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Surveillance de la qualité des eaux de surface : la station d'alerte de l'usine du Mont Valérien

29 novembre 1986 Paru dans le N°105 à la page 31 ( mots)

Le Syndicat Intercommunal des Communes de la presqu'île de Gennevilliers a la responsabilité de l’alimentation en eau de 500 000 habitants de la proche banlieue ouest de Paris. Soucieux de distribuer à ses usagers une eau de qualité conforme aux normes et aux exigences du consommateur, il a décidé de moderniser les installations de traitement d’eau de Seine situées à la limite de Suresnes et de Nanterre. Ainsi dispose-t-il depuis 1985, d’une usine de traitement des eaux de hautes performances : préozonation, décantation, filtration sur sable, ozonation, filtration double flux sur charbon actif et stérilisation.

La fréquence des pollutions accidentelles constatées sur l'eau de Seine ces dernières années conduisirent le Syndicat à réaliser, en même temps, une station d’alerte automatique sur la qualité de l'eau brute, bénéficiant de toutes les innovations récentes. Ces installations ont été réalisées sous le contrôle de la Compagnie des Eaux de Paris, concessionnaire du Syndicat des Communes, avec l’aide financière de l'Agence de Bassin Seine Normandie.

A. PlotonPrésident du Syndicat Intercommunal des Communes de la presqu'île de Gennevillierspour le Service Public de l’Eau.

Dans les pays industrialisés, les problèmes de sécurité sont de plus en plus pris en considération. Pour le distributeur d'eau potable, cette préoccupation se traduit à deux niveaux : assurer un maximum de fiabilité des installations, pour répondre à tout instant à la consommation des abonnés et fournir une eau en tous points conforme aux normes de potabilité en vigueur. Dans les problèmes de qualité, la surveillance des eaux brutes revêt une importance toute particulière. Il y a bien entendu le contrôle d'impact des pollutions accidentelles, mais il ne faut pas oublier le suivi des variations de la pollution chronique, qu'elle soit d'origine naturelle ou anthropogénique. Ces variations sont en effet bien plus importantes qu’on ne le pense généralement, surtout lorsque l'on suit des polluants spécifiques (1, 2, 8). Ces différents contrôles de qualité peuvent être effectués de façon automatique sur le site au moyen de « stations d’alerte » ou « d’analyse automatique » dont la mise en œuvre fait l'objet du présent article.

Une illustration est présentée à travers la station d’alerte du Mont Valérien, située sur la Seine en aval de Paris et réalisée en 1985 par Degrémont. Cette unité fait partie des moyens de sécurité établis dans la production d’eau potable sur l'usine de traitement d'eau du Mont Valérien, propriété du Syndicat des Communes de la presqu'île de Gennevilliers et gérée par la Compagnie des Eaux de Banlieue.

LE CONTROLE AU NIVEAU DE L’EAU BRUTE

Dans cet article, la distinction suivante est faite entre système d’alerte et système d’analyse automatique :

  • — le premier met en œuvre des appareillages permettant de mesurer un dépassement de seuil, de transmettre une alerte qui peut être couplée à un prélèvement d’échantillons. Il ne permet pas d’obtenir des valeurs sur une large plage de mesure. L’étalonnage de l'appareil est effectué autour de la valeur d’alerte désirée ;
  • — un système d’analyse automatique donne des valeurs significatives sur une large plage de mesure. Ces appareils peuvent bien entendu être également utilisés pour transmettre une alerte.

* * *

Les systèmes automatiques de surveillance de la qualité des eaux peuvent être classés en plusieurs catégories suivant le type de paramètres mesurés.

Analyseurs de paramètres simples de qualité d'eau

L'automate le plus répandu mesure en continu, avec une fiabilité et une précision suffisantes, les paramètres classiques suivants : température, résistivité électrique, pH, oxygène dissous, turbidité. Il comporte un dispositif d’échantillonnage permettant un débit continu et suffisant de l'eau à analyser, une chambre de mesure comportant les capteurs, un dispositif de nettoyage

Morsang où les données sont stockées sur disquettes (80 ko).

Les analyseurs de paramètres spécifiques plus complexes

Ces automates peuvent mesurer de façon discontinue un ou plusieurs paramètres à une cadence de quelques minutes à quinze minutes. Ces appareillages sont en général des photocolorimètres ou des électrodes spécifiques et mesurent des paramètres pris en compte dans les normes existantes (ammonium, nitrite, nitrate, phosphates, cyanures, métaux lourds, fluorures, phénols, hydrocarbures...).

Les analyseurs de paramètres organiques globaux

Les déterminations de paramètres organiques globaux (COT, U.V.) sont (ou ont été) envisagées, mais un certain nombre de problèmes restent à résoudre : les appareillages de détermination de carbone organique sont coûteux et manquent encore de fiabilité, au moins en ce qui concerne les faibles valeurs (< 5 mg/l). Un Dohrmann DC 62, basé sur une oxydation par voie humide, a été testé pendant un an sur le site de Vigneux-sur-Seine. Les valeurs mesurées sont en assez bonne correspondance avec les valeurs obtenues en laboratoire, mais les problèmes de maintenance par un personnel qualifié ont été jugés trop importants pour que cet appareillage soit définitivement placé sur un site.

[Photo : Vue de l'usine de production d'eau potable du Mont Valérien.]

Le recours à la mesure de l’absorption de la lumière ultraviolette offre des avantages indéniables (simplicité, coût), mais dans la mesure où il s’agit d’un paramètre donnant des indications aussi bien qualitatives que quantitatives, la fixation d’un point de consigne est difficile à faire. En effet, la valeur qui va déclencher une alarme ne pourra être choisie qu’en ayant une bonne connaissance de l’évolution de la qualité de l’eau en fonction des saisons (corrélations COT/U.V., etc.). Une étude de faisabilité est en cours sur l’eau de Seine.

Les automates de mesure globale d'une activité biologique

L’appareillage le plus couramment utilisé est basé sur le comportement d'une truite réagissant globalement à l'ensemble des polluants présents dans l’eau. Dans l’Ichtyotest développé par la société Degrémont, le comportement anormal, maladie ou mort, de l’animal qui nage à contre-courant est détecté par un barrage électrique.

LA STATION D’ALERTE DE L'USINE DU MONT VALÉRIEN

Cette station située en aval de Paris à l'usine du Mont Valérien a été conçue plus comme une station d’alerte qu'une station d’analyse automatique.

[Photo : Schéma général de la station d’alerte du Mont Valérien.]

Un choix de paramètres a été établi et a amené à sélectionner des automates de mesure d’ammoniaque, de phénols, de métaux lourds, d’hydrocarbures, de turbidité, des échantillonneurs et un test poisson dont nous dressons l’inventaire ci-après.

[Photo : DHIR Seres - Doseur d’hydrocarbures par infrarouge.]

Photocolorimètres

Les photocolorimètres Seres (6) sont utilisés pour mesurer en continu l’ammoniaque (méthode de salicylate/nitroprussiate) et les phénols (méthode à amino 4 antipyrine) sur l’eau brute filtrée à 10 µm. Les plages de mesure sont de 0–500 µg/l pour l’ammoniaque et 0–500 µg/l pour les phénols. Les limites de détection correspondent à 5 % du maximum de l’échelle de mesure. Les valeurs analytiques sont obtenues toutes les 5 à 10 minutes, 24 heures sur 24. Un réétalonnage hebdomadaire est nécessaire. Les valeurs de seuil d’alarme ont été établies à 4 mg/l pour l’ammoniaque et 100 µg/l pour les phénols et correspondent aux concentrations maximales admissibles (CMA) pour les eaux de surface destinées à produire de l’eau potable, définies par la norme CEE.

Analyseur d’hydrocarbures

L'analyseur d’hydrocarbures Seres (6) (Dosage d’Hydrocarbures par infrarouge)...

bures par infrarouge (DIR), installé sur l'eau brute donne une fréquence d’analyse de 20 minutes. Le principe met en œuvre l'extraction des hydrocarbures par le tétrachlorure de carbone selon la norme AFNOR T 90203, la séparation des phases solvant et eau, la filtration automatique sur papier 0,2 µm du solvant, suivi d'un passage sur florisil. La détection est faite en infrarouge à 3420 nm. Les résultats sont exprimés en indice CH₂, dans une gamme de mesure de 0-10 ppm. Une alarme a été établie à 1 mg/l correspondant à la CMA définie plus haut.

Analyseur de métaux lourds

Ce type d’automate est une originalité de la station d’alerte du Mont Valérien. Mis au point conjointement par le CNRS et la Lyonnaise des Eaux, il permet de détecter dans les eaux de surface filtrées les métaux suivants : Hg, Cd, Pb, Cr, Ni et Zn et de donner une alarme lorsque la concentration de l'un de ces éléments dépasse une valeur fixée à l'avance (1 µg/l pour Hg, 5 µg/l pour Cd, 50 µg/l pour Cu, Pb, Cr, Ni et 500 µg/l pour Zn).

Les matières organiques présentes dans l'eau doivent être préalablement détruites, ce qui est réalisé par irradiation d'un faisceau ultraviolet sur l'eau acidifiée à pH 2 par l’acide nitrique et saturée en oxygène. Quelques centimètres cubes de l'eau ainsi « minéralisée » sont prélevés pour le dosage du mercure par la méthode de la vapeur froide avec concentration sur piège d'argent : après réduction du mercure par le chlorure d’étain, le mercure (0) est chassé par barbotage d’azote et fixé sur un piège en laine d’argent. Après quoi, le chauffage du piège dégage brusquement le mercure (0) qui est entraîné dans une cellule où il traverse un faisceau lumineux monochromatique (λ = 253,7 nm). L'absorption de ce faisceau par la vapeur de mercure est proportionnelle à la quantité de mercure, entre 0 et 25 nanogrammes, ce qui donne un étalonnage entre 0 et 5 µg/l pour un volume initial de 5 ml. La répétabilité est satisfaisante (écart-type relatif inférieur à 10 %).

La détermination du Ni, du Cr et du Zn est réalisée par polarographe à impulsions constantes surimposées en milieu tampon ammoniacal à pH 10,5, tandis que la détermination du Cd, du Pb et du Cu est faite par redissolution anodique sur nappe de mercure en milieu tampon acétique à pH 4,5. Le polarographe utilisé est un appareil de type 364 de Princeton Applied Research, modifié de façon à le rendre entièrement automatique.

[Photo : Schéma de principe de l'analyseur de métaux lourds]

Turbidimètre

Le turbidimètre Seres S 680 à microprocesseur est mis en place sur l'eau brute. La mesure est effectuée sur la diffusion de la lumière à 90° (néphélométrie) et une correction est établie à partir du signal reçu à 180°. Deux plages de mesures 0-10 et 0-100 UI ont été installées et sont automatiquement commutables.

Ichtyotest

Le truitomètre utilisé est l'Ichtyotest (Degrémont, France). Il complète la panoplie d’analyseurs et comporte quatre truites « Arc-en-ciel » disposées dans un aquarium. Ce dernier est constitué de quatre bassins alimentés par de l'eau filtrée à 100 µm à une vitesse de 10 cm/seconde. Chaque bassin est muni d‘un capteur à ultrasons pour la détection d'un comportement anormal des truites (dérive du poisson face au courant). Si la truite reste plus de 10 minutes dans la zone de détection, une alarme est transmise au synoptique de contrôle.

[Photo : Truitomètre : Ichtyotest Degrémont]

Échantillonneurs automatiques

Les échantillonneurs automatiques sont combinés aux différents analyseurs. Dès qu'une alarme sur l’ammoniummètre ou l'analyseur métaux lourds est transmise, un échantillonnage de l'eau brute est programmé sur 24 échantillons maximum en quelques heures. En cas d’alarme sur les paramètres organiques (phénols, hydrocarbures) et l'Ichtyotest, un extracteur liquide-liquide en continu concentre dans un extrait solvant de 100 ml de dichlorométhane les composés organiques présents dans un échantillon intégré dans le temps de 10 litres d'eau brute en cinq heures. Cet extrait peut être directement analysé au laboratoire en chromatographie gaz (CG) ou en CG-SM pour une identification des polluants organiques. L’extracteur liquide-liquide en continu est une combinaison d'un échantillonneur continu et d'un concentrateur en continu. Un échantillon d'eau de 2 l/h est introduit dans un réacteur d’extraction (ratio eau : solvant = 10 : 1). Après décantation, la phase solvant est transférée dans un évaporateur contenant l’extrait solvant. Les vapeurs de solvant condensées sont recyclées dans le réacteur d’extraction. Il est à noter que la conception de l’appareillage permet d’admettre un échantillon d'eau contenant des matières en suspension.

Équipements annexes

Filtration

Une filtration de l'eau brute à 100 µm (Verlor, France) est nécessaire pour l'alimentation en eau de l'Ichtyotest. À cet effet, deux unités installées en parallèle permettent d’obtenir un débit de 8 m³/h d'eau filtrée.

Une filtration à 10 µm consécutive à celle de 100 µm est installée pour pro

[Photo : Fig. 6 — Extracteur liquide-liquide en continu (CNRS - Lyonnaise des Eaux).]

Produire 200 l/m nécessaires à l'alimentation des photocolorimètres et de l'analyseur de métaux lourds. Plusieurs systèmes sont en ce moment testés en parallèle : Collins EATF, Ceramfiltre,...

Signaux

Les signaux électriques (4–20 mA) correspondant aux alarmes, valeurs analytiques et défaut d'appareillage, sont centralisés et visualisés sur une armoire de contrôle.

Les alarmes et défauts sont repris et retransmis au dispatching de l'usine, permettant ainsi une surveillance de 24 heures sur 24 de la station d’alerte.

Les valeurs analytiques sont actuellement enregistrées sur papier et visualisées sur afficheurs numériques (figure 7).

Il est prévu dans un futur proche d’acquérir et de stocker les données sur support informatique, ce qui permettra ainsi de réaliser un bilan des analyses et des études statistiques.

CONCLUSION

Les systèmes automatiques de surveillance de la qualité des eaux peuvent être classés en plusieurs catégories suivant le type de paramètres mesurés :

  • — les appareillages de détermination de paramètres simples du type pH, température, résistivité sont fiables et relativement peu coûteux. Ils ne peuvent cependant guère être considérés comme des systèmes d’alerte que pour des cas de pollutions accidentelles d'une extrême intensité ;
  • — les systèmes de mesure de paramètres organiques globaux (COT, absorption U.V., fluorescence) constituent une approche intéressante mais leur utilisation comme système d’alerte pose le problème du choix d'un point de consigne, ce qui ne peut être résolu qu’en disposant d’un historique de l’évolution du paramètre considéré ;
  • — les appareils de mesure de paramètres spécifiques relativement complexes (hydrocarbures, métaux lourds, etc.) présentent un réel intérêt en tant que dispositifs d’alerte ; la station du Mont Valérien en est un excellent exemple. Ces appareils ont l’inconvénient d’être plus coûteux aussi bien en investissement qu’en fonctionnement. De plus, si un contrôle exhaustif est visé, il nécessite le recours à un grand nombre d’appareils détectant autant de polluants potentiels que possibles sur un site donné. Ceci est difficilement réalisable techniquement et financièrement, même au niveau d'importantes unités de traitement.

Des solutions alternatives peuvent être proposées : la première consiste à employer des appareillages de test global de toxicité comme le truitomètre.

Il ne faut cependant pas considérer cet appareil comme un système exhaustif de détection de pollution.

Pour augmenter encore l'efficacité de son utilisation, il est préférable de le coupler à des systèmes automatiques de prélèvement qui permettront l’analyse des polluants responsables de l’alerte.

La deuxième approche consiste à dresser l'inventaire des produits chimiques stockés en amont des prises d’eau et susceptibles d’être rejetés d'une façon ou d'une autre dans la rivière.

Si le nombre de ces composés n’est pas trop important, une telle démarche permet de choisir les appareillages de la station de mesure en fonction des risques potentiels (forte toxicité, faible élimination par les chaînes de traitement, ...).

Un excellent exemple est donné par l'étude réalisée en région parisienne par les distributeurs d'eau à l'initiative de l'Agence Financière de Bassin Seine-Normandie (10).

[Photo : Fig. 7 — Armoire de contrôle : visualisation des alarmes et défauts.]

BIBLIOGRAPHIE

  1. (1) J. Mallevialle, L. Cognet, F. Fiessinger. Contrôle automatique de la qualité d'eau potable dans la région parisienne. Gaz - Eaux - Eaux usées, 5, 213-352, 1985.
  2. (2) B. Festy, J.-C. Cournarie. Instrumentation pour le contrôle et la régulation dans le domaine des eaux potables. L’eau, l'industrie, les nuisances, 50, décembre 1980.
  3. (3) Lyonnaise des Eaux, rapport interne. Étude de la fiabilité de l'usine de Morsang-sur-Seine, novembre 1985.
  4. (4) L. Cognet, P. Jacq, F. Fiessinger. Automatic Monitoring of Surface Water Quality: the Warning Station of the Mont Valerien Water Treatment Plant. IWES Conference, 16 avril 1986, London.
  5. (5) A. Bruchet, L. Cognet, J. Mallevialle. Combinaison d'une cellule d’extraction liquide-liquide en continu et d'un couplage CG-SM en vue de l'analyse des pesticides dans les eaux. Water Research, 18, n° 11, 1401-1409, mars 1983.
  6. (6) Documentation Seres, Aix-les-Milles, France.
  7. (7) Documentation Degrémont, Rueil-Malmaison, France.
  8. (8) A. Bruchet, L. Cognet, J. Mallevialle. Techniques d’échantillonnage pour l’analyse des traces organiques. Revue française des sciences de l'eau, 2, 297-309, 1983.
  9. (9) E. Brodard, A. Leprince, F. Fiessinger. Water Quality and Water Treatment Data Collection and Processing on an Operating Plant: Morsang-sur-Seine.
  10. (10) Rapport de la Lyonnaise des Eaux à l'Agence Financière de Bassin Seine-Normandie. Sécurité de l’alimentation en eau potable en région parisienne — Axe III : capacité de traitement des usines de production d'eau potable. Décembre 1985.
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