Après avoir présenté les dangers d'explosion et d'incendie liés à la matière ?boue?, cet article décrit les types de risques apparaissant dans les différents équipements, en proposant quelques méthodes de prévention et de protection.
Les eaux usées, qu’elles proviennent des installations industrielles ou des effluents ménagers, sont chargées en matières organiques. Comment les éliminer sans nuire à l'environnement ? L’arrosage des terres cultivées, le rejet direct dans les nappes et les rivières ne sont pas possibles du fait de la pollution, chimique et bactérienne, de ces eaux. Il est donc nécessaire de les traiter, pour rejeter une eau “propre”. Ce traitement fournit un sous-produit, la boue, mélange d’eau et de 3 à 5 % de matière sèche, et en des quantités impossibles à stocker en l'état.
En France, on peut compter sur une production de plus d’un million de tonnes de matières sèches par an, qu’il est interdit de mettre en décharge depuis 2002, et dont les teneurs en matières dangereuses pour l’environnement doivent respecter des réglementations de plus en plus contraignantes... il faut donc aussi traiter ce sous-produit, et tant qu’à faire, essayer de valoriser les produits issus du traitement, sans produire trop de nouveaux déchets ou sous-produits : valorisation de son contenu énergétique (fermentation, incinération), et de son contenu minéral (compostage).
Mais ces traitements conduiront à une matière dangereuse du fait de ses possibilités d’explosion et d’inflammation.
Les boues à l’origine de risques explosion et incendie
Les boues sont de provenance diverse, les différents types de traitement préalable des eaux les rendent également très diverses, notamment dans leur contenu en matières carbonées. Ces matières carbonées les rendent sensibles à la fermentation, à l’échauffement, à l’explosion.
Les boues ont en commun au départ une siccité très basse, 3 à 10 %.
• Tant que la quantité d’eau reste importante, au-dessus de 10 % environ, les risques d’auto-échauffement et d’explosion de la matière elle-même n’existent pas, par contre une fermentation peut avoir lieu :- La fermentation aérobie produit du dioxyde de carbone, qui n’est pas combustible.- La fermentation anaérobie, donc en absence d’oxygène, produit un mélange de méthane et de CO₂, le méthane est lui combustible et inflammable. Le CO₂, gaz inerte, joue un rôle de modérateur de l’explosion, mais celle-ci peut encore se produire pour des valeurs de CH₄ entre 5 et 12 % (au lieu de 15 % pour du méthane pur) pour des quantités égales de CH₄ et de CO₂.
• Lorsque la siccité dépasse 90 %, la boue séchée peut s’auto-échauffer et dégager des gaz de combustion incomplète (hydrocarbures, CO, H₂…), eux-mêmes inflammables. Dès que la boue séchée ne contient plus suffisamment d’eau pour absorber les calories produites par les réactions exothermiques d’oxydation ou de fermentation, la température dépasse 70 °C et son augmentation progressive risque de provoquer un incendie : les flammes de combustion de la boue vont être une source d’inflammation pour les gaz de combustion incomplète cités précédemment.
• Les poussières de boues sèches sont capables de former une atmosphère explosive par dispersion dans l’air si elles sont suffisamment fines (diamètre inférieur à 300 microns), et si leur concentration dans l’air est supérieure à environ 50-60 g/m³. La violence de l’explosion va dépendre en particulier de la granulométrie et de la teneur en carbone de la boue.
Les traitements initiaux de stabilisation des boues vont les rendre plus ou moins réactives à la fermentation, à l’auto-échauffement et à l’explosion, c’est pourquoi il importe de bien connaître le produit, dans toutes les phases de son traitement.
Les installations type et leurs dangers
Le synoptique ci-contre présente une installation type de traitement des boues.
Le trait pointillé sépare grossièrement les installations en deux parties, celle où il n’existe pas de risques liés aux poussières à gauche, et celle où ce risque existe, cumulé ou non aux risques liés aux gaz.
Dans la partie située à gauche, les boues ont une siccité inférieure à 90 % : il se présente un risque de fermentation, celui-ci étant d’ailleurs maîtrisé lorsqu’on fait fermenter volontairement la boue pour produire du biogaz. Dans la partie de droite, les boues sont séchées, et apparaissent alors des risques d’explosion de gaz liés à des auto-échauffements, d’explosion de poussières dans certains types de sécheurs, de systèmes de transport et dans les silos lors des déversements, et des risques d’incendie. Pour chaque équipement, il convient donc de bien connaître les caractéristiques du produit d’entrée (siccité, température, % de carbone...) les paramètres de fonctionnement (température, temps de transit...), et
Type de risque | Prévention | Détection | Protection | Équipements présentant ces risques |
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Fermentation : si taux d'humidité > 10 % | Risque explosion lié aux gaz de fermentationTemps de stockage limitéVentilation pour diminuer la concentration en gaz combustible | Explosimètre,Débit de ventilationDépression | Event d’explosionDécouplage des équipements | - Stockage de boues humides,- Transport de boues humides,- Fuite de biogaz dans les méthaniseurs, au niveau des torchères... |
Auto-échauffement : si taux d’humidité < 10 % | Risque incendie et explosionLimitation de la hauteur du stockageTemps de stockage limitéLimitation de la température au stockageInertageVidange si arrêt | TempératureDétection COSurveillance du taux d’oxygène (si inertage permanent)Consignes de dépotage | Events d'explosion, injection d'eau | - Stockage de boues séchées- Dépôts dans sécheurs, refroidisseurs, transporteurs, systèmes d’aspiration, dépoussiéreurs... |
Explosion de poussières de boues séchées | Vitesse de transport faible pour ne pas soulever de poussièresAspiration des poussières à grande vitesse pour éviter les dépôtsNettoyage de tout dépôtFaible hauteur de chute dans les silosGranulationÉlimination des sources d'inflammationAdéquation du matériel aux zones classées dangereuses | Existence d’appareils de mesure employés en tout ou rien (opacimètre, sondes triboélectriques) | Event d’explosion, suppresseurs d’explosionDécouplage des équipements | - Broyeur- Stockage de boues séchées- Transporteurs à godets- Sécheurs rotatifs...- Dépoussiéreurs |
Explosion de gaz | Chaudières marquées CEInstallations dans les règles de l’artContrôle des fuites périodiquesVentilation | Explosimètres couplés à la fermeture de vannes extérieures | - Chaudières et canalisations | |
Incendie d'huile de chauffage | Surveillance des circuits d’huile et de la corrosion dans les échangeursUtilisation d’huiles minérales, ou à point éclair élevé | Température du circuit d’huile,Pression du circuit d'huileDétecteurs incendie | ExtincteursExtinction automatique | - Sécheurs et installations annexes de séchage |
Charbon actif : incendie dû à l’auto-échauffementExplosion | Connaissance des caractéristiques de sécurité des charbons utilisésMise à la terre des big bags. Prévention des étincelles électrostatiques | Détection incendieNettoyage des dépôtsTempérature des lits de charbon actif | Sprinklage des équipements contenant du charbon actif | - Installation de traitement de l'air- Stockage et manipulation de big bags |
Les caractéristiques du produit de sortie. La quantité de produit stocké et le temps de stockage sont des paramètres importants, qui conditionnent les risques de fermentation et d’auto-échauffement.
L’évaluation des risques doit tenir compte non seulement du fonctionnement normal des installations, qui comprend les phases de démarrage, d'arrêt, de maintenance, mais également des dysfonctionnements. Ainsi, une boue stabilisée par de la chaux peut, en cas d’absence ou de dysfonctionnement du traitement de chaulage, fermenter dans un silo de stockage intermédiaire.
Les installations annexes, comme les dépoussiéreurs, les systèmes de traitement des buées de séchage, les systèmes de traitements d’atmosphères polluées (air des locaux, gaz de combustion des incinérateurs...), les chaudières à huile, présentent des dangers liés aux boues mais également aux autres produits dangereux utilisés : gaz, huiles, charbon actif.
Pour simplifier l'étude des risques des différents équipements, nous proposons dans le tableau ci-dessus les grands principes de prévention et de protection en fonction des trois principaux risques, liés à la teneur en humidité, et nous indiquons dans quel type d’équipement ces risques sont rencontrés. On complétera ces principes par la suppression des sources d'inflammation actives vis-à-vis des produits utilisés : permis de feu lors de travaux de maintenance au chalumeau par exemple, interdiction de fumer, contrôle des échauffements de matériels rotatifs par frottement (lubrification, surveillance de déport de bandes de convoyage de boues séchées...).
Une installation au moindre risque
Pour construire et faire fonctionner une installation « durable », il est indispensable de se mettre en conformité avec les réglementations ATEX : la réglementation issue de l'application de la Directive 1999/92/CE exige l’évaluation des risques d’explosion, l’adéquation du matériel aux zones dangereuses préalablement définies, et demande une formation du personnel, afin qu’il soit conscient de l’enjeu de l’application correcte des procédures et consignes ; la réglementation issue de la Directive 94/9/CE précise les principes de fabrication et de marquage des équipements fonctionnant en zones classées ATEX.
L’étude des risques sera faite au plus tôt, soit dès la conception des installations : sans une connaissance précise du comportement des boues, elle sera fondée sur le retour d’expérience d’installations similaires, et on contrôlera après la mise en route des installations les caractéristiques des boues aux divers stades de traitement, afin d’ajuster les paramètres de fonctionnement et les consignes. Ces mesures peuvent permettre d'alléger les procédures, de modifier des hauteurs de stockage, des températures de refroidissement, de vérifier les surfaces d’évents...
On s’assurera que les différents équipements portent le marquage CE de conformité aux différentes directives applicables, notamment la directive machines : l’évaluation des risques des équipements doit être faite par le fournisseur de la machine. Bien que cette évaluation appartienne au fournisseur, un
Le dialogue profitable peut s’instaurer entre le fournisseur de l’équipement, qui connaît son fonctionnement, et l’utilisateur, qui connaît son produit.
Conclusion
Les incidents et accidents liés à des incendies ou des explosions dans les installations de traitement de boues de STEP sont relativement importants, malgré la susceptibilité moyenne des boues. Les gaz d’auto-échauffement ou de fermentation sont très faciles à enflammer, et les explosions de poussières pourraient entraîner des dégâts notables. Citons quelques exemples d’accidents :
• Une explosion dans un sécheur, liée aux gaz produits par l’auto-échauffement d’une couche de boues séchées, lors d’un arrêt provoquant une entrée d’air ;
• Une explosion de biogaz dans un décanteur insuffisamment ventilé, sur lequel une opération de maintenance par point chaud avait lieu, sans connaissance de la concentration en méthane ;
• Des inflammations de stockage de boues séchées à l’air libre ;
• Des inflammations de couches de poussières dans des caniveaux, liées probablement à un mégot de cigarette jeté sans l’éteindre…
En fonction de sa teneur en carbone, une boue pourra se rapprocher dans son comportement d’un produit agroalimentaire, ou du charbon, produits connus tous deux comme dangereux du point de vue incendie et explosion. Aussi les mêmes précautions sont à prendre, et la connaissance des produits mis en œuvre à chaque phase du procédé, et au cours des saisons, qui modifient les habitudes alimentaires, nous paraît indispensable à une bonne conduite des installations et à leur sauvegarde.