Le sol constitue un réacteur microbiologique complexe dont les capacités épuratrices limites ont rarement été démontrées et utilisées. Il s’agit à la fois d’un milieu poreux capable d’absorber des quantités d’oxygène considérables, de l’ordre de 1 à 9 tonnes d’oxygène/hectare/jour (Catroux et al., 1974), et d’un filtre biologique vivant possédant une forte capacité de rétention et de dégradation. Ces caractéristiques, diffusion de l’oxygène, transmission de l’eau et rétention des matières dissoutes, lui confèrent théoriquement un pouvoir épurateur élevé. Dans la pratique agricole actuelle, l’épandage mal contrôlé des lisiers de porcs sur les terres agricoles est rendu responsable de pollutions diverses (ruissellement et contamination bactérienne des cours d’eau, pollution diffuse par les nitrates et phosphates...). Pour faire face à ces pollutions, les éleveurs attendent des solutions pratiques, faciles à mettre en œuvre et économiques. Il convient alors d’adapter des ouvrages permettant une épuration à la ferme des lisiers excédentaires. Le pilote Solepur, procédé naturel de traitement du lisier de porcs, utilise le sol comme support principal d’un système d’épuration. L’objectif de ce dispositif expérimental est de tester en grandeur réelle un procédé agricole de traitement du lisier de porcs et notamment de préciser la faisabilité des deux étapes clés du procédé, la nitrification par le sol et la dénitrification des eaux de drainage recueillies.
Le pilote
Le pilote comporte :
- - une parcelle épuratrice initiale, d’une superficie de 3 280 m², bâchée et drainée intégralement, sur laquelle ont lieu des épandages intensifs et répétés de lisier ;
- - un bassin tampon de 450 m³ de volume utile, où sont stockées les eaux de drainage ;
- - un bassin réacteur de 350 m³, dans lequel se déroule la dénitrification des eaux nitratées, après apport de lisier (source de carbone organique) ;
- - une fosse de stockage du lisier, d’une capacité de 160 m³ ;
- - une parcelle épuratrice finale (800 m²), naturelle, irriguée avec l’effluent dénitrifié ;
- - une parcelle témoin de 100 m², bâchée et drainée intégralement, suivant les mêmes façons culturales que la parcelle épuratrice initiale.
Le lisier est épandu à l’aide d’une rampe frontale de 38 m, entraînée par un enrouleur de type Ocmis irrigation. Un épandage a lieu toutes les trois ou quatre semaines, entre mars-avril et octobre-novembre. Deux à trois passages sont nécessaires afin d’apporter 40 à 70 m³ de lisier sur la parcelle, soit l’équivalent de 120 à 200 m³/ha.
Nitrification par le sol
La nitrification est le résultat de l’oxydation de l’azote ammoniacal (NH₄⁺) qui donne de l’azote nitrique (NO₃⁻). Il s’agit d’un processus en deux étapes dont la réaction globale s’écrit :
NH₄⁺ + 2 O₂ → NO₃⁻ + 2 H⁺ + H₂O + énergie
Cette étape essentielle du cycle de l’azote existe de façon naturelle dans tous les sols, mais conduit à une production limitée de nitrates (de l’ordre de 100 à 300 kg N/ha/an). La première étape du procédé Solepur
[Photo : Schéma du pilote Solepur.]
Consiste à utiliser le sol comme réacteur de nitrification intense, en le soumettant à des épandages répétés de lisier. L'apport en azote ammoniacal s’établit lors des quatre années de fonctionnement à plus de 3 000 kgN/ha/an (l’apport en azote total atteint lui 4 800 kgN/ha/an). Le contrôle du bon déroulement de la nitrification peut s’observer de deux façons : d'une part, à travers le suivi des concentrations en nitrates des eaux de drainage quittant la parcelle épuratrice (ces eaux correspondent à l’effluent primaire, dans notre cas le lisier brut apporté au réacteur sol étant l’influent), d'autre part, à travers le suivi de la teneur en azote minéral (ammonium et nitrates) présent dans le sol (soit à la suite de chaque épandage, soit à la fin de la campagne annuelle d’épandages).
La figure 1 illustre les résultats obtenus sur le suivi des formes de l’azote (horizon 0-30 cm) à la suite des deux premiers épandages de la dernière campagne (1994). Ils confirment que le sol, après trois années d’épandages intensifs, conserve son potentiel de nitrification intact, puisque sur les 413 ppm d’azote ammoniacal apportés (soit l’équivalent de 1 611 kgN/ha), on retrouve quelques semaines après l'épandage 1 486 kg d’azote nitrique dans le sol, et très peu d’azote ammoniacal résiduel (moins de 200 kg/ha). Le taux de nitrification pour l'ensemble de ces deux apports s’établit ainsi à 86 % de l’azote apporté. Une série d'études complémentaires menées à la fois sur le terrain et lors d’incubations en laboratoire incluant l'utilisation du traçage isotopique à l’azote quinze (isotope stable de l’azote) ont permis de confirmer ces observations (Devloo, 1994).
Ces résultats sont cohérents avec le suivi quotidien des concentrations en nitrates des eaux de drainage qui montrent des teneurs augmentant au fur et à mesure que s’accumulent les apports d’azote sur la parcelle et qui demeurent élevées (500 à 900 mg/l) tout au long de la saison de drainage (soit d’octobre à mai).
La lagune de sol que constitue la parcelle épuratrice initiale fonctionne donc comme un réacteur qui libère quasiment en continu les nitrates produits et entraînés par les précipitations vers les bassins de collecte et de dénitrification.
[Photo : Fig. 1 – Suivi de la nitrification dans le sol à la suite d’épandages de lisier (mai-juin 1994).]
Dénitrification des eaux de drainage
Les eaux de drainage fortement nitratées collectées à la sortie de la parcelle épuratrice sont ensuite dénitrifiées au cours de séquences discontinues dans le bassin réacteur. Cette étape de dénitrification « rustique » se déroule après mélange des eaux de drainage (200 à 300 m³) avec un volume faible de lisier (1 à 5 % du volume total) qui permet à la fois un ensemencement de bactéries dénitrifiantes et surtout un apport de carbone organique, substrat indispensable à la réduction des nitrates en azote moléculaire (N₂). L’objet principal du suivi consiste d’une part à vérifier la faisabilité de cette deuxième étape du procédé et, d’autre part, à préciser les conditions opératoires (température, rapport C/N-NO₃…). Le ratio carbone/azote s’est avéré être le paramètre déterminant le bon fonctionnement de cette étape du procédé : un rapport C/N-NO₃ de l’ordre de 3 : 1 est en effet nécessaire pour assurer une élimination complète des nitrates.
La figure 2 présente l’allure habituelle des courbes de dénitrification obtenues, qui montrent une disparition rapide des nitrates et l’apparition d’un pic de nitrites. Le temps de séjour dans le bassin est très variable (entre 10 et 60 jours) et peu maîtrisable si ce n’est par l’ajout de carbone supplémentaire, ce qui permet de « doper » la dénitrification.
Le taux de dénitrification observé s’établit en moyenne à 0,5-1 kgN éliminé par jour, et peut atteindre 5-6 kgN/jour.
[Photo : Fig. 2 – Évolution des teneurs en nitrites et en nitrates au cours d’une dénitrification dans le bassin réacteur.]
Filtration, rendement d’épuration par le sol
Outre son rôle de réacteur de nitrification, le sol de la parcelle épuratrice initiale réalise une épuration poussée des produits carbonés et une « ultrafiltration » du lisier brut épandu sur la parcelle. Ce lisier brut dont la teneur en MS (matière sèche) atteint fréquemment 9 à 11 % et dont la DCO (demande chimique en oxygène) s’établit entre 50 et 150 000 mg d’O₂/l est éliminé sous l’action de la microflore du sol. Il ressort de la parcelle une eau de drainage limpide dont la DCO est inférieure à 50 mg/l. On obtient ainsi un abattement sur les MS, MES (matières en suspension), DCO, supérieur à 99 %. Les éléments stables (phosphore, cuivre, zinc…), quant à eux, sont retenus par le sol et s’accumulent principalement sur l’horizon de surface.
L’ajout de lisier aux eaux de drainage lors du mélange en bassin, pour assurer la dénitrification hétérotrophe, s’accompagne d’une légère augmentation de la DCO du mélange final dénitrifié. Cet effluent dénitrifié est alors épuré in fine par irrigation sur une parcelle d’épuration finale.
Conclusion
Le recyclage par le sol des effluents d’élevage représente une technique à la fois traditionnelle et toujours actuelle dans la pratique agricole courante. Le procédé Solepur consiste à maîtriser ce recyclage par un aménagement adapté du milieu naturel, en essayant notamment d’en contrôler les principaux flux et d’en optimiser les étapes de fonctionnement. Le pilote en grandeur réelle mis en place sur le site de Plouvorn (29) doit nous permettre de vérifier la faisabilité de la démarche et de déterminer la durée de vie d’un tel système. Les résultats obtenus au cours de quatre années de suivi démontrent à l’évidence que le sol peut transformer les doses massives de lisier épandus et qu’il conserve néanmoins ses propriétés biologiques intactes (nitrification). Aucune phytotoxicité due à l’accumulation des métaux lourds dans les sols n’a été mise en évidence (des essais se poursuivent avec une équipe de recherche spécialisée sur les éléments traces, INRA Bordeaux). Le pilote tel qu’il a été conçu pour les besoins de l’expérimentation décrite ici ne peut être transposé tel quel, le dimensionnement des ouvrages (parcelle, bassin...) devant en particulier être adapté aux problèmes précis de l’exploitation.
Remerciements
Ce travail est réalisé dans le cadre d’un partenariat entre le Conseil Général du Finistère (Maître d’ouvrage), la DDAF 29 (Maître d’œuvre) et le CEMAGREF de Rennes (Chargé d’étude). Il reçoit également le soutien financier du Conseil Régional de Bretagne.
Bibliographie
Catroux G., Germon J.-C., Graffin P., 1974. Annales agronomiques, 25, 179-193.
Devloo O., 1994. Mémoire ENESA Dijon.
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