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[Photo : Le barrage d’Itaipu, « La pierre qui chante » dans la langue des Indiens Guaranis, ne fait pas partie des plus grands barrages du monde. Mais il abrite la seconde centrale électrique au monde en puissance installée et reste la première en quantité d’énergie produite, au coude à coude avec celle du barrage des Trois Gorges en Chine. En 2012, 20 turbines de 700 MW ont permis à la centrale d’Itaipu d’atteindre une production record de 98,29 milliards de MWh contre 98,11 MWh pour les Trois-Gorges. La différence de débit entre les deux fleuves explique le fait que le niveau de production des deux centrales soit aussi proche.]
Nous sommes le 26 avril 1973. Le Brésil et le Paraguay viennent de signer le traité d’Itaipu. L’événement passe largement inaperçu. Il ne s'agit que d'un accord bilatéral censé régir les usages d'une ressource en eau commune. Précisément celle du fleuve transfrontalier Paraná, dans sa fraction comprise entre la chute de Sete Quedas et l'embouchure du fleuve Iguaçu. Un traité en apparence banal donc. Banal ? Pas tout à fait. Car c’est ce jour-là qu’est né le projet de construction de la plus grande centrale hydroélectrique du monde. Une capacité six fois supérieure à celle du barrage d’Assouan, et aujourd’hui encore, plus importante en termes d’énergie produite que celle d'un autre géant mondial, le barrage des Trois-Gorges en Chine.
Le traité établit que l'énergie produite sera partagée équitablement entre les deux pays, chacun disposant d’un droit préférentiel pour acheter l'énergie qui ne serait pas utilisée par l'autre pour sa propre consommation. Au printemps suivant, en 1974, les organismes chargés de construire la centrale hydroélectrique sont constitués. Le barrage, la centrale et l'énergie qu'elle produit appartiendront à Itaipu Binational, une entreprise binationale publique, soumise à un système juridique de droit international. Le Brésil et le Paraguay, respectivement représentés au sein de cette structure par Centrais
[Encart : Les barrages : des ouvrages contestés au Nord, plébiscités au Sud
On compte aujourd'hui 800 000 barrages dans le monde dont 52 000 sont considérés comme des grands barrages, c'est-à-dire hauts de plus de 15 mètres avec un réservoir supérieur à 3 millions de m³. Quatre pays en possèdent les trois quarts : 45 % en Chine, 14 % aux États-Unis, 9 % en Inde et 6 % au Japon. La France possède 568 grands barrages, soit 1 % du total mondial.
Bien que largement contestés en Occident, les projets de grands barrages se multiplient et se comptent désormais par centaines, notamment dans les pays du Sud. Ce regain d'intérêt est lié à l'approvisionnement énergétique des pays émergents dans un contexte de limitation des émissions de gaz à effet de serre.
Pourtant, l'empreinte écologique des barrages reste très discutée. Ils seraient ainsi responsables de 4 % des émissions mondiales de CO₂. La décomposition de la matière organique dans des barrages en Amazonie libérerait jusqu'à 10 fois plus de CO₂ qu'une centrale à charbon de capacité équivalente. Les autres griefs faits aux barrages sont nombreux : inondation de milliers d'hectares, déplacement de population, transformation de cours d'eau, extinction d'espèces, risques majeurs, etc. Au total, selon plusieurs ONG, les bénéfices sociaux et environnementaux de leur déconstruction dépasseraient largement les coûts de maintenance et leurs bénéfices limités. 200 barrages ont ainsi été démontés aux États-Unis depuis les années 1990.]
Elétricas Brasileiras et Administración Nacional de Electricidad disposent chacun des mêmes droits et obligations.
Au printemps 1975, les travaux démarrent. C'est le début d'une aventure qui durera dix ans et ne coûtera pas moins de 11 milliards d’euros.
Itaipu : un ouvrage hors normes
Pour jeter les bases du barrage, il faut d'abord commencer par ouvrir un canal de déviation du fleuve Paraná. Il s'agit de permettre l'asséchement de son cours naturel pour pouvoir couler sous le lit du fleuve le socle principal en béton.
Pour abriter les 40 000 ouvriers, ingénieurs et techniciens qui se chargeront de la construction du barrage, des villes et des quartiers d'habitation entiers sont bâtis à la hâte. C'est que le chantier est gigantesque. Selon ses promoteurs, le volume de béton utilisé, 12,3 millions de mètres cubes, aurait permis de construire 210 stades de football de la taille du célèbre Maracanã de Rio de Janeiro ou encore une route entre Moscou et Lisbonne. Quant à la quantité d’acier utilisée, près de 480 000 tonnes, elle aurait suffi à ériger 380 tours Eiffel !
Le barrage en lui-même fait plus de 7,7 km de long et atteint une hauteur totale de 196 mètres. Plus de 55 millions de mètres cubes de sol et de rocher ont été excavés pour édifier cet ouvrage de génie civil qui sera classé en 1995 parmi les sept merveilles du monde par la Société américaine du génie civil (ASCE). La sécurité du barrage et la surveillance des structures sont assurées par un système d’auscultation constitué de 2 459 instruments.
En octobre 1982, les vannes du canal de déviation du fleuve Paraná sont fermées pour assurer la formation du réservoir. Il ne faudra pas plus de quatorze jours – un temps record – pour constituer un lac de 1 350 km² d'une capacité de 30 milliards de m³.
Pendant la formation de la retenue, des équipes d'Itaipu Binational parcourront même le secteur en bateaux pour sauver les animaux de l’ennoyage soudain de la région. La formation de ce lac entraînera l'engloutissement des célèbres chutes de Sete Quedas, comparables à celles d'Iguaçu en termes de taille de débit.
[Photo : Selon les promoteurs du barrage d'Itaipu, le volume de béton utilisé, 12,3 millions de mètres cubes, aurait permis de construire 210 stades de football de la taille du célèbre Maracanã de Rio de Janeiro ou encore une route entre Moscou et Lisbonne.]
[Photo : La formation de la retenue entraînera l'engloutissement des célèbres chutes de Sete Quedas, comparables à celles d'Iguaçu en termes de taille de débit.]
[Photo : Itaipu assure près de 89 % de l’énergie consommée au Paraguay et 25 % du total de la demande du marché brésilien.]
Enfin, le 5 mai 1984, a lieu la mise en service de la première unité génératrice de la plus grande centrale hydroélectrique du monde.
La plus grande centrale hydroélectrique du monde en terme d’énergie produite
Initialement conçu pour produire 75 millions de MWh par an, Itaipu a peu à peu augmenté sa capacité installée pour disposer depuis 2006 de 20 unités génératrices de 700 MW. À titre d'exemple, la centrale hydroélectrique la plus puissante en France, celle de Grand’Maison en Isère, produit 1 800 MW.
En 2012, les 20 turbines de la centrale d'Itaipu ont atteint une production record de 98,29 millions de MWh, dépassant ainsi leur précédent record de 2008 (94,6 millions de MWh). La même année, avec 32 turbines, la centrale des Trois-Gorges, érigée sur le Yang-Tsé, a produit 98,11 millions de MWh d’électricité. Malgré une différence de puissance installée assez importante (14 000 MW pour Itaipu contre 22 400 MW pour les Trois-Gorges), Itaipu a donc pu conserver son titre de plus grande centrale hydroélectrique du monde en terme d’énergie produite.
La différence de débit entre les deux fleuves explique le fait que le niveau de production des deux centrales soit aussi proche. Au total, Itaipu assure près de 90 % de l'énergie consommée au Paraguay et 20 % du total de la demande du marché brésilien.
Le déversoir du barrage est doté de quatorze vannes de 21 mètres de haut et de 20 mètres de large, chacune pesant près de 300 tonnes. Lorsque les quatorze vannes d'Itaipu sont ouvertes, ce sont près de 62 200 m³/s, soit quarante fois le débit des chutes d’Iguaçu, qui se déversent dans un grondement de tonnerre.
La salle de commande, ultramoderne, permet de suivre en temps réel la production totale de l'usine, la production de chacune des 18 turbines qui tournent en continu, ainsi que l’évolution de la demande brésilienne et paraguayenne en énergie.
Les 20 turbines opérationnelles, capables de gérer chacune 700 m³ d'eau par seconde, sont toutes commandées depuis cette salle de contrôle par l'une des 360 personnes employées à plein temps par le barrage et l’usine.
Pourtant, malgré cette coopération réussie, le barrage paraguayo-brésilien d'Itaipu, comme bien d'autres grands barrages, reste l'objet de polémiques, ayant conduit à une déforestation massive, à la perte de nombreuses espèces végétales, et à la disparition de villages guaranis et tupis.
[Photo : La salle de commande permet de suivre en temps réel la production totale de l'usine, la production de chacune des 18 turbines qui tournent en continu, ainsi que l’évolution de la demande brésilienne et paraguayenne en énergie.]