Cet article décrit le fonctionnement d'un nouveau réacteur utilisant du charbon actif en poudre en recirculation continue destiné à l'élimination des matières organiques, des perturbateurs endocriniens des pesticides et autres micropolluants présents dans les eaux à traiter mais aussi à leur filtration. Le procédé Filtraflo Carb® commercialisé par OTV-Veolia est présenté selon son mode de fonctionnement, les caractéristiques opératoires, les aménagements éventuels et la place qu'il occupe dans une filière de traitement.
Kader Gaid, Philippe Sauvignet Veolia Environnement Direction Technique et Performance
Depuis de nombreuses années, on observe sur diverses ressources en eau une dégradation de la qualité de l’eau, et plus particulièrement au niveau du paramètre de la matière organique pour les eaux de surface et des micropolluants pour les eaux de forage. On retrouve également des pesticides pouvant dépasser en concentration totale les 5 µg/l, et divers perturbateurs endocriniens, résidus de médicaments et autres substances industrielles.
En effet, la teneur en matière organique résiduelle (exprimée en carbone organique dissous) peut entraîner d’une part la formation de sous-produits chlorés lors de l’étape de désinfection et, d’autre part, cette dernière peut devenir un substrat de choix pour les bactéries en favorisant leur croissance et le développement du biofilm dans le réseau de distribution. Dans ce contexte, les matières organiques apparaissent ainsi comme un paramètre important à éliminer tout au long de la filière de traitement.
Aux matières organiques s’ajoute la question de la présence des micropolluants (pesticides, perturbateurs endocriniens, résidus de médicaments, substances industrielles). Cette problématique est constamment soulevée et discutée dans les médias suite aux nombreux bilans analytiques effectués par les laboratoires de contrôle. Ce sujet gagne en importance et en attention dans le monde. Chaque année sont développées de nouvelles substances synthétiques qui ne figurent pas sur la liste des...
Mots clés : Réacteur CAP, Charbon actif, substances organiques, micropolluant.
Substances prioritaires et ces substances peuvent provoquer des dégâts aussi bien dans les masses d’eau, comme par exemple la féminisation des poissons mâles par des hormones, qu’au niveau humain par des effets directs sur la santé lorsque ces substances sont présentes dans l'eau potable.
Il devient donc important de trouver les solutions techniques afin d’éliminer ces substances des eaux à potabiliser mais aussi de mettre en œuvre des traitements en sortie de station d’épuration. Une solution consiste à utiliser au maximum les effets d’adsorption du charbon actif en poudre dans des configurations où il doit être dosé de façon optimale afin, d’une part, d'obtenir la meilleure efficacité tout en réduisant au mieux le coût opératoire par une adaptation de la meilleure configuration du traitement.
Principe du Filtraflo Carb®
Les substances organiques présentes dans les eaux de surface ne sont que partiellement éliminées par les mécanismes de coagulation et floculation. Dans ces conditions, le processus nécessite un dosage élevé en chlorure ferrique et des conditions de fonctionnement en milieu acide (pH 5,5-6,0) impliquant un coût opératoire élevé en réactifs chimiques et implique également de tenir compte de la gestion complémentaire des boues produites.
Le résiduel en substances organiques (carbone organique dissous, COD) peut rester encore suffisamment élevé pour conduire à la formation de trihalométhanes (THM) et autres molécules organochlorées lors de l’étape de désinfection au chlore. La réduction des précurseurs de THM et la présence d'autres substances de type micropolluant qui ne sont pas touchées par ce mécanisme requièrent alors un traitement particulier.
Le charbon actif est la solution la plus simple, encore faut-il savoir comment l'utiliser, dans quelles conditions et selon quel procédé. Parce que la capacité d’adsorption d’un charbon peut être moins élevée que celle attendue principalement à cause de deux facteurs :
- • d'une part, la compétition entre la matière organique et les autres substances à adsorber,
- • et d’autre part, il importe que le temps de contact soit suffisant pour permettre l'utilisation complète de la capacité d’adsorption maximale du charbon actif.
Le mécanisme général d’adsorption, représenté sur la figure 1, reste une diffusion des substances présentes dans l'eau vers la surface du charbon actif, suivie d'une diffusion dans les pores.
La compétition entre les diverses substances implique que les substances les plus facilement adsorbables occupent rapidement une place dans les pores au détriment des substances les moins adsorbables. Il est également connu que les larges molécules organiques (substances humiques par exemple) peuvent bloquer l'accès aux micropores pour des molécules de faible dimension (pesticides, micropolluants) et réduire ainsi l'efficacité globale du processus.
Les isothermes d’adsorption valables pour une substance organique et un charbon actif donnés permettent de déterminer les dosages et les temps de contact adéquats. L’avantage d’un procédé comme le Filtraflo Carb® permet de trouver rapidement cet équilibre, car il associe en permanence l’injection de charbon actif neuf avec une masse considérable de charbon actif déjà présente dans le réacteur. On peut assimiler ce procédé à deux réacteurs en série dont le premier contient du charbon actif neuf et le second contient du CAP en grande quantité mais en partie usité.
Description du fonctionnement du Filtraflo Carb®
Le Filtraflo Carb® est un réacteur à CAP fonctionnant en filtration ascendante, qui permet une adsorption et une rétention simultanées des substances organiques et micropolluants mais aussi des matières en suspension présentes dans l'eau à traiter. Le Filtraflo Carb® se caractérise par :
- • une addition constante de CAP neuf dans le lit filtrant ;
- • une extraction en CAP proportionnelle à l'addition de CAP neuf ;
- • une adsorption continue des substances organiques et micropolluants ;
- • une filtration continue de l'eau à travers un lit de charbon actif ;
- • un mouvement permanent du CAP extrait en bas du filtre vers le haut du filtre permettant l'homogénéisation de la masse filtrante ;
- • un auto-curage du lit filtrant au moyen d'un système de contre-courant en condition turbulente permettant une élimination des matières en suspension piégées par le lit filtrant, par une turbulence créée dans une partie haute du lit grâce à la recirculation.
Le principe de fonctionnement consiste à faire transiter une eau à traiter dans un réacteur contenant le lit filtrant de CAP selon un flux ascendant à une vitesse n’autorisant pas la fluidisation du lit mais autorisant le CAP à migrer au fur et à mesure de la filtration vers la partie inférieure du lit filtrant. L'eau à traiter est distribuée au sein du lit par une rampe d’équi-répartition qui permet d’uniformiser la distribution d’eau brute dans le réacteur.
Le CAP présent en fond du lit filtrant est prélevé en continu puis recirculé vers le haut du lit au moyen d’un air-lift. De ce fait, la consommation en énergie est très faible. Cette opération permet de nettoyer en per-
manence le CAP des flocs et autres impuretés qui seraient agglomérés autour du matériau. Celui-ci se retrouve à nouveau prêt à être utilisé pour l’adsorption des contaminants de l'eau.
Selon des fréquences continues ou intermittentes, le CAP extrait en fond de lit est évacué et compensé par une quantité équivalente de CAP neuf en haut du lit (figure 2).
Ainsi, le Filtraflo Carb® propose de combiner deux traitements en un seul ouvrage, la filtration physique des matières en suspension en même temps que l'adsorption de la matière organique par un apport continu de CAP neuf.
Cette caractéristique du procédé permet le renouvellement du CAP sans avoir à stopper la filtration, c’est-à-dire sans avoir à stopper l’adsorption des matières organiques et autres micropolluants. Ceci permet d’obtenir en permanence et en continu une efficacité d’élimination des substances organiques et micropolluants. La recirculation du matériau filtrant permet aussi un auto-curage en continu de ce même matériau sans arrêt du procédé.
Par rapport aux autres procédés qui mettent en œuvre une cuve de contact du CAP suivie d’une séparation par décantation, ce procédé présente le triple avantage de pouvoir être mis en œuvre sur des installations de dimensions plus réduites, de ne pas conduire à la formation de boues impliquant un traitement spécifique et de ne nécessiter aucun apport de produit chimique de type coagulant ou floculant. Il est non seulement économe en énergie mais aussi très simple à exploiter.
Le CAP est un micro-charbon actif avec une taille moyenne comprise entre 300 µm et 800 µm et une surface spécifique de l’ordre de 900 – 1000 m²/g. Ce type de CAP présente aussi l’avantage d’être aisément inclus dans un lit filtrant comme matériau de filtration, d’être auto-drainant et de pouvoir être réactivé de la même manière que le charbon actif en grain. Le temps de contact de l'eau dans le Filtraflo Carb® est compris entre 5 min et 20 min. Les vitesses de filtration sont comprises entre 5 m/h et 20 m/h.
Une fois extrait, le CAP subit un simple égouttage puis est stocké en fûts, en vue de son acheminement vers une unité de régénération thermique. Les installations de traitement d’eau mettant en œuvre le procédé de l'invention ne nécessitent donc aucune chaîne spécifique de traitement des boues de CAP (épaississement ou déshydratation). Ce qui permet, à la fois, de diminuer les coûts d’exploitation et les coûts de maintenance. Ceci permet aussi d’éviter les scénarios de dévolution des boues contenant du CAP et en particulier les coûts associés (transport, épandage ou mise en décharge).
La clé du lavage en continu du charbon réside dans la partie haute du procédé. Le charbon « chargé » en matière en suspension est ramené du bas vers le haut via l’air-lift. Il chute alors dans une cheminée équipée d'un système de vis. Une partie de l'eau filtrée remonte dans cette cheminée et lave le charbon à contre-courant. Ces eaux « sales » sont extraites en partie haute. L’un des intérêts spécifiques du Filtraflo Carb® est l'absence d’arrêt de fonctionnement du réacteur permettant ainsi une productivité constante.
Le taux de renouvellement du CAP est compris entre 2 à 50 g/m³ d’eau dépendant de la concentration des substances organiques et micropolluants présents dans l’eau brute et des objectifs de qualité d’eau traitée.
Le taux de traitement (g/m³) correspond à la quantité de CAP neuf injecté en fonction du débit à traiter ou de l’évolution de la concentration en substances à éliminer.
Tx CAP : ([CAP] barbotine × Q injection) / Q eau traitée
Le débit de purge (m³/h) correspond au volume de CAP extrait pour un temps de fonctionnement donné. Il dépend de la concentration du lit filtrant, de la qualité de l’eau à traiter et du taux de traitement.
Q purge : (Tx CAP × Q eau traitée) / [CAP] lit filtrant
En résumé, les avantages du Filtraflo Carb® sont les suivants :
- • Faibles pertes en eau (< 1 %) à 3 % (similaire à un filtre gravitaire) ;
- • Pas d’équipement de lavage ni de bâche de stockage d'eau filtrée ;
- • Pas de régulation de contrôle de lavage ni d’équipement lié à la régulation des filtres ;
- • Pas de court-circuit possible au travers de l’ouvrage ;
- • Pas de coagulant ni polymère ;
- • Très bonne qualité de l'eau filtrée ;
- • Maintenance réduite car pas d’équipement électromécanique (agitateur, racleur, etc.) ;
- • Pas de boues ni de traitement associé à prévoir ;
- • Pas de fonctionnement en N-1 filtres ;
- • Faible consommation d’énergie.
Performances du Filtraflo carb®
Élimination du COD
L'utilisation du Filtraflo carb® présente plusieurs avantages : en raison des fortes concentrations du CAP dans le lit filtrant et donc de la disponibilité immédiate d'une importante capacité d’adsorption, la consommation de charbon actif peut être réduite tout en maintenant l’efficacité de traitement.
Ainsi, ce stock de CAP permet d’accepter des variations de la contamination par les pesticides et matières organiques, offrant aux exploitants une meilleure appréhension des pics de variations saisonnières. La qualité de l'eau traitée reste constante au cours du temps dans la mesure où la gestion du stock de CAP est convenablement réalisée. La flexibilité d’exploitation induite assure une sécurité vis-à-vis de la qualité finale de l'eau traitée. La taille du microCarb implique qu'il peut être mis en œuvre dans le procédé tel un produit sec
On note également qu’une addition de CAP peut être réalisée sans avoir recours à des systèmes de préparation type barbotine ou hydroéjecteur. Le stockage de ce type de produit est propre, avec très peu de poussière. En contrôlant la fréquence et le mode de renouvellement du CAP, on peut aisément adapter le taux de traitement à la qualité de l’eau à traiter. L’élimination du COD est illustrée sur la figure 3, sur laquelle on note une élimination de 50 % du COD avec un dosage en CAP de 20 g/m³ et une vitesse de passage de 15 m/h.
Affinage de la turbidité
Le suivi de la turbidité en sortie du Filtraflo Carb® fait apparaître un affinage d’environ 0,5 à 1 NTU par rapport à la valeur d’entrée pour une vitesse variable entre 5 et 25 m/h. Si l’on se réfère à une vitesse de filtration de 15 m/h, le gain de turbidité est de 0,8-0,9 NTU, permettant de sortir avec une eau filtrée autour de 0,6 NTU pour une turbidité d’entrée de 1,5-2 NTU. Toutefois, ces tests ont été réalisés avec une hauteur de CAP constante, c’est-à-dire avec un temps de contact variable au sein du lit filtrant. De meilleurs résultats sont obtenus lorsqu’on corrèle la vitesse de filtration avec le temps de contact ou la hauteur de CAP présente dans le lit filtrant.
Une addition de 0,13 g/m³ de polymère cationique agréé eau potable permet une turbidité de sortie autour de 0,2-0,4 NTU (figures 5 et 6) pour une entrée comprise entre 1,5 et 2,5 NTU, en fonctionnant à 15 m/h (temps de contact 10 min, hauteur de CAP 2,5 m).
Élimination des perturbateurs endocriniens – résidus médicaments
Un suivi des performances du réacteur vis-
Un test de performances vis-à-vis des perturbateurs endocriniens et résidus de médicaments a été réalisé.
Les résultats obtenus avec trois types de CAP sont résumés sur la figure 7.
Les rendements obtenus avec une dose de CAP de 20 g/m³ dépendent du type de CAP utilisé. On observe toutefois des rendements variables entre 18 % et 90 % en fonction du type de molécule analysée.
Domaines d’application du Filtraflo carb®
Les domaines d’application du Filtraflo carb® d’une eau contaminée par des matières organiques, pesticides et micropolluants (perturbateurs endocriniens, résidus de médicaments, substances industrielles) sont les suivants :
- • Eau souterraine en première étape de traitement ;
- • Eau de surface, en première étape de traitement, sur une eau à faible turbidité ;
- • Eau de surface, en seconde étape de traitement après élimination de la pollution particulaire (turbidité, algues) par flottation ou décantation ;
- • Eau usée clarifiée en traitement tertiaire.
Conclusion
La démarche de OTV - Veolia est de proposer à ses clients des solutions d’ensemble les plus flexibles possibles, en recherchant autant que faire se peut les conditions de fonctionnement optimales.
Le procédé Filtraflo carb® avec recirculation du CAP découle de l’expérience de la recirculation du CAP au sein de l’Actiflo Carb®.
Elle a été reconduite en remplaçant le processus adsorption-décantation de l’Actiflo Carb® par le mécanisme adsorption-filtration.
Il s’agit ainsi de poursuivre dans la voie d’une amélioration constante de la qualité de l’eau traitée à travers tous les paramètres réglementaires de la législation française et en particulier les matières organiques et également d’anticiper sur des normes à venir concernant les perturbateurs endocriniens, résidus de médicaments et autres substances industrielles.
Ainsi, chaque situation est examinée au cas par cas à partir des données d’eau à traiter et des objectifs à atteindre. Il n’y a pas de solution absolue, mais autant de cas particuliers que de projets auxquels OTV - Veolia est apte à répondre par le biais des procédés dont elle dispose.