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Traitement biologique des sols pollués par les hydrocarbures: cas d'un traitement par compostage d'une argile contaminée par du pétrole brut

30 mars 1999 Paru dans le N°220 à la page 50 ( mots)
Rédigé par : Claude-henri CHAîNEAU, Jean-françois VIDALIE, Jean DUCREUX et 2 autres personnes

Le traitement biologique des terres contaminées par les hydrocarbures consiste à stimuler les micro-organismes naturellement présents dans le sol pour qu'ils les assimilent et les transforment en molécules secondaires (CO2, H2O, métabolites). Sur le terrain, les terres polluées sont mises en tas, aérées, fertilisées et arrosées régulièrement. Une expérience de traitement par voie biologique d'une argile contaminée par du pétrole a été réalisée par TOTAL de 1996 à 1998. Les dosages des hydrocarbures dans les sols et les eaux ont permis de modéliser le phénomène de biodégradation. Un suivi de l'écotoxicité des terres grâce à des tests normalisés a déterminé en partie l'impact des résidus de la biodégradation sur la faune et la flore.

Les activités d’exploration, la production (photo 1) et le raffinage du pétrole peuvent générer des déchets dont certains comme les sols pollués contiennent des hydrocarbures (HC) (1, 2). Ces terres polluées à la suite de fuites ou de déversements accidentels sont généralement traitées par des processus physico-chimiques, thermiques ou biologiques. Dans le cas d'un déversement accidentel de pétrole sur un sol à la suite par exemple d’une rupture de pipe-line, les horizons superficiels du sol très fortement contaminés peuvent généralement être épurés par des procédés thermiques. Par contre, les niveaux de sol inférieurs moins pollués peuvent être décontaminés par des traitements plus souples du type biologique (2, 3).

Le devenir des terres dépolluées et plus particulièrement l’évaluation des risques sanitaires après leur réhabilitation fait l'objet du travail national du groupe “Sites et Sols pollués” au Ministère chargé de l’Environnement (1). Dans le cas de la réhabilitation par des traitements biologiques des terrains contaminés par des hydrocarbures, l’évaluation des risques que représentent ces terres décontaminées passe en premier lieu par la parfaite connaissance des processus biologiques qui régissent le phénomène de biodégradation. Actuellement, il ne suffit plus de caractériser des terres décontaminées par des mesures de concentration en polluants. Il est aussi nécessaire d’estimer l'impact des résidus “ultimes” issus de l’activité microbienne sur l'environnement, en utilisant par exemple des tests d’écotoxicité (2, 3). C’est dans cette optique que l’entreprise Total associée à Coparex a confié au groupement TVD, Muséum National d'Histoire Naturelle et Institut français du Pétrole, la mise en œuvre d'une expérimentation pilote de biotraite-

[Photo : Puits de production de pétrole]

ment de terres contaminées par du pétrole brut.

Conditions expérimentales

Sol

Le sol utilisé provenait d'un horizon B d'une sous-couche d'une plate-forme de forage de la Marne. Ce sol contenait plus de 75 % de particules d'un diamètre inférieur à 20 µm ; il s'agissait d’une argile limoneuse. Celle-ci a été contaminée en conditions contrôlées avec du pétrole brut provenant du gisement pétrolier de Villeperdue (51). La terre contaminée contenait environ 15 mg HC/g de sol.

Biotraitement

La décontamination de ces sols a été réalisée par voie biologique. Deux techniques de compostage (andain et bioterre) ont été testées pendant une durée de 18 mois. Elles consistent à excaver les terres imprégnées d'hydrocarbures, les disposer en tas puis à favoriser la biodégradation des hydrocarbures suivant les principes du compostage : c'est-à-dire à assurer une bonne oxygénation au sein des terres, à y maintenir des conditions d’humidité et de température optimales et à fournir les éléments indispensables à la croissance des micro-organismes naturels du sol. Dans ces conditions, les micro-organismes utilisent alors les hydrocarbures comme source de carbone et d'énergie. Pour cela, différents andains de terre et un bioterre ont permis de tester le mode de traitement optimal des terres argileuses contenant plus de 1,5 % d’hydrocarbures.

Le bioterre, d'une hauteur de 2,5 m, disposait d’un système de ventilation statique. Un surpresseur relié à une série de drains percés diffusait au centre du bioterre un courant d'air apportant ainsi, aux micro-organismes, l’oxygène nécessaire à la biodégradation. Une bâche recouvrant le bioterre l'isolait des précipitations.

Sept andains différents, d'une hauteur moyenne de 1 m, ont été constitués à partir de l'argile polluée. Chacune des modalités testées a permis d’étudier un facteur influençant l’activité microbienne. L’aération de ces andains a été réalisée régulièrement en retournant et en hersant le sol.

Des lysimètres ont aussi été installés sur le site. Ils ont permis de récupérer et d’analyser les eaux de drainage.

Suivi de l’expérimentation

L’étude de l’évolution des hydrocarbures dans le sol et les eaux a été réalisée au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris par TVD et à l'Institut Français du Pétrole. De plus, l’influence des hydrocarbures et des résidus de la biodégradation sur l’activité microbienne, la faune et la flore a été évaluée à l'aide de tests normalisés. L’ensemble des tests a permis d’établir de façon scientifique le bilan du devenir des hydrocarbures dans le cas d'un biotraitement.

Comité de pilotage et contrôle administratif

Un comité de pilotage, formé des administrations DRIRE, DDASS, DDAF, DDE, Chambre d’Agriculture ainsi que les entreprises Total, TVD, Coparex et des laboratoires scientifiques du Muséum National d'Histoire Naturelle et de l'Institut Français du Pétrole a suivi l'ensemble de l'étude afin de garantir la validité des résultats. Un cahier des charges définissant les modalités de réalisation et de contrôle de l'expérimentation ainsi que les normes de rejets d’hydrocarbures dans l'environnement (eaux de drainage, air) a été fixé par arrêté préfectoral sous la rubrique 167C (installation de

[Photo : Analyses des hydrocarbures dans le sol des andains et du bioterre par infrarouge pendant l'expérimentation]
[Photo : Analyses chromatographiques des hydrocarbures au cours de la biodégradation : Cl : alcane linéaire, pristane, phytane, 1650, farnesane, 1380, 1280, 1210 : alcanes ramifiés (isoprénoïdes)]

Tableau 1 : Variation de l’inhibition de la germination de semences sur la terre en cours de biotraitement

Temps (mois) Hordeum vulgare Triticum aestivum Pisum sativum Zea mays Lactuca sativa
0 100 100 100 100 100
3 60 66 100 80 100
6 20 20 12 30 87
9 10 4 2 25 10
16 0 0 0 0 0

Traitement de déchets industriels) après examen du dossier au Conseil Départemental d'Hygiène.

Résultats

Évolution des hydrocarbures dans les andains et le bioterre

Sol : Pendant les deux années d’expérimentation, les hydrocarbures des terres ont été en partie biodégradés par les micro-organismes du sol. L’expérimentation a démarré en octobre 1996. 50 % de disparition des hydrocarbures a eu lieu pendant les trois premiers mois. Une année après le biotraitement, plus de 80 % des hydrocarbures ont été éliminés dans les andains et le bioterre (figure 1). Les études microbiologiques du sol ont montré l'existence d’une microflore constituée de bactéries et de moisissures capable d’assimiler les HC tout au long de l’année. Le traitement biologique a provoqué une multiplication rapide et intense de ces micro-organismes qui ont alors assimilé ces molécules organiques (2, 3). Au bout d’une année d'expérimentation, les concentrations de ces micro-organismes dans le sol « témoin » (sans hydrocarbure) et celles qui ont été traitées ne sont plus différentes, indiquant donc que le phénomène de biodégradation est quasiment terminé (3). Les analyses chromatographiques des hydrocarbures ont clairement mis en évidence le phénomène de dégradation microbienne. Les alcanes linéaires sont rapidement biodégradés, les alcanes ramifiés le sont plus lentement, par contre les molécules cycliques (naphtènes, polyaromatiques et résines) le sont beaucoup moins (figure 2). L’ordre de biodégradation des composés du pétrole est donc : alcanes linéaires > alcanes ramifiés > alcanes cycliques, polyaromatiques et résines (5, 6). Au bout d'une année, il ne reste qu’environ 15 % des hydrocarbures initiaux présents dans la terre. Ces HC sont composés de molécules polycycliques saturées et aromatiques ramifiées. Adsorbés sur la matrice organo-minérale du sol, ils font alors partie intégrante de la matière organique naturelle du sol (7).

Eaux de drainage

Eaux de drainage : Les hydrocarbures et le carbone organique total ont été dosés régulièrement dans les eaux issues des andains. Les analyses des eaux de rejet de l'installation n’ont pas mis en évidence d’hydrocarbures. Celles des eaux de drainage des lysimètres ont mis en évidence que très peu d'hydrocarbures et de métabolites issus de la biodégradation ont été lessivés pendant les deux années d’expérimentation (2). Lors des pics de drainage, une concentration maximale de 4,5 mg/l (indice CH₄) a été mesurée. Les analyses chromatographiques ont clairement démontré que les molécules éluées étaient essentiellement des produits chimiques obtenus par les micro-organismes du sol.

Tableau 2 : Inhibition de la croissance (biomasse sèche) de 4 plantes modèles sur la terre en fin de biotraitement

[Photo : Détail de la flore recolonisant le sol dépollué]

de la biodégradation. Ce phénomène d'élution n’a été effectif que lorsque l’activité de biodégradation a été maximale. Au bout d'un an, plus aucune différence n’est observable entre les eaux des andains “avec hydrocarbures” et le témoin “sans hydrocarbure”.

Eaux de lixiviation : Des tests de lixiviation ont été réalisés tout au long du biotraitement. Des mesures de concentration en hydrocarbures et de carbone organique total dans les eaux lixiviates ont aussi été réalisées.

Au démarrage de l’expérimentation, près de 2,7 % des hydrocarbures du sol sont lixiviables. Au bout d'un an, 0,3 % du résidu est lixiviable (figure 3). Par contre, les analyses chromatographiques prouvent l’absence des hydrocarbures. Le sol en fin de biotraitement est alors considéré comme inerte du point de vue de la lixiviation.

Évolution de la toxicité des terres

Les tests écotoxicologiques ont été réalisés à partir des protocoles AFNOR X31 201, X31 202 et 250 : inhibition de la germination et de la croissance des végétaux et mortalité des vers. Des tests Microtox® et un test d’inhibition de la photosynthèse ont été aussi effectués.

Dans le cas de la mortalité des vers, une rapide diminution de la toxicité est observable durant les 11 mois d’expérimentation (figure 4). À partir du onzième mois, plus aucune toxicité n'est observable.

L’étude des variations de la phytotoxicité (inhibition de la germination) met en évidence une diminution de la toxicité durant les 11 mois d’expérimentation (tableau 2). À partir du onzième mois, plus aucune toxicité n'est observable sauf pour la laitue où 10 % d’inhibition subsiste (tableau 1) (4). Dans le cas de la phytotoxicité (croissance des plantes), les tests réalisés au laboratoire et sur le terrain montrent que le caractère toxique des sols a disparu après 11 mois de traitement. Les végétaux ont recolonisé les andains de terre dès que les opérations mécaniques de retournement ont cessé (photos 2-3).

Un test d’inhibition de la photosynthèse a été réalisé à partir des lixiviats du sol témoin et de celui d'un andain. Une diminution de la toxicité est observable après les 11 mois d'expérimentation. La diminution de la toxicité des lixiviats est clairement mise en évidence entre le début et la fin de l'expérimentation. En fin de dégradation, 20 % d’inhibition de la photosynthèse subsiste (tableau 3).

Les tests Microtox® réalisés par l'Institut Français du Pétrole ont montré une diminution de la toxicité durant les 11 mois d’expérimentation. En fin d’expérimentation, plus aucune différence n'est observable entre le témoin et les terres décontaminées.

Conclusions et Perspectives

Cette expérimentation a montré que le traitement biologique de terres contaminées à plus de 1,5 % par des hydrocarbures est possible même avec des terres argileuses. La terre peut alors être décontaminée efficacement par des techniques simples. En fin de traitement, dans le cas d'un pétrole brut, il

Indice CH2 - Lixiviation

Toxicité : mortalité des vers

100
500
hydrocarbures pétroliers présents
Sols pollués
40
% - Témoin
hydrocarbures pétroliers absents
30
100
10
0
Temps (mois)
Temps (mois)

Figure 3 : Analyses des hydrocarbures dans les eaux de lixiviation par infrarouge pendant l'expérimentation

Figure 4 : Variation de la toxicité des terres vis-à-vis des vers durant le biotraitement

Subsiste environ 15 % des molécules initiales présentes qui font alors partie de la matière organique du sol. De par leur composition

[Photo : Détail de la flore recolonisant le sol dépollué]

Chimique complexe, ces molécules ne sont pas biodégradables. Ces hydrocarbures résiduels ne sont pas lixiviables et ont une action réduite voire nulle sur la flore. Ces résidus “ultimes de la biodégradation” peuvent alors être considérés comme des résidus stables (6, 6, 7). À ce stade de l'expérimentation, les hydrocarbures résiduels du sol ne sont plus une source potentielle de pollution bien que leur concentration soit proche de 2500 mg/kg de matière sèche. Des développements de cette technique de traitement sur les sites pétroliers (extraction et raffinage) sont à l'étude pour traiter les sols mais aussi des déchets contaminés par des hydrocarbures. De plus, dans le cas de l'arrêt définitif d'une installation de traitement, il est prévu d'après les dispositions de l'arrêté préfectoral que l'exploitant remette le site dans un état tel qu'il ne s'y manifeste aucun des dangers ou inconvénients mentionnés à l'article 1er de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 modifiée.

Tableau 3 : Inhibition de la photosynthèse sur la terre en début et en fin de biotraitement

Compte tenu de l'ensemble des résultats des travaux scientifiques effectués et des rapports des experts, il a été décidé que dans le cas d'un dépôt contrôlé des terres sur le site, l'impact sur l'environnement serait quasiment nul. Aucune émission de polluants (gaz, hydrocarbures...) n’est en effet à craindre compte tenu du caractère inerte des terres. Les terres pouvant être de plus entièrement végétalisées. À plus long terme, les experts du comité de pilotage ont souligné la nécessité de garder la mémoire de ces terres dépolluées de par la présence des hydrocarbures résiduels. La remise sur site et/ou le dépôt en conditions contrôlées de ces terres semble être une solution pour éviter la banalisation de ces sols.

Références bibliographiques

(1) BRGM. (1998) Gestion des sites (potentiellement) pollués version 3. BRGM Éditions.

(2) Chaineau, C.H. (1995). Devenir et effets des hydrocarbures dans le cas de l'épandage extensif de déblais de forage et agrosystème. Thèse, INPL, ENSAIA.

(3) Chaineau, C.H., Morel, J. L. et Oudot, J. (1995). Microbial degradation in soil microcosms of fuel oil hydrocarbons from drilling cuttings. Environ Sci Technol. 29, 1615-1621.

(4) Chaineau, C.H., Morel, J. L. et Oudot, J. (1997). Phytotoxicity and plant uptake of fuel oil hydrocarbon in soil contaminated by oily wastes. Journ Environ Qual. 22, 1032-1037.

(5) Chaineau, C.H., Renat, J. C. et Vidalie, J. F. (1995). Traitement biologique des déblais de forage pétrolier : étude expérimentale de l'épandage extensif en agrosystème. L'Eau, L'Industrie, Les Nuisances. 187, 35-39.

(6) Oudot, J. (1987). Capacités dégradatives de bactéries et de champignons isolés d'un sol contaminé par un fuel. Can. J. Microbiol. 3 : 232-243.

(7) Ladousse, A., Tallee, C., Chaineau, C.H. et Vidalie, J.F. (1996). Landfarming of drill cuttings. Soc Petr Eng, SPE 35879, 31-34.

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