sol polluée à un oxydant puissant, l’oxydant ayant pour rôle de solubiliser le métal lourd. Le chrome dissous contenu dans la solution est ensuite isolé des terres par un procédé de filtration, puis traité dans une unité physico-chimique. Le chrome extrait est récupéré sous forme de boue tandis que l’effluent dépollué est recirculé.

[Photo : Figure 1 : Synoptique du procédé de traitement]

Des essais en laboratoire très prometteurs

Sur ce principe de traitement, une étude en laboratoire a permis de mettre au point un protocole d'extraction du chrome applicable à un procédé industriel en continu. Celui-ci permet d’extraire plus de 75 % du polluant de la fraction fine (ici < 100 µm) pour un temps de contact avoisinant les 10 minutes (cf. graphe 2).

La dépollution de l’effluent de lavage est assurée par une unité de traitement physico-chimique. Cette dernière permet de concentrer plus de 99 % du polluant sous forme de boue. Ces boues seront ensuite déshydratées par filtration afin de limiter les volumes de déchets produits.

[Photo : Descriptif du pilote de traitement des sols pollués par du chrome]

Les principales caractéristiques de ce procédé de traitement figurent dans le tableau 1.

Descriptif de la filière de traitement des sols

La filière de traitement (cf. figure 2) est alimentée par un bac équipé d’un fond mouvant, lequel assure un débit nominal de terre de 100 kg/heure (extensible à 200 kg/heure). La terre est ensuite acheminée vers un système de tamisage constitué de trois tamis vibrants. Le tamisage, effectué en voie humide et sous-pression à partir du deuxième tamis vibrant, constitue une étape indispensable pour isoler la fraction granulométrique des terres (ici < 100 μm) concernée par la pollution.

À l’issue de ce tri, les terres dont la granulométrie est supérieure à 100 μm sont écartées de la filière de traitement tandis que sont conservées les terres de granulométrie inférieure à 100 μm qui contiennent la majeure partie du chrome (cf. photographie 2). Ces dernières sont alors mélangées à un extractant qui oxyde le chrome trivalent (CrIII) adsorbé sur les terres en chrome hexavalent (CrVI) soluble. À la sortie du réacteur, l’effluent (sous forme de boue liquide) se compose d’une phase solide, les terres inférieures à 100 μm, et d’une phase liquide contenant le chrome hexavalent dissous. Ces deux phases sont séparées par une unité de déshydratation constituée d’un filtre-presse. Tandis que les gâteaux décontaminés en chrome sont destinés à une remise en place sur site, l’effluent chargé en polluant est envoyé dans l’unité de traitement physico-chimique.

[Photo : Unité de traitement physico-chimique des effluents de lavage]

Cette unité physico-chimique (cf. photographie 3) comprend un bac de réaction constitué de quatre compartiments (acidification, réduction, précipitation et floculation) et un décanteur lamellaire. Cette unité permet la réduction du chrome VI (soluble) en chrome III (précipitable), puis la formation d’hydroxydes de chrome (précipité) et enfin, la floculation et la décantation des hydroxydes de chrome obtenus. Les boues ainsi formées sont déshydratées dans un filtre-presse de manière à réduire au maximum leur volume. À l’issue de ce lavage, le devenir des produits générés par cette filière de traitement est le suivant :

  • * les terres supérieures à 100 μm ainsi que les gâteaux du filtre-presse sont stockés puis, en accord avec les autorités compétentes, replacés sur site après analyses,
  • * le surnageant du décanteur est régénéré pour le tamisage en voie humide ou, le cas échéant, stocké puis, en accord avec les autorités compétentes, envoyé dans le réseau d’eaux usées après analyses,
  • * les boues chargées en chrome sont expé-

Tableau 1 : Caractéristiques principales du procédé d’extraction chimique

Ratio massique Terre brute/effluent de lavage : 1/1
Rendement d’extraction dans les sols : > 75 %
Rendement de dépollution des eaux : > 99 %
Masse de déchets générés (en kg de boue/tonne de terre brute) : 6

Conclusion

Cette filière de traitement des sols contaminés par du chrome fait appel à un procédé innovant de dépollution des sols permettant d'extraire et de concentrer considérablement la pollution chromée sous forme de boue. Faiblement générateur de déchets, ce procédé a l'ambition, d'une part, de dépolluer les sols à un coût de traitement particulièrement compétitif et, d'autre part, de permettre la valorisation des terres décontaminées.

De plus, cette unité de traitement a été conçue de manière modulable, afin de pouvoir s'adapter aux différentes configurations de pollutions métalliques rencontrées, ce qui nécessitera par ailleurs une simple adaptation de l'extractant et des réactifs chimiques. Ce procédé devrait trouver de nombreux débouchés commerciaux compte tenu du nombre de sites européens concernés par la pollution en chrome.

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