L'évaluation de la toxicité des eaux usées et des polluants à l'aide de tests biologiques présente un inconvénient majeur, lié à la nécessité du maintien des organismes tests en vie, dans de bonnes conditions de culture et en nombre suffisant. Actuellement, il devient possible de réaliser des tests de toxicité en routine, simples et rentables, en utilisant des oeufs dormants ou kystes d'organismes aquatiques spécifiques comme matériel biologique de départ.
L’utilisation croissante de substances chimiques par les industries, l’agriculture et les différentes activités humaines polluent l'environnement et modifient le fonctionnement des chaînes trophodynamiques. Des dizaines de milliers de substances chimiques sont utilisées et des quantités de plus en plus importantes de déchets, solides et liquides sont déversées dans la nature, ce qui représente un impact non négligeable et parfois dangereux pour l'homme et son environnement. Pour éviter de telles perturbations, il s’avère nécessaire que tout polluant soit soumis à un contrôle de son écotoxicité et de ses potentialités cumulatives dans l’environnement. Les analyses physico-chimiques, clas-
Historiquement utilisées pour détecter les pollutions, restent insuffisantes pour déterminer l’impact réel de ces polluants sur les organismes vivants (Wall et Hanmer 1987). Ces analyses doivent être accompagnées de tests de toxicité tels que le test daphnie, algue ou poisson. Ces tests se basant essentiellement sur la détermination de la DL50 (dose létale de 50 % de la population), ou de la CL50 (concentration létale de 50 % de la population) contribuent à définir des méthodes permettant d’établir le profil écotoxicologique de substances toxiques.
Cependant l’un des inconvénients majeurs de ces tests de toxicité c’est qu’ils reposent systématiquement sur des cultures en continu des organismes tests (Hunt et al. 1992 ; Persoone, 1991). Ces derniers doivent être maintenus en vie, dans de bonnes conditions de culture et en nombre suffisant. Le matériel requis pour ces expériences doit être perfectionné, de ce fait, l’emploi de tests de toxicité pour une application de routine ne peut être réalisé que dans des laboratoires spécialisés en raison du coût élevé de ces opérations (Persoone et Van de Vel 1987).
Pour remédier à ce problème, une nouvelle méthode vient d’être élaborée, se basant sur l’utilisation de « stades dormants » ou kystes d’organismes aquatiques invertébrés comme matériel biologique de départ. Ces kystes ont l’aptitude de se conserver pendant longtemps, à sec sans perdre leur viabilité, et sont capables d’éclore en 24 heures dans un milieu approprié libérant des organismes qui sont utilisés directement dans les biotests. Des procédures de tests se basant sur ces kystes ont été standardisées pour des Crustacés et des Rotifères d’eau douce et marine (Snell et Persoone, 1989 a, b ; Centeno et al. 1993 ; 1994 ; Van Steer et Persoone, 1993). Ces tests sont actuellement miniaturisés en Toxkits (Persoone, 1991) contenant tout le matériel nécessaire à la réalisation de tests de toxicité simples, rapides, sensibles et à un coût très intéressant. L’objectif de ce travail est d’évaluer la potentialité et la sensibilité de 2 Toxkits d’eau douce appartenant respectivement à un Rotifère : Brachionus calyciflorus (figure 1), et à un Crustacé : Thamnocephalus platyurus (figure 2), dans l’estimation de la toxicité aiguë de rejets industriels de la ville de Fès.
Matériel et méthodes
1. Tests de toxicité
Le Rotoxkit avec Brachionus calyciflorus et le Thamnotoxkit avec Thamnocephalus platyurus sont utilisés dans le dépistage de la toxicité des rejets industriels. Chaque type de Toxkit (figure 3) comprend les éléments suivants :
- kystes de référence d’organismes spécifiques.
- Plaques de tests avec puits (figures 4 et 5).
- Solutions concentrées de sels pour la préparation de l’eau douce standard.
- Micropipettes pour la manipulation et le transfert des organismes tests.
- Bandes de Parafilm pour couvrir les boîtes lors de l’incubation et éviter ainsi l’évaporation.
- Un protocole expérimental complet et des feuilles de calcul pour le traitement des résultats.
Les procédures des manipulations peuvent être résumées comme suit :
- Préparation de l’eau douce standard.
- Éclosion des kystes.
- Préparation des dilutions du toxique (5 concentrations et un témoin).
- Transfert des organismes dans la plaque test contenant les dilutions du toxique (figures 6 et 7).
- Incubation de la plaque à 25 °C pendant 24 heures.
- Examen des résultats.
2. Échantillonnage
Dans ce travail, un rejet domestique et 3 types de rejets industriels (unité Textile, Brasserie et Huileries) ont été étudiés. Les prélèvements de ces différents rejets ont été réalisés durant le mois de décembre 1996 à un temps fixe ou à des temps variés de la journée :
- Rejet domestique (un échantillon à 9 heures du matin).
- Rejet de la Brasserie (un échantillon à 9 heures du matin).
- Rejet de l'usine Textile (échantillonnage répété pendant une journée, à 9 h, 12 h, 15 h et à 18 h).
- Rejet de l'Huilerie A (un échantillon à 9 h du matin).
- Rejet de l'Huilerie B (un échantillon à 9 h du matin).
- Rejet de l'Huilerie C (échantillonnage répété pendant une journée, à 9 h, 12 h, 15 h et à 18 h).
Remarque : Pour chaque prélèvement effectué, un test de toxicité est réalisé. Dans le cas des Huileries, ce sont les margines provenant de la trituration des olives qui ont été analysées.
3. Traitement des données
La létalité est prise comme critère d’intoxication. La détermination de la CL50 et des intervalles de confiance à 95 % sont déterminés par la méthode statistique des Probit.
4. Physico-chimie
- La température est déterminée avec un thermomètre digital duo thermal.
- Le pH mesuré avec un microcomputer pH vision 6071 modèle Jenco.
- Les matières en suspension (MES) mesurées par filtration avec des pesées différentielles.
- La DBO, estimée par la méthode des dilutions (norme Afnor T90-103).
- La DCO mesurée par la méthode par reflux (par le bichromate de potassium), norme Afnor T90-101.
- L’oxygène dissous estimé par la méthode de Winkler.
- La conductivité mesurée à l'aide d’un conductimètre YSI modèle 33 S-C-T meter.
- Les nitrates mesurés par la méthode de salicylate de sodium.
- Les ions ammonium mesurés par colorimétrie au bleu d'indophénol.
- Les nitrites réalisés par colorimétrie par le réactif de diazotation.
Résultats
Les résultats des tests de toxicité exprimés par les CL50 et leur intervalle de confiance à 95 % sont représentés dans le tableau I, alors que les analyses physico-chimiques des différents effluents figurent dans le tableau II.
Le tableau I montre que les différents rejets étudiés ont une action toxique sur les 2
Tableau I : Action des différents rejets sur Thamnocephalus platyurus et sur Brachionus calyciflorus
LC50 (en % de dilution d’effluent) et intervalles de confiance à 95 %
Prélèvement | Thamnocephalus platyurus | Brachionus calyciflorus |
---|---|---|
P1 | 64,27 | TF |
P2 | 31,82 (26,96 – 38,2) | TF |
P3 | 86 (70,85 – 124,86) | TF (13 % L) |
P4 | 3,54 | 71,39 (61,18 – 84,98) |
P5 | 7 (TF > 50 % L) | TF |
P6 | 0,21 (0,13 – 0,28) | 0,26 (0,20 – 0,31) |
P7 | 1,02 (0,89 – 1,17) | 1,83 (1,54 – 2,18) |
P8 | 0,49 (0,38 – 0,63) | 0,23 (0,10 – 0,35) |
P9 | 0,65 (0,54 – 0,76) | 0,80 (0,62 – 0,96) |
P10 | 0,81 (0,77 – 1,06) | 0,88 (0,76 – 1,02) |
P11 | 0,91 (0,77 – 1,06) | 0,89 (0,74 – 1,04) |
P12 | 0,83 (0,71 – 0,96) | 0,89 (0,74 – 1,04) |
TR : Toxicité réduite (inférieure à 50 % pour 100 % d’effluent).
L : Létalité totale.
P1 : Rejet domestique (prélèvement de 8 h).
P2 : Rejet de brasserie (prélèvement de 9 h).
P3 : Rejet de l’unité Textile (prélèvement de 9 h).
P4 : Rejet de l’unité Textile (prélèvement de 15 h).
P5 : Rejet de l’unité Textile (prélèvement de 18 h).
P6 : Rejet de la brasserie (prélèvement de 9 h).
P7 : Rejet de l’huilerie A (prélèvement de 8 h).
P8 : Rejet de l’huilerie B (prélèvement de 15 h).
P9 : Rejet de l’huilerie C (prélèvement de 9 h).
P10 : Rejet de l’huilerie C (prélèvement de 12 h).
P11 : Rejet de l’huilerie C (prélèvement de 15 h).
P12 : Rejet de l’huilerie C (prélèvement de 18 h).
Organismes. Cette action cependant est plus ou moins intense suivant l’espèce considérée. Pour les six premiers rejets, excepté celui de la brasserie (P2), la toxicité sur Thamnocephalus est plus importante que celle enregistrée sur Brachionus. La CL50 calculée pour le rejet domestique est de 64,27 % d’effluent pour le crustacé, alors que pour le rotifère une toxicité faible (inférieure à 50 % de mortalité pour 100 % d’effluent) a été enregistrée. Avec les autres rejets, même quand une toxicité faible (TF) est observée dans les deux cas, le pourcentage de mortalité noté avec Thamnocephalus est supérieur à celui observé avec Brachionus. Exemple : pour le prélèvement P4, on note 25 % de mortalité avec 100 % d’effluent pour Thamnocephalus, alors que cette valeur est de 13 % pour Brachionus.
Avec l’industrie Textile, où un échantillonnage répété est réalisé au cours de la journée, l’effluent le plus toxique paraît être celui de 15 heures où l’on enregistre une CL50 de 3,54 % d’effluent pour Thamnocephalus, alors que celle de Brachionus est de 71,39 % (61,18 – 84,98).
Dans ce cas également les deux organismes sont affectés, mais avec une intensité différente, témoignant de la différence de sensibilité de ces deux organismes face à un même rejet.
Dans le cas des huileries, les CL50 calculés varient de 0,21 à 1,02 % d’effluent pour Thamnocephalus, alors que pour Brachionus les valeurs oscillent entre 0,23 et 1,83 %. L’effet toxique observé avec ce type d’industrie sur les deux organismes tests est beaucoup plus important que celui observé avec les rejets précédents. L’huilerie A (P7) semble être la plus dangereuse avec une CL50 de 0,21 (0,13 – 0,28) % pour Thamnocephalus et de 0,26 (0,20 – 0,31) % pour Brachionus. L’échantillonnage répété dans le cas de l’huilerie C indique le prélèvement de 9 h (P9) comme étant le plus toxique pour les organismes. Avec ce type de rejets, la sensibilité importante du Thamnotoxkit se confirme, excepté pour le rejet de 9 h. Avec d’autres prélèvements (P11 et P12) les CL50 sont proches ; la sensibilité paraît être comparable entre les deux organismes.
L’analyse physico-chimique des différents effluents (tableau II) montre des résultats qui varient d’un rejet à l’autre. Des valeurs très importantes, comme la conductivité, la DBO5, la DCO et les formes azotées, sont enregistrées dans les rejets des huileries, ce qui expliquerait leur toxicité élevée.
Discussion
Le développement des nouveaux microbiotests (Toxkits) dans le dépistage de la toxicité des eaux usées et des polluants résout le problème majeur des tests de toxicité lié à l’entretien permanent des cultures des espèces tests. En effet, l’utilisation de kystes de référence d’espèces sensibles et représentatives du milieu comme matériel biologique permet, d’une part, une grande standardisation des tests de toxicité en éliminant les différences de sensibilité dues aux variations des conditions de culture entre labo-
Tableau II : Analyses physico-chimiques des effluents étudiés
Effluent | T° (°C) | pH | Cond (µS / cm) | MES g / l | DBO5 mg / l | DCO mg / l | O2 mg / l | Nitrates mg / l | Nitrites mg / l | Ammonium mg / l |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
P1 | 15 | 7,64 | 650 | 0,57 | 48,42 | 163,2 | 3,52 | 0,35 | ND | 8,05 |
P2 | 17,5 | 7,24 | 800 | 0,68 | 16,32 | 192 | 8,16 | 3,07 | ND | 6,18 |
P3 | 15 | 7,63 | 820 | 0,75 | 63,32 | 184 | 4,96 | 3,16 | 0,02 | 9,08 |
P4 | 16 | 7,20 | 2 070 | 0,75 | 0,86 | ND | 1,48 | ND | 0,63 | 5,64 |
P5 | ND | 8,7 | 700 | 0,5 | 0,98 | ND | 1,13 | 0,33 | 0,54 | |
P6 | 19 | 7,79 | 650 | 1,27 | 218 | 274,8 | ND | 0,87 | 0,74 | 0,86 |
P7 | 32 | 4,3 | 36 000 | ND | 33 024 | 234 240 | 0 | 13 367 | 4,04 | 18,40 |
P8 | 16 | 4,73 | 38 000 | ND | 3 200 | 217 500 | 0 | 3 907 | 13,58 | 37,72 |
P9 | 18 | 4,82 | 36 800 | 1,058 | 27 900 | 459 000 | 0 | 12 230 | 34,42 | 62,69 |
P10 | 18,5 | 4,83 | 15 000 | 0,813 | 2 600 | 39 600 | 0 | 1 293 | 44,02 | 19,70 |
P11 | 19 | 4,8 | 15 500 | 0,41 | 3 150 | 157 440 | 0 | 1 146 | 22,61 | 13,58 |
P12 | 32 | 4,77 | 14 800 | 1,246 | 3 600 | 148 960 | 0 | 1 009 | 25,17 | 14,45 |
ND : paramètre non déterminé
...ratoires ; permet d’éliminer d’autre part la différence de sensibilité existant entre les souches d’une même espèce. Par ailleurs, l'emploi des Toxkits reste un procédé simple, disponible, fiable et très rentable par rapport aux tests classiques.
Dans ce travail, l'utilisation du Thamnotoxkit et du Rotoxkit dans le dépistage de la toxicité de rejets domestiques et industriels nous montre la potentialité et la sensibilité de ces deux Toxkits dans l’évaluation de l'impact de ces rejets sur le milieu récepteur. Ils montrent également que, dans la majorité des cas, Thamnocephalus platyurus se révèle plus sensible que Brachionus calyciflorus. Des résultats similaires ont été observés par Centeno et al. (1994) en testant dix substances chimiques, parallèlement avec un autre crustacé : Streptocephalus proboscideus (Streptoxkit) et avec le test Daphnia classique. Il a été montré que les différentes espèces testées peuvent être rangées comme suit par ordre décroissant de sensibilité : Thamnocephalus platyurus > Streptocephalus proboscideus > Daphnia magna > Brachionus calyciflorus. En testant l'impact de rejets urbains et industriels d’Autriche avec ces mêmes espèces, Latif et al. (1995) ont pu noter que les Toxkits utilisés ont une sensibilité comparable à celle de Daphnia magna et que, dans 75 % des rejets toxiques, Thamnocephalus platyurus se montre plus sensible que Daphnia magna. Actuellement, pour une notion de pratique et de sensibilité, le Streptoxkit est remplacé par son équivalent le Thamnotoxkit (Centeno et al., in press).
Pour évaluer l'effet polluant des différents rejets sur l'environnement, une échelle de toxicité arbitraire a été établie ; cette échelle comprend cinq niveaux caractérisant chacun le degré de toxicité aiguë de l’échantillon analysé. L'effet polluant exprimé en unités de toxicité (UT) est donné par la formule :
UT = (1/CL50) × 100 UT = 0 : échantillon non toxique UT < 1 : échantillon faiblement toxique UT 1–10 : échantillon toxique UT 11–100 : échantillon très toxique UT > 100 : échantillon extrêmement toxique
Avec l’échantillonnage effectué dans ce travail, les tests réalisés pour l’espèce la plus sensible révèlent que le rejet domestique et celui de la brasserie sont toxiques, le rejet de l'unité textile très toxique, alors que les huileries affichent une toxicité extrême. Cette toxicité est en outre généralisée aux deux espèces testées. Le danger encouru par les organismes vivants aquatiques et, de là, par l'homme situé à l’extrémité de la chaîne alimentaire peut être important, d’où la nécessité de prendre des mesures urgentes de prévention afin d’éviter ou de réduire le risque engendré par ces rejets sur notre environnement vital.
Afin d’établir une relation de cause à effet, des analyses chimiques ont été réalisées parallèlement aux tests de toxicité. Dans le cas de l'usine textile, la toxicité importante enregistrée dans le prélèvement de 15 h (P4) semble coïncider avec les valeurs élevées de pH et d’azote ammoniacal. Les valeurs de la DBO5, très faibles calculées dans ce type d'industrie, paraissent anormales, étant donné que les rejets sont très pollués ; cela indiquerait forcément la présence de composés toxiques divers (métaux, détergents, etc.) qu’il serait intéressant de déterminer. Dans le cas des huileries où les valeurs de pH sont faibles et où l’oxygène dissous est pratiquement nul, beaucoup de paramètres affichent des valeurs très élevées, tels que la conductivité, la DBO5, la DCO, les matières en suspension et les formes azotées, surtout les nitrates, expliquant la toxicité intense et généralisée.
Nous retiendrons d’après ces observations, et compte tenu du nombre de paramètres physico-chimiques déterminés, que pour certains effluents une corrélation peut être établie entre l’effet toxique observé sur les organismes et la cause chimique de cette toxicité, alors que dans d'autres cas cette corrélation semble difficile à établir (Latif et al., 1995 ; Van der Wielen et al., 1993) et dépend probablement de la détermination d'autres paramètres.
Conclusion
L’utilisation des Toxkits dans le dépistage en routine de la toxicité des eaux usées et des différents produits chimiques qui polluent l’environnement paraît une excellente alternative. En effet, la méthodologie simple et rapide du test, son coût très rentable et sa fiabilité par rapport aux tests conventionnels en font un matériel de choix.
Cependant, les systèmes biologiques étant très diversifiés, il serait intéressant d’élargir les biotests à des organismes appartenant à d’autres niveaux trophiques, afin de rejoindre le concept fondamental de l’écotoxicologie : la toxicité est spécifique à l’espèce et spécifique à la nature chimique du polluant ; la détermination de tout impact de pollution doit se baser sur une batterie de biotests.