Carrosserie, haute couture et électrophorèse
Le carrossier revêt notre véhicule d’un habit de lumière.
L'automobile, synonyme de liberté, d'évasion, de vitesse, doit tout autant la quasi-fascination qu'elle exerce et l’expression d’individualisme qu'elle traduit au brio de sa mécanique qu’à la séduction de ses lignes, son aspect lisse et la profondeur de son éclat. Le carrossier, qui était dans les années d’avant-guerre l'égal d'un grand couturier qui habillait les belles cylindrées, est devenu aujourd'hui le styliste ou « designer », artiste mais économe (J.-J. Le Minez, PDG Corona, 1987).
On sait que la protection des carrosseries à l'aide de peinture déposée sur les pièces par électrophorèse (migration et fixation des granules de pigment sous l’effet d’un champ électrique) est désormais pratiquée par tous les constructeurs automobiles. Or, le dépôt de peinture par électrophorèse (figure 1) est une technique relativement coûteuse, et les pertes par entraînement lors du retrait des pièces, appelées « drag out », peuvent représenter jusqu’à 20 % de la consommation totale de la peinture. L’ultrafiltration offre une solution intéressante pour permettre la récupération et le réemploi du produit ainsi que la réutilisation du perméat comme eau de rinçage. Le principe ? L’ultrafiltration ou UF, qui fait partie des techniques membranaires (figure 2), est un procédé de séparation physique par lequel l'émulsion, sous pression hydrostatique, circule contre une membrane semi-perméable. Les grosses molécules en solution ou en suspension, telles que celles des pigments, des huiles et des émulsifiants, sont retenues et concentrées. Le résultat de l’opération est une séparation de l’émulsion en deux courants :
- — le filtrat ou perméat, dans lequel les matières contenues ne se trouvent plus qu’en quantités minimes dans le solvant ou l’eau, milieu de dispersion,
- — le produit concentré, dit rétentat ou concentrat, qui renferme les substances récupérées à une concentration de réemploi.
Pratiquement, la peinture est réinjectée dans le bain en la séparant de manière continue ou intermittente au moyen d’un système UF. On établit un circuit de recyclage en boucle autour de chaque unité UF. La boucle de recyclage fait passer la masse totale du liquide à travers la membrane, et effectue la régulation du débit de passage, une petite quantité de peinture neuve étant soustraite du bain, au profit d'une quantité égale réinjectée à partir du circuit de recyclage.
La première installation française de dépôt cataphorétique de peinture a démarré chez Talbot en 1978 avec le matériel d’ultrafiltration Rhône-Poulenc. Ensuite Peugeot s’équipa, et dans les deux années qui suivirent l’ensemble de la profession fit chorus en totalisant 5 000 m² de surface membranaire installée. L’objectif de Tech-Sep, leader européen en UF (créé par la fusion des activités « membranes » de Rhône-Poulenc et le rachat de la SFEC « membranes minérales ») est la satisfaction du client obtenue, non pas par la seule vente d’un matériel performant, mais aussi par un service d’assistance technique qui dépasse souvent la maîtrise UF et requiert la connaissance du procédé entier appliqué par ce client (B. Mirabel, Tech-Sep, Revue IT, 10/1989). Et l’avis de l’exploitant ? « Une opération banale et sans problème... » Telle est dans le secteur automobile la façon dont on considère l’ultrafiltration, utilisée au niveau des opérations de recyclage des peintures d’électrophorèse. Les utilisateurs sont d’autant plus satisfaits que les temps de retour d’investissement sont inférieurs à un an, que les membranes ont des durées de vie importantes, 8 000 à 34 000 h, et que le personnel d’exploitation est réduit.
À plus modeste échelle industrielle, la Sté Landis & Gyr de Montluçon revêt des bâtis de compteurs électriques d'une peinture métallisée, par application anaphorétique. Après dépôt de surface dans la cuve, le recyclage des eaux de rinçage par UF (coût d'investissement 1980 : 1 300 kF), travaillant au débit nominal de 150 l/h, a été préféré à la décharge ou à l'incinération des boues de peinture. L’installation UF offre d’importants avantages :
- — économie de peinture et d’eau déminéralisée de rinçage, car la phase aqueuse propre est recyclable,
- — réduction équivalente, voire annulation de la pollution (11 kg DCO/h) et des frais de traitement,
- — purge en continu des déchets ramenée à un volume limité de boues épaissies (Cahiers techniques n° 21 DPP, Ministère de l’Environnement, 1986)
Chaîne de peinture pour carrosserie utilisant une peinture cataphorétique
Bains d'attaque des métaux
La Sté Alusuisse France S.A. de Saint-Florentin pratique le satinage de l’aluminium, qui consiste en une attaque chimique superficielle des pièces d’alu par une solution de soude. L’opération de satinage se solde par une formation concomitante d’hydroxyde d’aluminium correspondant, bien sûr, à la fraction de métal attaqué et solubilisée par la soude (Alu attaqué : 100 t/an, aluminate libéré : 300 t/an). Un système d’ultrafiltration permet la séparation de l’effluent de satinage en soude concentrée recyclée sur le bain et en boues d’hydroxyde d’aluminium sodé, valorisables en cristallisateur (commercialisation d’hydrate d’alumine pur à 35 % d’humidité : 660 t/an).
Le procédé Diversey préconise des bains ne contenant que des additifs minéraux, à l’op—
…posé des bains actuels apportant des séquestrants organiques générateurs de DCO, ce qui favorise le recyclage et la valorisation de l’alumine résiduaire. La purge peut être traitée en mélange avec les eaux de rinçage de la chaîne d’oxydation anodique, dans les bassins classiques de neutralisation-floculation-décantation, à cause des contaminants Zn, Fe, Cu (investissement 1985 : 3 000 KF, temps de retour : trois ans).
Au cours de la production d’acier inoxydable, le film d’oxydes superficiels se trouve éliminé par un décapage chimique à l’aide d’une solution d’acide fluorhydrique et d’acide nitrique. Cette solution se charge de sels métalliques progressivement, qui sont en majorité des complexes fluorés de fer et de nickel, le bain de décapage devenant inopérant quand sa teneur en métaux est trop élevée. Une pratique courante consiste à neutraliser le bain usé à la chaux et à le filtrer, mais les résidus obtenus, boues et filtrats, très polluants, sont d’élimination difficile et coûteuse. Chez Ugine-Gueugnon S.A., l’ajout de chaux se borne à un prétraitement et à une élimination des fluorures, le concentrat obtenu étant incinéré (en attendant le remplacement de l’acide nitrique par un oxydant propre du type peroxyde d’hydrogène H₂O₂, ou eau oxygénée tout simplement). Mais le procédé par électrodialyse à membranes bipolaires, parfaitement adapté au recyclage des effluents fluonitriques, allie l’élégance à l’innovation. Ce procédé ED particulier, qui permet de régénérer les acides consommés par le décapage et de supprimer toute évacuation d’effluent résiduaire, est une technologie Aquatech créée par le groupe américain Allied-Signal Corporation dont la SRTI pour la France (filiale Sodeteg du groupe Thomson) assure le développement et la distribution.
Le procédé ED fait partie, avec le procédé UF, des techniques membranaires, mais il s’agit cette fois d’une séparation faisant intervenir un champ électrique et des couples de membranes artificielles à perméabilité sélective, les unes aux anions, les autres aux cations. En électrodialyseur, les sels d’un soluté peuvent être extraits d’un rejet et concentrés ; on recueille d’une part une solution diluée, le diluat, et d’autre part une solution concentrée, le concentrat. Avec la technologie Aquatech de SRTI, les membranes bipolaires vont jusqu’à régénérer, à partir d’un sel hydrolysable, l’acide et la base correspondants, inversant ainsi la réaction classique de salification. La première installation de traitement des bains usés fluonitriques est celle de Washington Steel, fabricant américain d’aciers inoxydables, fait-on encore (que) l’électrodialyse à membranes bipolaires va modifier profondément les capacités de traitement et de valorisation des effluents et résidus salins.
Glaces & Peaux
En verreries, le satinage, le polissage et la gravure du verre sont effectués à l’aide de bains à base de bifluorure d’ammonium NH₄F·HF. Lors de la réaction avec le silicium de la masse vitreuse, de l’acide hexafluosilicique H₂SiF₆ est formé et apparaît dans les eaux de rinçage. Le procédé du Pr Audinos (Université Paul Sabatier de Toulouse) appliqué aux Cristalleries et Verreries d’Art de Vianne (CVAV) permet la récupération de l’acide fluorhydrique. Ainsi, les effluents sont d’abord neutralisés par une base qui précipite l’hydroxyde de silicium insoluble et maintient le fluor à l’état ionique :
H₂SiF₆ + 6 NH₄OH → Si(OH)₄ + 6 NH₄F + 2 H₂O.
Le précipité de silice est séparé par filtration classique, tandis que la solution de sels fluorés entre en électrodialyse. Le diluat est recyclé dans un point de rinçage, mais la solution concentrée se trouve décomposée par électrométathèse, procédé ED à double décomposition. L’apport d’énergie électrique et la mise en œuvre de membranes artificielles permélectives concourent à l’obtention dans chaque circuit hydraulique des produits à l’état pur. L’électrométathèse régénère :
NH₄F + H₂O → HF + NH₄OH.
La solution contenant la base alimente le bac de neutralisation, tandis que la solution contenant l’acide est dirigée vers le second électrodialyseur qui va le concentrer jusqu’à ce que son pH suffisamment bas autorise sa réinsertion dans le bain d’attaque du verre.
Quant aux solutions diluées issues des deux électrodialyses et de l’électrométathèse, elles sont recyclées sur un point de rinçage. Ce procédé, au stade pilote industriel au CVAV, supprime toute perte en eau de procédé, acide fluorhydrique (CVAV : 80 t/an au coût de 8,7 F/kg 1988) et bases neutralisantes (60 t/an). Un tel procédé d’objectif « rejet zéro » est effectivement l’exemple-type en matière de technologies propres.
De leur côté, le CTC, Centre Technique du Cuir de Lyon, et Rhône-Poulenc ont mis en place un module d’ultrafiltration (UF) après tamisage sur un effluent peu banal : les bains d’écaillage des peaux de reptiles. Les Établissements Gordon Choisy de Montereau sont spécialisés dans le traitement des peaux de reptiles en vue de leur transformation en cuirs utilisables dans l’industrie de la maroquinerie et de la chaussure. Le traitement consiste à éliminer la couche supérieure du derme par trempage des peaux brutes dans une solution de sulfure de sodium Na₂S. Les bains, qui peuvent atteindre une concentration de 8 g/l en sulfure, représentent une pollution toxique particulièrement élevée (63 Kéqtox/an) qu’il était nécessaire de détruire sur place, initialement par oxydation au sulfate de manganèse puis à l’eau oxygénée, avant de l’évacuer en station d’épuration collective.
La mise en service d’un module UF a apporté des améliorations autant dans l’économie du procédé, par la réduction des rejets et le recyclage des sulfures, qu’au niveau des conditions de travail.
— l'effluent évacué en station d’épuration a été réduit en débit de 600 à 5 m³/an, d’où une économie sur les redevances de 387 KF/an en 1981 ;
— le recyclage occasionne une récupération de 50 kg/j de sulfure, soit une économie sur les matières premières de 30 KF/an en 1985 ;
— la réduction de l'émission gazeuse lors de la dissolution de Na₂S, et de la réaction de ce sulfure alcalin à l'acidité du bain de picklage au trempage des pièces au second bain.
De la maroquinerie, jetons un coup d'œil furtif sur l'industrie textile rénovée par les procédés UF :
— traitement des effluents chauds de lavage de laine pour éviter la décantation des graisses émulsifiées, avec récupération éventuelle de lanoline ;
— recyclage des produits d'encollage des fils de chaîne et récupération de l'alcool polyvinylique PVA (amortissement en moins d’un an) ou du carboxyméthylamidon CMA (économie du traitement enzymatique) ;
— recyclage de l’indigo des eaux de lavage de « jean », ultrafiltré sous forme oxydée de leuco-dérivé, puis réduit en présence d'hydrosulfite de sodium en milieu alcalin (R. Veyre, SFEC, 1987 et P. Rivet, Revue EIN 09/1988).
Couplages UF-Biomasse
Dans le contexte économique des grandes villes japonaises, le souci d’épargner l’eau potable a orienté les concepteurs de stations d'épuration vers des procédés intégraux susceptibles de délivrer une eau traitée réutilisable in situ pour des usages moins nobles que l'alimentation (toilette, appoint industriel, arrosage…). Aussi, depuis 1983, Rhône-Poulenc a-t-il installé de nombreux appareillages de recyclage d'eaux d'immeubles et de bureaux, recyclage basé sur le procédé UBIS, combinant l'épuration par boues activées et l’ultrafiltration de la biomasse (licence achetée depuis par Mitsui Petrochemical Company). Les matières organiques subissent une « oxydation » biologique en réacteur et la biomasse soutirée circule dans un module UF qui génère de l’eau épurée et stérile (figure 5).
Intelligemment, l'excédent d’énergie nécessaire à la recirculation du fluide dans l’ultrafiltre est utilisé via un système auto-aspirant pour assurer le transfert d’oxygène dissous dans la biomasse. Si l'effluent recyclé possède des qualités constantes (DBO < 10 ppm, DCO < 20 ppm, MeS < 5 ppm), la consommation électrique (3,5 kWh/m³, soit 24 kWh/kg DBO éliminée) paraît discréditer la généralisation du procédé dans nos régions (J. Sibony et al., OTV-Anjou Recherche, Revue EIN, 09/1986). Parallèlement, Dainippon Ink Chemical & Degrémont Company ont conçu pour un building de Tokyo une station d’épuration à couplage boues activées-membrane.
La station d’épuration fait subir aux eaux brutes un microtamisage, puis une dégradation biologique par boues activées, suivie d’une flottation d’où la biomasse est recyclée après stabilisation aérobie pour finalement bénéficier d’un affinage sur module de microfiltration.
Peu à peu, les techniques à membranes se sont imposées aux biotechnologies comme des opérations séparatives de choix, touchant les industries agro-alimentaires, puis la chimie fine et les industries pharmaceutiques. Aujourd’hui, les membranes interviennent industriellement à l’issue d’une bioréaction comme substitut à la centrifugation ou au filtre rotatif à tambour pour séparer la biomasse (R. Veyre, USSI Ingénierie, Revue GI, 04/1989) (figure 6). L’avenir est-il aux membranes planes ou aux membranes tubulaires ? Déjà, les chercheurs s’acharnent sur la pervaporation, c’est-à-dire l'élimination des micropolluants volatils de l’eau par filtration à travers des membranes, et sur la géométrie déconcertante des fibres creuses...