Le développement de l’élevage hors-sol, notamment celui des porcs, entraîne une augmentation importante du volume de déjections animales (lisier) à gérer. Traditionnellement, le lisier est utilisé comme fertilisant sur les terres agricoles. Cependant, dans certaines régions, la quantité de lisier est trop importante par rapport aux surfaces d’épandages disponibles et aux besoins des cultures : on parle alors de zones en excédent structurel (ZES). Cette situation a engendré, dans ces régions, diverses pollutions et nuisances telles que la pollution des eaux par les nitrates, la pollution atmosphérique diffuse par l’ammoniac et les mauvaises odeurs. L’une des solutions à ces problèmes pourrait être le traitement aérobie du lisier. En effet, ce traitement permet une réduction des odeurs et une stabilisation du lisier pendant le stockage, un abattement de la charge carbonée minimisant ainsi les risques de pollution des eaux de surface par ruissellement (eutrophisation) et une élimination partielle de l’azote du lisier par nitrification-dénitrification sous formes gazeuses (N₂, N₂O, NO, NH₃...). Cet article rappelle les principales voies de transformation de l’azote au cours du traitement aérobie ainsi que les résultats préliminaires obtenus au cours d’études en laboratoire.
Les procédés de nitrification et de dénitrification
Dans le lisier brut, l'azote est présent principalement sous deux formes : l'azote ammo-
[Photo : Le cycle de l'azote : la nitrification et la dénitrification]
Tableau 1 : Performances épuratoires globales de différents traitements aérobies(* pourcentage d’abattement)
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Lisier entrant |
Aérateur |
Aération |
Temps de séjour (j) |
DBO₅ |
DCO |
TKN |
NH₄⁺ |
Caulnes 1* |
Brut |
Fines bulles |
Séquentielle |
22 |
80 |
37 |
60 |
97 |
Caulnes 2* |
Brut |
Fines bulles |
Séquentielle |
19 |
91 |
49 |
73 |
99 |
Caulnes 3* |
Brut |
Turbine surface |
Séquentielle |
68 |
66 |
73 |
96 |
96 |
Laboratoire** |
Séparé |
Contrôle rédox |
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46 |
32 |
66 |
95,5 |
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* D’après Cortinas-Peinado & Carpentier, 1997
** Résultat de notre étude en laboratoire
...assure alors ses besoins énergétiques par une réduction successive des oxydes d’azote.
L’ammoniacal et l’azote organique (protéines, amines, amino-acides, etc.). Pendant le stockage et le traitement, une partie de l’azote organique est minéralisée en ammonium (NH₄⁺) (Béline et al., 1998).
L’élimination de l’azote est obtenue par une oxydation de l’ammonium (nitrification) en nitrates et nitrites, et par une réduction de ces formes oxydées (dénitrification) en azote moléculaire (N₂).
L’oxygénation du lisier permet le développement d’une flore bactérienne autotrophe assurant l’oxydation de l’ammonium en nitrates. Cette oxydation s’effectue en deux étapes (figure 1) qui sont assurées, respectivement, par les microorganismes du genre Nitrosomonas et Nitrobacter. La présence d’oxygène permet également le développement d’une flore hétérotrophe qui assure la dégradation de la matière organique. Lorsque le milieu devient pauvre en oxygène (milieu anoxique), cette flore hétérotrophe assure alors ses besoins énergétiques par une réduction successive des oxydes d’azote (figure 1).
La nitrification suivie d’une dénitrification est donc un moyen de transformer une grande partie de l’azote ammoniacal en azote moléculaire (N₂). Cette dénitrification peut être obtenue en alternant les séquences d’aération et d’anoxie. La nitrification et la dénitrification peuvent aussi être obtenues simultanément lorsque la concentration en oxygène dissous est assez faible (inférieure à 10 % de saturation) et plus particulièrement avec un potentiel rédox compris entre 0 et –200 mV Eh (Burton et al., 1993).
Les rendements épuratoires
Plusieurs études ont été menées par le Cemagref (Caulnes) afin d’étudier l’influence des différents paramètres de fonctionnement (séparation physique du lisier avant aération, type d’aérateur, temps d’aération, temps de séjour, etc.) sur l’efficacité du procédé. Le principal objectif était d’optimiser l’efficacité de l’élimination d’azote : on aboutit ainsi à éliminer 60 à 73 % de l’azote du lisier. L’élimination de l’azote ammoniacal est de l’ordre de 96 à 99 % (tableau 1). Cette filière s’avère donc être un moyen efficace pour la réduction de la charge azotée pour un coût d’investissement et de fonctionnement estimé à 30-50 francs par m³ de lisier traité. Cependant, des émissions de protoxyde d’azote (N₂O) de l’ordre de 4 à 13 % de l’azote total du lisier ont été observées sur différents pilotes de traitement (Burton et al., 1993 ; Willers et al., 1996), on parle alors de « fuite dans le tuyau » (figure 2).
[Photo : Une fuite dans le tuyau !]
Le devenir de l’azote
Le protoxyde d’azote est reconnu comme un gaz à effet de serre important (ayant une durée de vie dans l’atmosphère de plus de 150 ans) et qui, de plus, participe à la dégradation de la couche d’ozone. Il convient d’éviter ce transfert de pollution vers l’atmosphère par une meilleure connaissance et une maîtrise des mécanismes impliqués.
Afin de tenter de comprendre ces processus complexes, le Cemagref de Rennes a mis au point un pilote de laboratoire instrumenté destiné à tester différents scénarios de fonctionnement. La mise en place de ce pilote permet l’étude approfondie de l’influence des différents paramètres tels que le temps de séjour, le niveau d’aération sur la qualité de l’effluent traité ainsi que sur la qualité des gaz émis pendant le traitement. Ainsi, des conditions de nitrification-dénitrification (contrôle du potentiel rédox à 0 mV Ag/AgCl) ont permis une élimination de l’azote de l’ordre de 66 % (tableau 1). Consécutivement, on observe des émissions
[Photo : Figure 3 : Pourcentage des différentes formes de l’azote après aération du lisier ; étude en laboratoire (temps de séjour = 4,6 j, Oxygène dissous = 0,16 mgO₂/l, Potentiel rédox = 12 mV Ag/AgCl)]
[Photo : Figure 4 : Pourcentage des différentes formes de l’azote après aération du lisier ; étude en laboratoire (temps de séjour = 6,3 j, Oxygène dissous = 4,1 mgO₂/l, Potentiel rédox = 200 mV Ag/AgCl)]
de protoxyde d'azote importantes représentant 25 % de l’azote total du lisier de départ (figure 3).
Deux mécanismes peuvent expliquer ces émissions de N₂O. Le premier est l'inhibition de la nitrification par le manque d’oxygène et/ou l’accumulation possible de nitrites. En effet, dans ces conditions, les bactéries autotrophes sont capables de réduire les nitrites en N₂O afin de pallier le manque d’oxygène et l'accumulation toxique des nitrites. Le deuxième processus est l'inhibition partielle de la dénitrification par la présence d’oxygène dissous et/ou le manque de carbone assimilable. Dans ce cas, la dénitrification est incomplète et s’arrête à l’étape N₂O. Dans un environnement de nitrification et dénitrification simultanées (oxygène dissous faible), ces deux mécanismes sont donc susceptibles de produire du N₂O.
Lors de l’étape de nitrification, une accumulation de nitrite entraîne effectivement une production de N₂O importante et de l’ordre de 24 % de l'azote total du lisier de départ (figure 4). Il convient donc pour cette étape du traitement d’éviter l’accumulation de nitrites. Cependant, ces observations ne permettent pas encore de connaître les processus responsables des fuites de N₂O lors de conditions de nitrification-dénitrification (pas d’accumulation de nitrites).
L’objectif de nos recherches est donc, dans un premier temps, l'identification du ou des processus responsables de ces émissions de protoxyde d’azote, notamment dans le cas de conditions de nitrification et dénitrification afin de pouvoir, dans un deuxième temps, proposer et tester des conditions de traitement permettant d’éliminer l’azote tout en minimisant les transferts de pollution.
Remerciements
Nous tenons à remercier Mme D. Michel-Combe (Ministère de l’Agriculture et de la Pêche, DERF, bureau Agriculture Ressources Naturelles et Sols) et le Conseil Régional de Bretagne pour le soutien financier apporté à ce projet.
[Encart : Références bibliographiques
- Béline F., Martinez J., Marol C. et Guiraud G. (1998). Nitrogen transformations during anaerobically stored ¹⁵N-labelled pig slurry. Bioresource Technology, (sous presse).
- Burton C.H., Sneath R.W. et Farrent J.W. (1993). The effect of continuous aerobic treatment on the fate of the nitrogen component in piggery slurry. In : Nitrogen flow in pig production and environmental consequences. EAAP Publication N° 69, Pudoc Scientific Publishers, Wageningen, pp 404-409.
- Goriaux-Perais M.I. et Carpier H. (1997). Le traitement des lisiers par voie biologique. Suivi de cinq filières en Bretagne. Congrès GRUTTEE, 19-20 mars, Rennes.
- Willers R.C., Derikx P.J.L., Ten Have P.J.W. et Arts M.W. (1996). Emission of ammonia and nitrous oxide from aerobic treatment of veal calf slurry. Journal of Agricultural Engineering Research, 63, 345-352.]
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