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Systèmes industriels de déminéralisation électrique continue de l'eau

30 octobre 1988 Paru dans le N°122 à la page 78 ( mots)
Rédigé par : D. VALLOT

Au cours des quinze dernières années, la demande en eau déminéralisée s'est accrue considérablement, notamment dans des applications majeures telles que les centrales électriques, les industries électroniques, pharmaceutiques, agro-alimentaires, et de très nombreux types de laboratoires. Les exigences ont évolué non seulement vers une pureté supérieure mais aussi vers une meilleure fiabilité et la simplicité des équipements.

Les techniques actuellement pratiquées pour extraire les minéraux d'une eau « brute » comprennent essentiellement la distillation, l'échange d'ions sur billes synthétiques chargées en ions hydrogène et hydroxyle fixés réversiblement (résines « échangeuses d'ions »), l'électrodialyse qui emploie des membranes imperméables (ou peu perméables à l'eau) qui transfèrent les ions sous l'effet d'un champ électrique, et l'osmose inverse qui emploie des membranes perméables à l'eau sous pression mécanique mais très peu perméables aux ions positifs ou négatifs. Ces trois procédés : distillation, résines échangeuses et osmose inverse représentent à eux seuls la plus grosse part de la technique actuelle en déminéralisation des eaux. Ils sont souvent associés dans les chaînes industrielles en raison de leurs avantages complémentaires, particulièrement lorsque la qualité terminale exigée est non seulement une pureté « minérale » mais également particulaire et organique.

Enfin, une technique encore mal connue, et qui fut décrite initialement par Kollsmann en 1957, est l'électrodéionisation. Cette technique vient d'être développée et a donné naissance à des équipements qui sont sans doute la première application industrielle au traitement de l'eau de ce principe. Ce procédé est capable de dessaler industriellement des eaux brutes, aussi bien que d'affiner de l'eau prédéionisée (de type osmosée primaire) pour fournir de l'eau atteignant une résistivité de 10 à 15 MΩ·cm. On exposera ici brièvement quelques-unes de ses caractéristiques et les performances qu'il permet d'obtenir ; schématiquement, ce procédé de « désionisation électrique continue » modifie l'emploi des billes de résines d'échange d'ions classiques par effet simultané du champ électrique et de membranes d'électrodialyse échangeuses d'ions disposées en nombreux feuillets superposés.

La déionisation électrique continue

Les résines échangeuses d'ions sont des polymères insolubles pourvus de groupes ioniques positifs ou négatifs, qui sont équilibrés par des ions du milieu liquide de signe contraire (contre-ions) ; ceux-ci s'échangent entre eux selon des équations d'équilibre et de cinétique bien connues. Les contre-ions étant mobiles à l'intérieur de la bille de polymère, un potentiel électrique appliqué se traduira par un transfert de masse et de charge dont la vitesse dépend principalement de la mobilité propre et des relations d'affinité du contre-ion, mais en général cette vitesse est supérieure de plusieurs ordres de grandeur à celle du même ion au sein de l'eau environnante.

C'est pourquoi, dans un système résine-eau, le transfert d'ions sous potentiel électrique se fera presque exclusivement au sein de la résine échangeuse, et non au sein de l'eau environnante. Ce transport ionique sera — dans des limites — proportionnel au ratio : potentiel appliqué/résistivité électrique du système, et aboutit aux électrodes à un transfert d'électrons, lui-même mesuré en courant électrique. Il faut noter que le transport d'un équivalent chimique de sel (ion-gramme) correspond au passage d'un Faraday, soit 96 494 C.

Dans un tel système, on ne peut installer un gradient continu et stable de concentration ionique que si les ions transportés vers les électrodes sont éliminés de façon continue, sous peine d'accumulations venant aussitôt augmenter la résistivité électrique du système. C'est là que l'adjonction de membranes sélectives aux ions, judicieusement associées et montées avec les résines elles-mêmes, a fourni la solution. L'ensemble du montage peut — sous réserve de mises au point technologiques très précises — devenir alors un système de déionisation sur résines régénérées en continu par du courant électrique.

Les membranes sélectives utilisées sont des membranes de polymères dites « d'électrodialyse » contenant des microparticules de résines échangeuses d'une seule polarité. Elles sont donc perméables à leurs contre-ions, mais imperméables à leurs co-ions (de charge électrique identique), ainsi qu'à l'eau. Sous un champ électrique, elles constituent ainsi une barrière pour l'eau mais permettent le transfert du contre-ion, et donc du courant. En pratique, leur efficacité n'étant pas absolue, une certaine fuite d'eau et de co-ions intervient et ceci est une des raisons principales des rendements électrochimiques inférieurs à 100 %.

Le procédé

La figure 1 schématise le procédé d'électrodéionisation, dans lequel les membranes sélectives définissent des compartiments verticaux très étroits, limités alternativement par des membranes cationiques et anioniques. Un compartiment sur deux est en outre rempli de résines échangeuses fortes cationiques et anioniques mélangées. Le courant principal d'eau à traiter s'écoule sous la pression normale d'alimentation dans les seuls canaux remplis de résines appelés le compartiment de diluat. Sous l'effet du potentiel électrique, les ions présents dans l'eau migrent facilement dans les grains des résines mélangées, puis dans les membranes sélectives et se concentrent dans les canaux « vides » appelés compartiments de concentrat. Les ions y sont ainsi entraînés vers l’extérieur par un courant secondaire d'eau à traiter, prélevé en dérivation à l'entrée du système.

[Photo : Fig. 1 – Schéma du procédé.]

Les cinétiques et rendements chimiques dépendent des mobilités propres dans les divers milieux en présence, des potentiels appliqués, des affinités des ions solutés vis-à-vis des groupes ioniques fixés, des vitesses de flux de solvant, de la température, de la concentration ionique totale résiduelle, etc.

La disposition de résines cation-anion mélangées dans le compartiment de l'eau à traiter est une des clefs de la performance du procédé. Il se produit en effet une régénération permanente partielle de ces résines par les ions H⁺ et OH⁻, permettant ainsi d’atteindre des conductivités finales de 10 à 0,1 microsiemens/cm, inaccessibles aux procédés actuels du type électrodialyse. Comme on le voit sur la figure 2, même dans la région des très faibles salinités correspondant à une résistivité de un mégohm-cm, l'efficacité « électrochimique » — ratio entre le courant transporté et le transfert utile des ions — reste supérieure à 50 %, taux qui permet d’obtenir une eau très purifiée pour une dépense d’énergie remarquablement faible (comme il sera montré plus loin).

[Photo : Fig. 2 – Concentration saline (mEq/l) dans le compartiment diluat.]

Ces caractéristiques conduisent à utiliser des surfaces de membranes (et donc des volumes d’équipement) très modestes au regard des débits utilisés dans l'industrie.

Performances du système

Les systèmes unitaires existant actuellement peuvent fournir de 0,4 m³/h à 4 m³/h. On voit sur la figure 3 un appareil de 75 cm × 65 cm × 140 cm, contenant 30 compartiments unitaires de diluats et concentrats, l'ensemble pouvant produire de 8 à 32 litres d'eau déminéralisée par minute.

[Photo : Fig. 3 – Module industriel de 2000 l/h.]

Les figures 4 à 6 présentent les caractéristiques du fonctionnement d'une unité-pilote opérant sur de l'eau brute à Bedford (MA) 21 heures par jour, relevées pendant les 5 000 premières heures d'utilisation (ces performances n'ont pas varié en deux ans). On remarque que la conductivité de l'eau déionisée est restée stable (au niveau d'un microsiemens/cm), de même que la perte de charge qui s’est établie à 0,35 bar pour le diluat et 0,3 bar pour le concentrat (le débit de diluat étant d’un litre par minute). La résistance électrique des modules s’est fixée aux environs de 20 ohms, sous une tension continue de 6 volts et une intensité d’environ 0,3 ampère.

[Photo : Fig. 4 – Performances du module-pilote.]
[Photo : Fig. 5 – Pertes de charge du module-pilote.]
[Photo : Fig. 6 – Module-pilote. Courbe de résistance électrique.]

Une série d'autres systèmes ont été utilisés en fonctionnement continu, entre 1981 et 1986, dans une vingtaine de sites (USA, Japon, France). Diverses eaux d’alimentation et de prétraitement ont ainsi pu être testées. En dépit de variations, parfois rapides, de la salinité des eaux d’entrée, le niveau de déionisation finale a été maintenu stable par l'emploi d'un contrôleur d’alimentation électrique modulant le voltage appliqué en fonction du taux de minéralisation relevé à l'entrée de l'appareil.

Le tableau donne les caractéristiques techniques de quelques systèmes industriels. Les performances de l'un d'eux (Bedford) sont portées sur les figures 7 à 9.

Tableau 1 : Performances d’unités industrielles d’électrodéionisation

Ville Type d’eau d’entrée* Conduct. moyenne entrée (µS·cm) Conduct. moy. eau produite (µS·cm) Date mise en service Débit (lpm) Applications industrielles
Bedford 1 75 1,0 10/85 20 Général
Cambridge 2 10 0,15 2/86 26 Électronique
Indianapolis 1 800 4,0 8/86 13 Pharmaceutique
Holstein 1 800 3,2 5/86 10 Général
Houston 2 60 0,06 9/86 13 Laboratoire
Schenectady 2 55 0,1 10/86 20 Électronique
Yonezawa 2 15 0,1 10/86 13 Général
Dallas 2 20 0,1 11/87 16 Électronique
Londres 2 70 0,1 11/87 16 Électronique

*1 = Eau de ville, 2 = Eau osmosée

La qualité, correspondant à un microsiemens-cm a été obtenue sans difficulté en continu, depuis plus de deux années, avec une tension de 70 volts environ pour une consommation électrique de 60 Watts et un débit de 18 l par minute (5 GPM).

[Photo : Fig. 7 Module industriel. Courbes de conductivité.]
[Photo : Fig. 8 Module industriel. Courbes de pertes de charge.]
[Photo : Fig. 9 Module industriel. Courbe de résistance électrique.]

Les courbes de la figure 6A donnent le pourcentage d’élimination de la minéralisation (NaCl) d’un système à double étage, en fonction de la minéralisation d’entrée.

[Photo : Fig. 6A Courbes de conductivité de l’eau.]

Pré et post-traitements

Comme dans tout traitement de purification très avancé, un pré-traitement de l’eau est le plus souvent nécessaire afin d’empêcher la formation de dépôts calcaires ou le colmatage du module d’électrodéionisation par des colloïdes ou autres particules. Il est en général du type de ceux utilisés pour les résines échangeuses en lits régénérables par réactifs, de façon à éviter l’introduction de chlore libre ou de matières organiques colloïdales.

Une séquence de pré-traitement-type est présentée sur la figure 10.

[Photo : Fig. 10 Schéma du dispositif-type de prétraitement (avec SDI15 < 4,0 et Cl₂ < 0,2 ppm).]

Le dioxyde de carbone n’étant éliminé que sous la forme ionisée bicarbonate, un ajustement de pH entre 7 et 8 peut être nécessaire.

Toutefois, la silice n’est que partiellement éliminée et l’électrodéionisation doit alors, pour certaines applications très exigeantes, être suivie par un étage de « polissage » terminal sur des résines fortes neuves.

Perspectives de l’électrodéionisation

L’électrodéionisation en continu devrait prendre rapidement une place prépondérante en matière de production d’eau déminéralisée dans les années à venir. Cette technique possède en effet plusieurs avantages évidents par rapport aux procédés courants. Elle est, en particulier, exempte des servitudes associées aux procédés à régénération chimique tels que l’emploi et la manutention de réactifs agressifs et la neutralisation d’effluents. D’autre part, le procédé étant utilisable en continu (24 heures sur 24), n’entraîne aucune interruption pour régénération ou maintenance, et il fournit une qualité de déminéralisation constante.

Compact et mobile, il peut être utilisé en ligne, sous une pression pouvant atteindre 4,5 bars, avec une dépense énergétique extrêmement faible.

Par ailleurs, cette technique CDI est utilisable en un ou deux étages placés en série, soit en déionisation primaire (1 Mégohm/cm), soit en déionisation après osmose inverse (5 à 15 Mégohms/cm).

Enfin, la maintenance de ce type de système se révèle presque nulle (ou très faible) et le prix de revient de l’eau déminéralisée qu’il fournit est comparable (et dans certains cas inférieur) à celui correspondant aux techniques usuelles.

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