Les industries chimiques, parachimiques et pétrochimiques font un large usage des réactions d’oxydation pour le traitement d’épuration de leurs effluents. Des réactifs tels que les dérivés chlorés, le peroxyde d’hydrogène, l’air et l’oxygène sont parmi les plus employés. Tous ont leurs avantages et leurs inconvénients, reliés le plus souvent au coût de l’oxydant, à sa spécificité, à la pollution secondaire, à leur commodité d’emploi et aux teneurs résiduelles en polluants.
Les travaux de recherche et développement qui sont décrits ici ont été centrés sur l’utilisation de l’oxygène dans le domaine de la détoxification des effluents industriels.
L’air et surtout l’oxygène sont des gaz attractifs pour le but recherché, par les caractères économiques et l’absence de pollution secondaire qui les caractérisent. Toutefois, l’oxydation par les gaz, l’oxygène en particulier, n’est envisageable qu’après avoir acquis une parfaite maîtrise des conditions optimales du contact gaz-liquide, donc par l’étude de la technologie des réacteurs. Il faut aussi être en possession de toutes les informations sur les possibilités, caractéristiques et limites des réactions chimiques envisagées.
Ces deux sujets, réacteurs et réactions, seront décrits en deux articles successifs.
PRINCIPES D’EXPLOITATION DES RÉACTEURS D’OXYDATION
L’air ou l’oxygène ?
Il est plus avantageux d’utiliser dans les réacteurs l’oxygène pur et non l’air, au moins pour les raisons suivantes :
— bilan thermique amélioré : les réactions sont presque toujours conduites à des températures voisines de 80 à 150 °C, et dans ce cas, l’azote de l’air, non réactif et chauffé lui aussi à la même température que le milieu réactionnel, entraîne des calories vers l’atmosphère ; le bilan énergétique n’est donc pas optimal.
— un réacteur d’oxydation à l’air sous pression verra, par la consommation de l’oxygène, le ciel gazeux s’enrichir en azote, d’où purges fréquentes ;
— meilleure cinétique parce que les réactions sont d’ordre non nul ou positif par rapport à O₂ ;
— pression de service plus faible. L’enrichissement de la teneur du gaz en oxygène permet, en évitant de dissoudre aussi de l’azote, d’obtenir une plus forte concentration en oxygène dissous, à pression égale (figure 1). À plus forte raison, l’augmentation de pression en oxygène pur permet d’augmenter sa concentration (figure 2).
— absence de sous-produits métalliques, salins ou autres engendrant une pollution secondaire ;
— appareillage compact ;
— pas de flux de gaz résiduaire à évacuer, particulièrement favorable à l’usage de réacteurs sous pression ;
— diminution de l’énergie de transfert gaz-liquide rapportée au kg d’O₂ dissous ;
— diminution ou suppression des mousses par suppression du flux gazeux d’azote non réactif arrivant en surface.
Le transfert
Un réacteur d’oxydation gaz-liquide fonctionnant à l’oxygène pur doit être conçu de telle façon que l’oxygène introduit ait réagi avant d’atteindre la surface du liquide et cela pour deux raisons :
— un réacteur ouvert, à la pression atmosphérique, laissera s’échapper à l’atmosphère de l’oxygène qui sera perdu.
— un réacteur fermé, sous pression ou non, engendrera un ciel gazeux enrichi d’oxygène préjudiciable à la sécurité, sauf précautions spéciales.
Il faut donc étudier le transfert dans les conditions suivantes, de telle sorte qu'il soit le plus efficace possible.
Grandeurs régissant le transfert
En transfert gaz-liquide, les performances des appareils (apport horaire, apport spécifique, rendement de transfert) s'expriment toutes plus ou moins directement en fonction de la vitesse de transfert qui, de la même manière que l'intensité dans la loi d’Ohm, est le produit d’un terme représentant l'inverse d'une résistance : le coefficient global de transfert kₗa, et d’un terme représentant une différence de potentiel : le potentiel d’échange (ou force de transfert) Cₛ – C :
dc/dt = kₗa (Cₛ – C)
La vitesse de transfert « dc/dt » (en mg/litre et par heure) est la vitesse d’accroissement de la concentration de gaz dissous dans le liquide. C’est un flux de matière transférée à l'interface gaz-liquide.
Le coefficient global de transfert « kₗa » (en heure⁻¹) est le produit du coefficient de transfert « kₗ » (en mètres/heure) du gaz dans le film liquide entourant les bulles (kₗ est une propriété physique propre à la nature du gaz dépendant de la température et de la turbulence du milieu) et de la surface totale d’échange développée par les bulles (m²) ramenée au volume du liquide (m³).
Caractérisation des appareils, conditions standard
Pour permettre leur comparaison directe, les appareils de transfert gaz-liquide sont caractérisés pour des conditions dites standard qui sont définies par les facteurs suivants :
- eau propre
- température de 10 °C
- pression atmosphérique
- concentration en gaz dissous égale à 0 mg/l
Cette caractérisation porte sur :
- l'apport horaire, quantité de gaz dissoute en une heure (kg/h),
- l'apport spécifique, quantité de gaz dissoute, ramenée à la quantité d’énergie dépensée pour cette dissolution (kg/kWh) :
apport horaire (kg/h)puissance (kW)
Selon qu'il s’agit d’une puissance dissipée (mesurée sur l'arbre de l'agitateur) ou d'une puissance absorbée (mesurée au compteur et qui intègre alors le rendement électrique et mécanique de l'appareil), on parlera d’apport spécifique nominal (ASN) ou d’apport spécifique brut (ASB), l’ASN étant toujours supérieur à l'ASB ;
- le rendement de transfert (%), rapport entre la quantité de gaz effectivement dissoute et la quantité de gaz injectée dans l'appareil. On conçoit que le transfert sera facilité à la fois par une augmentation de la « mobilité » du gaz (kₗ) et par une augmentation de la surface d’échange entre le gaz et le liquide (a). Une augmentation du terme kₗa représente donc bien une diminution de la résistance au transfert ;
- le potentiel d’échange « Cₛ – C » (en mg/litre) est la différence entre la concentration maximale en gaz dissous à la saturation « Cₛ » (qui dépend, suivant la loi de Henry, de la pression partielle du gaz, de la température et de la nature du liquide) et la concentration effective en gaz dissous « C ». Pour une même concentration C, un enrichissement de l'air en oxygène permet d’augmenter la concentration de saturation dans le rapport des pressions partielles, soit 4,77 fois lorsqu'on passe de l'air à l'oxygène pur (figures 1 et 2), les caractéristiques d'un appareil en conditions standard dépendant :
- du niveau de turbulence créé,
- de sa capacité à développer de l'aire interfaciale, c’est-à-dire à produire les bulles les plus fines possibles (l'aire interfaciale est en effet inversement proportionnelle au diamètre des bulles).
Caractérisation des appareils ; conditions effectives
Les conditions standard sont très utiles pour comparer les différents réacteurs entre eux ; la pratique est différente et il faut alors se placer en conditions effectives de fonctionnement. En chimie, celles-ci, par rapport aux conditions standard, sont reliées au milieu : salin, polaire, modificateurs de tension superficielle, etc. En général, on peut dire que tout corps dissous ou en suspension modifie la concentration d’oxygène à la saturation ou la diffusibilité de l'oxygène à l'interface gaz-liquide.
À cela s’ajoutent les considérations étrangères au milieu lui-même : température et pression, si ces paramètres sont différents des conditions standard.
La réaction chimique
Généralités
La conception ou le choix d'un réacteur pour une utilisation donnée doit prendre en compte la réaction chimique elle-même. Celle-ci, en se déroulant, met le système en état de déséquilibre permanent du fait de la consommation d'oxygène. L'équilibre est obtenu, théoriquement, seulement en fin de réaction.
Les réactions peuvent être classées en deux catégories, reliées à la cinétique :
- régime diffusionnel : la réaction est pratiquement instantanée et la cinétique ne dépend que de la vitesse de transfert de l'oxygène ;
- réaction chimique : la réaction est lente et c’est elle qui régit la cinétique.
Dans la pratique, presque toujours les réactions d’oxydation suivent le régime diffusionnel au début et le régime chimique à la fin.
Le régime diffusionnel
Il est régi par l'équation de transfert suivante :
V = kₐ ([O₂]* – [O₂])
où :
- V : vitesse d’absorption de l’oxygène en moles/m²/s.
- kₐ : coefficient de transfert massique en m/s.
- a : aire interfaciale gaz-liquide en m²/m³.
- [O₂]* : concentration d’O₂ à la saturation en moles/m³.
- [O₂] : concentration d’oxygène effective en moles/m³.
La réaction chimique est instantanée et le facteur limitant est la vitesse de transfert V de l’oxygène. Un réacteur doit donc être étudié pour que le transfert d’oxygène soit aussi rapide que possible.
Le régime chimique
Il est régi par l'équation de vitesse de la réaction :
V = kₑ [O₂] [B]
où :
- V : vitesse de la réaction en moles/m²/s.
- kₑ : constante de la réaction chimique.
- [O₂] : concentration d’oxygène en moles/m³.
- [B] : concentration du produit à oxyder en moles/m³.
LES RÉACTEURS
Généralités
Le choix du réacteur est conditionné par l'examen préalable des caractéristiques de la réaction projetée :
- — réaction continue ou discontinue,
- — régime chimique ou diffusionnel,
- — performances en cinétique et rendement.
Procédure du choix
Avant de définir et de choisir un type de réacteur, on réalisera une série d’essais batch, en petit réacteur de laboratoire, pour déterminer les influences des divers facteurs entrant en jeu :
- — pression de service,
- — cinétique (établissement d'une courbe),
- — exploitation de la courbe cinétique pour savoir si l'on se place en régime chimique ou diffusionnel. Dans la pratique, on constate souvent que le régime est diffusionnel dans une première phase, chimique ensuite,
- — température de service,
- — rendements et taux de transformation, par exploitation de la courbe cinétique.
En possession de ces éléments, on peut alors sélectionner un type de réacteur parmi ceux étudiés dans nos laboratoires de recherche et dont la description est donnée ci-après.
La colonne à bulles
La colonne à bulles est un cylindre vertical muni d'un diffuseur de gaz situé à sa base. L'introduction du liquide est faite à contre-courant avec le gaz, à la base de la colonne.
La hauteur de colonne est ajustée de telle manière que les bulles soient absorbées avant d'atteindre le sommet de la colonne liquide. Le choix du diamètre est fonction du temps de séjour, lui-même relié à la cinétique de la réaction et au débit liquide.
La colonne à bulles travaille préférentiellement à la pression atmosphérique. Le choix de son matériau constitutif dépend de la température de travail et du milieu réactionnel. C'est un réacteur économique, particulièrement adapté à l'exploitation des réactions lentes, en régime chimique.
Le réacteur tubulaire
Le réacteur tubulaire est constitué d'une longueur de tubes alimentée en tête et à co-courant par le gaz et le liquide à traiter.
(J. Roussel et X. Cochet, brevets déposés en France, USA, Europe, Australie, Japon, Afrique du Sud).
Les débits respectifs gaz-liquide doivent être ajustés de manière à assurer d’un bout à l’autre du tube le cheminement de fines bulles, sans coalescence préjudiciable à l’aire interfaciale de l'oxygène que l'on doit maintenir la plus élevée possible (figure 4). L’oxygène gaz se dissout et réagit tout au long du parcours dans le tube. À la sortie il n'y a plus d'oxygène et la réaction est terminée.
Le réacteur-tuyau, de technologie simple, est a priori plus économique qu'un réacteur agité, et plus fiable de par sa conception entièrement statique. Sa technologie, engendrant une grande surface de paroi, favorable à des échanges thermiques pour la régulation des températures de fonctionnement, il se comporte comme un réacteur qui est en même temps un échangeur.
Les travaux de recherche et de mise au point effectués dans nos laboratoires de recherches permettent, par exploitation d'un programme informatique, de définir toutes les caractéristiques de l'appareil, adaptées au cas soumis par les utilisateurs dans les cas courants d’oxydation en milieu diphasique gaz-liquide et triphasique gaz-liquide-solide en suspension, pour des pressions pouvant atteindre 40 bars et à toute température usuelle (figure 5).
Du fait des vitesses linéaires importantes qu'il est nécessaire d'entretenir et d'une longueur de tuyau technologiquement acceptable, les temps de séjour sont courts (quelques minutes au maximum). Le réacteur tubulaire est donc adapté aux réactions rapides, en régime diffusionnel. Les fortes pressions de service acceptables sont favorables à l'obtention d'une forte concentration d'oxygène dissous.
Ce réacteur présente aussi une caractéristique très intéressante sur le plan de la sécurité ; en effet, de par son principe d’exploitation, le réacteur est parcouru par le liquide aqueux à oxyder et par l’oxygène qui, par nécessité de procédé, est très divisé. Il ne peut donc pas s’installer, comme dans n’importe quel réacteur classique, de phase gazeuse comburant-combustible à caractère explosif présentant des risques proportionnels au volume. À supposer même que la microbulle corresponde à un mélange combustible, celle-ci étant entourée d’eau, son éventuelle inflammation restera locale, unitaire et ne pourra pas se propager.
Le réacteur agité
Le réacteur agité est une capacité conçue de telle sorte que l'on puisse y réaliser des réactions continues, sous pression ou non. La distribution du gaz y est assurée généralement par un tore percé de trous, placé à la base du réacteur. Un système d’agitation spécialement étudié assure une bonne dispersion des bulles, donc une aire interfaciale gaz-liquide importante. Le dimensionnement du réacteur est choisi en fonction du temps de séjour recherché.
Nous avons étudié les caractéristiques de fonctionnement de ce type de réacteur, pour l’optimisation technologique des applications diphasiques : gaz-liquide ou triphasiques gaz-liquide-solide en suspension, pour des pressions de service s'étageant jusqu’à 10 bars et des températures atteignant 100-130 °C (figure 6).
Le réacteur agité est particulièrement adapté à l’exploitation des réactions en régime chimique, sous des pressions usuelles de 10 bars d’oxygène et à toutes températures courantes.
CONCLUSION
DE LA PREMIÈRE PARTIE
Les travaux de recherche dont les résultats sont décrits ci-dessus ont permis de définir les principes d’optimisation du transfert de l'oxygène dans l’épuration des effluents industriels et de mettre au point les caractéristiques d'une série de réacteurs adaptés à ce problème.
Les réacteurs décrits ont déjà fait l'objet de réalisations industrielles, par des sociétés d'ingénierie spécialisées.
(à suivre)