Un essai en grandeur nature a été réalisé sur le territoire du Syndicat de Grez-en-Bouère qui regroupe trois communes (2 300 habitants) et dont l’eau potable est dénitratée sur Nitracycle. L’étude dont il est fait état ci-après s’est déroulée sur la station d’épuration de la commune de Grez-en-Bouère. Elle a été effectuée en collaboration avec la DDASS, le SATESE et la DDA de la Mayenne et grâce à l’aimable autorisation de la commune de Grez-en-Bouère.
Les processus de nitrification-dénitrification en station d’épuration par boues activées (aération prolongée)
Nitrification biologique
L’azote contenu dans les eaux usées se présente essentiellement sous forme organique (azote des acides aminés) ou ammoniacale (NH₄). La nitrification permet de transformer cet azote en nitrates au moyen d’une réaction assurée par des bactéries aérobies strictes, qui utilisent des substrats minéraux comme source d’énergie et du gaz carbonique comme source de carbone.
La nitrification se déroule en deux temps :
- nitritation par les bactéries du type Nitrosomonas,
- nitratation par les bactéries du type Nitrobacter,
suivant la formule : NO₂ + 1/2 O₂ → NO₃.
Dénitrification
La dénitrification est un processus respiratoire qui, en l’absence d’oxygène, permet aux bactéries d’obtenir l’énergie nécessaire à leur croissance en réduisant les nitrates (NO₃) en azote gazeux (N₂) par la réaction :
2 NO₃ + 2 H⁺ → N₂ (azote gazeux) + 5/2 O₂ + H₂O.
Le tableau 1 donne les différentes conditions pour la mise en place de ces deux réactions ; il montre notamment qu’elles sont antagonistes. Malgré cela, il est possible dans une station d’épuration classique (bassin d’aération avec turbines + clarificateur) convenablement conçue et fonctionnant en aération prolongée, de combiner les deux réactions biologiques. Pour cela, il faut syncoper le fonctionnement des aérateurs en maintenant des phases d’aération d’au moins 30 min et des plages minimales d’arrêt d’une heure.
Cette alternance permet de faire succéder les périodes favorables à l’activité des deux types de bactéries : une aération suffisamment longue permet aux bactéries nitrifiantes de transformer l’ammoniaque, une plage d’arrêt importante permet de revenir à une anoxie favorable aux bactéries dénitrifiantes pour dégrader les nitrates formés en azote gazeux.
La nitrification, qui est la réaction la plus fragile, disparaît facilement lorsque les conditions deviennent hostiles et met longtemps
[Photo : Evolution de la qualité de l’eau traitée en fonction du flux horaire de nitrate appliqué]
Tableau I
Comparaison des conditions de mise en place des processus de nitrification-dénitrification
Paramètres : Nitrification / Dénitrification
Nitrification |
Dénitrification |
Aérobie stricte |
Anoxie nécessaire |
Aération : 0,5 à 2 mg/l (supporte anoxie quelques heures) |
0,2 à 1 mg/l (optimum = 0 mg/l) |
Temps de séjour : Doit être important |
Peut être court |
Âge des boues (rendement optimal) : 10 j < (20 °C), 20 j < (10 °C) |
Faible < 8 j |
pH : Acidifie le milieu, 6 < pH < 9 |
Alcalinise le milieu, 6 < pH < 8 |
TAC : Chute du TAC 0,91° F/mg N nitrifié |
Augmentation du TAC 0,36° F/N dénitrifié |
Température possible-optimum : t > 10 °C, 28 °C à 36 °C |
t > 5 °C |
Charge massique : 0,15 kg DBO5/kg MES |
élevée |
REDOX (EHN) : 280 à 450 mV |
280 à 0 mV |
Matières organiques : inhibe |
nécessaires |
Avant de reprendre, la dénitrification, quant à elle, est très vivace, mais elle doit être parfaitement maîtrisée. Lorsque la dénitrification est incomplète dans le bassin d’aération, elle se poursuit dans le clarificateur. Les bulles d’azote formées entraînent des particules de boue qui vont dégrader la qualité de l’eau traitée en surverse du clarificateur.
En théorie, il est donc possible d’éliminer les nitrates des éluats issus de la régénération du Nitracycle en utilisant la dénitrification biologique.
Contenu des essais menés sur le site de Grez-en-Bouère
Le Nitracycle produit 530 m³/j en moyenne et 650 m³/j en pointe d’eau dénitratée à 30 mg NO3/l. Il est régénéré deux à trois fois par semaine. Chaque régénération entraîne la production de 6 m³ d’éluats dont la concentration habituelle est la suivante : Cl- : 12,7 g/l, Na+ : 14,8 g/l, NO3- : 7,8 g/l, SO4²- : 7,7 g/l.
La station d’épuration est du type boues activées en aération prolongée dimensionnée pour 1 000 eq.h (aération V = 170 m³, clarificateur S = 16 m²). Elle reçoit 31 % de sa charge nominale en DBO5.
La charge polluante correspond à 17 kg/j de DBO5, 40 m³/j d’effluent (temps sec) et 5,5 kg d’azote total.
L’étude qui s’est déroulée en 1989 sur une période de cinq mois a consisté à envoyer les éluats produits par le Nitracycle sur la station communale. Ils ont été transportés par citerne et injectés à débit régulier dans le poste de relevage de la station selon trois rythmes :
- rejet de deux régénérations par semaine, débit d’injection en NO3 : 560 g/h, durée 3 semaines ;
- rejet de trois régénérations par semaine, débit d’injection en NO3 : 830 g/h, durée 12 semaines ;
- rejet d’une régénération par jour, débit d’injection en NO3 : 2 000 g/h, durée 3 semaines.
Dans un premier temps, le fonctionnement de la station a été optimisé de manière à obtenir un rejet de la meilleure qualité possible au niveau de la pollution carbonée et azotée (NTK < 10 mg N/l, NGL < 15 mg N/l), en séquençant les plages d’aération et en réglant le taux de boues (3 à 4 g MES/l).
Les résultats de l’étude sont résumés sur les figures 1 et 2, qui font ressortir, en fonction du flux de nitrate appliqué, l’évolution de la qualité de l’eau traitée et celle du rendement de la dénitrification.
Les conditions de fonctionnement de la station sont détaillées ci-après, en fonction du nombre de régénérations intervenues.
Cas de deux à trois régénérations par semaine
À la suite des injections d’éluats, la qualité de l’eau traitée par la station d’épuration est restée inchangée au niveau du résiduel d’azote Kjeldahl et de la DBO5 ; la nitrification n’a pas été affectée par la salinité (figure 1).
Pendant la période d’injection à 830 g NO3/h la DCO moyenne résiduelle a oscillé entre 100 et 150 mg/l.
Cette dégradation peut s’expliquer :
- par des entraînements de microfloc dus à une dénitrification endémique dans le clarificateur ;
- par une défloculation de la boue activée due à la salinité élevée dans le bassin (2,5 g/l de sels totaux en pointe). Ce phénomène a été favorisé par la sécheresse qui a régné durant l’étude, et qui a diminué toutes les arrivées d’eaux parasites susceptibles de diluer l’apport salin.
Les rendements de dénitrification obtenus sont corrects : 82 % pour 580 g NO3/l et 70 % pour 830 g NO3/h (figure 2). Ils ne sont pas totaux malgré une optimisation des conditions de fonctionnement de la station d’épuration comportant :
- une diminution du temps d’aération de 7 h/j à 4,4 h/j ;
- le maintien du taux de boue entre 2 et 2,5 MVS/l.
Le rapport DBO5/N dénitrifiable pour une injection à 830 g NO3/h est faible (1,7) et l’insuffisance des matières organiques indispensables aux bactéries dénitrifiantes constitue probablement le facteur limitant de la dénitrification.
Après le premier choc salin, la faune épuratoire s’est remarquablement et rapidement adaptée. L’indice de boue a cependant eu tendance à se dégrader, passant de 200 ml/g en début d’étude, à 250 à 300 ml/g en fin d’étude.
Rejets de l’équivalent d’une régénération par jour
L’augmentation du flux de nitrate (2 000 g NO3/h) n’a pas entraîné de modifications sur la nitrification et l’élimination de la DBO5. Par contre, la qualité de l’eau traitée s’est encore dégradée au niveau des MES et de la DCO (figures 1 et 3). La dénitrification a également chuté, du fait de la carence en matières carbonées organiques (figure 2). La mise en place d’un brasseur à boue (2,5 kW) n’a pas entraîné d’amélioration.
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[Photo : Fig. 2 : Évolution du rendement de dénitrification (NOₓ) en fonction du flux de nitrate appliqué.]
Conclusion
Le rejet des éluats de régénération des résines utilisées en dénitratation par résine échangeuse d'ions (procédé Nitracycle) dans les stations d'épuration urbaines par boues activées est une solution séduisante. Elle permet en effet d’éliminer les nitrates dans un faible volume par dénitrification biologique.
Les essais menés à Grez-en-Bouère ont permis d’éliminer 70 à 82 % des nitrates des éluats, le facteur limitant pour l’obtention d’un rendement plus important étant la charge organique issue du réseau communal.
Il faut rappeler que le Nitracycle potabilise les eaux des trois communes du syndicat, alors que la station d'épuration ne correspond qu’à la seule commune de Grez-en-Bouère et qu’elle ne traite que 26 % de ses eaux usées.
[Photo : Fig. 3 : Évolution de la qualité de l’eau traitée en fonction du temps.]
L’apport salin n’a pas perturbé les rendements de nitrification et d’élimination de la DBO₅. On a par contre constaté une baisse de la qualité de l'eau traitée, au niveau des MES et de la DCO.
Dans un cas général, l’opportunité d’un rejet d'éluats de régénération au réseau d’assainissement dépendra de la conception, de la taille et du niveau de charge de la station d’épuration.
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