Your browser does not support JavaScript!

Traitement des boues d'épuration par lits de macrophytes : risques de repousses après épandage

30 novembre 2002 Paru dans le N°256 à la page 51 ( mots)
Rédigé par : Frédérique JOURJON, Michel PIDOUX et Edith EMEREAU

Les lits de macrophytes pour le traitement des boues d'épuration séduisent aujourd'hui de nombreuses collectivités par leur simplicité, leur souplesse et l'image verte qu'ils représentent. Toutefois, ces procédés sont récents et on manque de recul sur leurs impacts. Les acteurs s'interrogent notamment sur les possibilités de valorisation agricole des boues à l'issue du traitement. Dans le cadre d'une étude de ces systèmes de traitement, le Laboratoire GRAPPE a tenté d'évaluer les risques de repousses de roseaux après l'épandage. Ces risques dépendent de multiples paramètres, mais la disponibilité en eau semble constituer le facteur le plus limitant en terrains cultivés. L?étude s'est donc limitée à l'évaluation de l'aptitude de développement des roseaux en fonction de deux facteurs : l'humidité du sol et l'humidité des rhizomes à la plantation. À partir d'une expérimentation en conditions contrôlées, nous avons démontré : - Que l'humidité des sols cultivés non hydromorphes, généralement inférieure à 40 % (humidité pondérale) limite le développement des roseaux : seules quelques pousses apparaissent, - Que la déshydratation des rhizomes à un niveau de 23 % d'humidité réduit considérablement leur aptitude à générer de nouvelles pousses : seules quelques pousses sont apparues sur les sols d'humidité supérieures à 50 %. Ces résultats ont été obtenus pour un seul type de substrat, et dans des conditions climatiques particulières. Il serait intéressant de vérifier ces informations par un suivi des pratiques d'épandage.

À partir d’une expérimentation en conditions contrôlées, nous avons démontré :

  • Que l’humidité des sols cultivés non hydromorphes, généralement inférieure à 40 % (humidité pondérale) limite le développement des roseaux : seules quelques pousses apparaissent,
  • Que la déshydratation des rhizomes à un niveau de 23 % d’humidité réduit considérablement leur aptitude à générer de nouvelles pousses : seules quelques pousses sont apparues sur les sols d’humidité supérieures à 50 %.

Ces résultats ont été obtenus pour un seul type de substrat, et dans des conditions climatiques particulières. Il serait intéressant de vérifier ces informations par un suivi des pratiques d’épandage.

L’épuration des eaux usées produit chaque année 850 000 tonnes de matières sèches de boues, qui sont éliminées de trois façons : épandage, incinération, et mise en décharge. Pour faciliter la gestion et l’élimination de ces déchets, des procédés de traitement peuvent être adoptés.

Parmi les diverses techniques proposées sur le marché, les lits de macrophytes se présentent comme une solution adaptée aux stations de petite dimension : jusqu’à environ 5 000 équivalents habitants (Lienard, 1999). L’accumulation progressive des boues sur les massifs filtrants plantés de roseaux permet de diminuer les volumes occupés par une augmentation de la siccité — ou taux de matière sèche — et par minéralisation. Mais les boues digérées récupérées en sortie du système sont mélangées à des rhizomes de roseaux.

Les petites stations optent généralement

[Figure : Principe de fonctionnement de lits de macrophytes pour le traitement des boues]

pour l’épandage des boues, seule voie accessible pour des raisons techniques et économiques. Cette pratique repose sur un principe de service mutuel entre les agriculteurs et les collectivités, en valorisant les boues sous forme de matières fertilisantes.

Or si les roseaux contenus dans les boues sont susceptibles de se développer sur les terres agricoles et d’entrer en compétition avec les plantes cultivées, l’épandage devient risqué. Les agriculteurs pourraient alors observer des pertes de rendement, ou engendrer des coûts de production supplémentaires pour lutter contre ces mauvaises herbes. On risque alors d'aboutir à une remise en cause de l'acceptabilité des boues, dans un contexte déjà peu propice à leur épandage.

Très peu de travaux ont été effectués en France sur ce sujet, les acteurs de la filière manquent de retours d’expériences et d’arguments face aux inquiétudes des agriculteurs.

Dans le cadre d'une évaluation des systèmes de traitement de boues d’épuration sur lits de macrophytes, le laboratoire GRAPPE s'est interrogé sur les risques de repousses de roseaux après l’épandage des boues traitées.

Les boues après traitement sur lits de macrophytes

Les procédés de traitement par lits de macrophytes se composent de massifs filtrants implantés de roseaux. Les boues sont étendues à la surface selon des cycles d’alimentation et de repos. L’eau contenue dans les boues traverse la couche drainante par percolation verticale, et est ensuite réintroduite en tête de station. Les lits accumulent ainsi les boues en excès de la filière de traitement de l’eau. L’intérêt du système consiste essentiellement à diminuer le volume occupé par une augmentation de la siccité (taux de matière sèche). Les roseaux implantés jouent un rôle important au cours du traitement. Au-delà de l'aspect purement paysager, ils permettent de faciliter le ressuyage du massif de boues grâce à la présence des tiges, qui favorisent le drainage par leur implantation et leur mouvement créé par le vent, et les feuilles qui éliminent de l'eau par évapotranspiration en période végétative. Par ailleurs, la présence d'un tissu particulier, appelé aérenchyme, permet de transporter l’oxygène de l'atmosphère vers les racines, et ainsi d’oxygéner les boues.

Au terme d’une exploitation de quatre à huit ans en moyenne (Lienard, 1999) on procède à un curage des lits. La composition des boues récupérées diffère peu de celle des boues extraites d'un silo, excepté par le taux de matière sèche, qui atteint un minimum de 10 à 15 %, alors qu’il n’est que de 1 à 2 % dans les boues issues de silo. La présence de roseaux, extraits au moment du curage, représente la différence fondamentale. Une autre différence réside dans les conditions de stockage à l’air libre qui permet une minéralisation plus poussée de la matière organique des boues, pouvant aller jusqu’à 25 ou 30 % de perte en matière sèche sur certains sites (Baptiste et al., 1997).

Le roseau

Le roseau commun, ou Phragmites australis (Cav.) Trin ex Steudel, est une plante vivace de la famille des graminées. Elle se développe typiquement en zones humides où elle forme des peuplements denses appelés roselières. Les parties aériennes se composent de feuilles et de tiges annuelles, hautes de 1 à 6 mètres (Schricke et al., 1994), surmontées d’un panicule qui laisse de nombreuses fleurs s'épanouir entre fin août et début septembre. La multiplication par voie germinale reste cependant très minoritaire dans le développement de l'espèce. Son maintien et son expansion reposent essentiellement sur la présence des rhizomes. Ces longues tiges souterraines servent d’organe de réserves et sont aussi à la base de la multiplication végétative. À chaque nœud les rhizomes portent un bourgeon capable de développer une nouvelle tige.

[Figure : Morphologie du roseau (Phragmites australis (Cav.) Trin ex Steudel)]
[Photo : Figure 3 - Facteurs qui influencent la capacité de développement des roseaux]

La capacité de Phragmites australis (Cav.) Trin. Ex Steudel à se développer sur les terres agricoles dépendra de l’état des rhizomes épandus et des caractéristiques du milieu (Figure 3).

Facteurs de risques de repousses

Quelle est l’aptitude des roseaux à se développer en terrains cultivés?

En étudiant divers documents relatifs aux mauvaises herbes des grandes cultures, on s’aperçoit que Phragmites australis (Cav.) Trin. Ex Steudel est rarement répertorié. Behrendt et al. (1979) le présentent dans un livre spécialement dédié aux graminées adventices des grandes cultures. Cette espèce est donc capable de se développer en terrains cultivés, mais dans quelles conditions?

Les relations entre les végétaux et leur milieu sont multiples et complexes, et influencent leur développement et leur répartition. Les facteurs qui contrôlent les espèces macrophytiques ont été répertoriés et classés en trois groupes de paramètres :

  • - Les facteurs morphodynamiques, qui regroupent : la qualité du substrat (granulométrie, matière organique, disponibilité des nutriments...), l’altitude, la répartition de l’eau (ordre de drainage, pente, courant).
  • - Les paramètres physico-chimiques de l’eau (température, pH, ...).
  • - Les paramètres d’environnement : la végétation environnante, l’action de l’homme, l’éclairement (Collectif, 1990).

Parmi ces éléments, plusieurs méritent d’être observés de plus près.

L’eau : une contrainte majeure?

Si Phragmites australis (Cav.) Trin. Ex Steudel se développe dans des zones plutôt immergées, des communautés peuvent vivre sans que les rhizomes et les racines soient au contact de l’eau stagnante : elles sont souvent localisées en pente, sur des passages d’écoulement de l’eau (Haslam, 1970). L’évapotranspiration annuelle des peuplements de Phragmites australis (Cav.) Trin. Ex Steudel est comprise entre 1000 et 1500 mm (Kiendl, 1953, Rudescu et al., 1965, Haslam, 1960, in Haslam, 1970), ce qui dépasse les quantités apportées par la pluviométrie de certaines régions. En Maine-et-Loire, par exemple, la pluviométrie annuelle dépasse rarement 800 mm répartis tout au long de l’année. Or l’essentiel des besoins de cette plante se concentre entre mai et septembre, avec un pic en juillet et août (Haslam, 1970). Phragmites australis (Cav.) Trin. Ex Steudel peut donc se développer en zones non immergées, à condition que la ressource en eau ne soit pas trop limitante. Les caractéristiques des sols, leur situation géographique, de même que les conditions climatiques sont donc des composantes qui conditionneront la repousse des roseaux.

Les parcelles les plus humides sont déjà exclues des plans d’épandage, ce qui diminue grandement les risques de repousses (arrêté du 8 janvier 1998 relatif aux épandages de boues).

Les caractéristiques du sol

Dans le cas de sols non immergés, un facteur prédominant pour l’aptitude à la repousse de roseaux semble être la capacité du réservoir hydrique. En terrains cultivés, Phragmites australis (Cav.) Trin. Ex Steudel s’implante plutôt sur des sols sablo-argileux ou limono-argileux avec des couches imperméables (Behrendt et al., 1979).

L’intervention de l’Homme

De par les relations qui lient les zones humides et les activités humaines, plusieurs enseignements ont pu être retenus. Notamment, l’abandon progressif de la gestion de ces terrains, lié à la naissance d’une forme d’agriculture plus intensive, favorise le développement d’hélophytes (Schricke, 1986). Les pratiques agricoles semblent donc peu favorables au développement de ces végétaux.

La fauche en période végétative diminue la vigueur des plantes. Le moment le plus critique se situe en juillet, date à laquelle une part importante des réserves est localisée dans les parties aériennes (Haslam, 1969 ; Marks et al., 1994). Les roseaux sont alors privés de la photosynthèse pendant la moitié de la saison, période où la plante reconstitue ses réserves au niveau des rhizomes. Une fauche régulière à cette période contrôle sévèrement le développement des Phragmites australis (Cav.) Trin. Ex Steudel, et entraîne leur mort dans la plupart des cas (Haslam, 1969 ; Marks et al., 1994).

Comme la fauche, le pâturage permet de diminuer la vigueur de la plante, bien que son action semble moins efficace (Marks et al., 1994). Le roseau commun est apprécié par les animaux (bovins, ovins, caprins). Mais au cours de la période végétative, son appétence diminue plus rapidement que pour les autres plantes fourragères (Schricke, 1987).

La mécanisation est un autre facteur de perturbation des roselières. Les pressions exer-

cées au sol seraient susceptibles de blesser les bourgeons et les rhizomes. En réponse à ces perturbations, le roseau développe des durillons qui bloquent le passage de l'air dans l’espace lacunaire des rhizomes, et donc l'aération d'une partie de la rhizosphère (Armstrong et al., 1996).

La croissance de Phragmites australis (Cav.) Trin. Ex Steudel dépend fortement de la disponibilité en azote et en phosphore dans le sol (Ulrich et Burton, 1985). La fertilisation des sols est donc un facteur favorable au développement de Phragmites australis (Cav.) Trin. Ex Steudel.

L’utilisation d’herbicides (atrazine et le glyphosate) peut aussi se révéler efficace contre Phragmites australis (McKinlay et al., 1999 ; Acta, 2000). D’autres herbicides sont spécifiques des plantes semi-aquatiques : aminotriazole, thiocyanate d’ammonium, dalapon, dichlobénil, diquat, fluridone, sont des herbicides spécifiques des plantes aquatiques (Acta, 2000). Mais de telles pratiques seraient peu en phase avec l’image « verte » que communique l’utilisation de roseaux.

Effet de l’état des rhizomes sur leur capacité de développement

Les rhizomes sont des parties végétatives rustiques très résistantes. Par exemple, ils peuvent survivre plusieurs années dans des conditions climatiques défavorables à leur développement aérien (Schricke et al., 1986). Pour anéantir leur capacité à se développer, deux solutions peuvent être envisagées.

D’une part, il a été observé que les portions de rhizomes coupés doivent mesurer au minimum 20 cm pour être viables (Haslam, 1969). Un broyage plus ou moins grossier permettrait donc d’éviter toute repousse. Mais cette étape supplémentaire engendrerait un surcoût et viendrait complexifier la filière. D’autre part, la déshydratation des tissus des végétaux provoque parfois des dégâts irréversibles (Mussy et al., 1991). Ainsi, on pourrait envisager de laisser les rhizomes se déshydrater au soleil avant de les enfouir dans le sol. Malgré sa forte dépendance des conditions climatiques, cette solution est séduisante de simplicité. Remarquons toutefois que la réglementation impose d’enfouir les boues épandues sous 48 heures.

[Photo : Vue globale de l’expérimentation]

Conclusion

Le développement de Phragmites australis (Cav.) Trin. Ex Steudel sur les terres agricoles ne dépend que de la multiplication végétative. Les risques de repousses sont par conséquent très localisés, et dépendent de la survie et de l'affinité des rhizomes avec les terrains épandus.

La repousse à partir de rhizomes paraît a priori possible, mais limitée dans le temps par un ensemble de facteurs. La ressource en eau et les interventions humaines sont des contraintes majeures au développement des roseaux. On peut s’attendre à observer des différences de comportement selon les parcelles et pratiques culturales.

Toutefois, il n’est pas possible aujourd’hui de prévoir l’importance des repousses, ni de quantifier les impacts liés à l’épandage de rhizomes de roseaux. Aussi dans cette étude, nous avons souhaité mieux connaître le comportement de Phragmites australis (Cav.) Trin. Ex Steudel en fonction du facteur hydrique. Pour cela, des rhizomes ont été cultivés en faisant varier deux facteurs : l’humidité des rhizomes au moment de la plantation, et l’humidité du sol.

Analyse des facteurs humidité du sol et humidité des rhizomes

Méthodologie

Pour la mise en œuvre de l’étude, nous avons observé le développement de Phragmites australis (Cav.) Trin. Ex Steudel dans différentes conditions de culture. L’expérimentation s’est déroulée en serre (température moyenne = 17 °C) sur une durée de près de deux mois, dans de la terre additionnée de terreau (MO = 12 %).

Étude de l’humidité du sol

Il s’agit de maintenir l’humidité du sol dans des intervalles fixés au départ. Pour cela, une série de pots identiques reçoit une même quantité de substrat homogène. Par le contrôle du poids des pots, on déduit l’humidité pondérale du substrat, et par addition d’eau, on maintient le sol dans des conditions d’humidité données. Sur la durée de l’expérience, l’influence du poids des plantes est considérée comme négligeable.

La capacité maximale de rétention du substrat a été préalablement évaluée à 70 %. Cette valeur très élevée s’explique par la forte teneur en matière organique du substrat. À partir de cette donnée, nous avons fixé 3 intervalles d’humidité de façon arbitraire.

Tableau 1 : Modalités de l’expérience

Humidité des rhizomes à la plantation
A : 68 %
B : 23 %
Humidité du sol (%)
H1 : 60 à 70 % → H1A, H1B
H2 : 50 à 60 % → H2A, H2B
H3 : 12 à 37 % → H3A, H3B
[Photo : Figure 5: Nombre moyen de pousses et somme des hauteurs de tiges par pot selon différentes humidités de sol]

Étude de l'humidité des rhizomes à la plantation

Le substrat maintenu dans différentes conditions hydriques a reçu des rhizomes de roseaux achetés en pépinière. La moitié des rhizomes a été implantée aussitôt après leur prélèvement, alors que l'autre moitié avait préalablement subi quatre jours de déshydratation à l'air libre. Deux lots de rhizomes, distincts par leur taux d'humidité au moment de la plantation, ont donc été implantés (Tableau 1).

Modalités et répétitions

Les deux paramètres étudiés ont été croisés, et forment alors un jeu de six modalités différentes. Chacune étant répétée quatre fois, on obtient un ensemble de 24 pots, répartis selon un dispositif en blocs aléatoires complets.

Suivi des plantations (Figure 4)

Tout au long de l'expérimentation, différents travaux ont été répétés par intervalles de trois à quatre jours.

D'abord, chaque pot était pesé afin d'évaluer l'humidité du substrat et la quantité d'eau à apporter. Ensuite, deux paramètres étaient relevés pour suivre le développement des plantes : il s'agit du nombre et de la hauteur des pousses. Enfin, pour permettre un bon développement des plantes, nous avons veillé à maintenir un état sanitaire satisfaisant (désherbage manuel, lutte contre les pucerons).

Résultats

Des pousses se sont développées dans les pots, jusqu'à atteindre des hauteurs proches d'un mètre pour certaines. Les conditions de culture (substrat, température, ensoleillement) étaient donc favorables au développement des rhizomes. On constate toutefois de nettes différences de croissance entre les pots.

Analyse du comportement en fonction de l'humidité du sol (Figure 5)

Les trois niveaux d'humidité du sol ont permis aux rhizomes de développer de nouvelles pousses. Toutefois, on constate que la productivité diminue à mesure que l'humidité du sol diminue également. La différentiation entre les lots H1 (60 à 70 % d'humidité du sol) et H2 (50 à 60 % d'humidité du sol) n'est cependant pas évidente : le test de l'analyse de la variance ne permet pas de les différencier de façon significative. Quel que soit le paramètre mesuré, le développement des roseaux semble donc se limiter à mesure que l'humidité du sol diminue.

Les pots de type H3 se distinguent nettement des autres conditions d'humidité de sol. La croissance y est d'une part plus lente, et elle cesse même au deuxième mois de culture. Ce moment correspondrait à une période où l'humidité du sol est devenue trop limitante par rapport aux besoins de la plante. L'humidité pondérale calculée à cette date s'élève entre 15 et 20 %.

Analyse du comportement en fonction de l'humidité des rhizomes à l'implantation

[Photo : Figure 6: Nombre moyen de pousses et somme des hauteurs de tiges par pot selon différentes humidités de rhizomes à l'implantation]

La Figure 6 illustre le comportement global des pots de type A et de type B, les différentes humidités H1, H2 et H3 étant confondues. Nous avons appliqué le test de Mann et Whitney pour vérifier si les différences observées étaient significatives ou non. Globalement, le développement des rhizomes B (23 % d'humidité à l'implantation) apparaît plus limité que pour les rhizomes A (68 % d'humidité à l'implantation). Les premières pousses des pots B apparaissent avec un retard de 15 jours par rapport aux lots A, et leur nombre reste très limité. Sur un total de 12 pots seuls deux donnent naissance à des tiges, contre 11 pots sur 12 dans le cas des rhizomes A. La hauteur totale de tiges par pot suit le même schéma d'évolution que le nombre de pousses.

[Photo : Figure 7: Hauteur moyenne par tige selon deux humidités de rhizomes à l'implantation]

Toutefois, d'après la Figure 7, la vitesse de croissance moyenne par tige dans les pots B ne se distingue pas des pots A. Quand les rhizomes ont manifesté leur capacité à générer de nouvelles pousses, le développement des tiges paraît identique à celles des rhizomes non déshydratés.

La dessiccation avant mise en terre a donc nettement affecté la capacité de développement des Phragmites, en limitant le nombre de pousses, ainsi que la précocité. Cependant, une fois apparues, les pousses des pots

B ne semblent pas se développer de façon différente des pots A.

Existe-t-il une interaction entre les deux facteurs étudiés ?

D’après les analyses de la variance à deux facteurs, il existerait une interaction entre l’humidité des rhizomes à la plantation et l’humidité du sol sur la repousse des roseaux. Il faut toutefois rester prudent sur ces affirmations, car les coefficients de variation sont élevés (> 20 %). Ainsi, pour un niveau de déshydratation des rhizomes donné, les risques de repousses seraient plus élevés sur des sols humides que sur des terrains à tendance plus sèche. Ce résultat paraît lié à la capacité du sol à réhydrater les rhizomes, avant de générer de nouvelles pousses.

Synthèse

Les facteurs d’humidité du sol et des roseaux ont permis de contrôler expérimen- talement le développement des phragmites. En conditions réelles, les sols atteignent des humidités équivalentes rarement supé- rieures à 40 %. L'humidité des pots H3 (37 & 11 %) correspond donc aux valeurs acces- sibles en terrains cultivés non hydro- morphes. Cette gamme d’humidités apparaît comme limitante pour le développement des roseaux : si des parties végétatives se déve- loppent, leur capacité de multiplication et d'expansion semble cependant restreinte, car la faible disponibilité en eau se répercute sur le nombre de pousses générées.

Dans ces conditions, seules quelques tiges se développent de façon ponctuelle. On en déduit que si les conditions d’humidité des sols cultivés non hydromorphes sont favo- rables au développement des Phragmites, elles n’offrent cependant pas des conditions optimales de croissance et de développe- ment. L’expansion et la pérennité de l’es- pèce dans ces milieux semblent donc limi- tées à terme.

L’expérimentation a mis en évidence qu’en deçà de 16 % d'humidité pondérale, l’humi- dité du sol devient trop faible pour subvenir aux besoins des pousses déjà existantes, et la plante cesse de se développer. Ce seuil a été obtenu pour une caractéristique de sol précise. On obtiendrait peut-être des résul- tats différents sur d’autres types de sols. Mais cette valeur a déjà le mérite de donner un ordre de grandeur.

[Encart : Tableau 2 : Conditions permettant de limiter les risques de repousses de roseaux après épandage des boues issues de lits de macrophytes Critères – Risques faibles / Risques forts Cadre réglementaire – Respect de la réglementation / — Caractéristiques du sol – Sol non hydromorphe ; Sol sablonneux ; Pauvre en MO / Sol hydromorphe ; Sol alluvial, argileux ou argilosableux ; Sol riche en MO (augmentation de la capacité de rétention en eau, augmentation des ressources en nutriments) ; Sol drainé en H Climat – Pluviométrie faible (< 1 000 mm) et répartie sur l’année ; Périodes de forte sécheresse / Pluviométrie élevée (> 1 000 mm) et concentrée sur la période végétative (oct. à avril) Rhizomes – courts (< 20 cm, ≤ 3 nœuds) ; broyés/taillés ; déshydratés (< 25 % H) / longs (> 20 cm, > 3 nœuds) ; intègres ; non déshydratés (60–70 % H)]

Lors des plans d’épandage, le choix des sols sera donc déterminant pour aider à maîtriser les repousses. Les conditions climatiques et la capacité de rétention du sol pourront favoriser plus ou moins leur développement. L'humidité moyenne de 23 % des rhizomes à la plantation a fortement limité le développe- ment des roseaux par rapport aux rhi- zomes non déshydratés. Cette limitation s'est manifestée par un nombre de pousses très restreint, et un retard de croissance par rapport aux lots non déshydratés.

On remarque cependant que même à des niveaux de dessiccation extrêmes, il y a des repousses là où le substrat est le plus humide. Ce résultat prouve la grande capa- cité de résistance des rhizomes. Des repousses pourraient donc réapparaître après des périodes de dessiccation, si les rhizomes sont placés en conditions d’humi- dité élevées.

La déshydratation préalable à l’enfouis- sement pourrait être un moyen pour limiter le nombre de repousses après l'épandage. Tou- tefois, il serait intéressant de connaître l’évo- lution de l’humidité des rhizomes en condi- tions réelles, bien qu'elle soit variable d'un rhizome à l’autre, et fortement dépendante des aléas climatiques.

Le niveau de déshydratation des rhizomes qui pourra être atteint dépendra des condi- tions de la déshydratation : en période esti- vale, les rhizomes pourraient être laissés plusieurs jours au sol entre l’épandage et l’enfouissement. Selon qu'ils seront plus ou moins mêlés à des amas de boues, la perte d'humidité sera plus ou moins efficace. La siccité des boues au moment du curage, de même que la pratique de l’épandage pourra donc influencer la déshydratation des rhi- zomes.

Ces résultats ont été obtenus pour un seul type de substrat, et dans des conditions cli- matiques particulières. Il serait intéressant de vérifier ces informations par un suivi des pratiques d’épandage.

Le Tableau 2 synthétise l'ensemble des para- mètres qui permettent de mieux maîtriser les risques au moment de l’épandage.

Conclusion générale

Nous avons mis en évidence que les risques de repousses de roseaux après épandage de boues issues de lits de macrophytes sem- blent limités. Les conditions hydriques des terrains cultivés constituent en effet un fac- teur limitant pour le développement des roseaux : si des tiges peuvent émerger, la capacité d’expansion de l’espèce est réduite. Les pratiques culturales telles que la mécani- sation et l'emploi d’herbicides viennent éga- lement freiner le développement de l’espèce. Par ailleurs, la maîtrise de l’humidité des rhi- zomes au moment de l’enfouissement peut aider à limiter davantage les repousses sur les terrains épandus. Pour ces raisons, un épandage en période estivale paraît le plus approprié.

Si les impacts des repousses sur les cultures peuvent être considérés comme limités, les collectivités doivent toutefois rester vigi- lantes sur cette question, mettre en œuvre les moyens disponibles pour limiter l’en- semble des impacts, même s'ils sont princi- palement visuels. De ces conditions dépen- dront la bonne relation entre les acteurs de la filière et la pérennisation de la filière d'épandage.

Dans le cas où l'épandage s’avérerait impos- sible, les concepteurs affirment qu'il est éga-

Il est également possible d’incinérer les boues après traitement sur lits de macrophytes. Mais il reste à vérifier si les siccités atteintes sont suffisantes pour garantir un bilan énergétique intéressant : les expériences menées en France n'ont permis d’atteindre que des valeurs de 15 %, alors qu'un minimum de 20 % est recommandé (Peuchot, Wiart, 1996).

Les systèmes de traitement et d’accumulation de boues par lits de macrophytes apparaissent aujourd'hui comme une alternative intéressante aux silos de stockage classiques, en facilitant la gestion des boues. Il faut cependant rester vigilant face à ces nouvelles techniques. C'est de l'expérience et de la maîtrise des risques que dépendront leur développement et leur durabilité.

Références bibliographiques

  • + Acta, 2000, Index Phytosanitaire, ACTA, 487 p.
  • + Armstrong J., Afreen-Zobayed F., Armstrong W., 1996, Phragmites die-back: Sulphide- and acetic acid-induced bud and root death, lignification and blockages within aeration and vascular systems, New Phytologist, 134, p. 601-614.
  • + Baptiste P., Naulleau F., 1997, L'eau, l'industrie, les nuisances n° 204, Traitement des boues de petites collectivités par le procédé Rhizophyte, p. 55-60.
  • + Behrendt S., Hanf M., 1979, Les graminées adventices des grandes cultures, La Maison Rustique, 418 p.
  • + Haslam S., 1960, The vegetation of the breck Fen Margin, Ph. D. Thesis, University of Cambridge.
  • + Haslam S., 1969, The development and emergence of buds in Phragmites communis Trin., Annals of Botany, 33, p. 289-301.
  • * Haslam S., 1970, The performance of Phragmites communis Trin. in relation to water supply, Annals of Botany, n° 34, p. 861-871.
  • * Lienard A., 1999, Déshydratation des boues par lits de séchage plantés de roseaux, TSM n° 1, janvier 1999, 94ᵉ année, p. 17-24.
  • * Marks M., Lapin B., Randall J., 1994, Phragmites australis (P. communis): Threats, management and monitoring, Natural Areas Journal, volume 14 (4), p. 285-294.
  • * McKinlay R. G., Kasperek K., 1999, Observations of herbicide-polluted water by marsh plant systems, Water Resources, vol. 33, n° 2, p. 505-511.
  • + Mussy A., Souter M., 1991, Physique du sol, Presses Polytechniques et Universitaires, coll. Gérer l'Environnement, 335 p.
  • + Peuchot Wiart J., 1996, Séchage et incinération de boues urbaines et industrielles, Energie plus, supplément, n° 172, octobre 1996, p. 17-26.
  • * Rudescu L., Niculescu C., Chivu I. P., 1965, Monografia stufului din delta Dunării, Editura Academiei Republicii Socialiste România.
  • * Schricke V., Environnement — Participation Aménagement, 1987, Le roseau : Techniques de culture et de récolte, utilisation et valorisation économique, 3ᵉ partie, Bulletin de l'ONC n° 148, novembre 1987, p. 34-42.
[Publicité : Orelis]
Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements