En collaboration avec le Centre International de l’Eau de Nancy (NANC.I.E.), le Laboratoire de Chimie du Solide Minéral de l’Université de Nancy I a mis au point une méthode de synthèse de ferrates (VI) stabilisés, ce procédé ayant été breveté par NANC.I.E.
Sulfato-ferrate de potassium
Lors d’un précédent article (L’Eau, l’Industrie, les Nuisances n° 186), cette méthode de synthèse avait été décrite plus précisément. Celle-ci utilise comme produit de départ un sel ferreux, sous-produit de la sidérurgie et de l’industrie du titane : le sulfate ferreux, et donc cette nouvelle méthode de synthèse lui ouvre une voie de valorisation.
Le sulfate ferreux est à la fois une source de fer (II) qui sera oxydé en fer (VI) et de sulfate qui, par substitution partielle du groupement FeO₄, va induire la stabilisation de ce dernier à l’état solide sous forme d’un composé mixte, le sulfato-ferrate de potassium K₂(Fe₂S)O₈.
Une étude est en cours actuellement ; elle vise à synthétiser de nouveaux ferrates alcalins ou alcalino-terreux et à optimiser la voie de synthèse par oxydation du sulfate ferreux. Cette étude est réalisée dans le cadre d’un contrat européen de type Brite Euram (4ᵉ PCRD). Dans le cadre de ce contrat, les nouveaux ferrates synthétisés sont testés quant à leur stabilité ainsi que pour leurs applications dans le traitement des eaux et des sols contaminés (PCB, métaux lourds). Ne seront exposés ici que les résultats relatifs à l’utilisation du sulfato-ferrate de potassium ; les résultats obtenus dans le cadre du contrat Brite-Euram étant soumis à confidentialité.
[Photo : légende : Figure 1 : Abattements des BHA et coliformes totaux avec un traitement par le chlorure ferrique et le sulfato-ferrate de potassium.]
Propriétés des ferrates (VI) en solution aqueuse
Le procédé de synthèse élaboré permet d’obtenir du fer (VI) stabilisé à l’état solide, mais ce composé se solubilise dans l’eau selon l’équation (1) :
2 K₂(Fe₂S)O₈ + H₂O → 4 K⁺ + FeO₄²⁻ + SO₄²⁻ (1)
Les propriétés de l’ion ferrate en solution se trouvent inchangées, à savoir que, dans l’eau, le ferrate va se réduire selon l’équation (2), et cela quel que soit le pH :
2 FeO₄²⁻ + 5 H₂O → 2 Fe(OH)₃ + 4 OH⁻ + 3 O₂ (2)
L’ion ferrate est un oxydant puissant par lui-même et aussi par l’oxygène naissant que génère sa réduction et, parallèlement, un agent bactéricide comme il sera détaillé ultérieurement. De plus, lors de sa réduction, le groupement ferrate libère des ions.
Tableau 1 : Efficacité désinfectante comparée du chlorure ferrique et du sulfato-ferrate de potassium sur les bactéries hétérotrophes aérobies (BHA) et sur les coliformes totaux
pH ajusté |
Fe total (mg/l) |
BHA 22 °C (UFC/ml) |
Coliformes totaux (UFC/100 ml) |
OH qui vont basifier le milieu et favoriser la formation d’hydroxydes de cations métalliques ainsi que de l’hydroxyde ferrique qui va agir comme floculant.
Traitement d’eaux usées par le sulfato-ferrate de potassium
Les applications potentielles du sulfato-ferrate de potassium dans le traitement des eaux concernent les eaux résiduaires urbaines et industrielles.
Concernant son action coagulante et floculante, le sulfato-ferrate de potassium a été comparé au chlorure ferrique utilisé à des doses égales exprimées en fer total.
En termes de DCO, le sulfato-ferrate de potassium conduit à des abattements similaires à ceux obtenus par un traitement au chlorure ferrique (80 à 85 % d’abattement pour FeCl₃ et 83 à 89 % d’abattement pour K₂(Fe₂(SO₄)₃) ; toutefois, en ce qui concerne la DCO soluble, le sulfato-ferrate de potassium abat jusqu’à 30 % alors que le chlorure ferrique est quasiment inefficace sur la DCO soluble (5 à 8 % d’abattement).
Action bactéricide du sulfato-ferrate de potassium
L’eau utilisée est une eau résiduaire urbaine provenant de la station d’épuration de Maxéville (France) et les tests ont été effectués sur l’eau brute après dégrillage et désablage.
[Photo : Figure 2 : Concentrations résiduelles en métaux lourds en fonction de la dose de traitement en chlorure ferrique et sulfato-ferrate de potassium.]
une eau brute prélevée après l’étape de dégrillage et dessablage. L'eau traitée à la station d’épuration de Maxéville (France) provient de l’agglomération nancéienne (300 000 équivalents habitants).
Le protocole opératoire suivi (jar tests) est le suivant :
- - ajout du réactif ferrate sous forme solide ;
- - temps de coagulation : 5 min ;
- - temps de floculation : 15 min ;
- - décantation statique : 30 min.
Le réajustement du pH afin de se trouver au pH optimal de floculation est effectué au début de l’étape de coagulation. Dans le cas du chlorure ferrique, le pH est ramené à environ 7 tandis que, dans le cas du sulfato-ferrate de potassium, il est ajusté autour d'une valeur de 8,5.
Comme le montrent les résultats (tableau 1 et figure 1), le fait de réajuster le pH en début ou en fin de coagulation n’influe pas significativement sur les abattements obtenus et, dans les deux cas, le sulfato-ferrate montre un réel pouvoir désinfectant.
En plus de ces tests de désinfection, des essais ont été menés sur des eaux tertiaires de station d’épuration concernant la déphosphatation de ces effluents et des abattements de l’ordre de 80 % ont été obtenus. Ces résultats laissent donc entrevoir l'utilisation du sulfato-ferrate de potassium en sortie de station pour la déphosphatation doublée d'une désinfection.
Abattement des métaux lourds
Les premiers essais ont été effectués sur une eau de rivière dopée en métaux lourds à une concentration initiale de 2 mg/l et l'efficacité du sulfato-ferrate de potassium est comparée à celle du chlorure ferrique (figure 2). Les concentrations en chlorure ferrique utilisées correspondent aux doses optimales de floculation dans le milieu considéré. La figure 3 représente les taux d’abattement en métaux lourds avec trois types de traitement différents :
- - un traitement par le chlorure ferrique à une concentration de 35 mg/l en fer ;
- - un traitement par le sulfato-ferrate à des [...]
[Photo : Comparaison entre abattements des métaux lourds obtenus par traitement au sulfato-ferrate, chlorure ferrique et soude.]
Tableau 2 : Abattement des phénols en faible concentration par le sulfato-ferrate de potassium sur un effluent industriel
Fe mg/l |
FOH mg/l |
% abat. |
120 |
0,39 |
61 |
140 |
0,30 |
70 |
- concentrations de 20 et 40 mg/l en fer ;
- un traitement par de la soude à une concentration permettant d’ajuster le pH à une valeur proche de celle donnée par la mise en solution du ferrate (pH = 11).
D’après les abattements obtenus, le sulfato-ferrate a démontré sa réelle efficacité par rapport au chlorure ferrique et à un simple traitement basique au sein d'une eau de rivière dopée en métaux lourds.
La suite de l'étude porte sur des effluents résiduaires industriels.
[Photo : Figure 4 : Concentrations résiduelles en phénols en fonction du taux de traitement en sulfato-ferrate de potassium.]
Abattement des métaux lourds et phénols sur une eau résiduaire industrielle
Lors d'une étude antérieure, l’efficacité oxydante des ferrates vis-à-vis des phénols avait été mise en évidence mais encore jamais testée sur une eau industrielle qui comporte, outre des phénols, des métaux lourds et un taux de COT élevé.
Les effluents étudiés sont de deux types :
- effluents acides provenant du traitement de surface (bains de décapage) traités par chaulage puis filtrés sur filtre-presse ;
- boues d’aéro-flottation provenant du traitement physico-chimique d'effluents comportant des huiles et graisses. Ces boues d’aéro-flottation sont ensuite chaulées, neutralisées puis filtrées sur filtre-presse.
Le premier type d’effluent est riche en métaux lourds tandis que le deuxième type, moins riche en métaux, possède des concentrations résiduaires en phénols souvent supérieures aux normes de rejet (< 1 mg/l) et nécessite un traitement ultérieur supplémentaire. Ce traitement supplémentaire étant de nature biologique, afin de préserver la biomasse sensible à des variations de polluants tels que les phénols, un traitement physico-chimique permettant d’éliminer l’excès de phénols serait recommandé. À ce niveau, l'efficacité du sulfato-ferrate de potassium a été testée.
Le protocole opératoire par jar-tests reste identique à celui décrit lors des essais de désinfection, à savoir :
- ajout du réactif ferrate sous forme solide ;
- phase de coagulation de 5 min ;
- phase de floculation de 15 min ;
- décantation statique de 30 min (si nécessaire).
Les phénols sont dosés par spectroscopie.
Tableau 3 : Concentrations résiduelles en zinc, nickel et cuivre en fonction du taux de traitement en sulfato-ferrate de potassium
Fe mg/l |
0 |
100 |
200 |
300 |
400 |
500 |
600 |
Zn mg/l |
0,65 |
0,16 |
< 0,04 |
0,08 |
0,12 |
0,16 |
0,04 |
Ni mg/l |
0,72 |
0,68 |
0,28 |
0,44 |
0,52 |
0,12 |
< 0,04 |
Cu mg/l |
8,0 |
4,8 |
2,24 |
1,32 |
1,24 |
1,24 |
0,28 |
[Photo : Abattement simultané des phénols (concentration résiduelle en phénols superposée) et métaux lourds par le sulfato-ferrate de potassium sur un effluent industriel.]
Pic visible à 510 nm sur complexe phénolique coloré à la 4-amino-antipyridine en présence de cyanures à pH basique.
Cette technique permet de déterminer l’indice phénol, soit un dosage de plusieurs espèces à base de phénol : phénols, diphénols, crésols, naphtols.
Les métaux sont dosés par spectroscopie de flamme par une méthode d’ajouts dosés de solutions étalon relatives à chaque métal quantifié.
Action sur les phénols
En ce qui concerne l’abattement des phénols, celui-ci augmente avec la dose de ferrate ajoutée.
Sur un effluent dont la concentration en phénols se situe à la limite supérieure du seuil de rejet (effluent de traitement de surface), une dose de traitement en sulfato-ferrate de 40 mg/l (exprimée en fer total) permet d’abattre 70 % des phénols et d’aboutir à une concentration résiduelle largement inférieure au seuil de rejet (tableau 2).
Sur des effluents plus riches en phénols tels que les effluents provenant des boues d’aéro-flottation cités précédemment, des doses plus importantes de sulfato-ferrate sont requises et permettent d’abattre jusqu’à 100 % des phénols lorsque le rapport Fe(VI)/OH est suffisamment élevé (figure 4).
Le taux d’abattement varie non seulement en fonction du rapport Fe(VI)/OH, mais aussi selon la nature des phénols présents dans l’effluent.
En effet, lorsqu’on détermine l’indice phénol, les phénols et naphtols sont dosés indifféremment.
La présence de naphtols nécessite des doses plus importantes de ferrate, car leur oxydation se fera en deux étapes : une première étape de “cassage” de la molécule, une seconde d’oxydation des deux molécules phénol.
D’après les résultats obtenus, le cassage des naphtols se traduit par une augmentation de l’indice phénol.
Action simultanée du sulfato-ferrate de potassium sur phénols et métaux
Une série de tests a été menée sur un effluent phénolé riche en cuivre. Les résultats (tableau 3 et figure 5) montrent que le sulfato-ferrate de potassium est non seulement efficace sur les phénols mais aussi sur les métaux présents dans le milieu en quantité non négligeable (Cu, Zn, Ni) pour des doses de traitement variant de 100
600 mg/l en fer.
Conclusion
L’efficacité du sulfato-ferrate de potassium vis-à-vis de métaux lourds et de polluants organiques tels que les phénols a été validée sur des effluents industriels riches en divers polluants organiques et minéraux.
La pluri-fonctionnalité du fer au degré d’oxydation (+VI) est démontrée et un traitement final de nature physico-chimique à l'aide de sulfato-ferrate de potassium peut être envisagé sur ce type d’effluents après pré-traitement à la chaux.
Le sulfato-ferrate permet, dans ce cas de figure, de traiter des problèmes ponctuels (concentrations trop élevées en métaux ou phénols) et d’obtenir, à l'issue d'un traitement très simple d'utilisation, des effluents conformes aux normes de rejet.
De plus, son action bactéricide peut être mise à profit en traitement tertiaire d’eaux urbaines où la déphosphatation serait couplée à une action désinfectante.
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