Le débat sur l'élimination des boues des stations d'épuration urbaines est ouvert et les règles législatives obligent les différents protagonistes à des choix à plus ou moins brève échéance entre les différentes filières d'élimination : épandage agricole, mise en décharge, incinération. Deux unités industrielles d'agglomération des boues séchées en vue de leur co-incinération avec les ordures ménagères ont été réalisées en France en 1996.
Deux unités industrielles d’agglomération des boues séchées en vue de leur coincinération avec les ordures ménagères ont été réalisées en France en 1996.
L’épuration des eaux usées conduit inévitablement à la production de boues. Que l’eau ait servi à des usages domestiques ou industriels, la quantité de matières en suspension peut varier considérablement. Ces matières sont recueillies dans les bassins de décantation des stations où elles constituent les « boues primaires ». À ces matières s’ajoute une charge polluante sous formes dissoute et colloïdale. Le plus souvent, pour éliminer cette pollution, on utilise des procédés biologiques d’épuration qui, grâce à des bactéries, consomment la matière polluante biodégradable. Ces bactéries se multiplient et il faut en évacuer l’excès qui constitue les « boues secondaires ».
Ces deux types de boues sont les sous-produits inévitables de l’épuration des eaux usées ; malgré d’importantes recherches, on ne sait pas à ce jour réduire notablement leur production.
La France produit environ 800 000 tonnes de matières sèches par an sous forme de
boues plus ou moins déshydratées. Les trois destinations finales de ces boues sont les suivantes :
La valorisation agricole : environ 55 % des boues sont actuellement traitées par cette filière.
Les obstacles au développement de cette voie sont nombreux :
- manque de stockage dans les stations d'épuration (brièveté des périodes d’épandage) ;
- stabilisation parfois insuffisante des boues ;
- problèmes de pollution (métaux lourds) ;
- nécessité de fournir des boues faciles à épandre avec du matériel classique ;
- réticence psychologique de la part des éventuels utilisateurs ;
- coût élevé dans la mesure où il semble très difficile de demander une participation financière aux agriculteurs.
Cette filière semble à terme menacée notamment par :
- le durcissement des législations sur la qualité des boues ;
- la désaffection des utilisateurs.
La mise en décharge : 25 % sont actuellement traitées par cette filière
Cette filière est condamnée à terme puisque à partir du 1ᵉʳ juillet 2002, il sera interdit de mettre en décharge des déchets qui ne soient pas ultimes.
Incinération : 20 % des boues sont actuellement traitées de cette manière.
Cette voie semble être, compte tenu de ce qui a été évoqué plus haut, la voie d’avenir pour le traitement des boues.
Deux voies sont possibles :
- soit l'incinération seule, en général dans des fours à lit fluidisé,
- soit la co-incinération (incinération conjointe des boues et des ordures ménagères). Cette solution lorsqu’elle est réalisable, c’est-à-dire lorsque l’usine d’incinération des ordures est proche de la station d’épuration, est séduisante car elle permet l'utilisation d'un équipement existant, l'incinérateur à ordures ménagères, pour éliminer un autre déchet, les boues. Les boues peuvent être introduites dans l'incinérateur
- soit sous forme brute, avec une siccité comprise entre 15 et 40 %,
- soit sous forme de boues séchées, avec une siccité de l'ordre de 90 %.
L'introduction des boues sous forme brute nécessite un process en continu 24 h/24 car les possibilités de stockage d'un produit contenant en moyenne 75 % d’eau sont très limitées, sans compter les problèmes d’odeur qu’occasionnent ces boues. Par contre, l'introduction des agglomérés peut être modulée en fonction des contraintes d'exploitation et leur stockage, sous abri, ne pose aucun problème particulier.
Enfin, l’expérience montre qu’il est préférable d’introduire les boues séchées dans l'incinérateur sous forme de granulés ou d'agglomérés plutôt que sous forme pulvérulente. En effet, compte tenu du coût d’évacuation des cendres volantes produites par l'unité d’incinération, il est préférable de retrouver les résidus de boues dans les mâchefers plutôt que dans ces cendres volantes.
L’agglomération des boues séchées
L’équipement utilisé pour l’agglomération des boues séchées est la presse à roues tangentes (voir figure 2). Cet équipement est constitué de deux roues placées dans un plan horizontal qui tournent en sens inverse. Une roue est fixe en translation dans le bâti de la machine tandis que l'autre peut se déplacer perpendiculairement à son axe de rotation. Sur la roue mobile est appliquée une charge, à l’aide de vérins hydrauliques, qui permet de compacter le produit pulvérulent lors de son passage entre les deux roues. Chaque roue est munie d'une frette usinée avec des alvéoles correspondant à la forme de l’aggloméré que l'on désire fabriquer. Dans le cas des boues séchées la forme des agglomérés est dite « savonnette » (voir figure 1). Le produit est amené entre les deux roues par une vis d’alimentation verticale placée dans une cuve conique (système d’alimentation appelé « précompacteur »). De nombreux essais ont été menés pendant plusieurs années dans la station pilote de Raismes (59) afin de définir les conditions optimales d’agglomération de ces boues séchées.
La conclusion de ces essais est que le principal facteur pour obtenir une agglomération satisfaisante des boues séchées est la siccité du produit qui ne doit pas se situer en dessous de 85 %.
De même, il faut préciser que ces boues sont auto-agglomérantes et ne nécessitent donc pas l'utilisation d'un liant.
Ces études ont mené à la réalisation de deux installations industrielles en 1996, en France.
Station d’épuration de Villefranche-sur-Saône :
Description technique
Dans cette station, exploitée par la Compagnie Générale des Eaux, Sahut-Conreur a réalisé l'ensemble de l'atelier d’agglomération, qui comprend les équipements suivants : le transporteur acheminant les boues du sécheur thermique jusqu’à la trémie de
1 Transporteur à vis pour les boues séchées
2 Trémie de mise en charge
3 Presse
4 Couloir vibrant d'ébavurage
5 Ensemble de recyclage des fines
6 Transporteur à bande pour les agglomérés
mise en charge de la presse, la trémie de mise en charge, la presse à roues tangentes, l'évacuation par transporteur à bande des agglomérés en aval de la presse, le circuit de recyclage des fines et bavures et la charpente support des équipements (voir figure 3).
Les boues sont récupérées à la sortie du sécheur avec une siccité minimale de 85 %. En-dessous de ce chiffre, les boues sont difficiles à agglomérer, essentiellement à cause de problèmes de collage sur les roues de la presse. Les caractéristiques principales de la machine sont les suivantes :
- - Diamètre des roues : 400 mm,
- - Largeur de la table de travail : 125 mm,
- - Système d’alimentation : précompacteur simple,
- - Puissance totale installée : 31 kW,
- - Pression de travail : 40 kN/cm² soit une charge totale de 500 kN,
- - Vitesse des roues : variable de 0 à 15 tr/mn,
- - Dimensions des agglomérés : 40,5 mm × 26,3 mm × 14,5 mm,
- - Volume des agglomérés : 8,5 cm³.
Les agglomérés ont un poids unitaire de l'ordre de 11,5 grammes, soit une densité d'environ 1,3.
Le débit de cette installation est de 1000 kg/h de matières sèches lorsque la presse tourne à 12,5 tr/mn. Les boues ayant une siccité de 85 % environ, cela représente donc un débit de l’ordre de 1180 kg/heure de produit sortie sécheur.
Avec un fonctionnement sur deux postes de travail, une telle installation peut donc traiter environ 20 tonnes par jour de produit avec une siccité de 85 %.
Les agglomérés ainsi produits sont traités en coïncinération avec des ordures ménagères dans l'incinérateur, distant de quelques centaines de mètres de la station d’épuration. Le PCI des agglomérés est de l’ordre de 2500 à 3500 kcal/kg de matière sèche, ce qui peut constituer un apport de calories non négligeable lorsque l'on traite des ordures ménagères avec un faible PCI. Le PCI moyen des ordures ménagères est de 2000 kcal/kg.
Bilan économique
L’investissement pour une unité d’agglomération capable du débit cité plus haut est de l’ordre de 1800 kF. Cet investissement comprend les éléments suivants :
- - ingénieries de base et de détail,
- - équipements tels que décrits sur la figure 3,
- - charpente support des équipements,
- - équipement électrique de puissance/commande/régulation,
- - montage des équipements,
- - mise en route de l’installation,
- - le bâtiment était déjà existant.
Les principales dépenses de fonctionnement d'une telle installation sont les suivantes :
- - la puissance totale installée est de 35 kW, soit une dépense annuelle de l’ordre de 140 kF (pour 4000 heures de fonctionnement),
- - le coût d’entretien des équipements peut être évalué à 100 kF par an,
- - l'installation peut fonctionner sans personnel affecté à temps plein. Les tâches de démarrage, de surveillance régulière, d’arrêt et d’entretien courant prennent environ 4 heures par poste de travail de 8 heures, soit 2000 heures par an et donc un coût de 200 kF.
Soit un montant total pour les dépenses annuelles d’exploitation de 440 kF.
En considérant un amortissement de l'installation sur 5 ans, la charge annuelle d’amortissement sera de 360 kF.
Les charges annuelles totales seront donc de 800 kF.
La production pendant cette même période sera de 5000 tonnes d’agglomérés de boues à 85 % de siccité, soit un coût à la tonne de 160 FRF.
La station d’épuration de Rennes
Les caractéristiques principales de la presse sont les suivantes :
- - Diamètre des roues : 400 mm,
- - Largeur de la table de travail : 180 mm,
- - Système d’alimentation : précompacteur simple,
- - Puissance totale installée : 42,5 kW,
- - Pression de travail : 60 kN/cm² soit une charge totale de 1080 kN,
- - Vitesse des roues : 14 tr/mn,
- - Dimensions des agglomérés : 36 mm × 26,3 mm × 15 mm,
- - Volume des agglomérés : 7,5 cm³.
La presse a un débit de l’ordre de 1850 kg/h avec un produit à environ 85 % de siccité.
Les agglomérés produits ne sont pas, contrairement à l'usine de Villefranche, envoyés directement dans l'incinérateur mais sont réduits en taille dans un broyeur à marteaux afin d’obtenir une granulométrie comprise entre 1 et 7 mm. La raison de ce broyage est que l'acheminement des boues compactées vers l’usine d’incinération se fait par transport pneumatique, or ce type de transport n’accepte pas des produits de trop grande dimension. Cette installation était composée de la trémie de mise en charge de la presse, de la presse elle-même, du broyeur à marteaux et du tamis de séparation des fines (inférieures à 1 mm). Les particules inférieures à 1 mm (environ
30 % sont recyclées dans la presse avec la matière brute.
Ce type d’installation d’agglomération de boues séchées telle que décrite ci-dessus présente de nombreux avantages :
– grande facilité d’exploitation, grâce à un process très simple,
– coûts d’entretien et de personnel réduits,
– grande souplesse d’utilisation (débit ajustable en fonction de la quantité à traiter),
– délai de réalisation court : entre 6 et 8 mois, hors bâtiment et génie civil.
Conclusion
Si les réticences actuelles des agriculteurs, d’une part, et le durcissement de la législation, d’autre part, continuent à croître dans les années à venir, la filière de l’épandage agricole pour l’élimination des boues tendra à disparaître au profit de l’incinération, sous quelque forme qu’elle soit. La coïncinération des boues séchées avec les ordures ménagères présente de nombreux avantages qui, nous le pensons, amènera de plus en plus d’exploitants vers cette voie.