La mise en conformité des rejets à l'égout
par Jean-Pierre ERMENAULT, S.L.E.E.
Autrefois les eaux usées et les eaux pluviales étaient directement déversées sur la voirie ou dans les fossés et croupissaient en formant des cloaques, sources d'épidémies.
Progressivement, les villes se sont équipées de réseaux d'égouts de plus en plus importants.
L'EAU ET L'INDUSTRIE nous a déjà retracé cette évolution dans des numéros précédents, en nous remémorant, entre autres, certains paragraphes des « Misérables » où Victor Hugo nous faisait parcourir avec Jean Valjean les égouts de la ville de Paris de la première moitié du XIXᵉ siècle. (1)
Ces dernières années, l'effort national s'est accentué dans la lutte contre la pollution et a amené un grand nombre de collectivités locales à effectuer d'onéreux investissements pour compléter leurs équipements d’assainissement par la pose de réseaux d'égouts et la construction de stations d'épuration.
QUELQUES RAPPELS SUR LES RÉSEAUX D’ASSAINISSEMENT ET LA RÉGLEMENTATION
— Les réseaux
Il est à peine utile de rappeler les différents systèmes utilisés en matière de transport des eaux usées et des eaux pluviales. Nous pouvons rencontrer suivant les cas :
- • Un système unitaire où les rejets d'eaux pluviales et d’eaux usées s'effectuent dans un même collecteur qui véhicule les effluents jusqu’à une station d'épuration où ils sont traités avant leur évacuation dans le milieu naturel. Des déversoirs d'orage permettent d’envoyer dans ce milieu les débits excédentaires que la station ne peut traiter.
- • Un système séparatif nécessitant deux collecteurs distincts, l’un recueillant les eaux usées et l'autre les eaux pluviales.
(1) Voir L'EAU ET L'INDUSTRIE — No 20, novembre 1977, pages 80 et suivantes.
Le collecteur d’eaux usées est, tout comme dans le système unitaire, raccordé sur une station d'épuration où les eaux usées sont épurées. On conçoit bien dans ce cas que les installations soient plus petites que lorsqu’elles doivent recevoir à la fois des eaux pluviales et des eaux usées.
Le collecteur d'eaux pluviales, lui, débouche directement dans le milieu naturel (fossé, rivière, étang, etc.).
- • Un système en général provisoire, constitué d'un seul collecteur recueillant les eaux pluviales et les eaux usées après traitement de celles-ci par des fosses septiques suivies de plateaux bactériens, par des bacs dégraisseurs ou par des dispositifs de prétraitement dans le cas d'effluents industriels.
Ce collecteur évacue les eaux directement dans le milieu naturel.
La mise en œuvre de stations d'épuration destinées au traitement des eaux usées a contribué largement au développement du système séparatif dans les réalisations actuelles.
Toutefois, soulignons que :
- • Le système séparatif implique une stricte séparation des eaux usées et des eaux pluviales au niveau de chaque immeuble et les différentes observations faites à l'occasion de l'exploitation des ouvrages publics montrent à ce niveau de fréquentes anomalies.
- • Ce système est actuellement discuté car dans certains cas, il est envisagé de procéder à un traitement des eaux pluviales qui recueillent, lors de leur ruissellement, de plus en plus d'hydrocarbures ou de métaux lourds. Nous n'entrerons pas plus avant dans cette controverse qui n'est pas l'objet de notre propos.
— La réglementation
Parallèlement au développement des installations, le législateur a été amené à préciser et compléter les textes existants en matière de lutte contre la pollution tant sur le plan administratif et technique que sur le plan financier.
L’assainissement collectif étant jugé plus sûr que l'assainissement individuel, le code de la santé publique fait obligation à tout propriétaire d'immeuble desservi par un égout d’eaux usées de raccorder ses installations et de procéder à la mise hors service des anciennes fosses et autres dispositifs de même nature. Là encore, les observations que l'on peut faire sur le terrain montrent de fréquentes anomalies.
Enfin, l’épuration des eaux usées étant assurée essentiellement par des procédés biologiques, il importe de faire connaître et observer les conditions de rejets à l’égout dont l’appellation impropre de « tout-à-l'égout » conduit encore à trop d’erreurs. Ceci est particulièrement important pour les rejets autres que domestiques car le respect des normes est fondamental pour le bon fonctionnement des ouvrages publics.
En résumé, il découle des observations ci-dessus que les différents cas de non-conformité en matière de rejets à l’égout peuvent être classés en trois familles :
1° - mauvaise séparation des eaux usées et des eaux pluviales,
2° - non raccordement d’installations sanitaires à l’égout d’eaux usées,
3° - mauvaise qualité des rejets à l’égout.
Nous allons préciser ci-après les différents cas rencontrés à l'occasion des enquêtes de conformité effectuées dans un certain nombre de communes de la Région Parisienne Sud dont l'exploitation des ouvrages d’assainissement a été confiée à la S.L.E.E. Nous nous attacherons ensuite à donner un aspect quantitatif des non-conformités observées, et nous préciserons également les premiers résultats obtenus en matière de mise en conformité. Enfin, nous verrons que la réalisation d’une enquête de conformité des branchements puis le suivi des mises en conformité constituent une opération complexe.
INVENTAIRE DES DIFFÉRENTS CAS DE NON-CONFORMITÉ DES REJETS
1° — Mauvaise séparation des eaux usées et des eaux pluviales
Nous rencontrerons quatre cas :
a) Raccordements d’ouvrages d’évacuation d'eaux pluviales sur le branchement d’eaux usées.
C’est le cas le plus fréquent et notamment pour les immeubles non desservis par un réseau d’eaux pluviales ou possédant des installations en contrebas du réseau d’eaux pluviales.
b) Raccordements de drains sur le branchement d'eaux usées.
Ce cas s'assimile au précédent. Toutefois, il est plus difficile à détecter et l’existence des drains est souvent ignorée du propriétaire de l'immeuble.
c) Raccordements d'installations sanitaires sur le branchement d’eaux pluviales.
Ce cas demeure moins fréquent que le premier. Il concerne surtout des installations ménagères (éviers, lavabos, salles de bains) et très rarement des évacuations d’eaux vannes (WC).
d) Inversion de branchement.
Ce cas demeure assez marginal et résulte d'une erreur au niveau de la réalisation des raccordements sur les ouvrages publics.
La mauvaise séparation des eaux usées et des eaux pluviales ne concerne évidemment que le système séparatif. Les effets sur le fonctionnement des ouvrages publics sont multiples. On observe principalement :
— une surcharge des réseaux d'eaux usées par temps de pluie avec, dans certains cas, un refoulement dans les sous-sols des habitations ou sur les voies publiques,
— une surcharge hydraulique des stations d’épuration se traduisant par temps de pluie par un entraînement à la rivière des boues activées nécessaires à l'épuration et une diminution de la capacité d’épuration de l’installation,
— des dégagements d’odeur par les bouches d’égout lorsque des eaux usées sont rejetées dans les réseaux d'eaux pluviales,
— enfin, une pollution des fossés et des rivières servant d'exutoire aux réseaux d’eaux pluviales.
Soulignons que les Agences de Bassin sont actuellement tout particulièrement sensibilisées par la présence d'eaux pluviales (et d’eaux d’infiltration) dans les réseaux d’eaux usées, car elle implique un surdimensionnement des installations ou la réalisation d'investissements qui pourraient être différés.
2° — Non-raccordement d’installations sanitaires à l'égout d’eaux usées
Il y a lieu de distinguer deux cas :
a) Absence totale de raccordement.
C'est le cas le plus fréquent et on l'observe même lorsqu'il existe un branchement en attente en limite de propriété.
b) Non-raccordement d'une partie des installations sanitaires.
Ce cas est moins fréquent mais il subsiste plus particulièrement dans les habitations rurales dont certaines installations sont difficilement raccordables.
Le non-raccordement à l’égout n’amène pas de difficultés de fonctionnement des ouvrages publics sauf dans le cas de certaines communes rurales où le nombre d'installations raccordées demeure trop faible pour assurer un bon fonctionnement de l’épuration.
tion biologique, la biomasse présente dans la station d'épuration étant alors insuffisante.
Par contre, ces non-raccordements font qu'un risque de pollution des nappes demeure, même en cas de maintien de dispositifs d’épuration individuels dont le bon fonctionnement n'est pas toujours assuré.
3° — Mauvaise qualité des rejets
Il y a lieu de distinguer plusieurs cas de figures :
a) Rejets d'effluents domestiques insuffisamment épurés dans un réseau d'eaux pluviales.
Rappelons, en effet, qu’en l'absence de réseau d'eaux usées les règlements sanitaires départementaux autorisent à titre provisoire, et sous réserve d'un accord de l'autorité préfectorale, l'évacuation des eaux usées dans les ouvrages pluviaux. Ce rejet doit être précédé d'un traitement sur des dispositifs réglementaires tels que bacs dégraisseurs pour les eaux ménagères (éviers, lavabos, salles de bains) et fosse septique suivie d'un filtre bactérien pour les eaux vannes (WC).
Le mauvais fonctionnement de ces dispositifs entraîne une pollution importante des fossés et des rivières servant d'exutoire aux collecteurs d’eaux pluviales.
b) Rejets d'effluents domestiques septiques dans un réseau d'eaux usées.
Ils résultent du maintien en service d'une fosse septique, après raccordement sur un réseau d'eaux usées. Ces effluents sont souvent réducteurs, du fait des fermentations anaérobies, et ils gênent l'exploitation des ouvrages d’assainissement et d'épuration. Dans le cas de communes rurales, cela peut se traduire également par une charge insuffisante de la station d'épuration.
c) Rejets d'effluents autres que domestiques présentant des anomalies diverses telles que :
- — absence de bacs dégraisseurs pour les rejets de charcuteries, restaurants, cantines,
- — absence de déshuileurs pour les rejets de garages et ateliers d'entretien,
- — absence de prétraitements pour certains rejets industriels,
Il s'ensuit là une gêne plus ou moins importante des ouvrages publics se traduisant parfois par des effets spectaculaires tels que le colmatage des réseaux, le développement de bactéries filamenteuses dans les ouvrages d'épuration observées notamment à l'occasion de rejets agro-alimentaires, ou même l'anéantissement de la faune biologique par suite d'anorexie ou de rejets toxiques.
ASPECT QUANTITATIF DES NON-CONFORMITÉS OBSERVÉES
L'inventaire des différents cas de non-conformité observés nous a permis de regrouper ceux-ci en trois classes distinctes :
- Classe I : Mauvaise séparation des eaux usées et des eaux pluviales.
- Classe II : Non-raccordement d’installations sanitaires à l’égout d’eaux usées.
- Classe III : Mauvaise qualité des rejets.
Le diagramme-rosace ci-dessus (graphique 1) permet d’apprécier, classe par classe, l'importance des anomalies constatées dans 19 collectivités de la Région Parisienne Sud. Ces 19 collectivités constituent un éventail très représentatif :
- — communes rurales de quelques centaines d'habitants, (10)
- — bourgs de moyenne importance de la Brie, (3)
- — communes urbaines de la périphérie de Paris raccordées sur d’importants réseaux intercommunaux, (6)
Sur 13 882 immeubles contrôlés, 4 872 installations, soit 35 %, ont été trouvées non conformes (toutes classes confondues). On retiendra ceci : un immeuble sur trois possède des installations non conformes à la législation en matière de rejets à l’égout.
Sauf exceptions, ce rapport est plus élevé dans les communes à caractère rural et moins élevé dans
2 L'information des propriétaires d'immeubles non conformes et le suivi des mises en conformité.
1° La réalisation de l'enquête de base
Le principe est relativement simple : il s'agit de vérifier pour chaque immeuble desservi par des collecteurs publics ou privés comment s'effectue l'évacuation des eaux usées et des eaux pluviales. Ces vérifications sont faites à l'aide de fluorescéine introduite méthodiquement dans les installations privatives.
Toutefois, la mise en œuvre de cette enquête est beaucoup plus complexe que son principe. Elle suppose un certain nombre de conditions telles que :
- — une bonne connaissance du réseau d’assainissement et l'utilisation de plans à jour ;
- — une bonne connaissance des abonnés et l'utilisation d'un fichier abonnés eau ;
- — un bon suivi des résultats de l'enquête et l'utilisation d'imprimés simples et précis.
Sur le plan matériel, il faut disposer :
- — d'une équipe de deux agents spécialisés disposant d'un véhicule de préférence équipé de feux clignotants en triangle et d'une signalisation conforme à celle d'un chantier mobile travaillant sur les voies de circulation routière ;
- — du matériel de manutention des plaques de regards ou des grilles ;
- — de la fluorescéine en poudre, d'un jerrican de 20 litres d'eau, et éventuellement d'un tuyau d'arrosage. La fluorescéine se présente comme une poudre de couleur jaune orangé, une très faible pincée suffit à teinter en vert des dizaines de litres d'eau.
L'enquête se déroule sur le terrain en deux temps :
- — un premier passage après information des riverains par voie de presse ou d’affiche ;
- — un second passage auprès des abonnés absents lors du premier passage.
Il est bon que les agents soient munis d'une carte accréditive de la mairie.
Les agents doivent dans un premier temps rechercher le schéma d'évacuation des eaux usées de tous les appareils sanitaires de l'immeuble (W.-C., éviers, baignoires et douches, machines à laver) et vérifier qu'ils sont bien raccordés sur un même branchement. Il suffit alors d’introduire très peu de fluorescéine dans l'un des appareils sanitaires (W.-C. de préférence) et de faire couler de l'eau. Pendant cette expérience, un des agents se tient en observation sur le premier regard de visite aval du réseau d’eaux usées afin de contrôler le passage de la fluorescéine. Dans le cas où aucune coloration n'est observée, il faut refaire la même expérience en observant cette fois au niveau d'un regard aval du réseau d’eaux pluviales. Il y a lieu toutefois de noter qu’en présence d'une fosse septique et filtre bactérien, la coloration peut être longue à constater. Une fois l'expérience terminée, il est indispensable de procéder à une chasse suffisante pour éliminer tout risque de confusion avec une expérience suivante.
Cette précaution prise, les agents effectuent dans un deuxième temps la même opération pour les ouvrages d’évacuation d’eaux pluviales (gouttières, grilles de descente de garage, grilles de cours, siphons de sol).
Il reste ensuite à consigner avec précision les observations effectuées en n’oubliant pas de noter l'identité du propriétaire de l'immeuble (quand elle est différente de celle de l'occupant).
Commence alors un important travail de synthèse et de secrétariat.
2° L'information et le suivi des mises en conformité
Tout d'abord, l'ensemble des résultats de l’enquête de conformité des branchements à l’égout est consigné dans un rapport d’enquête qui est adressé à la collectivité. Celle-ci décide alors si elle souhaite régler le problème directement avec les propriétaires.
concernés ou si elle préfère que la S.L.E.E. se charge de cette mission.
Dans ce dernier cas, après accord de la collectivité, chaque propriétaire d'immeuble non conforme est informé par lettre circulaire. Un premier délai de trois mois est laissé aux propriétaires pour l'exécution des travaux de mise en conformité. Quelques mois plus tard, une lettre de relance est adressée aux nombreux propriétaires ne s'étant pas manifestés.
Le suivi des mises en conformité se traduit :
- — par un échange de courrier important correspondant en moyenne à 3 lettres par propriétaire,
- — par de nombreux appels téléphoniques,
- — par un certain nombre de contrôles complémentaires sur place, y compris le constat d’achèvement des travaux de mise en conformité.
CONCLUSIONS
Résumons les conclusions de cette enquête.
Un immeuble sur trois n'est pas conforme en matière de rejets à l’égout.
Plus d'un cas de non-conformité sur deux vise une mauvaise séparation des eaux pluviales et des eaux usées en système séparatif avec une nette majorité d'introduction d’eaux pluviales dans les ouvrages d'évacuation d’eaux usées (voir diagramme rosace graphique 1).
Malgré un bon suivi des immeubles non conformes et une relance périodique de leurs propriétaires, seul en moyenne un sur deux accepte, bon gré mal gré, d’exécuter les travaux.
Quoi qu'il en soit, de telles enquêtes sont nécessaires pour le bon fonctionnement des ouvrages d’assainissement et la protection du milieu naturel.
La réalisation de ces enquêtes et le suivi des travaux de mise en conformité qui en découlent représentent une somme considérable de travail s’échelonnant sur plusieurs années pour une même collectivité. La mise en œuvre d'une telle opération nécessite de disposer de personnel compétent et d’adopter des méthodes de travail rigoureuses. Son succès suppose un certain nombre de conditions. Nous les rappelons, vu leur importance :
- — bonne connaissance du réseau d’assainissement et utilisation de plans à jour,
- — bonne connaissance des abonnés et utilisation d'un fichier abonnés eau,
- — bon suivi des résultats d’enquête et utilisation d'imprimés simples et précis.
Il faut en plus souligner que de bonnes enquêtes ne suffisent pas si elles ne sont pas suivies d’effet, et que pour cela il est nécessaire :
- — de faire comprendre aux usagers leur utilité,
- — de faire en sorte que les mises en conformité soient rapidement effectuées.
J.-P. ERMENAULT.