Qu'il s'agisse d'analyse ou de traitement, les techniques ne sont pas toutes neuves pour la majorité d'entre elles. Mais leurs domaines d'application tendent à s'étendre. Et les normes obligent ne pas omettre ces molécules indésirables.
Les nitrates et les pesticides sont un objet de préoccupation de plus en plus important pour les traiteurs d'eau. La dernière directive européenne sur l'eau potable n’a certes pas modifié la norme sur les nitrates, 50 mg/l dans l'eau distribuée. Mais elle a en revanche pris en compte les pesticides de manière plus fine, et a imposé une valeur de 0,5 mg/l pour l’ensemble des pesticides analysés. Or on recense sur le marché français pas moins de 450 pesticides ou produits phytosanitaires. Au total, ce sont en moyenne 94 000 tonnes de ces substances qui se répartissent chaque année sur 129 millions d’hectares hexagonaux. Les analyser, à l’inverse des nitrates, devient dès lors une gageure difficile à réaliser.
L’essor de l’analyse des nitrates en ligne pour l’assainissement
Le secteur de l'analyse des nitrates est prolifique, avec nombre de sociétés présentes sur
Absorbance à une seconde longueur d’onde permet d’éliminer les interférences dues à la pollution carbonée et aux matières en suspension. L’avantage de cette technique tient notamment dans l’absence de réactifs chimiques dans l’automate. “La maintenance est de fait moins lourde que pour les analyseurs à électrode spécifique, qui nécessite l’apport de produits chimiques pour réduire les effets néfastes des variations de pH et de force ionique”, souligne Bruno Weiss, ingénieur commercial mesures en ligne chez Dr Lange. “L’électrode spécifique est plus sensible à l’encrassement”, renchérit Christophe Guyot, qui souligne cependant la nécessité d’un système de filtration pour la plupart des spectrophotomètres UV utilisés en assainissement. D’autres techniques existent aussi, comme la colorimétrie qui consiste à mesurer l’émission de produits de réaction chimique, mais restent cependant mineures pour la détection et l’analyse des nitrates. Si l’analyse en ligne des nitrates reste pour l’instant cantonnée à des sites particuliers pour l’eau potable, elle commence à se développer dans le secteur de l’assainissement. Elle est bien sûr utilisée pour vérifier la
glement du traitement, car trop d'aération transforme l'ammoniac en nitrates et non en azote”, rappelle Bruno Vilotitch, ingénieur chez Datalink, l'une des sociétés spécialisées en spectrophotométrie UV. “On peut mesurer les nitrates à la sortie de la cuve anoxie quand les bassins sont séparés, ou bien mesurer l'ammoniac dans les cuves aérées”, indique Christophe Guyot. “Mais vu le prix des sondes nitrates, rappelle-t-il, on utilise plutôt les sondes redox ou les sondes à oxygène, même si ces dernières ne sont pas idéales pour réguler la dénitrification”.
Éliminer les nitrates : c'est selon les situations
Trois grandes catégories de traitement se partagent aujourd’hui le marché, basés sur des principes biologiques, chimiques et physiques. Les biofiltres contiennent des bactéries dénitrifiantes hétérotrophes qui, alimentées avec de l’éthanol comme source de carbone, utilisent les nitrates comme source d’oxygène. En eau potable, les procédés sont surtout avec des bactéries fixées, ceux possédant des bactéries libres étant plutôt destinés à l'assainissement.
“L'un des inconvénients est la température”, note Abdel Kader Gaid, expert eau potable et eaux usées chez OTV. En dessous de 5 °C, l'activité bactérienne chute, ce qui amoindrit les performances du traitement. Ceci explique la diffusion des biofiltres dans les unités de potabilisation d’eaux souterraines, dont la température varie peu entre 10 et 12 °C. En aval se trouvent très souvent des procédés d'affinage, avec une ozonation ou le passage par un filtre à charbon actif. Pour les eaux de surface, les traiteurs déconseillent cette technique. “Dans les rivières, les qualités d'eau varient beaucoup, ajoute Guy Hervé, directeur-adjoint du centre régional de Bretagne de Lyonnaise des Eaux. Or les bactéries aiment bien la régularité de la qualité”. Des variations trop importantes en turbidité, matières organiques ou oxygène dissous suffisent à mettre un réacteur de dénitrification biologique hors service. À ce jour, la seule unité en fonctionnement pour des eaux de surface sur le territoire est un prototype de Degrémont, situé dans l'usine du Trieux, dans le district de Guingamp (Côtes d’Armor). L’usine traite 6000 m³ d’eau par jour, le prototype 1000 litres par jour. Quelques années auparavant, l’exploitant Lyonnaise des Eaux avait souhaité le tester dans cette région, sinistrée du point de vue de la teneur en nitrates dans les eaux.
eaux brutes. Jusqu’à cet été, il alimente une fontaine directement située dans l’usine, dotée d’une teneur en nitrates de seulement 10 mg/l. En assainissement, la dénitrification biologique est en revanche très développée, notamment depuis les dernières obligations d’équipement en traitement de l’azote. Côté résidus, ce traitement ne génère que des boues biologiques idéales pour l’épandage.
Le procédé chimique fait appel aux résines échangeuses d’ions, où les nitrates (NO₃) sont échangés avec des chlorures (Cl). « Mais attention, prévient Guy Hervé, l’échange se fait aussi avec d’autres ions comme les carbonates ou la silice ». Un déséquilibre calco-carbonique de l’eau peut donc parfois se créer, qu’il est nécessaire de pallier en reminéralisant l’eau à la sortie du traitement. L’absence de prise de conscience de ce fait conduirait à distribuer de l’eau agressive et rouge, du fait de la présence de fer. Les éluats peuvent être vendus à des industriels utilisant ces saumures dans leurs processus industriel, comme c’est le cas dans la région du syndicat mixte d’Arguenon-Penthièvre (Côtes-d’Armor), où l’unité de dénitratation de 24 200 m³/j les produit et revend, via OTV, à un fabricant d’engrais d’Ille-et-Vilaine.
Les membranes et la nanofiltration font pour leur part une apparition remarquée dans le traitement et l’élimination des nitrates par voie physique. La nanofiltration est plutôt destinée aux eaux souterraines, où la turbidité est inférieure à 1 NTU. Dans le cas contraire, il est alors préférable de prévoir un pré-traitement. OTV a pour sa part choisi de développer la nanofiltration à basse pression pour éliminer en même temps nitrates et pesticides. « Les membranes en traitement des nitrates devraient se répandre sur le marché d’ici quelques années », précise Abdel Kader Gaid.
techniques, moins usitées existent aussi. La dénitration en présence de bactéries sulfureuses présente l’inconvénient de former des gaz d’H₂S, particulièrement désagréables à l’odorat. La SAGEP a quant à elle breveté une filtration lente sur limaille de fer. Cet élément joue un rôle réducteur et favorise la dénitrification. Sa vitesse lente le confine cependant aux petites unités de traitement. Enfin, les traitements physico-chimiques comme l’électrodialyse sont plutôt réservés à la captation de nitrates en forte concentration dans l’industrie.
Quasi-absence de l’analyse en ligne des pesticides
Il est très difficile d’analyser des molécules très diverses, appartenant à des familles chimiquement différentes. Ceci explique la quasi-absence d’analyseurs en ligne pour les pesticides. Un seul serait à l’état de prototype, développé par une équipe universitaire de Brinkman, aux Pays-Bas. Samos serait doté d’une cartouche avec un adsorbant pour extraire les pesticides, et d’un système d’analyse par chromatographie liquide. “Cette technique reste cependant très complexe”, nuance Auguste Bruchet, du CIRSEE (Centre International de Recherche sur l’Eau et l’Environnement). En laboratoire, des techniques fines comme la chromatographie en phase gazeuse sont couramment utilisées. Les tests immuno-enzymatiques commencent à percer depuis quelques années. Moins chers, ils sont aussi moins précis. Ils analysent par exemple les triazines, mais ne peuvent pour l’instant donner plus de précision sur la seule atrazine. “Ils donnent cependant une bonne vision des pics de pesticides”, explique Guy Hervé. Et des méthodes de multi-extraction et de multi-dosage devraient bientôt voir le jour, validées lors d’un projet européen (cf. encadré).
Charbon actif contre membrane pour traiter les pesticides
Le charbon actif reste le grand classique pour éliminer les pesticides. Non seulement il adsorbe ces molécules mais aussi des acides humiques, responsables en partie de la qualité organoleptique de l’eau distribuée. Et s’il était auparavant couplé à l’ozonation, il est préférable aujourd’hui de l’utiliser seul, comme l’atteste l’avis du Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France. Celui-ci a en effet estimé que les sous-produits issus de l’ozone ne sont pas totalement adsorbés sur le charbon actif. Ce charbon actif peut être utilisé sous forme poudreuse ou non. “Dans les eaux de surface, on ne sait jamais à quel moment et à quelle teneur arrivent les pesticides. Il faudrait rajouter dans les bassins de floculation de la poudre, et le réajuster en permanence”, souligne Abdel Kader Gaid. Le charbon actif chargé en molécules constitue le seul déchet, mais de taille. “Attention, il est nécessaire de gérer sa régénération, sinon le charbon déstocke”, prévient Guy Hervé. L’incinération est l’une des solutions, bien que la majorité des sites d’incinération soient à ce jour situés en Bel-
Belgique et aux Pays-Bas. Le charbon actif peut encore aller en centre d’enfouissement technique. L’ozone enfin peut décrasser ce filtre.
Le charbon actif, qui, selon Auguste Bruchet, « est encore promis à un bel avenir ». « Mais la membrane est le filtre absolu, qui en plus désinfecte l’eau », poursuit-il. Les membranes sont en effet, tout comme pour les nitrates, une voie en plein essor. Abdel Kader Gaid recommande la nanofiltration à basse pression. L’installation de Méry-sur-Oise, du SEDIF (Syndicat des Eaux d’Île-de-France), sera inaugurée d’ici quelques mois avec ce système. À Vigneux-sur-Seine, Lyonnaise des Eaux a préféré pour sa part mettre en œuvre une ultrafiltration couplée à du charbon actif.
Hormis ces deux grandes voies de traitement, aucun procédé ne permet d’obtenir une élimination conséquente des pesticides dans l’eau de boisson. La désaffection des techniques biologiques dans ce secteur tient à deux facteurs. « Beaucoup de pesticides sont encore résistants aux biodégradations, souligne Auguste Bruchet. Et ceux qui migrent dans l’eau sont les plus résistants. »
Une autre solution, qu’elle soit pour les nitrates ou les pesticides, consiste à mélanger des eaux avec des teneurs variées. Le tout est de réduire in fine la concentration des molécules indésirables. À Guingamp, c’est la solution, « palliative seulement », précise Guy Hervé, qui a été choisie. L’interconnexion avec le Blabé, qui ne contient « que » 25 à 30 mg/l de nitrates, devrait permettre à l’exploitant de distribuer de l’eau à 40-45 mg/l de nitrates.
Le fermier envisage de même l’exploitation de nouvelles ressources pour alimenter le district (22 500 habitants et 100 000 équivalents habitants pour l’assainissement) en hiver.