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Traitement des eaux usées : les tanins une vraie alternative aux coagulants minéraux

29 avril 2019 Paru dans le N°421 à la page 96 ( mots)
Rédigé par : Kader GAID et Philippe SAUVIGNET de Veolia en

Les tanins sont connus pour être issus du métabolisme de certaines plantes comme l’Acacia mearnsii, Castanea, Schinopsis balansae, etc... La configuration chimique de ce produit peut être une alternative aux coagulants à base de sels métalliques (Aluminium ou de Fer) habituellement utilisés dans le traitement des eaux pour l’abattement de la turbidité. Il est vrai que les coagulants minéraux peuvent nécessiter des ajustements de pH, ils induisent des consommations d’alcalinité et conduisent à des productions de boues hydroxydes. Leur utilisation implique la présence d’un résiduel métallique (Fer ou Aluminium) si les conditions de fonctionnement ne sont pas optimisées (pH, …). Diverses études ont d’ores et déjà été présentées sur ce sujet. Cet article résume les résultats obtenus par Veolia sur divers types d’eau et le potentiel d’application des tanins en traitement d’eaux usées.

Chimie des tanins

Les tanins sont des composés phénoliques sous forme polymérisée.
Figure 1 : Structure chimique la catéchine

Ils présentent des poids moléculaires compris entre 500 et 3.000 Daltons dépendant du nombre de flavonoïdes. Ils se divisent en deux classes :

  • Les pyrogalliques (ou hydrolysables),
  • Les catéchiques ou flavonoïdes (ou condensés non hydrolysables).
Ils se différencient entre autres par leur chaîne moléculaire et par leurs groupements fonctionnels.
Figure 2 : Structure chimique  d’un tanin condensé : flavan-3-ol (Avec pour le noyau A : R1=OH, R2=H, phloroglucinolic; R1=R2=H, resorcinolic; R1=H, R2=OH, pyrogallolic; et pour le noyau B : R3=H, catecholic; R3=OH, pyrogallolic) (Hemingway)

Le tanin utilisé au cours des essais menés pour l’étude est commercialisé par Veolia sous la référence Hydrex 6861. La structure du monomère correspond à la structure de certains flavonoïdes qui composent le tanin condensé des espèces de Mimosa, dont l’Acacia mearnsii (Pizzi 2008).

Mécanisme de fonctionnement des tanins en coagulation

Il est connu que le principe de la coagulation est de déstabiliser électriquement les particules colloïdales. Ces dernières sont chargées négativement, c’est pourquoi un coagulant métallique constitué d’ions cationiques à valence élevée (3+) est alors utilisé et agit selon les mécanismes de neutralisation de la double couche. En général, la coagulation comporte quatre étapes, telles que les mécanismes de pontage, la neutralisation de la charge, la compression de la double couche et le mécanisme de piégeage des particules.
Figure 3 : Monomère de la molécule Hydrex 6861 et sa configuration polymérisée

Le processus de coagulation est suivi d'une décantation, permettant la séparation et l'élimination des contaminants (Beltrán-Heredia et al. 2010).

Les hypothèses de mécanismes de coagulation avec les tanins seraient basées sur des principes identiques. La production de coagulants cationiques à base de tanins est habituellement effectuée par une réaction d'aminométhylation de Mannich suivie d’une polymérisation. Cette réaction introduit des groupes chargés positivement (à savoir des groupes azotés tertiaires protonés NH3+) dans la matrice complexe de tanins (Tramontini et al. 2015). En règle générale, ces produits sont capables de déstabiliser les impuretés anioniques dans les eaux usées. Le mécanisme de coagulation laisse penser qu'il existe une interaction entre la structure chimique du tanin et les particules en suspension. L'interaction électrostatique permet une neutralisation de la surface des particules colloïdales.
Le coagulant à base de tanin serait également une espèce amphotère. En effet, les groupements hydroxyles (OH), notamment des groupes phénol, lui donneraient un caractère anionique selon le pH de l’eau (Lamb, et al. 2002, Vollhardt, et al. 2009). Cette caractéristique démontre l’intérêt d’utiliser ce tanin dans des domaines de pH alcalin. Les produits obtenus, cationique (ammonium tertiaire) et anionique (phénols ionisés), sont favorables aux réactions de coagulation (Beltrán-Heredia et Al. 2010).
La figure 3 présente le monomère et la configuration polymérisée du tanin Hydrex 6861.
La structure chimique des tanins n’induit pas de consommation d’alcalinité contrairement aux coagulants à base de sels métalliques, ceci car il n’y a pas de formation d’hydroxydes. Cependant, leur efficacité peut être influencée par les variations de pH à cause de cette amine quaternaire (Lamb, et al. 2002).
Figure 4 : Mécanisme de solubilité des tanins

Le mécanisme de solubilité (figure 4) peut être décrit comme suit :

La solubilité des tanins diminue avec l’augmentation du pH. Ainsi, la solubilité des tanins est d’environ 65 à 75 % à pH 6, tandis qu’à pH 8 celle-ci est d’environ 45 à 60 %. Ceci s’explique par la solubilité des amines qui augmente avec la diminution du pH, tant que le produit de solubilité de l'amine protonée n’est pas atteint. Par contre, l’utilisation de tanins n’implique pas de modification du pH lors de la coagulation. Le précipité obtenu par la réaction tanins amphotères et matières en suspension représente une production de boues plus faible que celle apportée par les coagulants métalliques. La figure 5 ci-après représente les points actifs favorisant la coagulation. La grande surface de contact qu’ils présentent laisse penser que l’efficacité de la floculation est augmentée.
Figure 5 : Points actifs pour favoriser la coagulation zone de chélation  et zone de neutralisation 

Matériels et Méthodes

Veolia développe et commercialise des produits chimiques pour le traitement de l’eau depuis plus de 40 ans sous sa marque Hydrex. Ils disposent notamment d’une gamme de coagulants biosourcés à base de tanins (Hydrex 6861 et 6862) ayant pour origine le mimosa (figure 6). Les préparations ont été effectuées sur des extraits de tanin d’écorce d’A. Mearnsii du Brésil (Mimosa ME -BR) où le concentré classé comme tanin condensé est constitué de molécules polymérisées de robinetinidol, de fisétinidol et de gallocatéchine. L’Hydrex 6861 et l’Hydrex 6862 proviennent de la même source botanique et sont transformés différemment ce qui leur confère des propriétés de coagulation différentes.
Figure 6 : Mimosa (gauche) et poudre de tanin Hydrex (droite)

Comme mentionné plus haut, la sélection de la source de tanin utilisée, sa production équitable et la maîtrise de l’étape de cationisation sont importantes pour garantir une performance et une durée de vie du produit optimales avec respect de l’environnement. L’étape de cationisation est cruciale pour éviter la formation de gel dans le fût après quelque mois suite à l’augmentation de la viscosité qui rend le produit difficilement utilisable. Ce critère est important au regard de l’utilisation industrielle de ce type de produit, or tous les tanins ne possèdent pas ce type de comportement. La durée de vie des Hydrex 6861 et 6862 est garantie entre 1 et 2 ans, contre moins de 6 mois pour certains autres produits similaires présents sur le marché.

C’est dans ce cadre que Veolia a développé un partenariat avec un producteur et transformateur qui dispose de forêt d’acacias (+ certification FSC), du savoir-faire et des brevets pour permettre à Veolia d’être intégré sur toute la filière de production. Veolia met à disposition une grande quantité de produit (5.000 MT/an) à des prix abordables ce qui permet de remplacer le coagulant traditionnel à base de sels métalliques dans les marchés industriels et municipaux.

Résultats

Essais sur la station de traitement des eaux usées de Bruxelles

Un pilote Actiflo® de 2 m³/h a été installé sur la STEP de Bruxelles (Aquiris). L’eau brute (tableau 1) a subi préalablement les étapes de prétraitements physiques conventionnels au moyen d’un dessableur MECTAN. Durant l’ensemble des essais, le pilote Actiflo® a fonctionné à une vitesse au miroir de 60-80 m/h, ceci étant possible par grâce à la présence de microsable qui permet un fonctionnement selon le principe de la floculation lestée.

Un comparatif de performances entre le chlorure ferrique utilisé sur site et le produit tanin Hydrex a été effectué. Le tableau 2 montre que pour des dosages équivalents, de 76 mg/L (exprimé en produit commercial), des résultats identiques sont observés sur tous les paramètres mis à part pour le phosphore.

A dosage équivalent exprimé en produit commercial, l’abattement des MES pour le FeCl3 semble plus intéressant pour des charges eappliquées comprises entre 100 et 400 mg/L (85 % en moyenne contre 75 % pour l’Hydrex 6861). Au-delà, les performances sont équivalentes (figure 7). Néanmoins les performances d’élimination restent intéressantes et répondent aux objectifs de traitement.
Figure 7 : Abattement des MES suivant la charge entrante

A dosage équivalent, pour l’abattement de la DCO, l’Hydrex 6861 est plus performant à charges appliquées comprises entre 100 et 300 mg/L (figure 8). Au-delà, les performances sont équivalentes.

Figure 8 : Abattement de la DCO suivant la charge entrante


L’Hydrex 6861 a des performances inférieures au FeCl3 concernant l’abattement du phosphore (figure 9). Ceci se justifie car il n’y a pas de réelle combinaison chimique entre le tanin et les phosphates présents dans l’eau contrairement à celle observée entre le FeCl3 et le P.

Figure 9 : Abattement de P-PO4 suivant la charge entrante

Il convient toutefois de noter que lors d’une étape de clarification physico-chimique en amont d’un traitement biologique, il peut y avoir une élimination trop importante du phosphore obligeant l’exploitant à doser de l’acide phosphorique. La mise en œuvre d’un coagulant à base de tanin permet d’éviter ce scénario et de faire l’économie d’un dosage d’acide phosphorique.En second lieu, la tendance à la récupération du phosphore présent dans les eaux usées et les directives européennes associées poussent à la mise en œuvre de traitement tertiaire capable de récupérer ce phosphore au sein d’une matière valorisable (par exemple le phosphate de calcium - apatite ou sous une autre forme). Ceci n’est pas aisé lorsque le phosphore est piégé au sein d’un floc d’hydroxydes métalliques.

Nous avons aussi remarqué et confirmé que le coagulant Hydrex 6861 permet un gain sur le traitement des boues. En effet, il y a une diminution de la production de boues variable selon les cas de figures entre 14 % et 31 % selon le tableau 3.

Figure 8 : Abattement de la DCO suivant la charge entrante
Figure 11 : Décantabilité des boues obtenues avec le Chlorure ferrique et Hydrex 6861

Le gain en boues observé avec l’utilisation de l’Hydrex 6861 peut être l’effet conjoint d’une meilleure compacité des flocs et qu’il ne génère pas des boues complémentaires par la formation d’hydroxyde métalliques. Ceci a un impact non négligeable sur le traitement des boues et les coûts engendrés par leur évacuation. Les tests d’épaississement et déshydratation des boues font apparaître une tendance globalement équivalente entre les boues produites lors de l’utilisation de coagulant métallique et les boues produites avec le tanin Hydrex (figure 11).

Essais sur la station de traitement des eaux usées de Hyères Carqueiranne (122.000 EH)

Des essais sur un Multiflo® (décanteur lamellaire) ont été effectués sur la station de traitement des eaux usées de Hyères afin de comparer les performances du chlorure ferrique utilisé sur site avec un coagulant à base de tannins modifiés biodégradables (Hydrex 6861).

On note des performances supérieures pour le tanin concernant l’abattement des MES et de la DCO. Cette efficacité est observée avec un dosage plus faible en Hydrex 6861 qu’en chlorure ferrique (toujours exprimé en dose de produit commercial). De plus, le tanin a permis de réduire l’utilisation de floculant (polymère) de 0,86 g/m³ à 0,68 g/m³.

Bilan économique après 8 semaines d’essais comparatifs
A titre de comparaison, nous avons comme point de référence une consommation de coagulant (FeCl3) sur la STEP en moyenne de 215 T/an alors que lors de la période des essais avec Hydrex 6861 une consommation moyenne de 184 t/an a été constatée. Ces essais ayant été effectuées dans les mêmes conditions de qualité d’eau. Il apparaît un gain de 33 % avec le coagulant biosourcé sur le tonnage consommé par an. Lorsque l’on fait le bilan global en intégrant tous les entrants (chaux, polymère) et les coûts d’évacuation des boues etc.. il reste un gain économique global entre 5 et 10 %.
Il est à noter que le produit Hydrex 6861 est déjà largement commercialisé en Europe/France sur des installations industrielles pour lesquelles , ce gain est confirmé. Il convient cependant de bien étudier le scénario dans sa globalité au préalable. Nous avons pu mettre en évidence que ce produit en phase aqueuse diluée est biodégradable à plus de 90 % et n’introduit pas de résiduels de métaux lourds quels qu'ils soient. En dernier lieu la fraction volatile des boues est généralement augmentée de l’ordre de 10 % ce qui laisse présager, dans le cas d’une méthanisation des boues, d’une production accrue dans les mêmes proportions du biogaz.
Figure 12 : Cône Imhoff de production de boues dans les mêmes conditions opératoires. Cône de gauche (FeCl3) et Cône de droite (Hydrex 6861)

Conclusions

Fruit de plusieurs années de recherche, industrialisation et essais, les résultats obtenus sur de nombreux sites ont montré une réduction du dosage du coagulant tanin Hydrex 6861 d’environ 10 – 20 % par rapport au FeCl3 toujours exprimé en dose de produit commercial. Ceci dans le cadre d’une clarification primaire d’eaux usées municipales.
Des performances identiques sont obtenues en ce qui concerne la DCO, DBO5 et les MES. Il convient toutefois de noter que le coagulant biosourcé n’entraîne pas ou peu d’élimination des phosphates.

Une réduction de la production de boue est constatée avec l’Hydrex 6861 ainsi qu’une meilleure compacité de ces dernières lors de l’étape de déshydratation. Le bilan économique montre que le gain lié au transport des boues peut être très intéressant (plus de 30 %). Cependant le bilan économique global incluant le dosage des réactifs et l’évacuation des boues est plutôt compris entre 5 % et 10 %.

En dernier lieu, une production accrue de biogaz peut être espérée dans le cas d’une méthanisation des boues ce qui peut être un gain économique non négligeable.
Dans un monde soumis aux contraintes économiques, techniques et surtout climatiques de plus en plus sévères, l’utilisation d’un coagulant biosourcé tel que l’Hydrex 6861 apparaît désormais comme un choix raisonné et raisonnable apportant des gains de performance globale mais aussi l’utilisation d’une ressource renouvelable et biodégradable. En cela Veolia continue dans sa démarche de ressourcer le monde. 




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