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Traitement d'effluents liquides ammoniaqués : Technologie de stripage à l'air couplé au lavage pour la revalorisation de l'azote

27 decembre 2013 Paru dans le N°367 à la page 100 ( mots)
Rédigé par : Paul LEGRAND

Le traitement des effluents liquides ammoniaqués représente un enjeu important dans la gestion des déchets liquides agricoles et industriels. Le stripage d'ammoniaque et la revalorisation de cet ammoniac sous forme de sels d'ammonium permet d'apporter une réponse à cet enjeu. Ces sels d'ammonium sont utilisables comme fertilisant agricole. Au travers de cas concrets, cet article présente la solution technique de stripage à l'air de l'ammoniaque et sa captation pour concentration en sels d'ammonium proposée par Europe Environnement. Les résultats présentés ont été obtenus suite à des essais pilotes semi-industriels et un retour d'expérience d'une installation de stripage en fonctionnement.

Depuis maintenant sept ans, Europe Environnement, fort de son expérience dans le traitement d’effluents gazeux industriels, a décidé de développer un système de stripage d’effluent ammoniaqué, afin de proposer une solution clé en main de gestion de ce type d’effluent. Avec l’essor de la méthanisation en France, la demande pour ce type de solution de traitement est grandissante. En effet, les effluents liquides de ce type de procédé sont caractérisés par une forte concentration en ammoniaque, mais aussi la présence d’une grande quantité de composés organiques et de matière en suspension. Ceci entraîne l’obligation pour ce type d’effluent d’effectuer un prétraitement avant l’envoi en station d’épuration (STEP).

Toutefois, le traitement d’effluent de méthanisation ne représente qu’une partie des effluents traitables par ce type de procédé. En effet, de multiples applications ont déjà vu le jour dans l’industrie, avec pour but de réutiliser directement l’effluent stripé comme eau de process ou industrielle après avoir été débarrassée de la majorité de l’ammoniaque qu’il contenait.

Cet article a pour but de présenter cette technologie à partir de cas concrets d’essais pilotes ou de retours d’expériences d’installations en fonctionnement, dans la filière méthanisation, mais également dans la filière industrielle.

Généralité sur l’azote

L’azote est un composé omniprésent dans l’environnement, que cela soit dans les eaux de surfaces, les eaux souterraines, dans le sol, ou tout simplement dans les protéines qui constituent les cellules de

l'ensemble des êtres vivants.

Cet élément essentiel à la vie peut cependant générer des problèmes environnementaux en cas de trop forte concentration dans le milieu. Ces problèmes se traduisent par exemple par une eutrophisation des milieux aquatiques (développement excessif d'algues comme la problématique des algues vertes en Bretagne, ou de la végétation aquatique qui entraîne un appauvrissement du milieu en oxygène, voire une disparition totale de celui-ci). D'où la nécessité de gérer et de traiter les effluents liquides contenant de l'azote en forte concentration afin de faciliter leur épuration en STEP.

L'azote contenu dans les effluents liquides agricoles (lisiers, effluents liquides de méthaniseur) est essentiellement constitué à l'origine d'azote organique ammonifiable ou réfractaire (sous forme soluble et particulaire).

L'azote organique est dit ammonifiable lorsqu'il peut être transformé par hydrolyse enzymatique en azote ammoniacal. L'azote réfractaire est également appelé azote dur.

Dans l'un des cas qui nous intéresse, c'est-à-dire les effluents issus de la méthanisation, l'azote dit ammonifiable a subi cette transformation en ammoniaque durant la phase de méthanisation proprement dite,

[Encart : Note Ammoniaque ou ammoniac ? Les deux orthographes existent pour la simple et bonne raison que l'ammoniaque désigne la forme solution c'est-à-dire NH4+, et l'ammoniac désigne la forme gazeuse c'est-à-dire NH3.]

et il ne restera donc plus que de l'ammoniaque et de l'azote réfractaire.

Dans le cas des effluents liquides industriels, dans la plupart des cas, l'azote est quasi uniquement sous forme d'ammoniaque, car ce composé rentre bien souvent

[Encart : Bon à savoir Dans les rapports d'analyse réalisés par des laboratoires externes, la concentration d'azote est souvent exprimée sous le terme azote KJELDAHL (KN), du nom du chimiste qui a mis au point ce dosage et représente la somme de l'azote organique et de l'azote ammoniacale. On trouve également, dans le cas du dosage de l'azote ammoniacal, deux unités possibles. N-NH4 ne prend en compte que la concentration en azote de l'ammoniaque, alors que NH4+ exprime la concentration en ammoniaque dans le liquide. Pour convertir, il suffit de multiplier la concentration N-NH4 par 1,3 et vous obtiendrez la concentration réelle en ammoniaque.]

dans la recette du process amont comme réactif.

Dans un contexte où les stations d'épuration urbaines et industrielles sont fréquemment sous-dimensionnées en raison de l'accroissement d'activité génératrice d'effluent chargé en NH4+ par rapport au dimensionnement d'origine, des solutions alternatives au traitement de la part ammoniacale des effluents liquides doivent pouvoir être proposées, surtout quand cela représente de fortes concentrations.

Stripage de l'ammoniaque : Concept et principe

Le stripage, terme francisé à partir de l'anglais « stripping », caractérise le phénomène de modification de l'équilibre entre la phase gazeuse et la phase liquide d'un composé en solution. Ce phénomène peut avoir lieu par exemple lors de l'agitation d'une solution, ce qui d'un point de vue physico-chimique entraînera l'augmentation de la surface de contact entre l'air et le liquide, et ainsi augmentera la proportion du dit composé dans la phase gaz. Ce phénomène sera limité, en termes de potentiel d'extraction (ou de stripage) aux propriétés physico-chimiques de l'ammoniaque en solution (NH4+).

La proportion d'ammoniaque en solution potentiellement extractible en ammoniac gazeux (NH3) dépendra des conditions du milieu (pH, température, sels présents en solution).

Ceci est dû directement aux propriétés physico-chimiques de ce composé.

Les technologies de stripage

Différentes technologies de stripage de l'ammoniaque existent sur le marché. Quatre techniques sont utilisables à l'échelle industrielle :

Le bullage :

cette technologie consiste, dans une cuve tampon de l'effluent à striper, à injecter de l'air propre via un système de diffuseur au fond de cette cuve. L'air en remontant au travers du liquide se chargera en NH3.

Avantage :

Permet de travailler avec une quantité de matière en suspension (MES) très élevée. Peu sujet au colmatage s'il n'y a pas d'interruption du flux d'air (en cas d'arrêt, retour possible de l'effluent dans le dispositif de diffusion de l'air).

Inconvénients :

Nécessite une taille d'équipement importante pour traiter des volumes importants en continu. Nécessite un suppresseur afin de vaincre la perte de charge correspondant à la hauteur de liquide dans la cuve tampon. Rendement limité par rapport aux autres technologies. Limitation de rendement liée à cette problématique de rapport coût de l'air surpressé/abattement à atteindre.

La perméation :

cette technologie, encore très peu utilisée, consiste à utiliser une membrane de perméation, c'est-à-dire une membrane en matériau composite qui permettra le passage par diffusion de l'ammoniaque uniquement. Sur le marché industriel, elle constitue encore une technologie à développer, c'est pour cela qu'il est difficile de lister réellement les avantages et inconvénients sans recul suffisant.

La vapeur :

cette technologie consiste à injecter de la vapeur à contre-courant du flux d'effluent à striper. Sous l'action de la température très élevée (de l'ordre de 120 à 130 °C), l'ammoniaque sera transféré dans la phase gazeuse. Cette technologie peut s'avérer intéressante lorsque la vapeur constitue un déchet sur le site industriel.

Avantages :

Fort rendement.

Encombrement le plus faible (attention, ne prend pas en compte la nécessité de mettre en œuvre une unité de production de vapeur).

Inconvénient :

Coût d'investissement et de fonctionnement important (nécessite de la production de vapeur en quantité importante).

L'air :

cette technologie consiste à faire circuler à contre-courant de l'effluent à striper de l'air exempt d'ammoniac. L'effluent liquide est distribué, soit sur un système de plateau (colonne à plateau), soit sur des corps d'échange (colonne garnie).

Avantages :

Constitue une des technologies les plus économiques en termes d'investissement et d'exploitation (air de stripage à pression atmosphérique, pas de suppresseur nécessaire). Possibilité d'atteindre de forts rendements

[Photo : Schéma de la colonne de stripage d’ammoniaque.]

Pour des applications particulières, l’acide phosphorique peut également être mis en œuvre. Ce choix n’interviendra pas dans le rendement du process, et sera essentiellement lié au coût d’exploitation avec tel ou tel acide, qui pourra changer en fonction des différents sites industriels et de leur capacité à s’approvisionner et à stocker le réactif. Ce lavage, tout en permettant de capter l’ammoniac et ainsi d’épurer le flux gazeux ayant servi au stripage, permet de concentrer l’azote sous la forme de sels d’ammonium de façon stable.

d’extraction (en fonction de la nature de l’effluent à traiter).

Inconvénient :

Nécessite l’utilisation de réactif afin de réguler le pH (soude ou chaux).

La solution retenue par Europe Environnement est le stripage à l’air à partir d’une colonne à corps d’échange. La figure 1 présente le schéma de principe de la technologie utilisée. L’effluent liquide est réparti uniformément à la surface des corps d’échanges de la colonne. De l’air exempt d’ammoniac est injecté à contresens du flux d’effluent et va se charger en ammoniac.

Les paramètres du milieu sont modifiés afin de déplacer l’équilibre X % de NH₄⁺ en solution et X % de NH₃ gazeux vers un équilibre le plus proche possible de la condition 100 % NH₃ gazeux avant l’étape de stripage proprement dite. Pour ce faire, le pH et la température sont régulés afin d’obtenir ces conditions de traitement optimales. Cependant, cette étape ne constitue qu’une faible partie de la technologie robuste permettant d’obtenir de forts rendements de stripage.

Afin de se placer entre la technologie « colonne garnie » permettant d’obtenir une surface de contact importante, mais cependant très sensible au colmatage, et la technologie colonne à plateau, peu sensible au colmatage mais ayant un rendement moindre, le choix, le développement et la mise en œuvre de chacun des éléments de l’installation d’Europe Environnement ont nécessité plusieurs années d’essais, modifications et adaptations.

L’ammoniac ainsi extrait de la phase liquide est traité par lavage à l’acide. La figure 2 présente le schéma de principe de l’étape de lavage. En sortie de stripeur à l’air, l’effluent gazeux chargé en ammoniac est dirigé vers une tour d’absorption pour un lavage avec une solution diluée d’acide.

Le lavage pourra être réalisé à partir d’une solution diluée d’acide sulfurique ou nitrique. Pour des applications particulières, l’acide phosphorique peut également être mis en œuvre dans la solution de lavage.

Le flux gazeux ainsi débarrassé de l’ammoniac extrait sera réinjecté dans le stripeur. La mise en place de ce recyclage de l’air permettra entre autres de limiter la déperdition de calories, et ainsi s’affranchir d’un préchauffage de l’air de stripage. Ceci toujours dans l’objectif de maintenir des conditions opératoires stables et ainsi permettre d’obtenir le rendement maximum de l’installation.

Il est important de noter que la technologie de stripage ne permet d’extraire que l’azote inorganique (sous forme NH₄⁺). L’azote organique ammonifiable et réfractaire ne sera pas extrait.

Cette solution de lavage étant composée essentiellement de l’acide dilué et de sels d’ammonium, la pureté de ce produit dépendra de la qualité de l’acide utilisé. Cette solution de lavage pourra être revalorisée sous forme de fertilisant agricole, car la phase de concentration permet de répondre à la norme NFU 42-001.

Dans certains cas, la revalorisation peut être réalisée à partir de cette solution, sans du processus.

En effet, il faut ensuite permettre à l’installation de stripage de fonctionner en continu (le fonctionnement par batch n’est envisageable qu’avec de très petites quantités d’effluent liquide à striper, et nécessitera un suivi important en termes d’opérateur afin de garantir les conditions optimales). Ces installations doivent pouvoir traiter des flux relativement importants entre 6 et 70 m³/h (débit fréquemment requis dans les divers cahiers des charges), et ce 24 h/24 et 7 j/7 (seuls quelques jours dans l’année sont disponibles pour les diverses étapes de maintenance). Il est donc essentiel de disposer d’une technologie robuste.

[Photo : Schéma de la colonne de lavage à l’acide.]
[Photo : Pilote semi-industriel de stripage.]

Autre étape avant son utilisation. Cette solution peut également subir une étape de cristallisation qui permettra d’obtenir un produit pouvant entrer dans la composition de solutions fertilisantes plus complexes.

L'utilisation de ce type de solution, au lieu d'un épandage direct du liquide à striper, permet d'une part de mieux maîtriser l’apport d’azote (proportion en azote constante de la solution valorisée) et, d’autre part, de s'affranchir des divers polluants contenus dans l’effluent à striper.

En effet, un certain nombre de procédés à l'origine de la production de ces effluents liquides ont tendance à concentrer certains éléments toxiques.

L'utilisation de ces effluents bruts sans traitement préalable pourrait donc avoir un effet négatif. Il est à noter que la charge en azote de ces effluents bruts varie très fréquemment, ce qui pourrait s’avérer problématique en termes de gestion des quantités apportées aux différentes cultures agricoles.

Étude de cas

Le traitement des effluents liquides par stripage nécessite une connaissance précise de la composition et des essais en situation réelle afin de pouvoir définir au mieux les paramètres opératoires à appliquer à une installation à l’échelle 1. En effet, l'azote sous forme d’ammoniaque dans les effluents urbains, agricoles et industriels est très fréquemment présent. Cependant, ces différents effluents étant quant à eux quasiment uniques en termes de composition (présence et proportion des sels dissous), le potentiel de stripage de ces solutions sera donc directement impacté par cela. En effet, les interactions entre ces sels dissous dans l’effluent liquide et l'ammoniaque à striper peuvent limiter l’extraction de ce composé.

Suite à de nombreux essais en laboratoire et des retours d’expériences obtenus à partir d’installations de stripage en fonctionnement, la stratégie d’Europe Environnement a été de proposer aux différents porteurs de projets de mise en place d'unités de stripage une prestation forfaitaire de réalisation d’essais.

Ces essais ont été réalisés à partir de l’effluent réel afin de définir au mieux les paramètres opératoires à mettre en œuvre, ainsi que le dimensionnement final de l’installation.

Par exemple, pour des conditions opératoires et un protocole similaire (température, pH de la solution à striper, débit gazeux et liquide), lors d’essais sur le dispositif pilote d'Europe Environnement (Figure 3) correspondant à un pilote à l’échelle 1/66 (dans ces deux cas précis), le comportement du système diffère grandement en termes de rendement.

Premier cas : effluent industriel issu d'un process spécifique

Faible diversité de sels dissous (principalement du fer sous forme Fe²⁺), mais cependant en forte concentration.

Concentration de NH₄⁺ : 7 g·L⁻¹.

Peu de MES avec une faible granulométrie.

Rendement maximum obtenu, dans la limite de température de la capacité du système : 99,9 % avec un rejet liquide contenant 7 mg·L⁻¹ de NH₄⁺.

[Photo : Installation de stripage d’effluent liquide de process.]
[Photo : Histogramme des rendements de stripage de l’unité au cours du temps.]

Deuxième cas : effluent agricole (digestats de méthaniseur)

Forte diversité de sels présents dans le liquide (plus d'une dizaine), en forte concentration (sulfates, potassium…).

Concentration de NH₄⁺ : 8,5 g·L⁻¹.

Forte concentration de MES, granulométrie importante (taille de l’ordre du millimètre).

Rendement maximum obtenu dans la limite de température de la capacité du système : 90 % avec un rejet liquide contenant 849 mg·L⁻¹ de NH₄⁺.

Ces deux cas expérimentaux montrent qu'il est nécessaire de passer par une phase d’essais lorsque le besoin de rendement est très important. Ce besoin est directement lié aux normes de rejets demandées par les autorités locales.

Troisième cas : installation de stripage échelle 1

Cette installation (figure 4) a été dimensionnée suite à des essais pilote de même nature que ceux présentés précédemment, et fonctionne depuis maintenant deux ans environ. L'effluent à striper est un liquide process contenant de l’ammoniaque à une concentration maximale d'environ 3,5 g·L⁻¹, et de 1,3 g·L⁻¹ en moyenne. La concentration de rejet est comprise entre 33,7 et 64 mg·L⁻¹ de NH₄⁺.

Le graphe suivant (figure 5) présente le rendement au cours du temps de cette installation, suite à un suivi sur quatre mois. Il est à noter que chaque point mensuel correspond à une moyenne de deux à quatre mesures.

Ce retour d’expérience permet de mettre en évidence un rendement stable de l'unité de traitement, et donc la fiabilité de l’installation.

Conclusion

En conclusion, comme cela a pu être abordé dans cet article, bien que le stripage et la solution de traitement proposée par Europe Environnement consistent à extraire de l’ammoniaque d'un liquide pour le piéger dans une solution acide avec pour objectif une revalorisation, la diversité de l’origine et de la composition de ces effluents nécessitent donc une approche sur mesure de chacun des cas. Chaque effluent à traiter est unique, car cette solution s’adresse au traitement d’effluent liquide en provenance de process maîtrisé (méthanisation, process industriel) et unique d’un site à l’autre.

De manière générale, dans le cas d’effluent agricole (effluent de méthaniseur, lisier) la richesse en matière organique limite le rendement d’élimination à environ 90 %.

Dans le cas d’effluent process ammoniaqué, le rendement peut être beaucoup plus important avec des valeurs allant entre 96 % et 99 %.

En dehors de cet aspect process de stripage, de manière à ce que la solution soit en adéquation avec la demande (process automatisé, faible fréquence de maintenance, robustesse et souplesse d’utilisation – débit très fréquemment variable), il est très important d’associer à ce process l’ensemble des contraintes mécaniques liées à la nature même de chacun des effluents (présence de MES, problématique d’entartrage accéléré…).

La mise en place d’essais préalable à une installation de stripage à l’échelle 1 peut donc s'avérer déterminante dans la conception d’une installation de traitement fiable et performante.

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