Chimie des procédés. Exemples pratiques d’applications
Dans la première partie de cet article, on a traité des réacteurs adaptés à l'utilisation optimisée de l’oxygène.
On décrira, dans cette deuxième partie, la chimie des procédés exploitables à l’oxygène et à titre d’exemple d’application, la description de quelques cas d’utilisations industrielles concrétisant les recherches effectuées dans les laboratoires de L'Air Liquide.
LES RÉACTIFS
L’oxygène est particulièrement adapté au traitement des effluents aqueux pollués par des déchets tels que sulfures, mercaptans, sulfites, thiosulfates, ainsi qu’à la dégradation des phénols et chlorophénols.
Il est à remarquer que d'autres vecteurs d'oxygène peuvent être utilisés aux mêmes fins, en particulier le peroxyde d’hydrogène et ses dérivés. Les techniques correspondantes sont bien au point et la description en a déjà été faite (1) (2).
DÉSULFURATION
On trouve des effluents sulfurés dans les rejets des industries chimiques et parachimiques telles que tannerie, teintureries, synthèse, pétrochimie, usines de pâte à papier, fermentation anaérobie (provoquée ou parasite). On retrouve également sous une forme identique les sulfures provenant de tours d’absorption, par une lessive de soude, de l’hydrogène sulfuré gazeux produit généralement par ces mêmes industries.
Les procédés d’élimination des sulfures sont nombreux et le choix est dépendant des flux de soufre ainsi que des performances attendues.
* La première partie de cet article est parue dans notre numéro d’avril 1990.
On connaît, par exemple, la précipitation par les sels de fer : ce procédé, désuet, est abandonné actuellement en raison des contraintes imposées par le stockage ou l’élimination du sulfure de fer qu'il engendre.
Est également à citer l'incinération de l’hydrogène sulfuré produit directement ou indirectement par un stripping acide des solutions. Mais la pollution secondaire de l’air par l’anhydride sulfureux est à éviter (toxicité — odeurs).
Le peroxyde d’hydrogène est un réactif de choix, qui réagit aux pH neutres en donnant du soufre colloïdal (difficile à séparer) ; aux pH alcalins, il donne directement des sulfates. On l’utilise avec avantage pour les petits et moyens flux de soufre, en solution suffisamment diluée pour éviter les échauffements excessifs (1) (2).
L’oxygène de l’air est couramment utilisé, notamment pour traiter les effluents de tannerie. On opère à la température ambiante et il est nécessaire d’activer la réaction par l'usage de catalyseurs au cobalt (onéreux) ou au manganèse. Ce procédé nécessite l’usage de bassins d’aération impliquant une grande surface au sol. On obtient des thiosulfates, donnant ainsi une DCO résiduelle.
L’oxygène pur par contre, et pour toutes les raisons évoquées dans la première partie de cet article, est un réactif de choix pour l'élimination de la pollution due aux sulfures. Il réagit comme avec l’air, mais avec les avantages supplémentaires déjà décrits.
Son emploi permet d'envisager l'épuration dans des réacteurs chauffés ou non, beaucoup plus compacts que les bassins d'aération et adaptés à toute une gamme d'effluents plus ou moins concentrés. Si l'on oxyde en conditions douces, on obtient un effluent final contenant des thiosulfates ; en conditions plus dures (température plus élevée), on produit des sulfates (voir plus loin).
Ces réactions ont été étudiées et ont abouti à des utilisations industrielles dont quelques-unes sont décrites ci-après.
Exemples pratiques d’application
Soudes usées de raffinerie (3)
On utilise une lessive de soude pour le lavage de certains composés produits par
L’unité Merox des raffineries, lavage qui a pour but d’éliminer les sulfures, les mercaptans, les sulfites et d'autres produits.
On obtient un effluent dont la composition est généralement la suivante :
débit 500 l/h à 16 °C densité 1,1 soude libre 70 g/l soufre des sulfures 4 g/l thiosulfates 8 g/l sulfites 0,2 g/l soufre des mercaptans 13 g/l phénols 8 g/l hydrocarbures traces
Les réactions d’oxydation mises en œuvre sont les suivantes :
2 S²⁻ + 2 O₂ + H₂O → S₂O₃²⁻ + 2 OH⁻ S₂O₃²⁻ + 2 O₂ + 2 OH⁻ → 2 SO₄²⁻ + H₂O 2 RS⁻ + ½ O₂ + H₂O → RS–SR + 2 OH⁻
Consommations théoriques d’oxygène pur :
1 kg S²⁻ (sulfures) = 1 kg O₂ 1 kg S₂O₃²⁻ (hyposulfite ou thiosulfate) = 0,87 kg O₂ 1 kg RS⁻ (mercaptan à base C₈) = 0,11 kg O₂
L’installation comporte un réacteur agité sous pression, d’un volume de 500 litres, pression de travail 10 bars (figures 7 et 8).
L’effluent sortant du bac de stockage est envoyé dans un strippeur constitué d’une colonne de 250 litres, balayée par un courant ascendant d’azote qui permet l’élimination des hydrocarbures éventuellement présents.
Un échangeur à cinq faisceaux tubulaires permet le préchauffage de l’effluent en utilisant la chaleur produite par la réaction d’oxydation.
La soude usée oxydée peut être réutilisée pour le lavage d’hydrocarbures. Dans ces conditions opératoires, les phénols ne sont pas attaqués.
La consommation d’oxygène est de 16 Nm³/m³ d’effluent à la composition décrite.
Soude sulfurée issue de la synthèse chimique
Les caractéristiques de l’effluent entrant (issu d’une tour d’adsorption d’H₂S par la soude) sont les suivantes :
débit 40 l/h S²⁻ 20 g/l (pointes possibles à 100 g/l) pH 13,5 température 80 °C
Le liquide réchauffé est injecté au bas du réacteur à la pression de service de 10 bars. L’injection d’O₂ se fait par un tore percé de trous placé à la partie inférieure du réacteur.
Le mélange est assuré par quatre turbines à six pales réparties régulièrement sur l’arbre d’agitation. Le réacteur comporte une double enveloppe permettant une régulation de température à 80 °C. L’ensemble est accompagné d’appareillages permettant d’assurer l’automatisme et la sécurité de fonctionnement.
Pour un temps de séjour dans le réacteur d’oxydation d’une heure à 80 °C, l’effluent sortant présente les caractéristiques suivantes :
densité 1,12 soude NaOH 70 g/l sulfures en S²⁻ 0 g/l mercaptans en S²⁻ 0,5 g/l sulfites en SO₃²⁻ 0 g/l thiosulfates S₂O₃²⁻ 6,4 g/l sulfates en SO₄²⁻ 5,2 g/l phénols 8 g/l hydrocarbures néant (*)
(*) Éliminés par le stripping azote.
La réaction d’oxydation est donnée par la formule :
2 S²⁻ + 2 O₂ + H₂O → S₂O₃²⁻ + 2 OH⁻
L'installation comprend une colonne verticale du type colonne à bulles parcourue de bas en haut par l'effluent avec un temps de séjour de 20 heures (figures 9 et 10). Sa capacité est de 800 l à la pression ambiante.
L'oxygène est injecté à la base par une plaque frittée qui permet d’obtenir de fines bulles d’oxygène favorisant son assimilation par l'effluent. La hauteur de la colonne est ajustée de telle sorte que les bulles d’O₂ ont réagi avant d’atteindre le sommet.
La désulfuration est obtenue avec un rendement supérieur à 99 %.
La consommation d’O₂ ressort à 1 kg d’O₂ par kg de S²⁻ (soit pratiquement le rendement théorique).
Désulfuration d’un effluent de teinturerie
La désulfuration des effluents de teinturerie constitue une étape essentielle dans le traitement précédant l'oxydation biologique.
Les effluents proviennent d'une unité Pad-steam et de jiggers.
Les effluents Pad-steam à traiter sont ceux des bacs de foulardage, joint d’eau et de rinçage avant oxydation.
L'effluent entrant présente les caractéristiques ci-après :
débit : 17 m³/h température : 40 °C S²⁻ : 1 000 à 2 600 mg/l pH : 10
La réaction d’oxydation est donnée par la formule :
2 S²⁻ + 2 O₂ + H₂O → S₂O₃²⁻ + 2 OH⁻
L'installation utilise un réacteur tubulaire sous pression de 10 bars effectifs, d'une longueur de 600 m pour un diamètre de 50 mm (figures 11 et 12).
L’ajout d’un catalyseur tel que le sulfate de manganèse permet d'adapter la cinétique de réaction aux caractéristiques d'utilisation du réacteur tubulaire (Mn²⁺ = 50 ppm). L'effluent sortant du bac de stockage est envoyé dans le réacteur grâce à une pompe de mise en pression à 10 bars. À l'entrée du réacteur, une pompe doseuse permet d’injecter la solution de sulfate de manganèse (catalyseur). L'arrivée d’O₂ se fait sensiblement au même endroit. Le réacteur, de 600 m de longueur, est constitué par un ensemble d’éléments standard de tubes de 10 m reliés les uns aux autres par des coudes à 180° soudés ; l’encombrement est ainsi très réduit.
L’ensemble est accompagné d’appareillages permettant d’assurer la mesure et la régulation des paramètres de fonctionnement.
Le rendement d’élimination des sulfures est supérieur à 95 %, la consommation d’oxygène est de 1,3 kg d’O₂ par kg de S²⁻, soit +30 % par rapport à la théorie.
THIOSULFATES
L'oxydation des sulfures, dans des conditions douces, permet d’obtenir des thiosul-
L'abaissement de la DCO est déjà significatif ; toutefois, il peut être demandé de réduire au maximum la DCO résiduelle de l'effluent par destruction des thiosulfates.
Il est possible de transformer des thiosulfates en sulfates par oxydation à l’oxygène pur, selon la réaction :
S2O3-- + 2 O2 + H2O → 2 SO4-- + 2 H+
Pour obtenir un bon rendement, il est nécessaire d’opérer à une température de 130 à 150 °C, sous une pression d’oxygène de 10 bars et en présence d'un catalyseur. Il a été montré par des essais qu'une solution de thiosulfate de sodium à 24 g/l et d’un pH initial de 12,9, traitée sous 10 bars d’oxygène à 130 °C, contenait encore 0,5 g/l de thiosulfate après 8 h de contact sans catalyseur. Dans les mêmes conditions de pression et température, il ne reste plus que 0,1 g/l de thiosulfate, après 4 h de contact, en présence de 66 mg/l de Mn++ incorporé à l'état de sulfate de manganèse monohydrate.
Le réacteur le plus adapté à ce traitement est le réacteur agité sous pression décrit dans la première partie de cet article.
SULFITES
On trouve des eaux résiduaires contenant des sulfites dans les deux cas principaux suivants :
- — eaux issues de sulfonation en synthèse chimique,
- — eaux sodiques provenant du lavage d’air chargé en anhydride sulfureux dans des tours à garnissage parcourues par un circuit fermé de lessive de soude. On alimente ces tours en soude fraîche en traitant en permanence un débit de purge.
SO2 + 2 NaOH → Na2SO3 + H2O
Ces eaux chargées de sulfites possèdent une DCO non négligeable.
Na2SO3 + 1/2 O2 → Na2SO4
Exemple pratique d’applicationOxydation de sulfites issus de sulfonation
L’effluent provient d’unités de fusion alcaline après réaction de sulfonation.
Il contient 50 g/l de sulfite de sodium (25 g/l si exprimé en SO2) et des matières organiques résiduelles. Son pH est de 8,5 et sa DCO de 15 000.
Le débit liquide est de 10 m³/h.
Le traitement appliqué comporte une oxydation à l'oxygène pur, en réacteur agité, avec un rendement d’oxydation supérieur à 99 %.
Les caractéristiques de l'installation (figures 13 et 14) sont les suivantes :
- réacteur agité : 7,7 m³ (volume utile : 5 m³)
- température de réaction : 110 – 115 °C
- pression totale : 10 bars
- temps de séjour : 30 minutes
- puissance d’agitation : 22 kW
- consommation d’oxygène : 60 Nm³/h
OXYDATION DES PHÉNOLS
Les rejets d’eaux résiduaires pollués par le phénol sont insidérables :
- — par la faculté que possède le phénol de se chlorer sous l’action des agents stérilisants habituellement employés pour la préparation des eaux potables : chlore, hypochlorite de sodium ; les chlorophénols ainsi formés donnent un très mauvais goût à l’eau, décelable à partir de seulement quelques fractions de mg/l ;
- — à partir de 0,1 à 0,2 mg/l, le phénol déprécie la saveur des poissons et les rend inconsommables ;
- — le phénol, s'il n'est pas gênant aux concentrations de plusieurs mg/l pour les milieux biologiques naturels ou épurateurs, a une action néfaste sur le rendement des bactéries dénitrifiantes.
On sait détruire les phénols par usage de peroxyde d’hydrogène et par l'acide manopersulfurique dit « acide de Caro ». Les procédés sont déjà décrits (1) (2).
Destruction par l’oxygène pur
On sait oxyder le phénol à l’oxygène pur par oxydation sous pression. On obtient une dégradation de 80 % en 6 heures en utilisant une température de contact de 100–110 °C pour des concentrations initiales de l'ordre de la dizaine de g/l de phénol. Le pH doit être maintenu à une valeur supérieure à 10 tout au long de la réaction d’oxydation, ce qui implique l'utilisation d'un milieu alcalin, dont la concentration est telle que la réserve alcaline soit suffisante pour maintenir ce pH malgré une consommation de soude correspondant à la salification de tous les dérivés carboxylés plus le CO2 formés, selon les réactions résumées sur la figure 15.
La réaction conduit donc à l'ouverture du cycle aromatique pour obtenir toute une série de diacides, d’acide formique et de CO2, salifiés en carbonate ou hydrogénocarbonate. Il y a donc autoconsommation de la réserve alcaline qui, si elle est insuffisante, provoque l’acidification du milieu et l'arrêt de la réaction avant son terme. Si l'on cherche à éviter cet écueil en chargeant en soude le milieu avant l’oxydation, l'excès d’alcali provoque une mauvaise dégradation des phénols et on aboutit quand même à une réaction incomplète.
Cherchant à éviter ces inconvénients et surtout à obtenir une réaction complète, nos laboratoires ont entrepris des recherches qui ont abouti à la proposition de conditions opératoires nouvelles dont le résultat est montré sur la figure 16 et dont la description est donnée ci-après.
Destruction des phénols
La nouvelle réaction proposée consiste à obtenir l’oxydation des phénols en milieu carbonate de sodium et non plus hydroxyde de sodium, et en présence de catalyseur constitué d'une phtalocyanine de cobalt, sulfonée pour obtenir une bonne solubilité dans l'eau. On utilise 24 moles de carbonate de sodium par mole de phénol et 8,5 mg de cobalt sous la forme de phtalocyanine de cobalt sulfonée. En divisant par deux la quantité de carbonate de sodium, soit 12 moles par mole de phénol, le temps de réaction est à multiplier par 1,5 pour obtenir les mêmes résultats. En utilisant d'autres complexes métalliques, par exemple fer, manganèse, nickel, cuivre supportés par d'autres complexants, les résultats sont inférieurs, voire négatifs.
Le carbonate de sodium exerce une quadruple action :
- — agent alcalin plus doux que la soude,
- — agent salifiant les acides,
- — agent d'absorption du CO₂ produit par la dégradation. Le carbonate devient du bicarbonate,
- — assure la réserve alcaline nécessaire pour maintenir le pH alcalin jusqu'à la fin de la réaction.
Les produits de réaction sont les mêmes que ceux obtenus par les autres réactions d'oxydation, c'est-à-dire qu’on obtient l’ouverture du cycle aromatique et formation des diacides de C6 à C2, de l’acide formique, tous salifiés, hydrogéno-carbonates, puis des carbonates. Au lieu d'une dégradation à 80 % du phénol à 10 bars d’oxygène et 120 °C, et 6 heures, dans les conditions des procédés connus, on obtient une dégradation à 97 % en 1 h et pratiquement totale en 90 minutes, à 120 °C, en utilisant cette nouvelle réaction.
À 130 °C, les mêmes résultats sont obtenus en respectivement 30 et 50 minutes.
Cas des chlorophénols
Les chlorophénols s’oxydent comme les phénols. Toutefois, la solubilité dans l'eau, alcaline ou non, des chlorophénols décroît avec le nombre d’atomes de chlore fixés sur le noyau aromatique, ce qui perturbe les réactions et, en tous cas, ralentit la cinétique. Ainsi, l’orthochlorophénol est incomplètement dégradé à 120 °C ; par contre, il l’est à 97 % en 2 h 30 et complètement en 4 h.
Le dichloro 2,4 phénol est oxydé à 90 % en 3 heures à 130 °C.
Le trichloro 2,4,5 phénol est oxydé à 50 % en 4 heures à 140 °C.
Le pentachlorophénol n’est pratiquement plus oxydable, il n’est pas soluble non plus.
Toutes ces réactions peuvent être mises en œuvre en utilisant un réacteur agité sous pression, décrit dans la première partie de cet article, notamment celui utilisé pour l’oxydation des soufres sulfurés de raffinerie.
CONCLUSION
On a démontré, par la description de mises au point de laboratoire et par des exemples pratiques d’applications industrielles, que l’oxygène pur permet d’obtenir la détoxication d’effluents industriels par des moyens simples à mettre en œuvre, réalisables par opérations d’ingénierie classiques, sous réserve de respecter les paramètres de fonctionnement établis à l’issue de recherches fondamentales et appliquées.
Le prix de revient de tels traitements correspond maintenant au niveau compatible avec un développement industriel des techniques, grâce à l’utilisation de l’oxygène pur, produit bon marché et disponible sous toutes les formes appropriées, dans les conditions de sécurité requises.
BIBLIOGRAPHIE
1. J.P. Zumbrunn : Tribune du Cebedeau, n° 357-358, pp. 332-341 (1973). 2. J.P. Zumbrunn : Information Chimie, n° 124, pp. 189-194 (1973). 3. J. Harel : Colloque sur la prévention des pollutions industrielles, 24-25 septembre 1980, Toulouse. 4. H. Ledon, J.P. Zumbrunn, P. Cocolios, P. Bron, P. Campo, L. Berthet : Brevets, France-Europe-Japon.