[Photo : Schéma de principe.]
La plupart des communes touristiques du littoral voient leur population augmenter dans de fortes proportions pendant la période estivale, d’où la nécessité pour elles de s’équiper de stations d’épuration capables de supporter, avec des coûts d’exploitation raisonnables, l’augmentation de charge importante de l’été. La température des eaux usées domestiques étant généralement supérieure à 20 °C en été, du moins dans les communes de la moitié sud de la France, il est possible d’envisager un traitement anaérobie direct de cette pollution, sans réchauffage de l’effluent, et ce, dans une unité conçue pour fonctionner à faible ou moyenne charge puisque les bactéries anaérobies sont ici utilisées à une température inférieure de 10 à 15 °C à la température correspondant à leur activité maximale (environ 35 °C pour les bactéries dites mésophiles).
On connaît l’intérêt des traitements anaérobies qui permettent une réduction importante des coûts d’exploitation, par rapport aux procédés aérobies (par diminution de la quantité de boue produite et réduction des consommations électriques puisqu’il n’y a pas de transfert d’oxygène à assurer). De nombreuses unités de méthanisation ont en effet été réalisées en Europe et aux U.S.A. pour le traitement d’effluents d’élevage, d’usines agro-alimentaires (conserverie, brasserie, abattoir, distillerie) et, plus rarement, d’usines de l’industrie chimique.
Des travaux effectués ces dernières années au laboratoire par différentes équipes, et en particulier par notre équipe de traitement des effluents, ont montré qu’il est possible de dégrader par voie anaérobie, à une température comprise entre 15 et 25 °C, 50 à 60 % de la DCO, 60 à 70 % de la DBO₅, 60 à 80 % des MES contenues dans une eau usée domestique, suivant la température et la charge appliquée au fermenteur (en restant dans les limites de charges économiquement acceptables à l’échelle d’une station d’épuration). En vue de démontrer l’intérêt technique et économique de ce type de traitement en tant que première étape de traitement biologique dans une station d’épuration communale nouvelle ou dans une extension de station, nous avons réalisé en 1988, avec l’aide de la Direction « Énergie » de la Commission des Communautés Européennes, une unité de démonstration, sur la commune de Biscarrosse dans les Landes.
L’installation de Biscarrosse
La technologie du fermenteur réalisée à Biscarrosse a été retenue après une étude comparative de plusieurs solutions permettant d’obtenir de faibles coûts d’investissement par unité de volume. Celui-ci est constitué par un bassin circulaire à fond plat, en béton, de 950 m³ de volume utile, couvert par une bâche étanche en PVC souple supportée par un mât central métallique. L’effluent est distribué au fond du fermenteur à l’aide d’un réseau de canalisations dans un « lit de boue biologique » d’une hauteur et d’une section calculées en fonction de la charge polluante et du débit à traiter. Après avoir traversé ce lit de boue, l’effluent est repris en surface par une goulotte centrale, envoyé vers un dégazeur statique placé en sortie de fermenteur, puis vers un clarificateur ; les matières en suspension décantables sont ainsi récupérées et recyclées vers le fermenteur, ce qui contribue à assurer la sécurité de fonctionnement du procédé et à clarifier l’effluent avant rejet.
Les principales dimensions des ouvrages sont les suivantes :
- — diamètre inférieur du fermenteur : 18 m,
- — hauteur du bassin : 4 m,
- — hauteur totale, bâche de couverture comprise : 8 m,
- — diamètre du clarificateur : 10 m.
Bases de dimensionnement de l’installation
Le fermenteur a été dimensionné sur les bases suivantes :
- — pollution nominale à traiter : 10 000 équivalent-habitants, soit :
- • DBO₅ : 10 000 × 0,05 = 500 kg/j
- • DCO : 500 × 2,5 = 1 250 kg/j
- • débit moyen : 10 000 × 0,15 = 1 500 m³/j
- • débit de pointe : 1 500 × 2,5 / 24 = 156 m³/h
- — charge appliquée au fermenteur :
- • charge volumique maximale : 1,3 kg DCO/m³/j
* charge massique maximale : 0,1 kg DCO/kg MVS/j
Mode de fonctionnement
L’installation reçoit toutes les eaux usées des campings et résidences installées autour du lac de Biscarrosse. Les eaux usées sont collectées à l’aide d’un réseau fonctionnant sous pression, donc étanche aux eaux de pluie et d’infiltration (ce qui explique en partie les concentrations élevées en DCO et MES de l’effluent) et envoyées vers la station d’épuration. Après avoir subi un prétraitement classique (dégrillage – dessablage-dégraissage), elles sont envoyées vers la fosse de relevage dans laquelle est installée la pompe qui alimente le fermenteur. Cette pompe, qui envoie directement l’effluent dans le réseau de distribution en fond de fermenteur, fonctionne de façon séquentielle avec un débit instantané élevé.
La reprise de l’effluent en sortie de fermenteur s’effectue par un déversoir central raccordé à une conduite qui alimente directement le dégazeur. L’effluent est ensuite envoyé, par gravité, vers le décanteur, puis vers une lagune d’infiltration qui assure le traitement de finition.
Le biogaz récupéré au niveau du fermenteur et du dégazeur est évacué à l’atmosphère par une conduite en PVC. Il n’y a en effet pas de besoins en énergie thermique sur le site et la quantité de biogaz récupérée est trop faible pour envisager une conversion en énergie électrique.
Fonctionnement et résultats
Historique du fonctionnement
L’installation a été ensemencée et mise en eau fin août 1988 et l’alimentation en effluent a débuté le 10 septembre 1988.
En réalité, le volume d’effluent arrivant à la station a diminué très rapidement courant septembre 1988 et l’installation n’a fonctionné à la charge maximale qu’en juillet et août 1989. Elle a cependant été alimentée avec la totalité de l’effluent arrivant à la station pendant toute la période hivernale. La période d’expérimentation a donc duré 13 mois, depuis septembre 1988 jusqu’à la fin septembre 1989.
- — débit d’alimentation de l’installation : débit quotidien et amplitude des pointes de débit horaire ;
- — DCO, DBO₅, MES sur l’effluent en entrée et en sortie de l’installation ;
- — teneur en acides gras volatils et alcalinité en sortie de fermenteur ;
- — débit et composition du gaz produit ;
- — température et pH de l’effluent en entrée et en sortie de l’installation ;
- — hauteur et concentration en MES et MVS du lit de boue.
Résultats obtenus pendant la période estivale de 1989
Les principaux résultats obtenus pendant cette période sont présentés sur la figure 2.
On y relève que la charge arrivant à la station a augmenté lentement en juin, puis brutalement début juillet, pour atteindre une valeur proche de la valeur maximale prévue à partir de début août (500 kg de DBO₅/j). Les valeurs de concentrations en DBO₅ et DCO mesurées sur échantillon moyen 24 heures pendant la période estivale sont généralement supérieures à ce qui était prévu et ont atteint des valeurs très élevées pour ce type d’effluent (respectivement 500 et 1 000 mg/l) : cela s’explique par le fait qu’il n’y a pas eu de précipitation importantes ni d’infiltrations parasites dans le réseau pendant la période d’essais estivale.
La figure 2 montre l’évolution au jour le jour du débit arrivant à la station, de la température du fermenteur, de la DCO et des MES à l’entrée et en sortie. Les figures 3 et 4 présentent les pointes de débit et de charge sur 24 heures.
On constate :
- — que la température du fermenteur est restée supérieure à 20 °C pendant toute la période estivale et que ses variations, entre 20 et 25 °C, n’ont pas eu d’incidence sensible sur les performances ;
- — que la DCO de sortie est restée voisine de 300 mg/l jusqu’à mi-juillet, ce qui correspondait alors à un taux d’épuration proche de 55 % sur DCO et 60 % sur DBO₅, pour une charge entrante correspondant à 4 000 équivalent-habitants, puis a lentement augmenté pour atteindre des valeurs supérieures à 450 mg/l mi-août, ce qui traduit une surcharge de l’installation puisque les taux d’épuration ont alors chuté au-dessous de 45 % sur DCO et 50 % sur DBO₅. On peut toutefois considérer que le taux d’épuration est resté supérieur à 50 % sur DCO et 55 % sur DBO₅, jusqu’à une charge entrante correspondante à 6 000 équivalents-habitants. La teneur en acides gras volatils dans le fermenteur est toujours restée inférieure à 4,5 meq/l alors que l’alcalinité (T.A.C.) n’est jamais descendue au-dessous de 7,5 meq/l, ce qui est favorable pour le maintien d’une bonne activité méthanogène ;
- — que, malgré les fluctuations de concentration d’entrée importante, la qualité de l’effluent de sortie reste stable lorsque le débit d’alimentation quotidien est constant, ce qui montre que l’installation est peu sensible à ces variations ;
- — que les teneurs en MES à l’entrée sont généralement supérieures à 400 mg/l (ce qui est une valeur plutôt élevée pour ce type d’effluent) et que les taux d’épuration sur ce paramètre ont toujours été supérieurs à 60 %. Bien que les fluctuations des concentrations d’entrée aient été importantes, la qualité de l’effluent de sortie est restée stable à débit constant.
Le bilan des boues sur l’ensemble de la période de démonstration ne fait pas apparaître d’accumulation, ce qui présente un grand intérêt pour l’exploitant, qui n’a pas eu à faire de soutirage de boue.
Coûts d’exploitationet bilan économique
Le suivi effectué sur la station de Biscarrosse pendant la période de démonstration a confirmé que le procédé permet des économies importantes par rapport à un traitement aérobie conventionnel. En effet, en comparant les coûts d’exploitation d’une station de 10 000 équivalents-habitants comprenant un étage anaérobie (redimensionné à partir des résultats d’exploitation de Biscarrosse) et un traitement de finition anaérobie, à ceux d’une station conventionnelle tout aérobie de même capacité, on obtient une réduction des coûts d’exploitation annuels comprise entre 50 et 80 %, suivant qu’il s’agit d’une création de station ou d’une extension anaérobie d’une station existante.
Cette réduction des coûts d’exploitation permet d’amortir en une ou deux années la différence de coût d’investissement de ce traitement par rapport au traitement conventionnel dans le cas de communes estivales.
Perspectivesde développement de ce procédé
La technologie que nous avons mise au point et dont nous avons démontré l’intérêt à Biscarrosse permet d’envisager d’autres développements dans le domaine du traitement anaérobie à basse température, sous faible ou moyenne charge, d’effluents industriels tels que ceux de papeterie (usine de fabrication de papier pour ondulé), conserverie, laiterie,...